A l'arrière de la horde ennemie

L’obscurité. L’obscurité l’happait en son sein, l’englobait de ses bras sombres et réconfortants, l’accompagnait comme l’amant le plus doux, dans sa chute vertigineuse, dans ce gouffre béant sans fin. Elle n’avait pas froid, elle n’avait pas mal, mais la peur ou la détresse s’insinuaient lentement dans ses veines. Plus de douleur, et c’est absence même de cette souffrance qui la troubla. Ses pensées volèrent, dispersées dans une brise invisible. Son âme se désagrégea, lentement, aussi lentement que les grains d’un sablier. Incapable de résister, incapable de réfléchir, les chairs et les idées diluées dans cet océan noir, dans ce néant infini si accueillant.

Tamara… Jade…. Tamara…

Dans le silence complaisant, les mots hurlèrent, attirant hors de sa torpeur, cet esprit démantelé. Ils résonnèrent, déplaisants, nuisant à la perfection sombre du lieu, luisant d’une vérité à demi-oubliée. Elle se laissa portée sur l’écho, oubliant l’instant fugace de plénitude, chevauchant parmi cet appel désespéré. Mais il était sauvage, intrépide, indomptable. Elle tomba de nouveau perdant son identité, ses souvenirs, et ses rêves …

Jade… Tamara … Jade

L’appel n’était plus seulement un son guttural que l’obscurité filtrait au travers de son voile de nuit. Des lettres de feu de dessinèrent, réchauffant le cœur éparpillé d’un soleil de tendresse, offrant une nouvelle énergie à cette âme en peine. Cette voix connue qui distillait en elle sa vie, la ramenait doucement, lentement, progressant difficilement dans cette mélasse noire.

Tamara… Jade… Tamara… Jade…. Tama…

Il se fit plus insistant, plus proche. Les flammes mourantes effacèrent les mots, cédant place uniquement à un chant merveilleux et irréel. Les souvenirs l’éclaboussèrent de nouveau, brusquement, la lançant pantelante sur les rivages de son enfance. Toute sa vie défila devant ses yeux, interminable, et pourtant si courte.

La voix douce, la voix d’un être aimé continua la litanie. La douleur l’assaillit. Fulgurante. Terrifiante. Terrible. Son corps, ce corps qui avait jusqu’alors disparut, vibra à l’unisson de ses cris, de ses gémissements.

Tamara…. Jade…. Tamara….

Une larme fantomatique s’échappa, se déversant apaisante sur les blessures. Des papillons effleuraient cette enveloppe de chair que composait ce corps faible et détesté, traçant dans leur sillage, des arabesques douloureuses. Le bruissement assourdissant et terrifiant d’une nuée d’ailes acheva définitivement de la sortir de l’obscurité… de l’obscurité si accueillante, si simple….
Pourtant, la même voix toujours susurrait à ses oreilles…

Jade !!

Non… ce n’était plus la même. Celle-ci était aussi bourrue et grave, que l’autre chaleureuse et douce. Elle ouvrit difficilement les yeux, ses prunelles émeraudes se posant vaguement sur une silhouette impressionnante.

La carrure impressionnante lui bouchait totalement la vue, cachant ainsi le reste de la tente. Elle souffrait mais la douce quiétude qui émanait du feu, réchauffait aussi bien les pans de toile de l’abri que le corps de la mercenaire. D’ailleurs dans cette lueur rougeoyante, la chevelure d’Hardroc prenait des teintes automnales davantage marquées. Elle lui trouvait les traits tendus, encore imprégné du sang qu’il n’avait pris le temps d’essuyer, le visage fatigué, même si c’était une faiblesse qu’il n’avouerait jamais. Elle bougea, juste un peu, mais suffisamment pour sentir un aiguillon de douleur lui traverser l’abdomen. Ses dents se serrèrent pour ne pas laisser échapper un cri malvenu.

-T’as vraiment une sal’ gueule Jade.

Elle esquissa un léger sourire qui se transforma vite en grimace. Sa gorge la brulait, son ventre la lançait atrocement et pour finir elle se sentait vidée de toute énergie. Elle voulut lui répondre, mais sa voix n’était plus qu’un mince filet éraillé.
Une femme s’approcha, se glissant difficilement entre le géant et la blessée, le bousculant pour qu’il remue son céans. Elle approcha des lèvres de la jeune femme une outre. Le liquide légèrement ambré s’écoula lentement dans son gosier, traçant un sillon de feu jusqu’à son estomac. Elle n’aimait pas vraiment l’alcool en temps normal, mais il faut bien avouer que ces quelques gorgées la réconfortèrent, endormant un peu son mal. Une gouttelette s’égara sur son menton, mais elle n’eu la force de l’essuyer sachant d’avance ce que lui couterait un tel effort.

-Que… - elle reprit difficilement sa respiration, et entrecoupant chaque mot comme s’ils étaient difficiles à prononcer, elle continua – que… fait… tu… ici… ? La… bataille… est…

-Non, non, pas d’victoire pour l’moment. C’est qu’y a une trêve.

Il cracha le mot, ses joues empourprées aussi bien par la chaleur environnante que par la colère.

-Une trêve !!! T’imagines ça toi ? Pffffffffffff on les z’aurait massacrer, et les autr’ déclarent une trêve !!! J’te dis pas comme on a les nerfs. M’enfin, les ordr’ c’est les ordr’. P’tet qui z’ont prévu une attaque surprise pendant la nuit. Verra ben.

Il haussa ses épaules musculeuses recouvertes, encore de son armure de cuir et de maille.

-En tout cas j’suis v’nu voir comment c’est qu’t’aller. Et m’faire r’coudre aussi. Mais t’as vraiment une trogne a faire peur à un orc. S’pour dire ! Héééééé !!! toi la !!! j’en veux aussi c’te truc. File moi s’te gourde.

Mais Jade n’écoutait plus, ses paupières s’étaient refermées, et elle sombrait dans un sommeil réparateur, un sommeil sans rêves, ni cauchemars

Lorsque Jade sortit de son sommeil dénué de tous rêves, l’imposante carrure de son frère d’arme, taillée à même le roc, avait disparue. Le feu diffusait toujours une lumière tamisé et chaleureuse, révélant ainsi les reliefs tremblotants de l’abri de toile. Elle posa un regard insistant sur l’endroit, sans parvenir toutefois à déterminé où elle se trouvait.

Une femme entra, avec précipitation sous la tente, laissant juste le temps à la mercenaire de remarquer le voile de nuit qui s’étendait sur le champ de bataille. Dans un étrange ballet de va-et-vient, elle emporta moult affaires, fouillant ses coffres, emplissant ses bras de divers bandages et tissus absorbants, revenant chercher de l’eau chaude qui balançait dans une marmite au dessus du foyer rougeoyant.

Puis de nouveau tout fut calme. Enfin à l’intérieur, car dehors, elle entendait les crépitements ténus des feux de garde, les soldats se restaurer à grand fracas de chansons paillardes et de bruitages variés. La boisson devait couler à flot, et pas uniquement dans le gosier des blessés pour endormir leurs douleurs.

La jeune Khandéenne, se redressa lentement sur la couche de fourrure plutôt moelleuse pour un campement de « fortune ». Un aiguillon de douleur, lui coupa le souffle, un instant, manquant de la faire renoncer à cet effort. Cependant, elle était entêté, suffisamment pour endurer la douleur et passer outre. Elle expira bruyamment, des gouttes de sueur perlant sur son front, identique à une tiare de gemmes transparentes, une fois son but atteint. Sous les chaudes couvertures en peaux de bête, elle était nue. On lui avait ôté tout son fatras de mailles, et de plate, les lambeaux de voile et de tissus devenus écarlate par la violence des combats. Recouvrant entièrement son abdomen, du bas de son ventre, jusqu’au dessous de sa poitrine, des bandes de tissus écru, s’imbibaient de taches écarlates.

La femme entra de nouveau ; Petite, gironde, les cheveux mal tressés et les joues rougies par les différences de températures entre la tente et l’extérieure, elle s’activait comme une fourmi, sans vraiment prendre garde à Jade.
Celle-ci que la soif, à juste titre, commençait à tirailler en desséchant totalement sa bouche, se vit contrainte de l’interpeller. Sa voix était toujours aussi éraillée, comme coupée au couteau mais suffisamment intelligible pour que la personne se retourne surprise.

-Haaa c’est qu’elle est reveillée notr’ poupette ! Elle a soif ? Pas un problem’ ça ! Vais même r’mener d’la nourriture. Mais d’abord, voyons c’te plaie !

Elle souleva d’une main d’experte les fourrures qui gênaient, défit avec une habilité que confère une grande habitude le bandage. La blessure était assez propre. Le ventre de Jade avait été minutieusement nettoyé afin d’ôter toutes traces de sa peinture verte. La coupure semblait nette et franche, pourtant les bords sanguinolents, la firent littéralement pâlir. Boursouflés, passant par des teintes de violacés peu appétissantes, ils étaient solidement maintenus entre eux, par des points de sutures. Jade détourna les yeux en tressautant, lorsque la femme versa abondamment un liquide chaud sur la plaie.

-S’pour la garder propre ! Faudrait pas qu’le mal s’y mette ma p’tiote, sinon tu f’rais pas long feu.

Ni une, ni deux, le bandage fut refait, et la guérisseuse sortit pour revenir quelques instant plus tard munie d’un plat fumant et d’une outre.
La Khandéenne n’avait pas vraiment faim, mais elle se força à prendre une bouchée, juste une pour faire plaisir à cette femme qui ne s’arrêtait pas de parler. Un vrai moulin à paroles ! Elle apprit donc quelques nouvelles fraiches concernant les blessés, les ordres, rien de très nouveau en fait. D’ailleurs Mercine, c’est ainsi qu’on la nommait, lui détailla tout… y compris son arrivée et comment elle se retrouvait sous la tente des femmes à défaut de celle des blessés ou des mourants.

Le flot des anecdotes se déversant sur la jeune femme comme une berceuse, elle ne tarda pas à s’assoupir. Bizarrement le breuvage au goût amer qui effaça pour quelques heures les douleurs qu’elle ressentait, lui apportant un repos bienfaisant, n'y était pas pour rien.

Jade s'embrumait dans les vapeurs du sommeil et de la fièvre. Son corps se recouvraient d'une multitudes de perles de sueurs sous les fourrures, rafraichissant sa peau brulante. Ses rêves s'emplissaient de combats interminables, de sang, d'horreur, comme un livre d'images sordides qu'on repasserait encore, et encore, sans jamais s'interrompre.

Lentement, le temps semblait s'arrêter à la lumière rougeoyante infernale de la tente. Elle imaginait des yeux luisants la pourchassant dans la moiteur ténébreuse de l'abri, des mains s'emparaient d'elle, la soulevaient. Elle se débattit provocant une houle de douleurs. Ce n'était pas que son imagination, des doigts serraient bel et bien ses poignets. Elle ne voyait que des ombres, ne sentait que des silhouettes qui se mêlaient à l'obscurité. Un tissu rêche se colla brutalement à ses lèvres.On la bougeait. Le délire fiévreux étendait ses bras, l'emportant dans des vagues hallucinatoires.

Du blanc...

.......

Partout...

.......

à perte de vue...

Le froid qui se glissait insidieusement entre les couvertures déferlant en vagues insidieuses
Ses doigts qui effleuraient une douceur glacée, s'engourdissant à son contact
Ses yeux qui refusaient de s'ouvrir pour contempler autre chose qu'une lune noyée dans ses lueurs blafardes.

Du blanc...

Encore...

Toujours...

La sensation atroce d'être pétrifiée, de perdre sa chaleur, de sentir son corps se raidir.
Et enfin des nuées de lumières irisées émeraudes éclairant ce monde monochromatique et son ciel d'une noirceur d'encre

Du vert...sa couleur... son espoir...sa nuit...

Jade soupira, sa conscience imitant les trainées superbes qui sillonnaient l'obscurité , s'étiola. Ce fut de nouveau le néant....

Nuage de glace ... Murmures et chuchotements ... Etreinte d'acier ... Limbes déchirés ... Arrachée ... Transportée ... loin sous les étoiles brillantes ... Seul le sifflement du vent qui hurle et ce bruit de frottement qui n'en finit plus ...

Du blanc ...
Partout ...
A perte de vue ...

Des cris et des lumières soudain ! Transportée ... Briques blanches aux reflets irisées ... Crépitement d'un feu ... Douce chaleur et tapis multicolores ... Une forme qui se penche et des mains qui tâte le corps meurtri ...
Des millier d'yeux qui regardent, des yeux morts cerclés d'argent baignant dans un liquide brulant à la couleur émeraude ...

- Remède .... Boire ....... BOIRE !!!!!!!

Néant ... Boire ... Néant ... Boire, boire les yeux d'argent encore ...

Les mains de nouveau et de longues bandes blanches que l'on serre sur le corps meurtri et des onguent et les odeurs piquantes d'aromates inconnues ...

L'esprit soudain s'éclaircit ... La vue est plus nette ... Le souffle plus aisé ... Boire, boire les yeux, boire l'émeraude ...

Une petite forme trapue est allongée dans un coin ... Elle respire bruyamment ... Elle dort ...

Des yeux clair aux sourcils fournit, un collier de barbe bien taillé, une coiffe étrange ... Une peau de bête, peut être d'ours jeté sur les épaules ... L'homme, grand et robuste, viens de faire son entrée sous la brique blanche ...

- ASSISE !!!

Sans ménagement, des mains dures et rêches aide le corps à se redresser ...

- Neiges éternelles souillées ... POURQUOI ???