L’attitude de Tinomir le rassura. Ils étaient au moins trois à garder le contrôle de leurs émotions, donc de leurs actes. Les hommes avaient le sang aussi chaud que celui de leurs chevaux. Le martèlement des sabots s’intensifiaient. Certaines montures prenaient le trot sans que leur cavalier ne le leur demande. Silence s’impatientait, il attendait lui aussi le moment de la charge décisive. Il espérait profondément qu’ils n’auraient pas à se battre aujourd’hui. Plus de la moitié de leur groupe se ferait massacré. Les paysans alentours seraient ils prêts au demeurant à défendre leur maître en participant à la lutte où jouiraient-ils du spectacle avant de s’en aller, libre du joug qui pesait sur leurs épaules ? Il n’avait pas la réponse.
Eodan semblait troublé lui aussi. Pour ne pas dire perplexe. Ils allaient au devant d’une situation totalement inconnue. Ils ne savaient rien de leurs ennemis, ou potentiels amis. Peut-être ne rencontreraient-ils que de l’indifférence. Plus ils se rapprochaient de la demeure du seigneur Jeremiah, plus ses doigts se crispaient sur le manche de sa hache de guerre. Il fit un signe de tête envers le vieux soldat pour lui signifier qu’il comprenait bien dans quelle position ils se trouvaient à présent.
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Vos hommes se battront et boiront le sang de leurs opposants s’ils le pouvaient. Combien goûteront réellement ce nectar, je ne sais. Quant à moi je mourrai dans l’honneur plutôt que de vivre dans la honte.Son regard se fit plus dur et ses doigts se serrèrent sur les rênes de son cheval. Il était prêt à en découdre.
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Plus tôt saurons-nous le fond de l’affaire, plus tôt serons-nous fixés sur notre sort.Joignant le geste à la parole, il céda dans ses doigts, et Silence prit le petit trot. Le groupe armé suivit l’allure montante et c’est d’une allure plus vive qu’ils se rapprochèrent de la demeure quelque peu démesurée. Il crut d’abord à un avant-poste armé ; des chevaux avaient pris le galop au loin et parcouraient d’une foulée avide le terrain qui les séparait du châtelet. Il se crispa, pensant que … cette éored, il s’en rendait compte à présent, s’en était une … que cette éored avançait vers eux. Méprise absolue de sa part. Il se retourna prestement vers Eodan, comme si le vieux soldat eut pu mieux comprendre la situation que lui.
Des hommes drapés des couleurs de Hogorwen fondaient sur la demeure du prince Jeremiah. Les cavaliers poussèrent un terrible cri de guerre qui le fit frémir, de peur, mais aussi d’une profonde envie de se battre contre cet ennemi intérieur, cette vermine qui rongeait le Rohan comme des rats les carcasses. Eodan ne réagit pas tout de suite. Seul, il se serait jeté de rage et de désespoir contre ces traîtres. Le vieux soldat ralentit le pas de son cheval, les avis semblaient être partagés dans le groupe derrière eux.
Harding se retourna pour scruter le cœur des hommes : il avait rapidement reprit son sang froid et paraissait à présent de marbre. Ses émotions ne restaient jamais plus d’une demie seconde sur ses traits. Le garçon le plus jeune de la troupe paraissait prêt à faire demi-tour pour prendre la tangente. Les vieux roublards avaient envie d’en découdre même s’ils semblaient moins prompts à entamer un combat contre une éored toute entière.
- Eodan, saviez-vous réellement qu’une éored se trouvait dans les parages ? Qui plus est il semble que d’autres soient arrivés avant nous dans l’hémicycle de la demeure de Jeremiah !Le vieux soldat serait-il aussi un prophète, ou une espèce de prêtre qui pouvait lire dans les signes ? Il fit tous les efforts du monde pour ne pas laisser trembler sa voix, de rage. Elle n’était pas contre Eodan, mais de voir ses ennemis, si proches, lui procuraient les sentiments les plus contradictoires. Il s’enferma dans un silence de mort après avoir posé cette question. Il sentait ses sens dans un éveil tout particulier. Des hommes s’étaient enfermés dans le domaine du seigneur rohirrim. « Enfermés », concrètement, car pourquoi faire tomber les lourdes grilles du château devant des hommes de Hogorwen. Des partisans d’Orwen se défendaient contre les suppôts du Mal absolu.