Le jeune Bargil se dirigeait vers l'imposante cathédrale de Minas Tirith. Hormis les habitués, peu de visiteurs passaient les murs de ce grand édifice religieux, car, malgré sa splendeur, il s'élevait dans un des endroits les moins fréquentés de la Cité Blanche, très loin des portes.
En ce moment, ses murs blancs ne progetaient aucun éclat, tout ombragés qu'ils étaient par les hauteurs du Mont Mindolluin. Et pour cause: c'était le soir, le soleil se couchait à l'Ouest derrière les montagnes blanches et aucun des habitants de la ville ne le verrait plus avant demain matin. Mais la population était loin d'être encore endormie, et les évènements troublants était loins de cesser de se produire.
C'était d'ailleurs pour cette raison que le garçon se dirigeait d'un pas timide vers la porte close du bâtiment: pour fuire toute cette agitation et cette recrudescence de violence et de peur qui s'était installée dans son lieu de vie, en Gondor même, dans l'enceinte de la Cité des Rois. Hier encore, il s'était fait volé son argent de poche par un inconnu, dans la ruelle même où il habitait - heureusement, il en conservait toujours une partie dans sa chambre et fut bien vite muni de nouvelles pièces pour acheter quelques sucreries quand l'occasion se présenterait. Ce matin, un homme avait été gravement blessé à la taverne du
Cheval Blanc, encore à quelques encablures de son domicile.
Orphelin de son père, il avait une mère très croyante qui, souvent, l'avait emmenée se receuillir à la cathédrale, durant les neuf premières années de sa jeunesse - cela lui avait d'ailleurs toujours parut ennuyeux, long, désagréable. Mais aujourd'hui, il y était allé de son propre chef, et seul, désirant la tranquilité et le repos.
Il poussa, avec toute la force de ses bras de neuf ans, le lourd battant de la porte de bois cloûté et réussit à l'entrouvrir pour se glisser à l'intérieur. Seules quelques torches illuminaient d'un feu temblant les rangées de bancs qui reposaient sur les dalles de marbre. Fait curieux, tout l'intérieur semblait riche et beau, du choeur aux statues de pierres, en passant par les vitraux et les divers objets à l'usage des religieux - chandeliers, calices, et bien d'autres choses - sauf le matériel destiné au peuple: les vieux bancs étaient faits de bois râpé, certains même, au fond, semblaient délabrés.
* Curieux*, pensa Bargil, qui avait cru entendre que les religieux vivaient dans la pauvreté et préféraient donner à leurs prochains plutôt que de garder pour eux-mêmes.
Curieuse aussi l'absence de tout moine, évèque, ou curé, dans la salle en cette heure. Le jeune garçon s'enfonça un peu plus vers le choeur dans l'espoir de trouver quelqu'un, mais ne vit que les chandelles dont la cire fonsait en silence. Tout cela était un peu inquiétant. Bargil se retourna, il voyait les dernières lueurs ternes du jour par l'interstice des portes mal refermées. Puis il s'engouffra un peu plus, quittant le choeur, vers les appartements privés.
Il aperçut alors avec un sursaut un vieux moine au crâne dégarni, courbé au-dessus d'une table.
A cet instant, le garçonnet fut pris de gêne et retourna sur ses pas, mais le religieux l'entendit et se retourna. On entendit un tintement, comme de pièces, tandis que l'homme rangeait une grosse bourse de cuir dans le tiroir sous la table. Curieux, ça encore...
"Bonsoir Bargil... fit le moine à la peau cireuse et au nez aquilin.
Ta maman n'est pas là, tu est venu tout seul?""Oui, désolé, je croyais qu'il n'y avait personne ici.""Mais non, ce n'est pas grave du tout, pas grave du tout..."Un de ses condisciples arriva alors dans le dos de Bargil, obstruant l'entrée de son ample panse.
"Alors, qu'est-ce que tu viens faire ici, mon garçon?"demanda-t-il d'une voix doucereusement inquiétante.
Et il lui ébourrifa amicalement les cheveux du bambin, avant de serrer sa robe noire contre ce dernier et de l'enlacer.
"Ta maman n'est pas là...""Non, je l'ai déjà dit à l'autre monsieur. Ca pose un problème?""Non, répondit doucement le moine.
Non, c'est très bien comme cela, Bargil..."Un sentiment de malaise s'était emparé de l'enfant et gagnait en intensité à chaque seconde... l'attitude étrange des religieux... le demi-obscurité de la pièce... les questions sur sa mère...
"Je vais partir, maintenant... c'est tard, fit-il, inquiet.""Tu est sûr de ne pas vouloir rester?" questionna le premier moine.
"Oui... Oui..."Et il se faufila jusqu'à l'ouverture, courut entre les deux rangées de bancs et sortit dehors à toute vitesse. Puis, au bout d'un instant, il passa la main sur sa poche de pantalon droite, s'arrêta, et se mit à pleurer. La petite bourse qu'il avait à l'aller ne s'y trouvait plus au retour.
"Non! C'est la deuxième fois! La deuxième fois que je perds mon argent de poche."Décidément, même les autorités qui se disaient les plus saintes pouvaient commettre des péchés...
#Bargil