Le Conseil de la Vie Minière et Militaire.

Le Conseil allait s'ouvrir dans quelques heures. Tôrhun devait s'y rendre pour récolter des informations sur d'éventuels conspirateurs. Beaucoup de Nains importants seraient présents à cette réunion, et Hadhod leur avait donné, à lui et Romo, les noms des plus potentiellement dangereux. Il s'agissait alors simplement d'être bien attentif et vigilant, mais de ne pas commettre d'imprudence. Tôrhun était rodé à de tels missions, et il savait pouvoir faire confiance à Romo pour cela également. Il ne le connaissait que depuis la veille, mais on ne devenait pas ami et Nain de confiance du Roi de la Moria comme cela.

Les deux Nains n'étaient pas venus ensemble, car ils n'avaient en fait aucune raison officielle de se connaitre. Il leur faudrait donc faire comme s'ils ne s'étaient jamais vus. Ce ne serait pas trop compliqué, ils ne s'étaient rencontrés qu'une fois, et les esprits s'étaient échauffés rapidement.

Tôrhun sourit en pensant à cet épisode. Ils n'avaient pas été d'une grande patience, ni l'un ni l'autre. Et ils ne s'étaient pas laissés marcher sur les pieds. Il espérait que ces tensions disparaitraient rapidement. Après tout, ils servaient le même objectif.

Tôrhun approchait de la salle du Conseil. Il était accompagné de Förr, son plus proche conseiller et son agent le plus efficace. Pour cette mission, il avait choisit le meilleur pour l'accompagner, car la moindre petite faute serait catastrophique. Il avait une confiance aveugle en Förr, d'autant plus que celui-ci partageait bien souvent les mêmes idées que lui et avait la même façon de fonctionner. Förr était celui qui connaissait le mieux les affaires du Clan Krammkarn, et celui qui protégeait le mieux la couverture. Ainsi, ils n'auraient aucun problème à se faire passer pour des prospecteurs de charbon, même entourés par de fins connaisseurs.

Beaucoup de Nains se dirigeaient dans la même direction que Tôrhun et Förr. Il y aurait une grande affluence à ce Conseil. Finalement, ils entrèrent dans la salle, et un héraut annonça :

"Tôrhun, fils de Môrhun, Extracteur de Charbon des Montagnes Bleues"

Puis un jeune Nain le conduit à sa place. Tôrhun était un des plus riches de la réunion, et il serait entouré de Nains très influents. Il ne les connaissaient pas tous, mais il lui faudrait repérer rapidement à qui il avait à faire. Et notamment Dalin Balrim. Il avait déjà aperçut ce Nain il ne savait plus quand, mais n'avait jamais eu l'occasion de lui parler. D'un coup d'œil, il aperçut Romo, qui entrait dans la salle à son tour.

La partie allait commencer.

La salle du conseil était grande, majestueuse, sonore et bien conçue. Elle était le lieu où se tenait, à intervalles irréguliers, le Conseil de Cavenain, lorsque des décisions urgentes et de la plus haute importance devaient être prises. Mais la pièce servait aussi pour le conseil annuel de la vie minière et militaire, mais prestigieux mais fort utile et enrichissant. Hadhod n'y mettait jamais les pieds, car toujours avait-il voulu que les représentants des corporations concernées puissent parler et débattre à cœur ouvert, sans la crainte de son regard scrutateur et de son ouïe si fine.

De nombreux sièges supplémentaires avaient été placés pour l'occasion au bord des murs, si bien que l'assemblée formait les trois quarts d'un cercle autour d'une unique estrade, sur laquelle montait celui qui souhaitait faire un discours. En cet instant, c'était Thorik, le Maître des Runes, qui se trouvait au centre, près à ouvrir la séance.

Lorsque tout le monde eut trouvé sa place, les grandes portes furent fermées, mais un brouhaha de murmures en tous genres s'était installé, et les échos de cette grande et haute salle l'amplifiaient de façon insupportable. Thorik s'empara d'un petit marteau au manche d'argent et tapa trois coups sur une plaque métallique de son pupitre. Il obtint le silence et commença le discours d'inauguration:

"Mes amis! appela-t-il. Militaires, mineurs, extracteurs, forgerons, vous voici rassemblés ici, comme chaque année, dans ce Conseil, ô combien déterminant, de la Vie Minière et Militaire! Je serai bref, car je ne suis pas directement concerné par les secteurs d'activité relatifs à cette réunion. Cependant, pour une meilleure efficacité et pour éviter tout débordement, je vais vous énoncer les principaux axes de débat, dans l'ordre dans lequel ils seront traités. Nous entamerons les discussions en donnant la parole aux représentants des extracteurs de fer, ce métal traditionnel mais si indispensable à nos armées. Pourront intervenir, les portes-paroles des coopératives de forgerons et les gens des armées, afin de mieux estimer les besoin en fer pour l'année à venir. La seconde partie de ce colloque concernera les métaux précieux et rares, et plus particulièrement, comme vous l'attendez tous, la question épineuse du mithril..."

A ces mots, de nouveaux murmures parcoururent l'assemblée. Il est vrai que l'extraction ou non du mithril avait soulevé et soulevait toujours bien des controverses. Un puissant coup de marteau et Thorik reprit:

"Puis nous nous intéresserons aux énergies qui font notre puissance et notre renommée, tant le charbon que le bois, et en quatrième et dernière partie, les généraux donneront leurs points de vues sur les missions à entreprendre et les mesures à prendre pour protéger leurs protagonistes durant leur travail. Je rappelle que les seigneurs ont le droit de parole sur tous les sujets."

Il eut été plus véridique de dire "le seigneur", car, pour une raison ou pour une autre, seul Dalin Balrim était présent.

"Je déclare le sixième Conseil de la Vie Minière et Militaire, ouvert!" acheva Thorik.

Le discours de Thorik venait de s'achever. Thôrun l'avait écouté avec beaucoup d'attention, car c'était un des noms qu'Hadhod leur avait ordonné de surveiller, Romo et lui. Mais ce n'était pas avec un discours aussi court et aussi ciblé que les deux Nains se feraient une opinion sur la fidélité du Maître des Runes. Il n'avait fait qu'énoncer des banalités et ce sur un ton très neutre. Mais de toute façon, Hadhod les avait prévenu qu'il ne serait que peu présent à ce conseil.

Tôrhun était beaucoup plus intéressé pas les réactions d'un autre. Car celui qu'Hadhod avait désigné comme le plus dangereux se nommait Dalin Balrim. Comme l'avait dit le Seigneur de la Moria, il serait le plus grand seigneur de ce conseil. En fait, Tôrhun put le constater, il était même le seul seigneur présent dans la sallel. Si cela était normal, Tôrhun n'en savait rien, car il ne voyait pas pourquoi ce Dalin serait plus légitime parmi les mineurs et les militaires qu'un autre noble. A moins que celui-ci souhaite s'imposer au sein d'un groupe qu'Hadhod ne cherchait pas à contrôler particulièrement... Tôrhun retint cette étrangeté et se promit d'étudier la question dès la fin du Conseil.

Curieux hasard ou chance du destin, le vieil ami du Seigneur à la Croix-de-Fer se retrouvait assis à deux places de Dalin Balrim. Il pourrait donc entendre toutes ses réactions sans avoir à faire d'efforts qui pourraient le démasquer. Mais il devait faire attention à ne pas trop regarder dans la direction du seigneur Nain pour ne pas attirer l'attention, tout comme il ne chercherait pas le regard de Romo. L'espionage était tout un art, subtile et profond.

Thorik descendit de l'estrade, et le conseil débuta pour de bon.

Le Seigneur des Balrim cacha son sourire dans sa barbe, il est vrai qu'il serait le seul en droit de s'exprimer à outrance. Enfin, seigneur ou pas, les Balrim était présent dans tout les secteurs, hormis l'armée où ils étaient minoritaires. Mais deux des plus grandes corporations d'extraction étaient de son clan, et la renommé du Maître Forgeron Hylm s'étendait bien au delà de Cavenain. Aussi, le clan avait son propre corps de mineur dédié à l'extraction du Mithril.

Depuis six ans qu'il était à la tête de son clan, Dalin Balrim s'était séparé de plusieurs conseillers. Ceux-là qui comptaient sur son jeune âge pour lui brider le pouvoir. Aujourd'hui, sa suite était la plus jeune qu'ai jamais connue le clan Balrim. Seul un vieux nain moribond au sage conseil l'accompagnait encore. Il apportait un vent de sagesse sur les idées jeunes et nouvelles du chef de clan et des autres conseillers.

Bien installé dans son fauteuil Dalin dévisagea l'assemblée qui libérait un brouhaha chaotique alors que Thorik restait au pupitre, cherchant le premier orateur. Dalin ne leva qu'un doigt. Et rien qu'au regard du Maître des Runes, le Seigneur sut qu'il avait la parole. Il se leva donc.

Le silence se fit alors que trois coups de Marteau retentirent dans le vide. Une ombre bougea sur la droite, disparaissant derrière un mineur. Les ombres inquiétaient toujours Dalin, qui sans l'avouer, était beaucoup plus inquiet depuis la malédiction de Golam le Sans Frère. Enfin, il prit une grande respiration et se lança.

"Mes très chers Nains! Je suis heureux de parler aujourd'hui en premier. Je souhaite vous éviter à vos esprits quelques tourments pour comprendre ma position, et mon opinion... Depuis que la reconquête de Khazad-Dûm le Clan Balrim a su répondre aux demandes extraordinaires et nécessaires au développement de notre cité, qu'il s'agissent de Fer, de Charbon, ou de n'importe quel autres minerai, y compris le Mithril."

Tourné d'abord vers les mineurs, Dalin se tourna maintenant vers les forgerons. Car tous n'occupaient pas la même place dans l'hémicycle.

"Aussi, nos forgerons, mené par le poing de fer du Maître Hylm, fournissent haches, lances, boucliers et armures de qualités supérieurs à nos armées bien avant que l'on ne songe à imaginer Khazad-Dûm."

Mais en vérité, s'imposer sur le marché militaire était ce que le clan Balrim n'avait jamais réussi. Et c'était encore une envie et un orgueil de vouloir détrôner le Clan de la Croix-de-Fer, juste propriétaire de cette affaire.

"Mais en général, et notez que je me détache de mes prédécesseurs sur ce point là. Le Clan Balrim consacrera une part de ses activités au commerce extérieur. Car, innovation ne veut pas dire inconstance. Et depuis que notre bien cher souverain trône sous la montagne, bien des avancées ont été faites et je l'en remercie. Mais le plus dur et le plus important reste à faire. Nous avons besoin de l'extérieur, que l'on le veuille où non."

Il dévisagea le premier cercle, reconnaissant quelques visages. Mais quand il aperçut Tôrhun Krammkarn, chef d'un clan discret. Il le salua du regard. Dalin ne l'avait jamais rencontré. Le cerné se révélerait t-il indispensable? Le Balrim l'écouterait avec deux fois plus d'intérêt. Il finit par se tourner vers Thorik, s'inclina et se rassit, libérant à son tour le brouhaha chaotique que le Maître des Runes ferait taire des quelques coups de marteau.

"Très bien dit, Seigneur Dalin! lança Thorik sur le même ton enjoué et mais somme toute assez neutre que son discours de tout à l'heure. Voici qui lance réellement ce conseil, auquel je n'ai pas vraiment à participer. Laissons l'enclume aux forgerons, le roc aux mineurs, et l'armée au général, comme je le dis souvent! Et je ne suis rien de tout cela, c'est pourquoi je vais rejoindre d'autres lieux où mon utilité n'est point à prouver."

S'éloignant de l'estrade, le Maître des Runes longea les rangs de sièges, saluant d'un signes de tête ses vieilles connaissances, puis sortit de la salle. Il n'y avait plus de maître de séance, désormais, mais telle était la base même, l'idée même de ce conseil. Que nul ne le contrôle. Et ses cinq première éditions s'étaient, dans l'ensemble, assez bien déroulées, les différents orateurs s'étant montrés d'eux même fort disciplinés. Il fallait espérer que cela dure...

Ce fut le chef de l'Union des Ferronniers, l'un des groupements d'extracteurs de métaux, qui s'avança vers le centre de l'hémicycle pour s'exprimer. Malgré son infériorité hiérarchique conséquente, il ne mâcha pas ses mots:

"Seigneur Balrim, je crois que vous n'avez pas bien compris le déroulement de ce conseil. Si vous êtes autorisé à donner votre avis sur n'importe lequel des quatre axes de discussions, je vous saurais gré de ne pas empiéter sur les sujets à venir alors que nous n'en sommes qu'au fer. Je suis d'ailleurs fort étonné que votre clan contrôle tant de domaines d'activité. J'en suis même inquiet, si vous voulez mon avis, inquiet pour mon groupe et mon métier, inquiet même pour les diverses corporations spécialisées dans tel ou tel secteur, et qui si je vois clair en vos dire seront bientôt grignotées pour tous vos subordonnés. Cette montée en puissance et ces expansions démesurées, sinon illégitimes, ne me disent rien qui vaille."

Quelques réactions en tout genre fusèrent dans l'assistance...

"Comment ose-t-il?"

"C'est bien vrai, Dalin se prend pour le Seigneur de la Moria, ces temps-ci!"

"Khazad-dûm a besoin de Nains forts de la sorte, qui aient de la poigne." entendit-on dans la partie du cercle réservée aux militaires.

"Il faut du changement..." dit un autre.

L'orateur téméraire - peut-être inconsidérément d'ailleurs - libéra le pupitre et se rassit. Il venait de défier un seigneur, mais avait le mérite de dire tout haut ce que d'autres pensaient tout bas.

Dalin n'écouta que la première phrase de ce Corporatiste, l'Union des Ferroniers, d'un sourire un peu trop sincère pour être vraiment dissimulé par sa barbe, le Balrim retint sa pique sur ce que ces nains avaient en commun avec les Ferrailleurs, qui était une profession très prisée chez les gobelins. Enfin, l'un de ses conseiller écouta attentivement ces reproches insipides pendant que le chef Balrim organisait une petite pile de document.

Et alors que l'autre Nain finnissait son discours passioné contre le changement que lui, chef du Clan Balrim, voulait instauré, Dalin se retourna pour parler avec son plus vieux conseiller. Et quand le Nain eut fini, Dalin applaudit doucement avec un sourire d'enfant. Derrière lui, son conseiller à la barbe plus blanche qu'argent fit un petit signe de la main à un nain dans l'assistance.

Ce dernier se leva, et marcha vers le pupître. Il était plutôt petit pour un nain, mais on le devinait aussi dur que la pierre sous la fine tunique qu'il portait. Sa barbe, en bien mauvais état témoignait du deuil dont il était accablé. Il s'éclaircit la gorge et demanda timidement le silence.

"Bien. Maître Ferronier, parlons du Fer si vous le voulez bien, et cessons de retarder le débat un peu plus par vos avis peu subtils."

Il s'éclaircit de nouveau la gorge alors qu'un muette vague de murmure secouait l'assistance, quelques rires même se dessinèrent. Mais Dalin ne parvint pas à admirer la réaction du chef des Ferrail... Ferroniers. Il devait être rouge de colère, enfin, le Balrim avait déjà oublier son visage. A quoi bon s'en soucier.

"Hmm, s'il vous plait. Bien, merci. Je dirige l'une des mines de Fer les plus avancées vers l'Ouest. Depuis 3 ans que nous creusons, nous avons découvert trois gisements de très bonne qualité. Le problème que nous avons constaté avec le Seigneur Balrim... il le désigna de la main, Dalin lui répondit d'un hochement de la tête encourageant...C'est que nous perdons 40% de notre production lors des convois de rapatriement des matière premières dans nos forges. Et ceux à cause d'un soutien trop faible de la part des troupes affectés à ce genre d'opérations! Général, l'armée et le Clan de la Croix-de-Fer ne peut le nier."

Cette fois c'était un peu fort, Dalin lui même le reconnaissait. Le discours qu'il avait écrit pour son employé avait de quoi secouer quelques nains. Mais il le fallait bien. Quoiqu'il en soit, le sourire de Dalin ne fit que s'agrandir un peu plus.

"Messieurs, Messires, s'il vous plait. De bon Nains sont morts lors de ces Raids mener par quelques troupes Gobelins. Mais pourquoi la Croix-de-Fer protégerait t-elle plus ses frères? Alors que notre clan fournit un peu plus d'un tiers du Fer annuel, et ce en perdant bien trop lors du transit du métal."

Et bien, le Conseil venait subitement de s'animer. Et ce par la volonté d'un seul Nain : Dalin Balrim. Cette soudaine excitation générale n'était pas pour déplaire à Tôrhun, qui, s'il ne rechignait pas à tache, avait toujours trouvé les réunions minières très... inintéressantes. D'autant plus qu'elles n'étaient pour lui qu'un moyen de préserver sa couverture. Il ne put donc pas s'empêcher de sourire à la suite du discours du Seigneur Nain.

En fait, son discours lui même n'apportait rien à Tôrhun. Mis à part le fait qu'il prenne la parole avant son tour, il n'avait rien fait de mal. Le vieux Nain fut cependant, comme le chef des Ferronniers, étonné de constater à quel point le Clan Balrim avait pu s'immiscer dans toutes les branches de l'économie Naine. Un peu comme il l'avait fait lui même en fait. Ce Balrim n'était peut-être pas très différent de lui.

Les réactions qui suivirent les paroles du ferronnier furent virulentes, et Tôrhun ne put que remarquer que certains pestaient contre le pouvoir en place, tout en soutenant clairement Dalin Balrim. Cependant, les personnes qu'il put identifier comme auteur de ces critiques n'avaient que très peu de pouvoir, ce qui était donc sans importance. Il était toutefois trop loin des militaires pour voir qui avait parlé, et espérait que Romo avait pu apercevoir l'individu en question.

Quand au discours suivant, il était très clairement hostile au Seigneur de la Moria. Et cela venait d'un partisan avoué de Dalin, ce qui intrigua Tôrhun au plus haut point. Profitait-il de la non présence de Hadhod pour asseoir son influence et faire valoir ses idées? Pensait-il que personne ici ne rapporterait son opposition directe au pouvoir en place? Ils n'étaient pas si semblables tout compte fait. Tôrhun gérait ses affaires dans la discrétion, alors que ce Balrim était beaucoup trop extravagant.

Mais les dernières paroles du dirigeant de la mine de fer donna une idée au chef des Krammkarn. A un moment ou l'autre, il aurait à parler à son tour, et il profiterait de cette occasion.

[Désolé de l'attente, mon emploi du temps me laisse peu de temps en ce moment...]



Romo était resté dans le silence depuis l'ouverture du débat, le Nain était installé de l'autre côté de l'hémicycle par rapport à Tôrhun mais à aucun moment leurs regards ne s'étaient croisés par précaution. Romo écoutait avec attention chaque Nain qui prenait la parole et fronça légèrement les sourcils lorsque le Conseiller de Balrim prononça des paroles hostiles à Hadhod, ce qui n'enchanta guère le Coeur-d'Acier.

L'ami de Hadhod attendait le tour des militaires pour éventuellement s'exprimer si l'occasion se présentait et témoignerait de ses mésaventures lors de ses missions de protection des convois ainsi que de la mort de son cousin.

Mais les dernières paroles du Conseiller furent de trop...

"Comment osez-vous critiquer notre Seigneur à tous ?! La Croix-de-Fer possède les meilleurs guerriers de ces Mines et votre Clan ne saurait mieux défendre les transits, croyez-moi."

Romo s'était simplement levé de son siège, tous s'étaient retournés vers lui et il comprit bien vite qu'il venait de parler alors que son tour n'était pas encore arrivé. Toutefois il espérait que sa franchise ne le découvre pas aux yeux des opposants d'Hadhod, surtout de Dalin Balrim...

Ouch... C'est ce que se dit Tôrhun. Il ne savait pas que Romo était si sanguin. Réagir ainsi sans se contrôler lorsqu'on est infiltré n'est jamais une bonne chose, d'autant plus lorsque l'on réagit contre ceux que l'on cherche le plus à surveiller.

Ne pas faire ce qui est prévu initialement conduit toujours à une précipitation nocive pour la mission. En défendant ainsi l'honneur de son Seigneur, Coeur-d'Acier venait de mettre Tôrhun dans une telle situation. En effet, celui-ci avait désormais le cerveau en ébullition. Il devait analyser ce qui venait de se passer, le contexte actuel, imbriquer les deux et prévoir ce qui allait en résulter. Il devait aussi décider ce qu'il allait désormais faire lui même.

En fait, cette intervention n'était pas si catastrophique que cela. Certes Romo venait de montrer nettement sa loyauté envers la Croix-de-Fer, mais ceci n'impliquait absolument pas qu'il soit étroitement lié à Hadhod. Personne ne soupçonnerait par cette simple intervention que ce Nain pouvait être en mission pour le Seigneur de Cavenain. D'autant plus qu'il était militaire, et que les membres de l'armée sont souvent très conservateurs et fidèles au pouvoir en place. Hormis bien sur celui qui avait élevé un peu trop la voix auparavant. De ce côté là, il n'y aurait pas de dégâts, chacun pouvait avoir ses propres opinions politiques.

Maintenant, Tôrhun avait le choix entre deux possibilités. Précipiter son intervention et accomplir ce qu'il s'était fixé quelques instants auparavant, ou bien simplement attendre et continuer d'observer les débats.

Après une courte mais intense réflexion, il retint la deuxième solution. L'intervention de Romo aurait un très gros mérite : le collègue de Tôrhun venait de lancer une grosse opposition entre les partisans de Hadhod et ceux qui souhaitaient du changement. Beaucoup ne manqueraient pas de réagir et d'exprimer leur sentiments sur la question. Et Tôrhun ne les manquerait pas.

Il aurait tout le temps pour intervenir et faire avancer les choses.

Finalement, le plan si méthodique et clarifié imposé quelques instants plus tôt par le sage Thorik était en train de voler en éclats. On parlait fer, on parlait armée et protection des convoyeurs, on parlait aussi de la Croix-de-Fer. Cela n'était jamais arrivé, jamais y avait-il eu un tel désordre, ni de telles dissensions. Comme quoi, le contexte tendu en Moria se répercutait même sur une simple réunion d'organisation minière. Mais cela n'était pas plus mal pour les deux pseudo-espions et leur mission: un tel état d'excitation déliait les langues.

Il y eu force réactions après la prise de parole du compagnon de Dalin... des approbations, des contestations, toutes lancées à tort et à travers sans aucun ordre ni aucune demande préalable. Même Romo ne put s'empêcher d'ouvrir la bouche. Le brouhaha ainsi créé monta rapidement d'un ton; certains Nains furent bien près de se lever dans l'espoir inconsidéré de mieux faire entendre leur grosse voix par les autres. Fort heureusement, une personne monta au pupitre, ce qui calma tout le monde.

"Mes amis, si nous voulons contester ou défendre le point de vue du clan Balrim, faisons-le suivant le processus approprié, et dans le calme, je vous prie. Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, je suis le commandant Brabaz du 2ème régiment d'infanterie. Ceux qui parlent du manque de réactivité des armées et de la Croix-de-Fer, de l'insécurité parmi leurs convoyeurs et de la perte de la moitié de leurs productions, devraient faire preuve d'un peu plus de jugeote et d'un peu moins d'arrogance. Oui, je parle bien de vous, petit bonhomme à la barbe de neige qui suivez le Seigneur Dalin à la trace, et qui ne vous êtes pas même présenté. Vous parlez de problèmes survenus lors du rapatriement, et je vous réponds ainsi: D'une part, les rangs de la Croix-de-Fer sont fort amoindris ces derniers temps, il ne reste plus que trois ou quatre de ses membres à Khazad-dûm, si ma mémoire est bonne. D'autre part, si le clan Balrim fonçait moins tête baissée vers ses objectifs de profit, s'il se concertait davantage avec Hadhod et son armée au sujet de ses desseins, la protection serait plus efficace. Mais j'imagine que le dialogue, l'ouverture, et la transparence ne sont pas vos points forts."

Il quitta l'estrade et jeta un regard courroucé au seul Seigneur présent avant de se rasseoir. Vint alors un second personnage, moins virulent que le premier, mais allant dans son sens. Il s'exprimait d'une voix calme et claire, sans colère ni piques:

"Je me nomme Dönn, et remplit la fonction de lieutenant dans les armées. Je conçois tout à fait, Seigneur Balrim, que vous souhaitiez entreprendre des choses dans différents domaines, et c'est tout à votre honneur de vouloir contribuer à la gloire de notre beau royaume. Mais ce qu'il faut garder en vue, c'est pour qui nous travaillons... Pour notre succès personnel, ou bien pour notre Seigneur? Si vous me permettez un conseil, votre clan et vous-même devraient tenir une réunion privée avec Hadhod Croix-de-Fer, car c'est lui..."

"... C'est lui qui nous bride, qui nous retient, qui nous empêche d'avancer!"

Dönn s'interrompit. Un Naugrim venait de se lever en trombe et se dirigeait d'un pas sûr vers lui. Non content de lui avoir coupé la parole, il prit même sa place sur la petite estrade.

"Désolé de vous interrompre, très cher collège, mais je crois qu'un voile masque vos yeux, et ceux de beaucoup d'autres ici. Rendons-nous à l'évidence, depuis quelques années les entreprises font du sur-place. Qui manque à la protection des convois? Qui tient fermées les mines de mithril? Qui dissuade d'aller chercher le fer, le bronze, le plomb, du côté Ouest? Qui enfin tient tout le mithril gagné entre 294 et 296 sous clef sans en faire profiter quiconque, sans même l'utiliser? Je vous laisse réfléchir à cela..."

Il y eut bien des murmures d'approbation après le discours court, mais terriblement convaincant et enflammé, du caporal Gagan des gardes de Khazad.

Dalin était resté assis bien confortablement au fond de son siège durant les derniers pics de l'assemblée. Mais son sourire avait disparu derrière sa barbe. Il était désormais bien plus que concentré. Et chaque mots, chaque parole, venin ou remède, était gravé dans sa mémoire comme une rune sur la pierre.

Un Naugrim venait de réquisitionner le pupitre et continuer de vociférer une chanson bien plaisante, mais un brin trop radicale au goût du Balrim. Et profitant que le Commandant Brabaz ne passe prêt de lui. Dalin osa une manœuvre dangereuse. D'un bond il sauta de son fauteuil et d'un geste rapide se pencha pour agripper le bras du militaire avec une force qui surpris le militaire. Dalin chuchotait bien assez fort pour que l'on entende distinctement ses dires, mais que la menace soit perçue pour ce quelle était.

"Commandant, ne me parlez pas d'ouverture quand notre Seigneur campe sur des positions usée depuis plusieurs siècles, ne me parlez pas de dialogue quand mes demandes d'audiences sont systèmatiquement rejetées, ne me parlez pas de transparence alors que vous ignorez avec quelles armes vous battre. Ici, en politique, vous êtes une recrue, et le resterez. Ici, je mène le jeu. Prenez garde Commandant."

Et sans un regard de plus pour Barbaz, le Balrim retourna vers son siège. Dans un silence glacial. Il regarda l'assemblée.

"Regardez-vous, à couiner gobeli-gobela! Les Nains que je pleures, les Nains mort à la protection de nos convois. Peut m'importe leur clan. Nous sommes tous égaux à l'heure ou nous rejoignons la montagne! Ceux que je critique, ce sont les dirigeants. Qui oublient à quoi cela sert d'acquérir monts et merveilles."

Se rasseyant sur son siège il désigna le pupitre où le Naugrim était resté quasi muet.

"Reprenons. Je propose que chaque corporation du Fer fasse état de ses productions. Pertes, et bénéfices..."

Soupirant le Balrim avala le fond d'un verre d'eau. Derrière lui, les jeunes conseillers murmuraient entre eux, le sourire aux lèvres. Son conseiller à la blanche barbe se pencha par dessus l'épaule de Dalin.

"Votre père..."

"Mon père est mort. Les armes d'Azaghal seront miennes."

"Ce n'est pas à toi d'en décider Dalin."

Le Balrim le fusilla du regard. Il eu un regard à un de ses Gardes qui s'approcha et posa la main sur le bras du plus vieux des conseillers.

"Pars te reposer mon ami. Je te retrouve en ma demeure après le Conseil. Va maintenant."

Mais il sembla que ce soit plutôt le garde qui entraina le vieux nain vers la sortie. Et alors qu'il croisait son regard une dernière fois. Dalin lut dans les yeux de son plus vieil oncle une lueur mêlant crainte et respect, et il savait ce que cela signifiait.

A la remarque de Romo, le lieutenant Gagan s'empourpra de colère: qu'une personne conteste ses dires était déjà, pour lui, insupportable, mais que ce soit l'un de ses hommes le rendit furieux et déforma son visage. S'appuyant sur son marteau à la manière d'un marin accoudé au bastingage d'un navire, il foudroya le Cœur-d'Acier du regard comme s'il eut voulu transpercer ses yeux avec les siens...

"Critiquer notre souverain? Et en quoi cela est-il condamnable si ces critiques sont fondées? Derrière son dos? Je ne suis que lieutenant, rappelez-vous bien de cela, et un lieutenant n'a pas le pouvoir de contredire le seigneur ouvertement. Mais ce conseil a pour but de faire ressortir les problèmes concernant l'armée et la minage, et vous remarquerez, garde Romo, que c'est ce que je fais."

Son regard se déplaça alors et décrivit un demi-cercle sur tout l'auditoire. Gagan bomba le torse et ne s'appuya sur son grand marteau que d'une main, droit et fier, comme s'il voulait se donner la prestance quelque héros de l'ancien temps, immortalisé en une statue de pierre.

"Que tous les craintifs, que tous ceux qui ont trop peur de Hadhod pour admettre ses erreurs, que tous ceux qui pensent que ce conseil est basé l'hypocrisie, sortent à présent, car ceux-là ne sont d'aucune utilité. La situation latente n'a que trop duré, il faut que les choses bougent. Quant au Balrog, maître Coeur-d'acier, comment voulez-vous qu'on tombe de nouveau sur lui alors qu'il a péri?"

Quelques rires secouèrent l'assemblée. Il y eut aussi beaucoup d'approbations. Seuls quelques-uns restèrent silencieux et renfrognés, se demandant sans doute pourquoi un simple lieutenant prenant autant de libertés. Mais, à la grande satisfaction de Gagan, aucun ne quitta la salle. Il tenait en haleine son auditoire. Mais il ne fallait pas en faire trop d'un coup, ne pas se laisser déborder par la flamme de la révolte, ne pas choquer. C'est pourquoi il se retira sur son siège, comme un conseiller qui aurait donné son avis en toute franchise parce qu'on lui l'a demandé.

Quelques Nains se levèrent alors timidement, jetant des regards de côté. Il s'agissait là, en vérité, des chefs des différentes organisations d'extraction de fer, qui venaient à présent donner leurs chiffres suivants le vouloir du seigneur Balrim. Tous passèrent les uns après les autres: l'Union des Ferronniers, la Coopérative du Fer, la Société des Mineurs-Forgerons de Moria, pour les plus connues, mais aussi d'autres entreprises plus modestes. Tous annoncèrent leur bilan pour cette année, ou du moins ce qu'ils prétendaient être leur bilan. Car la menace des fervents opposants à Hadhod planait à présent sur ce conseil comme des nuages d'orage, et les chiffres qu'annonçaient les orateurs semblaient de bien mauvais augure.

Très forts... Et très surs d'eux... Les opposants d'Hadhod avait en quelques minutes pris le contrôle du Conseil. Plus personne ne s'opposait à eux, et même, si l'on interprétait les dernières paroles de Gagan, tout le monde s'était rangé derrière leur idée : Hadhod commettait trop d'erreurs, du moins au goût de chacun, et personne, à part Romo, ne contredisait plus cela.

Le Seigneur de Cavenain avait raison de se méfier de Dalin Balrim et du Lieutenant Gagan. Ils avaient beaucoup d'influence, beaucoup trop pour qu'Hadhod puisse rester tranquille. Ils savaient se faire écouter, ils savaient convaincre et emporter la foule, ils savaient ce qu'il fallait faire. La Croix-de-Fer ne sortirait pas indemne de ce Conseil, mais ses opposants auraient considérablement consolidé leurs positions et leur domination.

Mais Hadhod ne pourrait pas simplement se débarrasser des contestataires. Ils avaient pris trop d'importance auprès des autres, et la disparition des deux opposants conduirait à une révolte, ou pire, une guerre civile. Il n'y avait pas cinquante-six solutions dorénavant.

En fait, selon Tôrhun, seules deux options s'offraient au Roi de la Moria. Il devait soit pactiser avec ses détracteurs, soit changer sa manière de diriger et améliorer ce qu'on lui reprochait. Et le Chef des Krammkarn se doutait que la première solutions étaient quasi-in-envisageable. Quelque soit ce que recherchaient Gagan et Dalin, ils n'accepteraient pas de collaborer avec Hadhod. Tôrhun se doutait qu'ils voulaient beaucoup plus que cela.

Il ne restait donc plus au pouvoir en place qu'à écouter les remontrances et à écouter la voix du peuple, sous peine de voir son autorité sérieusement remise en question, sinon annihilée.

Mais Tôrhun savait ce qu'il avait à faire. Il devait cependant patienter encore un peu. La question du fer venait de s'achever. A vrai dire, elle n'était pas très passionnante. Celle qui allait suivre le serait beaucoup plus. Le mithril! Les débats s'annonçaient animés, et à vrai dire, les disputes et les conflits qui avaient éclatés jusqu'à présent ne constitueraient certainement qu'un tour de chauffe comparé à ce qui arrivait.

Tôrhun sourit, et se rassit confortablement dans son fauteuil. Que le spectacle commence!

Dalin resta silencieux pendant de longues minutes, qui devinrent des heures alors que ses serviteurs ne défile au compte goutte devant l'assemblée. Il avait tout mis en oeuvre pour garder le plus possible le privilège de la parôle. Et il faut dire que le clan Balrim et ses alliés était en passe d'atteindrent leur objectif, faire main basse sur le commerce minier et se rendre encore plus indispensable au trône de Khazad-Dûm. Après cela, Hadhod serait obligé de traiter avec lui. Et c'est l'attention du souverrain que Dalin convoitait le plus et s'il devait s'avouer que le désir de ses aïeuls avait toujours été celui de faire main basse sur la couronne, ce Balrim là n'avait qu'un rêve. Se montrer digne de leur illustre ancêtre Astraghal.

Dalin Balrim ne parla plus jusqu'à ce qu'au moment ou le représentant désigner du Clan de la Croix de Fer sur la question du Mithril s'avança vers l'estrade. Un de ses conseiller s'approcha pour le lui signaler, comme il était d'usage lorsque quelques seigneurs nonchalant laissaient leurs esprits vagabonder dans d'autre sphère que celle du débat en cours. Dalin le chassa d'un geste affectif.

Si le Balrim avait bien un talent, c'était celui du verbe. Et le discours de ce nain déciderait de sa prochaine intervention.

Alors que le seigneurs Balrim se concentrait sur le prochain Nain qui s'avançerait vers le pupitre, ses assistants s'affairaient à vérifier chiffres, listes de comptes, calcul des pro-rata et discours aux multiples sujets que pourrait avoir à faire leur seigneur. Aucun ne virent ce Nain hirsute s'avancer, puant, sale, et pourtant d'un regard aussi haineux qu'intelligent. Mais c'était décidemment un dément. Car s'il avait pu passer ses taille papiers, Golam le Sans Frère redoutait les deux Gardes qui encadraient le Balrim. Mais l'heure était venue. Son ancien maître devait payer.

Une lame jaillit, courte et toute brillante d'un fourbe acier. Les Nains les plus proches eurent un mouvement d'étonnement. Alors que les Gardes Balrim levaient leur Hache au dessus de leur tête, Golam se jeta vers le fauteuil du chef de clan.

Le choc fit trembler jusqu'à l'âme du traître...

La lame filait tout droit vers la gorge de Dalin Balrim. Le Seigneur allait payer pour s'opposer ainsi à Hadhod, Maître de Cavenain. Il vivait ses derniers instants. Mais au moment même ou la pointe de l'acier allait attendre la peau, un obstacle se présenta devant elle. Le choc fut terrible, le bruit, tonitruant. Mais Dalin Balrim était sauf.

Tout s'était passé à une vitesse incroyable. Et personne n'avait pu voir qui avait bien pu sauver la vie du descendant d'Azaghal. Les regards se braquèrent donc vers celui qui s'efforçait désormais de maîtriser Golam. Les gardes de Balrim vinrent le relayer, et il put donc se relever en époussetant ses épaules. Chacun put donc constater que ce Nain était un parfait inconnu. En fait, personne ne l'avait jamais vu, ni même remarqué lors de cette réunion. C'était presque une apparition divine.

Pourtant, il ne s'agissait "que" de Tarâk. Et seules deux personnes dans la pièce ne furent pas étonnés de son intervention, même s'ils ne s'y attendaient pas. En effet, bien qu'ils apprenaient comme tout le monde la présence de Tarâk au conseil, Tôrhun et Förr le connaissaient très bien, car il était membre du Clan Krammkarn. Sa spécialité était la discrétion, et une fois de plus, il en avait fait une preuve magistrale, car même ses plus proches amis ne savaient point qu'il était si près d'eux.

En fait Tarâk avait jugé bon de s'"inviter" au Conseil, car il se doutait que des choses se passeraient. C'était l'un des points forts du Krammkarn, ses membres pouvaient prendre leurs propres initiatives quand ils le jugeaient nécessaire. Et cela se révélait toujours déterminant. Pendant toute la réunion, Tarâk avait observé les opérations, mais il s'efforçait de voir les plus infimes détails. Si bien que l'intrusion de Golam, et la flamme de haine qui brulait dans son regard ne lui avait pas échappés. Ce Nain miséreux savait se montrer discret, mais pas autant que Tarâk, et encore moins suffisamment pour que celui-ci ne le remarque pas.

Par chance, il était placé assez près de Dalin Balrim, si bien qu'il put intervenir rapidement lorsqu'il vit briller la lame. Il ne laisserait pas passer un meurtre, encore moins d'un Nain si important. Car Tôrhun lui avait relaté en détail les enjeux de la surveillance confiée par Hadhod, si bien que Tarâk savait que le Seigneur Balrim ne devait pas mourir. Cela déclencherait une insurrection monumentale. Le meurtre ne pouvait être que l'ultime solution. Avant, il fallait laisser agir les Krammkarn.

Une tentative d'assassinat. Jamais pareille chose ne s'était produite dans l'enceinte du Conseil. Peut-être n'y en avait-il jamais eu en Moria depuis le recouvrement de celle-ci au début du Quatrième Âge. Pour voir un Nain tenter d'en tuer un autre, il fallait peut-être remonter aux temps sombres des Âges révolus, à l'époque aujourd'hui oubliée des mauvais représentants de cette race.

Tous les participants réunis se levèrent d'un bond pour mieux voir se qui se passait, les uns choqués, les autres simplement curieux, tous sachant que cela aurait des répercussions importantes et encore insoupçonnées sur le Royaume de Hadhod et le peuple des Naugrim en général. Tous n'avaient pas eu le temps de voir la miraculeuse apparition de Tarâk et son geste plein d'habileté, mais les ignorants furent bientôt informés par ceux qui avaient vu la scène, ou qui disaient l'avoir vu, et le silence qui avait suivi l'action fut bientôt brisé par des dizaines de voix qui donnaient des versions plus ou moins grandiloquentes, plus ou moins exagérés, plus ou moins véridiques, de l'évènement.

Mais tous les commérages se rejoignaient sur un point: sans ce mystérieux bienfaiteur, deux Khazad auraient été empierrés aujourd'hui, l'un une dague dans la gorge, l'autre découpé par les haches des Gardes Balrim. Heureusement, rien de tout cela ne s'était produit: tandis que le seigneur Dalin se remettait du choc émotionnel, Golam le Sans-Frère était maîtrisé, puis ligoté et escorté hors de la salle par les Gardes du Khazad appelés en renfort.

Maintenant que le coupable n'était plus visible, la direction des regards était partagée en trois... Les partisans de Dalin Balrim et ceux qui lui éprouvaient le plus de sympathie et d'estime regardaient dans sa direction, histoire de s'assurer encore une fois de sa bonne santé. La majorité avait toutefois le regard tourné vers son sauveur, se demandant qui il était, pourquoi il avait agi ainsi, et comment il avait pu réaliser ce quasi-miracle. Enfin, les autres jetaient des regards en direction de la porte, de l'assemblée, et du pupitre, dans l'attente d'une intervention.

Elle mit du temps à venir, mais vint tout de même. Ce fut Thorik qui arriva une dizaine de minutes plus tard par l'entrée, se dirigea vers l'estrade et parla pour la seconde fois de la journée. Il avait l'air touché par ce qui venait de se produire - les gardes lui ayant sans doute tout raconté - mais non point apeuré, ni paniqué.

"Suite au grave évènement qui a secoué cette salle et ses occupants, je viens vous informer de la suspension, voire de l'annulation du Conseil de la Vie Minière et Militaire. Je ne peux rien vous dire de plus pour l'instant. Ne restez pas ici, retournez chez vous, et remerciez Aulë pour nous avoir évité la catastrophe."

Il descendit rapidement rejoindre Dalin, lui glissant ces quelques mots à voix basse:

"Le Seigneur Hadhod souhaite vous voir immédiatement en privé, ainsi que celui qui est intervenu devant le traître."

Thorik n'avait aucune idée de qui pouvait bien être ce dernier, n'ayant eu que peu de signalement, et aucun nom. Mais le Seigneur Balrim ne tarderait sans doute pas à le lui indiquer.

Une cacophonie monstrueuse régnait dans la Salle du Conseil. Chacun donnait son avis sur ce qui s'était passé au cours de la réunion. Le sujet le plus ardemment discuté était la tentative de meurtre avortée du Seigneur Balrim, et chacun se prononçait sur la probable identité de son sauveur. Les discutions étaient si animées, et chaque Nain voulant tellement parler plus fort que son voisin (une caractéristique habituelle chez les Nains...), que personne ne remarqua quand le-dit sauveur entre furtivement dans la pièce. Il était revenu, chargé d'écouter les réactions de chacun concernant les évènements récents. L'idée ne lui plaisait qu'à moitié. Il avait passé sa vie à se montrer discret, et voilà qu'il devait revenir dans un lieu où l'on ne parlait pratiquement que de lui. Bien sûr, cela pourrait le servir, car nombre de gens importants ici désireraient faire sa connaissance, et il pourrait ainsi en apprendre beaucoup sur leurs intentions.

Car Tarâk savait écouter à travers les mots. Le ton et l'expression, ainsi que le regard étaient bien plus importants que les phrases, et ils ne mentaient pas. Le Nain muet savait pertinemment quand on lui mentait. Ainsi, il apprenait toujours ce qu'il voulait, sans avoir besoin de se demander si ses informations étaient véridiques. Bien sur, parfois cela ne marchait pas, car certaines personnes expérimentées et maîtres de la subtilité du langage ne se laissaient pas avoir.

Mais avant de "parler" avec quiconque, Tarâk désirait écouter. C'est pourquoi il se tint à l'écart d'un petit groupe pour en apprendre un peu plus. Certains ne parlaient pas que du meurtrier ou du sauveur mais de la main mise du Clan Balrim sur le Conseil et ses affaires. C'étaient ceux là qui intéressaient Tarâk.

Dans la salle, beaucoup étaient trop occupés à échanger des paroles - sensées ou non - avec leurs camarades pour s'apercevoir que le sauveur de Dalin Balrim revanit sur les lieux de son acte bienfaisant. Mais, parmi les rares qui l'avaient remarqué, il y eut beaucoup de louanges, que ce soit de la part des partisans du Balrim ou de Nains qui saluaient simplement son courage et sa noblesse de cœur. Aucun, même parmi les plus farouchement opposés à Dalin, ne lui reprocha quoi que ce soit. Le sens de l'honneur des Nains.

Mais, quand on vit qu'il était muet, les conversations s'arrêtèrent aux félicitations et ne se poursuivirent pas: Târak eut alors le loisir de se glisser ou il le souhaitait...

Au fond de la salle, le Chef de l'Union des Ferronniers, qui avait parlé au Conseil de sa peur de voir le clan Balrim s'étendre trop sur son secteur d'activité, s'entretenait à présent à voix basse avec un de ses associés:

"Un peu de plus et tous mes soucis auraient été chassés... Note que c'est juste une constatation, ce n'est pas un vœu." ajouta-t-il précipitamment.

Le commandant Brabaz, placé un peu plus loin, sembla l'avoir entendu, ou bien avoir saisi la teneur de ses paroles, car il s'approcha aussitôt d'eux, mais, puisqu'il se mit face à l'angle du mur pour regarder les deux interlocuteurs tout en s'adressant à eux, nul ne pouvait, dans la salle, savoir ce qu'il répondit au Chef des Ferronniers. Pas même Târak.

En plein milieu de la pièce, non loin de l'estrade et du pupitre à présent inutiles, le lieutenant Dönn s'adressait à un groupe assez important de Nains: sans doute ses collègues de l'armée. Un groupe dans lequel se trouvait bizarrement Thorik, le Maître des Runes. Ce dernier semblait écouter plus que parler, pour le moment tout du moins. Dönn devait sans doute prôner la médiation entre la Croix-de-Fer et les Balrim, comme il l'avait fait lors du conseil...

Finalement, tous avaient formé des groupes de discussions plus ou moins grands et ne semblaient pas vouloir quitté les lieux tout de suite... Quelqu'un qui serait apparu en cet instant dans l'encadrure de la porte aurait pu discerner, en y regardant bien, seulement trois personnes qui ne s'attachaient à aucun groupe précis: Târak, le caporal Gagan, et, chose étrange dans cet univers, une femme-Nain.

Gagan ne se fixait à aucun rassemblement en particulier mais courait de ça, de là, accostait certains, s'incrustait dans une discussion pour en ressortir quelques instants plus tard... pour s'insérer à nouveau dans une autre. Ce petit manège était sans doute destiné à gagner quelques partisans supplémentaire, et ainsi à en faire perdre encore quelques uns au pouvoir en place.

La femme-Nain, elle, se tenait en retrait, semblant observer minutieusement, tout comme Târak, la situation. Puis, soudain, elle marcha vers un groupe de quatre que tous savaient appartenir au clan Balrim, et engagea une discussion avec eux...

Les Trois Balrim stoppèrent leur conversation avant de s'incliner bien bas devant la Dame. Seul le plus âgé des trois pris la parole, malgré le ton aristocrate et hautain, une certaine chaleur fusait dans sa voix.

"Madame, vous nous enchantez de votre présence. Je suis Olaf, Troisième Oncle du Balrim en droite ligne. Et voici Berhik et Vazadh, deux frères, et deux des plus respecté conseiller de notre Seigneur."

S'il ne dit un mot de plus, il semblait qu'il fut le seul des Balrim à la reconnaître. Mais, respectueux, il n'en soufflât mot à ses deux congénères. Le plus jeune, qui devait friser avec les 280 années de sa belle vie, s'avança et demanda.

"Madame, avez-vous assister au Conseil? De nombreux bruits circule sur la fin de celui-ci. J'en suis bien navré, le débat était interessant."

Celui qui n'avait pas encore haussa des épaules, un brin curieux et supérieur.

"Madame, l'avis d'une femme serait tout aussi interessant..." demanda t-il enfin.

Tarâk fut bien vite délesté des personnes enquiquinantes, et il put se concentrer pleinement sur sa tâche d'observation et d'écoute. Il devait en apprendre plus sur les positions et les intentions de chacun. Le Conseil avait déjà permit d'en connaître une bonne partie, mais s'assurer du comportement de chacun n'était pas une mauvaise idée, et qui sait quelle surprise pouvait encore arriver.

Une chose était sure, l'armée restait en majeure partie du côté du Seigneur de la Moria. Le Commandant Brabaz se montrait l'un de ses plus fervents défenseurs, tout comme le Chef des Ferronniers. Mais ces deux là n'étaient pas très habiles dans leur façon de montrer leur soutien. Crier haut et fort ses idées était une chose, convaincre des partisans en était une autre, que ces deux fidèles de la Croix-de-Fer ne parviendrait pas à faire en se montrant si véhéments.

Le Lieutenant Dönn était lui bien plus efficace. Autant acquis à la cause de Hadhod que les deux autres, il expliquait pourtant son point de vue de manière calme et posée, sans forcer ses idées ni critiquer celles des autres, mais en avançant un par un ses arguments, qui se révélaient tous précis et savaient toucher au but. Ce Nain là était un très fin diplomate. Tarâk se dit qu'il aurait été parfait dans le Clan Krammkarn. Et après tout, il le signalerait peut-être à Tôrhun. Un gradé de l'armée serait une bonne chose pour le Clan...

Puis Tarâk s'intéressa à l'activité frénétique de Gagan. Celui-ci courait de ça de là, invectivait les différents groupes et se montrait particulièrement critique envers Hadhod. Une telle façon de procéder, Tarâk le savait, n'était pas la solution quand on cherche à défendre une position. Mais pour affaiblir celle de son adversaire, elle se montrait redoutable. Ainsi, Gagan parvenait de plus en plus à élever des voix contre le Roi de Cavenain. Si le Caporal continuait de la sorte dans les temps qui suivraient ce Conseil, il deviendrait terriblement dangereux. Hadhod devrait s'en occuper rapidement.

Puis Tarâk remarqua la femme Nain, et sa manière d'écouter les conversations. "Curieux" se dit-il. Les femmes n'étaient pas chose commune chez les Nains, et encore moins dans des réunions minières ou militaire. C'est pourquoi Tarâk s'intéressa de plus près à ce personnage. Il la vit s'intégrer à un groupe, et aperçut le regard du plus âgé. Il vit dans ses yeux le respect et l'admiration. Cette Naine était manifestement importante. Quelque chose se passait, et Tarâk devait être au courant. Il s'approcha pour glaner des renseignements.

Visiblement, des trois Balrim, seul Olaf savait qui elle était vraiment, à en juger par ses manières et le ton de sa réponse. Les deux autres voyait simplement en elle une femme-Nain qui n'était pas vraiment à sa place, dans ce milieu d'hommes. Les paroles du troisième, bien que polies en soi, marquaient toutefois bien la distinction qu'il faisait entre les deux sexes: l'ironie en suintait comme d'une plaie. Mais Drìs n'en avait cure.

"Je ne suis point venue discuter avec vous, déclara-t-elle froidement à Berhik et Vazadh, des petits aléas de la politique, non plus que du déroulement des affaires, des stocks de métaux ou des soldats qui ne font pas bien leur travail. Ce ne sont que pacotilles et, bien que vous puissiez vous sentir importants dans ce milieu, je ne ferai pas même l'effort de m'y mêler."

Elle dévisagea les deux frères d'un regard si écrasant qu'ils furent bien près de reculer d'un pas, puis les ignora jusqu'à la fin de la discussion comme s'ils n'étaient guère plus que des dépouilles pourrissantes. Ils venaient de se rendre compte, à leurs dépends, du caractère et de la prestance de la veuve de Trehod. Celle-ci reporta son attention sur Olaf, et son expression s'adoucit, sans pour autant montrer une quelconque faiblesse:

"Je suis venue en ces lieux pour une chose de bien plus grande importance, une chose qui changera le cours de la carrière politique de votre neveu, Dalin Balrim. J'espérai le trouver ici, mais puisqu'il n'est pas présent, dites-lui de ma part que je souhaite le rencontrer seule à seul dans sa demeure, dans les plus brefs délais."

Et elle disparut de la salle.