Sous l'étoile d'Eärendil

"Nârwel, un jeune garnement comme toi finira toujours par comprendre qu'il est important de lever les yeux... Et de prendre le temps de regarder l'Histoire de ceux qui ont marché en Terre du Millieu avant nous".

Nârwel se retourna vers son père qui avait toujours le regard fixé vers le ciel étoilé malgré les quelques insectes sauteurs que le jeune Gondorien venait de glissé dans ses cheveux. C'était une belle soirée d'été dans les hauteurs du Dor-En-Ernil, depuis la résidence familiale l'on pouvait apercevoir la baie de Belfalas et les lumières de Dol Amroth. Les étoiles se reflétaient presque sur La Grande Mer. L'espace d'un instant, le garçon aperçu les lueurs des phares de Numénor, mais la voix d'un crieur sur la place de la bourgade vint l'arracher à son imagination.

Nârwel ne chercha même pas à écouter, mais son père se releva, délaissant du regard le firmament. Son regard perçant se concentra sur le crieur qu'il ne pouvait voir. Soudainement il sourit. Puis se retournant vers l'intérieur de la maison il dit:

"le Roi Urden vient d'avoir un fils! Le Rohan a un nouveau Prince."

Nârwel entendit sa grand-mère répondre avec enthousiasme. Mais il reconnut dans la voix de son père la note qui annonçait le départ de ce dernier.

"Tu vas encore partir?" dit-il en se tournant vers son père.

"Cela dépendra du Prince, j'imagine que le Roi Eldarion et le Prince Mephisto iront féliciter le Roi du Rohan, le Prince de Dol Amroth les accompagnera et..."

"Et toi tu accompagne le prince... blablabla je sais." fit Nârwel en grognant.

Le père attrapa son fils et le sera dans ses bras en rigolant.

"Tu n'as pas à t'inquiéter, et n'oublie pas que nous vivont des temps merveilleux, et regardes... Nârwel regardes." dit-il en insistant gentiment. "Tu vois cette étoile?"

Nârwel leva les yeux, et pris un petit moment pour trouver l'astre pointé par son père.

"L'étoile d'Eärendil??" devinant le nom.

"Oui celle là... Et bien ce n'est pas une étoile."Nârwel fronça les sourcils. "Tu te rappelles de l'Histoire de Beren et Luthien?"

Il connaissait cette histoire, et il fit rapidement le lien.

"Mais père, comment le Silmaril c'est retrouvé là haut? et c'est qui Eärendil?" demanda Nârwel faisant mine d'attraper la gemme de lumière.

Le cuir du fouet claqua sur la main tendue. D'un cri Nârwel se réveilla, dans la pénombre et la puanteur de ses propres immondices. Tenant sa main ensanglantée, il se réfugia sur le sol de sa cage. La pierre froide sèche avait la couleur de son sang.

"N'ose même pas gémir fils de Gondor!!" cria l'un de ses geôlier au dessus de lui en frottant son fouet. "Il commence vraiment à m'énerver ce chien... Toute les nuits il nous temps sa main pâle à travers les barreaux. Qu'on lui coupe!" cracha l'homme à un de ses comparses.

"Les ordres sont clairs." répondit une voix calme.

"Tu n'as pas entendus les rumeurs! Vieille-Tombe est tombée! Il parait que l'Edwen Wa..." dit le premier.

"Peu importe les rumeurs ! Encore une fois, les ordres sont clairs : Torture, détention, mais pas de démembrement. Ta race as toujours eu du mal à s'en passer n'est ce pas.?" répondit un autre, d'un ton plus hautain.

"Cela pourrait être les ordres de l'Orchâl lui même s'il m'était transmis par une voix suave comme la tienne bougre d'elfe... raaaaah" répondit le premier en crachant sur le gondorien.

Nârwel ferma les yeux et oublia la dispute des adeptes de Morgoth. Il avait oublier depuis combien de mois il était détenu par l'Ordre, il ne savait pas où il était. Les fouets et les coups l'avait rendu faible et apeuré. Lui qui avait résisté aux prisons des orques dans le Mordor lointain. C'est les fers des Melkorites qui l'auront brisé. A tel point qu'il ne voulait plus se souvenir, il n'attendait plus que la mort.

Pourtant, la nuit, quand le ciel se dégageait au dessus des ruines de l'infâme forteresse de Dol Guldur, l'étoile de l'espèrance apparaissait. Et alors la voix de son père trouvait écho dans le coeur du Gondorien.

"Suit le Vingilot, et l'éclat du Silmaril te ramènera toujours vers ceux que tu aimes."

Bien que la forteresse de Dol Guldur ait vu l'Orchâl et ses sbires quitter son enceinte il y a des mois, les alentours recelaient encore des secrets et des portes à ouvrir. Une petite escouade de guerriers aux tenues noires et blanches avait gardé position près des ruines dans une cache bien dissimulée. Ils n'étaient plus guère nombreux et certains avaient même quitté le camp lorsque les vents de la chute d'Arzazath leur étaient arrivés aux oreilles. Mais les plus fidèles des fidèles étaient toujours là. Ils savaient très bien qu'en quittant le lieu, ils seraient vite démasqués et quand bien même ils atteindraient le rhûn, plus rien ne les attendait là-bas. Ils étaient coincés dans ce bois noir. Mais avec un otage. Il était dans un sale état mais sa tunique déchirée arborait toujours le symbole de l'Arbre Blanc.

Les soldats s'étaient défoulés sur lui plus d'une fois lorsque la colère et la frustration les avaient envahis. Mais il était hors de question qu'il meurt, il était leur bouclier face à d'éventuels ennemis, défenseurs des Peuples Libres. La vingtaine de soldats encore présents s'était réunie autour d'un nouveau feu, la chasse avait été plutôt bonne et ils allaient profiter d'un festin rare ces derniers mois.

"Allez laisse ce ruffian tranquille et viens plutôt bouffer avec nous aut'. Pfouah mais ça schlingue !"

L'autre homme s'éloignant de la cage du prisonnier en lui jetant un regard plein de haine :

"C'est qu'il salope tout dans sa piaule ce gondorien d'mes deux !"

"Tu nettoieras ça demain, sinon l'odeur arrivera bientôt jusqu'à Minas Tirith !"

"C'est ça ouais ! J'l'ai déjà fait y'a un mois, c'est l'tour de Jek heein !"


Akarat affûtait sa lame, assis sur un rocher. Il avait abandonné son lourd manteau d'hiver, le temps était plus clément ces temps-ci et ça n'était pas pour lui déplaire. Un souffle lui fit relever la tête. Un homme semblant surgir du sommet d'un arbre proche se redressa face à Akarat, un arc recourbé dans le dos.

"Isan ?"

Le dénommé Isan récupéra une gourde d'eau au sol et en but une gorgée, avant de répondre à son capitaine.

"Douze pies, peut-être quinze. À l'ouest d'ici, à environ deux lieues. Ils ont allumé un grand feu pour nous faire venir..." ironisa-t-il.

Akarat rangea sa pierre à aiguiser et remit sa lame à sa ceinture tout en se relevant.

"Bien ! Messieurs, il ne faudrait pas arriver en retard à la fête."


Les deux retardataires rejoignirent bientôt leurs camarades autour du foyer. Une douce odeur de gibier rôti s'échappa rapidement du campement, arrivant jusqu'aux narines de leur prisonnier. Quel supplice cela devait-il être pour cet homme, ne côtoyant que la mort, le sang et la merde depuis tous ces mois.

"C'est qu'ils me donneraient presque faim ces gars..." lâcha Isan.

La vingtaine de rôdeurs du Nord était déjà en position autour du camp, n'attendant qu'un ordre de leur chef pour passer à l'action. Akarat scruta les environs. Ils avaient pris toutes les précautions du monde dès leur entrée dans Vertbois. Leurs sources selon lesquelles un groupe de l'Ordre subsistait dans ces bois étaient donc fondées. Le membre de la Rose Noire avait longtemps craint un groupe plus nombreux, une seconde troupe mieux armée plus loin attendant de les prendre à revers. Mais rien. Il n'y avait aucun coup fourré, aucun piège. La terrible stratégie et les ruses de l'ennemi étaient mortes pour la plupart avec leur Maître.

Un hululement singulier se fît entendre et la pluie de flèches s'abattit sur les soldats de la couronne de fer. Des cris, des râles d'agonie, quelques épées qu'on tire de leurs fourreaux, une seconde salve puis des bruits d'épées tombant sur le sol. En un instant, la troupe melkorite était tombée.

Les Roses Noires s'avancèrent parmi les cadavres, vérifiant les corps et récupérant leurs flèches. Isan s'empara d'une brochette laissée à l'abandon et la dévora sans préavis.

"Tuer ça donne bigrement faim !" essaya-t-il de se justifier.

Leur mission était accomplie, d'ici quelques minutes leur groupe aurait de nouveau disparu. Akarat restait pensif. Pourquoi ces hommes étaient-ils restés ici ? C'était un véritable guet-apens naturel. L'Ordre était-il devenu idiot une fois orphelin ? Puis son regard se posa sur une cage, un peu à l'écart du campement et la réponse lui sauta aux yeux. Il s'approcha sans coup férir et décortiqua du regard les vestiges de l'homme qu'il avait face à lui, à travers ces barreaux. Son blason.

"Gondorien... ?"

L'homme se remua dans sa geôle.

"Mes amis, je crois que nous allons avoir un invité pour notre voyage de retour."

Les geôliers de l'Ordre commençaient à tourner autour de leur dîner qui pour une fois avait de la viande au menu. Nârwel n'aurait rien de plus qu'un os à ronger, et si les vauriens qui le tenaient en cage aurait eu des chiens, le Gondorien serait passer après ces derniers.

Le regard figé sur les nuages le peu de volonté qui lui restait lui faisait lever les yeux vers les cieux. S'il pouvait s'accrocher à cet astre, ce souvenir de jours heureux, car c'était l'un des derniers qui lui restait. Le regard vide, la vision de Nârwel s'obscurcissait peu à peu. Comme si les barreaux de la cage s'épaississaient. Menaçante étreinte qui sonnait l'echo de quelques anciens maléfices chuchotés en ces sombres lieux.

La faune avait depuis longtemps déserté la Forteresse de Dol Guldur, mais Nârwel ne reconnut pas le cri de l'oiseau nocturne, et quand bien même un signal d'alarme resonna dans sa poitrine, il n'avait plus d'attention à porter à ces choses là.

La première volée de flèches s'abattit, décimant la plupart des gloutons qui s'étaient réunis autour du feu. Mais ce n'est que lorsque qu'une flèche sanguinolente vint éclater dans la cage de Nârwel que ce dernier sortit de sa torpeur.

Le Gondorien leva les yeux vers la porte et ne distingua qu'une ombre grossière qui s'écroula à quelques pas du rideau de fer. Ramassant la tête de la flèche il passat son doigt sur la pointe encore coupante... Il ne connaissait pas cette forme, ou du moins n'en avait aucun souvenir. Mais cet acier, d'un éclat masqué par une savante préparation métallurgique, cet technique... la lame de son père en était faite, Gimilroth, le trésor de sa famille. Une épée qui avait survécu à la submersion de l'île des ancêtre des Peuples d'Arnor et Gondor. Si Nârwel avait perdu sa lame, il savait déjà que ces flèches avaient de grande chances d'être décochées par ceux qui serait ses libérateurs.

Un flot d'émotion l'envahit, et la première larme coula sur sa joue. Il posa un premier genou à terre, le suivant suivit. Enfin les ténèbres de fer pouvaient être repoussées. Il poussa un grand râle silencieux se laissant tomber en arrière, laissant l'air, certes puant, courir en lui.

Mais lorsque une silhouette grande et sombre se découpa devant les flammes dansantes, les fers se refermèrent sur l'esprit du Gondorien alors que l'homme parla.

Gondorien?

Les ténèbres se jetèrent une nouvelle fois sur Nârwel. Sous le choc et soudainement apeuré par ce personnage dont il ne devinait pas les traits, il se recroquevilla au fond de sa prison de fer.

Les fers de la cage qui résonnaient aux oreilles de Nârwel ne l'empochèrent pas d'apercevoir un court instant le visage de celui qui se tenait devant lui.

"Mes amis, je crois que nous allons avoir un invité pour notre voyage de retour."  

Il n'avait jamais vu cet homme. Et il y'eu peu de chance que tout ceci soit une nouvelle machination de l'Ordre pour lui faire perdre tout espoir. Donc peu importe la couronne servit, cette dernière ne pouvait être de Fer.

Certains de cela, Nârwel se releva péniblement. Et s'approcha de l'inconnu.

Ami, ouvrez... sombre. Ouvrez... Je ne peux pas voir, sortir... articula t-il péniblement.

Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas eu à parler. Si bien que le Gondorien prit une longue inspiration, et fixant l'inconnu implora.

"Libérez-moi... Je vous en prie."

#Nârwel #Isan #Akarat

Akarat avait réfléchi à cette hypothèse. Si des sbires de l'Ordre de la Couronne de Fer étaient restés ici, au beau milieu de ces bois, il leur fallait un moyen de négocier en cas d'attaque. D'attaque loyale. Mais la Rose Noire agissait dans l'ombre, contrairement à sa jumelle la Rose Blanche, ses hommes ne possédaient pas d'armures étincelantes, ni de heaumes. Leurs armes étaient bercées par la furtivité et la vitesse, par la discrétion et la ruse.

Lorsqu'il avait vu le prisonnier, la première réaction du capitaine avait été de se demander si l'homme était vivant ou mort. Les quelques torches l'éclairant rendaient son visage encore plus creux qu'il ne l'était déjà et les lambeaux de son ancienne tunique étaient désormais trop grands pour son corps squelettique. Mais l'homme s'était rapidement mis à bouger et émettre quelques sons à son approche. Akarat esquissa un bref instant une grimace, ce type était vraiment dans un sale état. Son sort était pire que la mort. Mais son cauchemar devait s'achever.

Le capitaine de l'escouade scruta le cadavre frais du soldat de l'Ordre à ses pieds. Il se baissa vers lui et fouilla dans les plis de sa tunique. Un bruit de métal se fit rapidement entendre et Akarat se redressa avec un trousseau de clefs rouillées. Au deuxième essai, il trouva enfin la bonne et la porte de la cage s'ouvrit dans un grincement sinistre. Akarat recula de quelques pas, invitant le prisonnier à sortir de sa demeure tandis que les hommes de la Rose Noire se rapprochaient. Le regard du malheureux vadrouillait de gauche à droite sans parvenir à s'immobiliser, ses sens étaient perturbés et il n'arrivait, semble-t-il, pas à contenir sa peur.

"Te voilà libre mon ami. Ces hommes ne sont plus une menace pour toi, ni pour personne d'autre."

L'homme parvint enfin à faire quelques pas en avant. Il quittait l'emprise de ces barreaux pour la première fois depuis des lustres.

"La Couronne de Fer a été vaincue, je doute que l'on t'ait prévenu jusqu'ici..."

C'est alors qu'Akarat remarqua la pointe de flèche entre les doigts osseux de l'ancien prisonnier. Il avait vu l'Arbre Blanc sur ses vêtements mais pouvait-il être sûr de son identité ?


Isan l'avait également remarqué et sa main avait lentement glissé vers la dague accrochée dans son dos. Les autres Roses Noires comprirent aussitôt.

"Pose cette flèche et dis nous ton nom, étranger." lui intima Akarat sur un ton neutre mais sec.