Tête sans barbe et sinistre nouvelle

Un des gardes de la Porte de l'Est rapporta au Seigneur Hadhod, assis sur son trône dans la grande salle, qu'un Nain en piteux état s'était présenté à l'entrée de Khazad-dûm et souhaitait être entendu par les hautes autorités de ces mines. Il venait, selon ses propres dires, du Mont Solitaire.

- Qu'on le fasse entrer et qu'on le conduise jusqu'ici selon son vœu. Donnez-lui à manger et à boire, et des soins s'il en demande, ordonna le fils de Trehod.

Il voulait tout particulièrement se montrer accueillant et généreux envers les "cousins du Nord", comme les appelaient les Naugrim de Moria, d'une part parce que s'étaient des gens braves et loyaux, et des alliés, et d'autre part car lui-même était originaire d'Erebor.

Ce ne fut qu'après un court moment que l'individu annoncé arriva. Il avait certes l'air fatigué et diminué, mais ses yeux étaient très perçants, et son regard en disait long: il avait dû passer par des moments difficiles, comme en témoignait d'ailleurs son équipement cabossé, ses habits déchirés et crasseux, et les nombreux bandages rudimentaires qu'il portait un peu partout. En outre une terrible entaille sur le front avait failli lui coûter son œil gauche. Le nouveau venu se dirigea vers le trône et s'arrêta à mi-chemin, s'agenouillant à la fois par respect et à cause de son épuisement.

"Seigneur Hadhod Croix-de-Fer de Khazad-dûm, je me nomme Dùr, et je suis originaire d'Erebor. Je partis du Mont Solitaire voilà trois semaines, avec ma compagnie de soldats, sous le commandement de notre Capitaine, Broïn, décidés à gagner vos mines pour venir grossir les rangs des Khazad de Cavenain, en gage de notre amitié et pour participer à la gloire du grand royaume! Mais passé le Val, arrivés au Carrock dans le pays des Béornides, nous fûmes pris en pleine bataille: des Gobelins venus du Nord attaquaient le Haut Roc, celui-ci étant défendu par de nombreux hommes. Mais le combat tourna en notre défaveur, ma compagnie fut acculée, mes amis éliminés, et les gens du Val comme les Béornides du chef Bsam n'eurent d'autre choix que de céder ce lieu symbolique. Je gisais sur le champ de bataille, blessé et assommé, mais vivant. Lorsque je rouvris les yeux, d'immondes créatures me traînèrent devant le chef Orques, du nom trois fois maudit de Baltog, et je dus assister, impuissant, à la décapitation du Capitaine Broïn! Mais pire encore, il me dirent d'apporter sa tête ici même."

Dùr laissa alors tomber le sac ensanglanté qu'il avait refusé de céder, et, à moitié déchiré, tous, Hadhod en premier, purent apercevoir la tête d'un nain, portant sur le visage une grimace de douleur, le menton presque dépourvu de sa barbe. Le sinistre Baltog n'avait négligé aucun détail pour railler les Nains.

"Sachez, Seigneur Hadhod, reprit Dùr, que je n'ai point apporté cette preuve macabre pour le plaisir des Gobelins, ni par peur d'eux, mais simplement pour que vous voyiez par vous-même la cruauté de ce Baltog, et le tort qu'il a causé à notre peuple. Car, si cet acte odieux mérite vengeance, je ne peux venger seul mes frères tombés."

Les quelques nains qui étaient présents regardèrent attentivement la scène mais lorsque le nain montra la tête du courageux capitaine ils tentèrent de contenir leur rage et leur soif de vengeance. Des chuchotements haineux envers Baltog le vil gobelin se firent entendre puis les chuchotements devinrent des cris de vengeance :

-"Armons nos troupes et attaquons ces créatures ! cria un garde

-Défendons nous et préparons nous à une attaque gobeline !" cria un conseiller du roi

Un nain s'avança, des larmes se voyaient sur son visage et ses yeux brûlaient d'une lumière semblable à une flamme rougeoyante :


-Donnez moi cette tête, je me nommes Borin et c'est la tête de mon fils que vous venez de montrer." le nain sanglota

Les cris ne se firent plus entendre, les nains étaient choqués et la révélation de Borin augmenta encore l'envie de vengeance des nains. Dùr donna la tête à Borin qui sanglota à l'instant où il tenu la tête de son fils, il chuchota :

-"Je te vengerais mon fils, j'en fais le serment par Aulë, je tuerais Baltog avec ou sans l'armée naine de Khazad-Dûm. il se tourna vers Dùr Tu es un nain très courageux et je souhaites te récompenser pour ta vaillance."

Il mit la tête de son fils dans le sac que lui tendit Dùr, il donna une bourse en cuir contenant de l'argent puis il repartit, une profonde tristesse se voyait sur son visage, il retourna à sa place et attendit que le souverain de Khazad-Dûm parle et fasse part de son opinion.

Le sac macabre fut remis à des creuseurs de tombe spécialisés, qui quittèrent la salle sans mot dire. Ils confectionnerait un trou dans la roche, près des tombeaux des capitaines, où reposerait bientôt la tête de Broïn, seule partie de son corps retrouvée.

Hadhod restait assis, sans bouger ni parler, mais son regard était devenu sévère, il aurait fait reculer n'importe quel Gobelin rien qu'en le fixant de ses yeux. Un grande colère enflammait son cœur, un désir de vengeance contre celui qui venait de faire du tort à des amis du peuple de Khazad-dûm. Nul ne rompit le silence jusqu'à ce qu'il parla enfin:

- Borin, je comprends votre douleur et partage le désir de vengeance qui flambe dans votre cœur. Mais je n'enverrai pas une armée ou une compagnie loin de Khazad-dûm, j'ai besoin de mes guerriers ici, en Moria, et ne peux permettre de les perdre dans les contrées étrangères, ni de prendre des risques en allant se jeter dans la gueule du loup. De ce Baltog, j'ai déjà eu vent. J'ai tué son père Tarzog voilà une décennie, et je sais qu'il a agi justement dans le but de diviser mes armées et de nous bouter hors de nos demeures. Mais croyez-moi, Borin, lui-aussi voudra accomplir sa propre vengeance, nous n'aurons pas besoin de partir le débusquer, il viendra de lui-même. Alors vous pourrez accomplir la vôtre. Patience donc, la vengeance est un plat qui se mange froid.

Et c'était bien vrai. Le Seigneur de la Moria ne pouvait prendre le risque de diviser ses troupes et de mener des campagnes dans le monde extérieur. Il devait surveiller les Gobelins de l'Ouest des mines et s'occuper de l'expédition de Flosi. Des tas de sujets le tracassaient, et il n'avait nul intérêt à tomber dans les pièges de Baltog fils de Tarzog.

Les paroles du souverain était sage mais les gardes et les conseillers étaient d'opinion différentes mais néanmoins la majorité était de l'avis du roi mais ceux qui ne l'étaient pas le dirent, un brouhaha moindre s'éleva dans la salle.

-"Il faut nous venger comme le fit Thraïn autrefois !

-Tu as raison Hadhod, les gobelins attendent que nous nous dispersions pour s'en prendre à notre demeure de Cavenain !

-Si nous n'attaquons pas ils le feront en premier !

-Montrons à ces gobelins qu'il ne vaut mieux pas tenter de provoquer les nains !

Borin prit la parole et cria d'une voix plus forte :

-Désolé mon roi mais je ne puis oublier l'insulte qui m'a été faite, je partirais dans 1 mois avec ou sans votre armée car j'ai prêté serment de vengeance par Aulë et je ne puis supporter l'idée que ce Baltog respire encore et reste impuni.

La voix de Borin était emprunte à la fois de colère et de tristesse, son regard était noir, la haine et la colère envers les gobelins et le désespoir d'avoir perdu son fils commençaient à faire germer quelques ténèbres en lui et cela, les nains s'en rendirent compte à ces mots mais le seigneur de la Moria était quelqu'un de sage à qui on ne pouvait faire du chantage comme cela. Le brouhaha retenti de nouveau dans la salle du trône et Borin ne cessait de regarder le souverain de la Cavenain dans les yeux, avec un air de défi, il savait qu'il fallait qu'il ait l'armée d'Hadhod avec lui pour vaincre Baltog.

Des murmures avait parcouru la salle du trône, et ils s'amplifiaient de seconde en seconde, prêts à se transformer en un boucan monstrueux. Jamais depuis son accession au pouvoir Hadhod n'avait eu affaire à ce genre de situation: certains des Nains partageaient son point de vue, d'autres le contredisaient, mais tous parlaient en même temps sans aucune organisation ni aucun débat construit ou constructif.

- SILENCE !

La voix grave du Seigneur de Cavenain fit trembler, tel un cor, les murs de pierre de la grande pièce, et toutes les conversations et les commentaires se stoppèrent net. Il n'y eut plus aucun bruit, excepté les échos des paroles de Hadhod Croix-de-Fer qui se répercutaient sans fin entre les quatre murs:

"SILENCE!... Silence!... Silence... lence... lence..."

L'assemblée resta muette, nul ne bougea plus et tous les yeux ne purent quitter le fils de Trehod qui s'était levé.

- Lorsque je prends une décision, j'aimerais qu'elle ne soit pas contestée de la sorte. Il n'y a que chez les Orques et chez les sauvages qu'on devrait assister à un désordre pareil. Ce choix, je l'ai pris pour le bien du peuple, et aussi parce que le manque de patience s'est plusieurs fois retourné contre nous avant ce jour. Ne commettons pas de nouveau les erreurs du passés, tel est mon dernier mot.

Il quitta son estrade et traversa la Salle du trône jusqu'à atteindre la porte de pierre à l'autre bout. Là, il ne se retourna même pas et quitta ses pairs, sûr de sa décision.

L'appel au silence d'Hadhod avait intimidé tous les nains et qu'il ait quitté la salle du trône en pleine discussion c'était du jamais vu, les nains en furent stupéfiés et le silence régna dans la salle après le départ du souverain. Un conseiller du roi néanmoins décida de prendre la parole :

-"Il est évident que nous nous sommes laissés emporter, nous reparlerons de cette affaire sûrement, mais plus tard et à froid car la macabre découverte nous à tous mit sur les nerfs. Partons maintenant et oublions cette affaire.

Tous les nains approuvèrent les paroles du conseiller et partirent sauf les gardes, tous, sauf Borin. Il caressait sa barbe et réfléchit à l'avenir, il préféra faire ce qu'Hadhod avait dit en fin de compte, cela paraissait plus sage et prudent, et si Baltog n'attaquait pas, il irait au Mont Gundabad, seul s'il le fallait, il devait honorer son serment. Il se battrait avec la haine et le désespoir comme alliés. Il partit de la salle du trône comme si de rien n'était puis se rendit à l'endroit où était aménagé la tombe de son fils, il pleura puis rentra chez lui.