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 Un océan de promesses

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Nathanael
Espion de l'Arbre Blanc
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Nathanael

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Un océan de promesses EmptyMar 9 Juin 2020 - 9:49
Suite du sujet : Ce monde ressemble à la mer

~ ~ ~

L’aube pointa entre les vagues frémissantes d’écumes comme un téton incandescent surgi parmi des mamelons d’acier et de cobalt. La mer déchaînée et furieuse frappait la berge et éclaboussait le ciel de sa fureur blanche, couvrant jusqu’à l’herbe jaunie de la rive de Lond Daer d’un ourlet de cristaux de sel. Sa Seigneurie, comme il se faisait appeler, scrutait l’horizon infini du haut de l’étroite fenêtre qui donnait sur le port. La pierre d’ambre à son cou, cadeau d’une de ses favorites, lui chatouilla le cou et il tira sur le cordon de laine qui retenait le bijou pour se soustraire à cette caresse inattendue. Un frisson d’excitation lui remonta le long des cuisses et il sentit avec plaisir les prémisses d’un réveil qu’il qualifiait de « prometteur ». Sur la paillasse derrière lui, le corps alangui d’une jeune femme agita les draps, et un sourire coquin se laissa deviner sous l’oreiller de plume qu’il s’était offert auprès du capitaine du dernier bateau venu. Il glissa sa main sous la ceinture de cuir qui retenait ses chausses, s’assura de la fermeté de sa décision, et revint se coucher près de la jeune femme dont les boucles brunes couvraient le drap de lin.

Il vivait pour le plaisir du corps. Des corps, à vrai dire. Sa Seigneurie aimait découvrir, comme un explorateur, les monts et merveilles dissimulés sous l’opacité des tissus. Et il s’était acquis la réputation de pouvoir partager ses plaisirs personnels auprès de ceux qui savaient partager leur richesse avec lui. Réputation qui dépassait largement les limites restreintes du delta où les marins manquaient de revenus pour s’offrir ses marchandises. Les rois s’attachaient à construire des royaumes terrestres, à défendre des côtes et des collines piétinées par des milliers de pieds sales. Il s’était construit un royaume sans frontière, sans limites, et que personne ne pouvait totalement contrôler ni défendre, un royaume d’éther imprenable.

— Eilinel ?

Il claqua de ses grandes mains couturées de cicatrices et s’étira, nu, tout en sortant du lit. Il congédia la jeune femme à ses côtés en lui frappant les fesses et en lui pinçant l’oreille. S’il n’écoutait que son envie, il enfouirait encore une fois son visage entre les seins lourds qui s’offraient à lui, et s’oublierait dans le plaisir que lui procurait l’entrecuisse féminin. Mais l’homme à qui il avait affaire ce jour-là ne lui pardonnerait pas un excès de luxure. Il l’avait payé grassement pour réserver une marchandise très particulière qu’un seigneur côtier convoitait depuis de longues années.

Eilinel apparut à la porte, sans s’offusquer de la nudité de son employeur. Ses goûts personnels ne la portaient pas à s’émoustiller devant une extension de chair, quelle qu’en soit la rigidité.

— L’elfe ? questionna-t-elle.

Elle était au courant de la transaction qui devait avoir lieu le jour même. Sa Seigneurie acquiesça.

— Apprête-la comme il convient. Ses dernières plaies sont saines ? A-t-elle bien toutes ses dents ? Et personne ne l’a touchée ?
— Elle est comme il faut. Elle est déjà prête. Je me suis levée tôt pour l’habiller. Une perte de temps, selon moi, quand on sait ce qui l’attend.
— Là-dessus, ma chère, nous n’avons pas notre mot à dire.


Il tourna son regard d’azur sur la tour où les hommes du sud s’étaient établis depuis plusieurs mois, allants et venants au gré de leur navire qu’ils appelaient dans leur langue Le Chat Blanc. Un drôle de nom, quand on savait quels secrets sombres dissimulaient la coque de leur navire.

***

Qewiel avait été tirée de son sommeil sans douceur. Eilinel l’avait secoué par l’épaule avant de l’obliger à se passer de l’eau sur le visage au milieu de deux autres prisonniers. En quelques semaines, la jeune elfe avait repris du poil de la bête et le rebouteux qu’ils avaient fait intervenir s’était bien accommodé de sa tâche. Les contusions ne se voyaient plus, la côte brisée s’était apparemment ressoudée et les seules plaies profondes étaient invisibles, dissimulées derrière un regard plein de ressentiment. La jeune femme s’était fait mordre plusieurs fois malgré ses tentatives de gentillesse. Elle avait finalement opté pour le mépris, sans jamais pourtant porter la main contre sa prisonnière.

— C’est le grand jour, lui dit-elle. Sa Seigneurie a payé cher pour t’avoir, mais sois sûre qu’il gagne encore plus à te revendre aux hommes du sud.

La transaction se ferait au grand jour, comme d’habitude. Les lois d’Arnor et du Gondor pouvaient bien lui promettre la corde, la décapitation ou toute autre joyeuseté établie dans les vieux royaumes, ici elles n’avaient pas cours. Après tout, Sa Seigneurie n’offrait-elle pas simplement un long voyage à quelques âmes perdues en quête d’aventures ?

Eilinel détacha l’elfe au moment où arrivait Orcast. Aussi large qu’un fétu de paille balayé par le vent, il attrapa le poignet de Qewiel avec une fermeté qu’on ne pouvait soupçonner chez un homme aussi maigre. Sa main pareille à une serre d’oiseau se ferma sur sa prise, à peine plus tendre que la chaîne en métal qui pendait au mur.

Dehors, un petit crachin tiède leur fouetta le visage et les couvrit d’une pellicule moite et salée.

— Sale temps, lâcha Orcast. T’es sûr qu’ils partent dans la nuit ?

Eilinel, sur le pas de la porte, acquiesça.

— Avec la marée montante et la nouvelle lune. Ils ont dit que le ciel se calmerait dans la nuit et que les étoiles les guideraient.
— J’aime pas faire affaire avec eux.
— Moi non plus, mais ils paient bien. Et Sa Seigneurie leur doit un service.


Orcast ne rajouta rien et mena Qewiel derrière lui à travers les rues plus ou moins étroites du port. Sur les murs d’argile, des cristaux de sel formaient des arabesques étranges au gré des tempêtes. Ils franchirent plusieurs vieux ponts faits de bois et de pierres où s’accumulait le sable du delta. La rage de l’océan faisait fuir le fleuve à son amont à chaque grosse vague et l’eau tourbillonnait, sombre, sous leurs pieds. Orcast jeta une piécette de cuivre en franchissant l’un d’eux, marmonna quelque chose et tira Qewiel un peu plus vite derrière lui, pressé d’avancer à cet endroit.

Ils arrivèrent au pied de la vieille tour de garde, imbibés d’une humidité salée qui collait aux cheveux et à la peau. Le vent charriait avec lui l’odeur de l’horizon fait d’iodes, d’algues et d’inconnu. Un homme stationnait devant la porte, quitta son poste en les voyant arriver et revint, un petit sourire aux lèvres. Il leur ouvrit sans rien dire et les fit entrer. Dans une pièce tellement sombre qu’on n’y voyait pas ses pieds, la main qui tenait le poignet de Qewiel changea. La fermeté d’Orcast disparut dans le noir, et une paume rugueuse à l’odeur d’épices lui attrapa la main. Son nouvel acquéreur traversa un couloir et ils débouchèrent dans une pièce rectangulaire, haute de plafond, où de nombreuses meurtrières perçaient les murs comme des rais de lumière dans le néant.

Assise dans un lourd fauteuil en bois, une femme, pensive, releva la tête. Les lanternes fixées au mur projetaient son ombre en une réplique de nuances noires sur le sol. Elle avait la peau couleur d’or sombre, mais les yeux clairs, d’un vert chatoyant d’émeraude. Il émanait d’elle une autorité naturelle qui s’imposait comme une évidence.

— Laisse-la, dit-elle.


L’homme se retira. Dans l’obscurité, Qewiel semblait pareil à un petit fagot de bois qu’on aurait enflammé. Ses cheveux avaient repoussé un peu, mais ne lui retombaient qu’à peine sur les épaules. La hauteur écrasante de la pièce la rendait encore plus petite et les jeux d’ombre et de lumière déformaient ses traits juvéniles, la rendant plus âgée.

— S’être imposé des siècles durant, avoir dominé les hommes pendants des millénaires, pour ne donner lieu qu’à de petits bâtards dégénérés ? Elle eut un petit éclat de rire. Les elfes et leurs prétentions ! Tu as de la chance que les hommes du Gondor aient des goûts très particuliers. Mettre autant d’or dans si peu de chose… quel gâchis.

Elle se leva, grande et belle, dans une tunique de tissus richement ornés et colorés.

— Mais tu pourrais faire de grandes choses, peut-être, si tu le désirais. Elle plongea son regard vert dans les yeux de la petite elfe. Le désires-tu ?
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Qewiel
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Un océan de promesses EmptyVen 26 Juin 2020 - 16:31
J'avais peur. J'avais eu peur. Je me souviendrais toujours de cette première rencontre où ils me mirent ces choses terribles aux poignets, comme si c'était normal voire naturel pour eux. Je me souviendrais certainement toujours de cette rage qui m'habita alors, tempête après un calme aussi froid que les anneaux de... métal, comme ils disent. J'avais crié, mordu, griffé, tiré jusqu'à ce que le sang coule de mes mains. Comment pouvaient-ils utiliser ce qui avait le même goût que les armes tranchantes des orcs sans même éprouver la moindre gêne ? Et elle avait pensé qu'en me parlant doucement dans je ne sais quelle langue, en me souriant, que j'allais oublier ce fait ?! Non. Je m'étais battue, du mieux que j'avais pu, jusqu'à ne plus pouvoir. Logique. On n'utilise pas les armes de l'ennemi sans avoir une partie de lui en nous. Aussi je n'avais eu aucune confiance en cette femme et n'en avais toujours pas - de toute manière elle me montrait bien depuis que je ne m'étais aucunement trompée à son sujet. Certainement une envoyée des Valar... j'espérais dans le fond qu'elle n'en était pas vraiment une. J'avais peur de ce qu'elle me ferait, ou plutôt de ce qu'ils me feraient en se rendant compte que je n'avais pas été élevée dans leur mensonge. En attendant, je patientais. Je guérissais au fil des jours, étrangement les gens prenaient soin de moi. Même qu'un oreilles rondes est venu plusieurs fois, avec une sorte de sac qu'il tenait à la main et dans lequel se trouvaient des fioles en verre contenant plein de choses toutes plus étonnantes les unes que les autres. Les seuls moments où je me montrais vraiment curieuse, touchant les onguents qu'il me mettait sur la peau, les reniflant et même les goûtant. J'y retrouvais des goûts et textures que nous utilisions dans les marais, comme de l'athelas ou de la graisse d'animal. Du naturel, enfin. Pareil, je reniflais plusieurs de ses fioles qu'il me laissait toucher. Ca m'occupait. Je m'amusais à voir le mélange de curiosité et de dégoût sur son visage alors que j'essayais de comprendre par ce biais ce qu'il faisait sur moi. Et lui avait la paix pendant qu'il m’auscultait. Dans le fond, c'était un échange de bons procédés. Seuls moments enviables parmi ces longues nuits à être enfermée avec d'autres...

Voilà qu'on me réveillait. Qu'elle me réveillait, cette femme qui avait voulu me duper. Elle m'ordonna de me vêtir d'une robe moche peu confortable. Elle prétendait que j'étais "bien habillée" ainsi. Je regardais à ces propos mon propre corps et trouvais que non : en plus d'être trop coloré, ce vêtement était surtout dépourvu de sens pratique. Si je me baissais je risquais de marcher dessus, pour enjamber un rocher ou grimper aux arbres ce devait être pire que tout ! Mais comment faisaient toutes ces femmes qui en portaient tous les jours dans les endroits où je m'étais retrouvée ? Elles restaient toujours chez elles ? Elles ne chassaient pas ? Ne pêchaient pas ? Restaient debout et puis c'est tout ? Mais quelle triste vie ! Non, je n'étais décidément pas bien habillée... et j'avais un peu peur qu'on m'enchaîne à une vie d'immobilisme avec cette robe de malheur. Au moins aux marais elles étaient soit plus courtes, soit fendues, soit les deux ! Et puis même, elles n'étaient utilisées que pour les vieilles cérémonies comme un habit changeant de l'ordinaire. D'ailleurs, je n'avais pas vu d'hommes aux oreilles rondes porter des robes... seulement les femmes en portaient ? Pourquoi ?

Pendant que la femme - elle en pantalon - était repartie, me faisant bien comprendre que je devais rester bêtement là, je restais assise avec mes questions et mes cheveux rebelles que je devais coiffer. Au moins ils recommençaient à avoir une longueur correcte, eux. Et moi, de toute manière, j'étais encore enchaînée au mur. Le temps passant et la personne à côté de moi se réveillant, je lui demandais d'un ton boudeur confirmation de mes soupçons. Depuis le temps, à côtoyer des oreilles rondes, je les comprenais et parlais leur langue de mieux en mieux.

"Pourquoi avoir ça, dis-je en montrant le vêtement du doigt, c'est... c'est être... bien habillé ?
- Tu m'en poses de ces questions l'elfe...
- Pourquoi ?
- J'sais pas. Elle a des couleurs cette robe, elle est bien faite. Cette robe te rends présentable.
- Cètrobe ?
- Oui, cette robe.
- Cètrobe... cètrobe... Ca, cètrobe.
- Robe. Ca, robe. Cette... robe.
- Cette... robe ! Ca, robe ! Robe.
- C'est ça...
- Seules... Seules f... Seules les femmes, ont robes ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- Parce que.

Je penchais la tête sur le côté, ne comprenant pas la réponse. La femme réveillée à côté de moi soupira et maugréa tout en s'asseyant.
- T'es chiante ce matin ! Vivement que tu partes.
- Et...
- La ferme l'elfe."


Je la regardais sans trop comprendre. J'avais quoi ce matin ? Parce que je partais ? Oui, forcément que j'allais partir, vu que l'autre m'avait obligée à enfiler cette horreur pas pratique. A ce propos, la femme revenait avec un homme. Elle semblait contente ; lui n'en montrait rien. Elle me détacha et lui me prit fermement par le poignet ; j'avais mal. Dehors il faisait gris, d'innombrables larmes célestes se posaient sur nous alors qu'il m'entraînait à travers Lond Daer et qu'au loin la mer semblait être en colère. Ne jamais mettre les éléments en colère... leurs esprits étaient parmi les plus puissants et ils savaient punir qui osait les défier. Les oreilles pointues, à ce que j'avais pu comprendre, étaient insouciants des esprits et du mal qu'ils provoquaient autour d'eux. Que pouvaient-ils bien avoir fait, cette fois ?

Une haute maison de pierre. Un homme avec des armes que je n'aimais pas du tout, une pièce très sombre où mon "guide" me donna à un autre homme dont je voyais à peine les formes. Puis, me tenant cette fois-ci la main, mon nouveau guide m'emmena jusqu'à une grande pièce en pierre où était assise une femme sur une grande chaise en bois.

"Laisse-la."

Ah. Enfin. J'allais pouvoir avoir mon pauvre bras tranquille. Tout en jetant un regard sur celui qui quittait la salle, je frottais doucement ma main comme mon poignet meurtris. Puis je posais mon regard sur la femme à la longue tunique brodée et agrémentée de bijoux. Comme il émanait d'elle une aura ressemblant à celle d'un chef, je lui accordais de la regarder dans les yeux, lui montrant une considération qu'elle pouvait tout aussi bien perdre que garder. Son port était droit, le mien aussi ; juste que contrairement à elle je restais prête à bouger rapidement les jambes s'il y en avait besoin. Me toisant elle dit quelque chose que je ne compris pas vraiment, trop de mots m'étant encore inconnus. Juste que j'avais de la chance que des hommes aient des goûts et mettaient de l'argent dans peu de choses. Je ne comprenais pas exactement ce que cela voulait dire mais ça n'avait pas de quoi me rassurer. La femme se leva alors et plongea ses yeux verts dans les miens.

"Mais tu pourrais faire de grandes choses, peut-être, si tu le désirais. Le désires-tu ?"

Je penchais ma tête de côté en signe de questionnement, ce que la femme ne comprit sûrement pas. C'était le manque de clarté ou bien elle avait une peau différente de celle des autres que j'avais pu croiser ? Non, c'était bien sa peau... étrange. Moi-même je n'avais pas une peau aussi claire que les autres, elle était plus terne. Pourquoi pas ? Cela signifiait qu'elle devait venir de loin, ou tout du moins pas d'ici. Mais je ne me rappelais pas qu'on m'ait parlé d'un peuple avec une telle couleur.

"Des grandes choses ? Comme quoi faire, des grandes choses ?"

Hé oui... j'étais loin d'avoir compris le principe de serviteur ou d'esclave. On me demandait si je voulais faire de grandes choses, je demandais quel type de choses on voulait que je fasse. Logique. Qui dirait oui sans comprendre ce qui se passait dans la tête de la personne en face ?
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Nathanael
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Un océan de promesses EmptyMar 14 Juil 2020 - 8:38

— Comme faire naître un roi et bâtir un royaume, apprendre du passé pour façonner l’avenir.

La femme parlait, un fin sourire aux lèvres, à tel point qu’il était impossible de dire si elle parlait sérieusement ou si elle se moquait de l’elfe.

— Tu pourrais être libre, continua l’étrangère.

Debout devant son siège la femme s’avança. Mais au lieu de la démarche souple et habile qu’on aurait attendue d’une si belle personne, elle fit un pas en traînant une jambe lourde et raide qui lui donnait une démarche chaloupée. Sous ses robes de couleur si finement tissée, il était impossible de ne pas noter qu’à partir du genou le bas du membre gauche s’orientait fortement vers l’intérieur. Sans se soucier de son handicap, pas plus que du regard de la petite elfe, elle s’avança jusqu’à une commode basse. Se courbant malhabilement, elle sortit une maquette de navire qu’elle exposa à la lumière dorée des torches.

— Libre comme les premiers hommes qui vinrent en ce monde et conquirent les étendues sauvages qui s’offraient sous leurs pieds. Libre d’aller où bon te semblera, comme il te semblera. Tu seras libre, si tu acceptes le marché que j’ai à te proposer.

De son pas claudicant, elle prit la maquette d’une main, se saisit d’une torche de l’autre et quitta la salle obscure où elles se trouvaient toutes deux. D’un signe de tête, elle invita Qewiel à la suivre. Derrière la porte, les remugles d’épices piquaient encore les narines. Le garde ne se trouvait pas très loin. Sans rien dire de plus, l’étrangère à la peau d’ambre gravit un escalier raide jusqu’à une petite pièce mieux éclairée dont les fenêtres donnaient sur le continent d’un côté, sur la mer infinie de l’autre. L’ascension se révéla lente et difficile, mais Qewiel n’entendit jamais la femme ni gémir ni se plaindre.

Il y avait là un lit, une planche posée sur des tréteaux qui servait de bureau, des chaises et des étagères où s’entassaient à la fois des documents et des objets disparates. La femme posa l’esquif sur la table et se retint sur le rebord du panneau en bois pour se tenir droite. Elle mit la main sur un livre en cuir relié d’où cherchaient à s’échapper des vélins et des parchemins et en tritura la couverture élimée. À la lumière du jour, grise et terne par ce temps maussade, la femme du sud n’avait plus autant de superbes. N’était son beau visage, elle ressemblait davantage aux vieilles sorcières tordues des histoires effrayantes qu’on racontait aux enfants pour les empêcher de sortir, la nuit venue. Son pied, nu, était difforme, ses orteils se chevauchaient, comme s’ils se battaient tous pour occuper la même place.

Le regard perdu par une des étroites ouvertures qui perçaient la tour à l’ouest, la femme sourit tristement avant de reporter son attention sur la petite elfe.

— Si tu souhaites retrouver ta liberté, il te faudra chevaucher les vagues et affronter l’océan. Le bateau qui t’emmènera s’apprête à partir pour le sud.

Sa poitrine se gonfla et laissa échapper un soupir.

— Je me nomme Erendis, fille de Meneldir.

Tandis qu’elle prononçait son nom, la tristesse quitta son regard et ses yeux verts se remirent à briller avec plus d’ardeur. Erendis repoussa le vieux livre et mit le bateau sur un support d’ivoire qui le tint en équilibre. Il ne s’agissait pas d’une quelconque maquette. L’art du détail transparaissait dans la voilure dont la toile semblait chatoyer malgré la faible lueur, le bois extrêmement clair de la coque renvoyait la lumière comme les plumes blanches des grands oiseaux de mer. Erendis laissa ses doigts courir de la proue à la poupe.

— Le Chat Blanc n’est plus ce qu’il était, même si son nom est encore craint et respecté. De trop longues années ont abîmé l’héritage de mes ancêtres. Des mains maladroites et inexpérimentées ont abîmé le travail centenaire de ceux qui m’ont précédé. Tout se perd, souffla-t-elle. Notre race a perdu de sa superbe. Les hommes ont grignoté petit à petit ce qu’il restait de nous, comme des mites et des rats affamés. Ils nous ont vénérés, puis haïs. Ils ont usurpé nos secrets et notre art sans être jamais capables de l’égaler. Et quand ils se sont sentis satisfaits, gorgés de savoirs et de connaissances, ils nous ont repoussés au sud, quand bien même ils ne voyaient pas que ce qu’ils détenaient n’était que des chimères difformes.

Délaissant le navire elle repoussa vivement sa robe pour dévoiler plus crûment le handicap qui l’affectait.

— Nous sommes trop peu nombreux aujourd’hui et les croisements avec des races inférieures ont amené la maladie dans nos lignages. Il en est parmi nous qui ne voient plus aucun espoir, alors qu’il existe encore une possibilité de retrouver notre grandeur d’antan. Il existe un moyen…

Du plat de la main, elle frappa l’épais grimoire sur le bureau. Une feuille tomba sur le sol aux pieds de Qewiel. Un bateau, elfique de par son architecture, y était dessiné. Le regard d’Erendis se perdit une nouvelle fois du côté de Belegaer.

— Il existait une carte dessinée par l’une des nôtres au temps où les hommes ne gouvernaient pas encore. Nous avons été spoliés par les hommes du sud et elle a disparu. Mais la rumeur gonfle qu’elle a été retrouvée dans les sables brûlants du désert. Si tu retrouves cette carte et que tu me la ramènes, elle sera le seul prix de ta liberté.

Erendis se rapprocha d’une des étroites ouvertures à l’ouest et chercha du regard le mât du Chat Blanc au-dehors. Le bateau s’esquiverait dans la nuit, le ventre gonflé de marchandises, de peaux et de laines, de pierres naines et de bois elfique que l’on ne trouvait que difficilement au-delà du Harad. Et d’un vieux secret, aussi vieux que les hommes eux-mêmes.
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