Affaire de Viande.

"Le Gardien du port Capitaine."

D'un claquement de talons le Lieutenant tout clinquant dans son armure noire sortit du luxueux bureau du Capitaine. Tout cette quincaillerie commençait à tapper sur les nerfs de Ralya. Il observait d'un petit oeil fatigué les masses d'armes accrochées au mur, de nombreux sabres, quelques haches, et un heaume qui était tellement orné de parures, de plumes et d'autres fanfreluches que le porter en combat aurait été du suicide.

Il s'attarda un peu sur l'armure du Capitaine qui était posée sur un mannequin. Elle avait tout de l'armure réglementaire des grands officiers. Forgée dans le métal qui était tombé du ciel les nombreuses torches se reflétait dans le noir jaïs de la cuirrasse. De fins filligrames d'or couraient tout du long de l'armure. Une grande épée dans son fourreau reposait contre le mannequin. Le Capitaine mis fin à son petit examen.

"Bonsoir Ralya."

"Alors comment va le Capitaine de la Garde?"

Il avait pris un ton enjoué, presque sympathique. Il se souvenait à peine de ce Capitaine, son nom même lui échappait. Bien qu'il soit un homme on ne peut plus important dans la cité, Ralya se tenait éloigné de la haute société et de ces mi-officier, mi-aristocrates. Mais justement, le monde des hautes sphères lui étaient inconnu.

Sombre, comme toute la ville, telle était la petite pièce qu'on avait attribuée au capitaine de la garde une vingtaine d'années plus tôt. Depuis ce jour, où il s'était permis pour la première fois d'être délibérément orgueilleux, où il avait installé négligemment tous ses trophées, rien n'avait changé. La poussière ne ternissait pourtant pas la décoration surchargée : têtes empaillées, armes de parade, boucliers, quelques sculptures. Seule l'armure de jais avait du quitté son support pour les grandes occasions, pas plus d'un dizaine de fois. Sur le sol, une peau étonnamment grande de tigre, accompagnée d'une autre, plus petite, de léopard. Toutes deux avaient perdu leur éclat d'origine sous les nombreux pieds qui les avaient usées. Au fond, deux armoires de chêne massif. Juste en face de Ralya, un large bureau de la même apparence cachait un siège aux aspects confortables. Chose qui pouvait frapper : sur le plan de travail, pas une feuille, pas une lettre. Seulement un sous main de cuir, quelques plumes et un encrier.

Cette pièce était donc sombre. C'était peu surprenant en fait : l'unique fenêtre, ridiculement petite, même dans une ville où le soleil est monnaie courante, n'aurait offert que très peu de lumière. Cependant, elle permettait au capitaine, dans ses rares moments de solitude, de profiter d'une vue magnifique sur toute la Cité Basse, notamment le port.

Si quand il avait accédé à ce poste, le Capitaine était orgueilleux, ce mépris n'avait duré que quelques mois. Rapidement, la tâche qu'on lui avait confiée s'était avérée être l'une des plus ingrate de la bureaucratie. A longueur de journée, il devait s'occuper de tous les problèmes de la Cité : meurtres, vols, arnaques. Mais ce qui posait le plus de problème restait sans aucun doute les rivalités entre les différents clans de la Cité : ils menaient leur combat dans l'ombre, jamais ouvertement. Tout le monde était au courant, jamais personne n'en parlait. Beaucoup faisaient mine de ne rien savoir. Les trafiques, les meurtres payants étaient leur gagne pain, et souvent, les divergences menaient à de sombres extrémités. Mais chose étrange, ils se tenaient toujours de voler : trop peu noble, selon eux. Dans cette ville où les règles n'étaient rien d'autre que des phrases écrites sur du papier, on pouvait presque penser que ces factions s'enrichissaient légalement.

Le capitaine s'assit derrière son bureau, et les coudes sur les accoudoirs, entrelaça ses doigts. Son crâne chauve était aussi brillant qu'un galet, et une barbe finement rasée en pointe poussait sous sa bouche presque dépourvue de lèvres. Sur sa joue, un longue cicatrice, souvenir d'un temps ou sa lame se teintait de sang chaque jour. Epoque révolue. Aujourd'hui, il était coincé sur sa chaise, et ses muscles étaient rouillés. Il détestait ça, mais y voyait un avantage : il était encore en vie.

Ralya, je vous ai fait venir pour une affaire non urgente, mais dérangeante.

Il fit courir ses doigts sur sa cicatrice, et poursuivit, sans prendre la peine de répondre à la question de Ralya :

Un marchand, Jilhad. Il achète de la viande aux éleveurs, et la revend au port. Bien sûr, il l'achète au tiers de son prix et gagne ainsi un argent fou, mais là n'est pas le problème. Hier, dans sa villa près de la bibliothèque, un de ses serviteurs a découvert, dans la cave, le corps d'un homme, étranglé. Impossible de savoir de qui il s'agit, et nous avons mené une petite enquête, par ci par là, sans rien trouver. Lui nie toute implication, je ne sais que croire. On pourrait simplement passer outre comme souvent, mais cette histoire me gène. J'aimerais que vous posiez deux trois questions au port, pour voir si vous pouvez apprendre quelque chose.

Il bougea sur sa chaise, qui craqua légèrement.

Ce n'est pas le meurtre en soi qui m'inquiète, mais un corps comme ça, dans la cave d'un commerçant... C'est suspect, et je veux en savoir plus.

De toute évidence, il n'avait pas encore eu vent de la découverte de tantôt, et c'était pure coïncidence s'il avait fait appelé Ralya à ce moment là.

Ralya soupira, il devrait vraiment faire un rapport. Les oreilles de la Garde était presque sourdes. Il connaissait un peu ce marchand, ce Jilhad, il payait sa taxe comme les autres et Ralya n'avait jamais eu a faire à lui.

"Je me renseignerai. J'ai quelques contacts qui nous serons utiles."

Puis voyant le Capitaine hocher de la tête, l'air ravi il semblait presque qu'il en avait fini avec Ralya.

"Cepandant, il est une autre affaire dérangeante Capitaine. Un meurtre, quelque peu original."

L'attention du Capitaine le fit se rasseoir.

"Dans les entrepôts Nord, là où l'on conserve les épices et autres céréales. Un écorché vif gisait en plein milieu. J'ai mené ma petite enquête, mais me suis heurté à un mur. Il y'aura d'autres meurtres comme celui-ci. L'homme que j'ai interrogé en savait long, mais il s'est suicidé avant de m'en dire plus."

Les sourcils du Capitaine se froncèrent l'espace d'un instant, et ce fut la seule réaction que put voir Ralya. Le silence s'installa et dura plusieurs longues minutes, sans que le Capitaine en paraisse gêné. Finalement, tout en entortillant sa fin barbe entre ses doigts calleux, il déclara :

Je vous l'avoue, j'ai rarement été confronté à ce genre d'affaires. Un homme écorché vif dites-vous... Ce ne devait pas être un tableau bien beau à voir. Mais comment pouvez-vous être sûr que ce genre de boucherie va recommencer?

Il marqua une pause pensif. Son regard se tourna vers la petite lucarne. A présent c'était la nuit, mais aucune étoile ne perçait le manteau nuageux, lourd et menaçant.

En tout cas, ces deux affaires sont trop proches à mon goût. Je vous laisse vous en charger comme il se doit. Avez une quelconque idée de l'endroit où chercher, ou sera-t-il nécessaire d'attendre le prochain meurtre pour trouver l'assassin?

Si ces paroles étaient ouvertement ironiques, le visage du bureaucrate (malgré lui) restait impassible.

Le Capitaine commençait son petit jeu narquois. De tout temps le Gardien du Port avez été respecté à Albyor la Noire. Mais avec les predécesseurs de Ralya, diable d'idealistes pour le droit des esclaves, la fonction qu'il occupait avait été revue à la baisse. Et aujourd'hui le Port rendait des comptes à la Garde. Le Capitaine ne cesserai pas de lui faire remarquer.

"Un lien entre ces deux affaires, ma foi pourquoi pas. Avez vous une idée de l'heure à laquelle votre cadavre l'est devenu? Pour ce qui est du mien les larve nous aiderons, mais je dois attendre que les mages sortent du temple. Je travail avec un vieux sage, j'espère qu'il n'aura pas eu le temps de se soualer avant que je le trouve..."

Les sourcils du Capitaine se relachèrent, il voyait bien de quel mage Ralya voulait parler. Mais dire si cela l'effrayait ou l'enthousiasmait aurait été impossible.

"Cepandant très cher Capitaine peut être pourriez vous me donner des détails sur le meurtre commis chez le Jilhad. Et si vos informations sont aussi limitées que votre petit résumé, peut être pourrais-je donner un cours à vos limiers, et retourner interrogé Jilhad... Qu'en pensez vous?"

Decidement, c'était une bonne occasion de sourire, l'air empestait la mauvaise foi et les deux hommes se fusillèrent du regard pendant quelques secondes. A travers la minuscule lucarne on entendait les gongs du temples qui sonnaient.

L'air se chargeait dangereusement en électricité, à l'intérieur comme à l'extérieur. Le Capitaine, posa lentement ses mains à plat sur le sous main, auquel elle adhérèrent, légèrement moites. La nuit était tombé, mais l'absence de courant d'air chargeait de chaleur et d'humidité l'air. Une fine pellicule de sueur s'était formée sur le front du Capitaine. Il l'essuya d'un revers de main en soupirant :

Je vous rappelle que votre domaine de juridiction se limite au port et à ses eaux. Vous seriez dans votre tort si vous faisiez jouer votre autorité en dehors de ses limites. Par conséquent, vous n'êtes en aucun cas habilité à aller dans la demeure de Jilhad, ou du moins de l'interroger sans son accord. Et croyez-moi, il refusera de vous parler.

L'homme savoura quelques instants ce rappel à l'ordre avant de poursuivre :

J'ai d'autres éléments. Le corps a été découvert pas plus tard qu'hier, vers trois heures de l'après-midi. Il était encore chaud : le meurtre ne devait pas dater de plus de vingt-quatre heures. En outre, quelques détails ne n'ont pas échappé à l'attention de soldats, comme des traces de sang, à intervalles réguliers, de l'entrée de derrière, jusqu'à la cave. Ils avaient été nettoyés à la va-vite, et une observation minutieuse a permis de les découvrir. En outre, une des servantes a déclaré avoir trouvé des tâches de sang dans le draps de Monsieur, pour reprendre ses mots. Rien d'autre n'a été trouvé, mais l'homme est peut-être plus rusé qu'il n'y parait...

Un long soupir, puis :

En ce qui concerne ce mage dont vous parlez, empolyez qui vous voulez, du moment que cela puisse vous aider à trouver des indices. Bien, si vous n'avez pas de questions, vous pouvez disposer, il se fait tard.

Des coups se firent soudain entendre, provenant de la lourde porte de bois sombre du bureau du capitaine. Deux petits coups, et ce répétés deux fois, mais de faible intensité, comme s'il s'agissait d'un jeune homme en bas âge, ou d'un vieillard... L'interlocuteur de Ralya connaissait bien cette manière si caractéristique de prévenir, et il savait de qui il s'agissait. En vérité, un seul homme frappait ainsi aux portes... Ce ne pouvait être qu' Eodroc.

C'était bien lui, en effet, et l'heure tardive ne l'avait pas découragé. Il avait vu le gardien du port entrer dans le bureau du capitaine, et cela l'intriguait au plus au point. Puis il avait attendu, mais l'entretien lui semblait interminable, et il n'avait pas pu résister plus longtemps, il lui fallait savoir...

Finalement, il fit son apparition, repoussant la porte avec lenteur. Alors Ralya put voir un petit bonhomme qu'il dépassait d'une tête, et il aurait été compréhensible qu'il soit prit de rire, car le nouveau venu n'avait vraiment pas l'aspect ni la carrure d'un garde du Capitaine: outre sa taille, sa maigreur non dissimulée et ses cheveux longs et bruns lui donnait une allure prêtant plutôt au rire qu'au respect. Mais Ralya n'était pas un étranger, et il avait déjà vu cet homme, c'est pourquoi il ne rit point... Il savait que l'autre devait sa place à sa fidélité et à son intelligence, à sa ruse, et non à son physique.

Eodroc salua le gardien du port avec une expression à faire cailler du lait frais; en effet, les deux ne s'aimaient guère, mais il fallait bien coexister... Puis, reprenant un visage convenable, il s'adressa au capitaine:

"Que fait ce fureteur des eaux dans votre bureau, chef? Est-ce donc pour cette histoire de boucherie? Il se raconte de drôles de choses, dans toute la ville..."

Eodroc se tut, campé devant la bureau du chef, et attendant sa réponse. Il ne prêtait plus aucune attention à Ralya.

Ralya s'était levé après que le Capitaine ais fini de parler. Il ne dit rien, il irai de toute manière rendre visite à Jilhad, que ce fichu Capitaine le veuille ou non. Les deux hommes se foudroyait du regard quand quelqu'un frappa à la porte par petits coups.

Eodroc entra de son pas tellement singulier qui était le sien. Sans être totalement méprisable envers le Gardien du Port l'homme se tourna bien vite vers le Capitaine.

"Que fait ce fureteur des eaux dans votre bureau, chef? Est-ce donc pour cette histoire de boucherie? Il se raconte de drôles de choses, dans toute la ville..."

Ralya était prêt à exploser, il en avait marre que l'on le prenne de haut. Ils leurs montrerai qu'un Gardien vaut bien un Capitaine. Non mais. Furieux, il réprima une réplique singlante destiné à saluer Eodroc comme il se devait.

"Bonsoir, Maître Rat. Quelle pandémie nous apportez vous aujourd'hui? Je suis content de mettre enfin un visage sur votre nom car je reconnais bien là votre réputation."

Prenant une grande respiration Ralya continua.

"Eh bien les rumeurs sont fondées. Et parler de boucherie reste tout de même un peu exagéré. Disons simplement que c'est le genre de morceau dont vous vous régalerez, Eodroc."

Ralya se rassit, et se tourna vers le Capitaine.

"Que fait-il là? Aucune affaire portuaire ne le regarde."

Ralya aimait particulièrement ces moments où son égo prenait le dessus. Ils étaient dans le même camps. Et pourtant ces deux hommes étaient parmis ses plus grand rivaux.

Eodroc ne put réprimer un petit grognement et un rictus menaçant lorsqu'il entendit se faire appeler "Maître Rat". Mais il ne s'attarda pas plus là-dessus, et son expression passa bien vite sur son visage, qui redevint neutre... Qu'importe, il aurait maintes occasion de prouver sa supériorité, et une affaire s'offait aux deux rivaux... bientôt ils se mesureraient, dans les règles de l'art...

Il ne put cependant s'empêcher de répondre à Ralya:

"Eh, bien, maintenant, vous pourrez mettre, comme vous le dites, un visage sur mon nom. Et vous... n'êtes-vous pas Ralya?"

Un signe de tête affirmatif conforta son idée...

"Pas étonnant, à voir votre allure... fit-il avec dédain."

Puis le petit homme qu'était Eodroc entendit Ralya adresser une remarque au Capitaine, une remarque qui ne plus pas de trop au garde du Chef:

"Que fait-il là? Aucune affaire portuaire ne le regarde."

Et Eodroc de répondre:

"Je n'aspire qu'à régler les problème à l'intérieur de la Cité. Nous avons une affaire, qui ne touche pas qu'au port, malheureusement. Et vous accepterez que j'enquête à vos côtés, vous en aurez besoin."

Il finit sa phrase avec un rire, attendant une réponse de Ralya, ou bien une intervention du Capitaine.

C'en était trop. Ralya se leva de nouveau et sortit pour de bon, de ses gonds.

"Alors comme ça le lien entre les deux affaires est établit ?!! Vous avez résolu ces meurtres, le meurtrier est il dans cette pièce?! Voyons Eodroc, non... Vous n'avez pas la force d'écorcher ne serais-ce qu'un porc!!"

Puis se tournant vers le Capitaine il cria d'une voix forte qui résonna dans tout le batîment.

"Capitaine, vous devrez soliciter bien plus que votre piètre autorité pour m'obliger à travailler avec cet homme !!"

L'on n'aurait put dire si le Capitaine venait de l'ouvrir ou si elle avait toujours été là. Mais un missive cachetée du sceau du Palais était posée devant Ralya. Ravalant sa salive, et profitant du silence qui suivait sa colère, il lu rapidemment la lettre.

Il venait de se mordre la langue.

"Bien, les ordres sont les ordres. C'est une affaire commune, Le Port et La Garde devrons s'entendre."

Blasé, il se tourna vers la sortie. Et bouscoulant Eodroc en sortant il prit une dernière fois la parôle.

"Vous saurez où me trouver."

Et il sortit. La Garde menait la partie, mais cette guerre venait juste de commencer.

Rusé comme à son habitude, Eodroc reprit son calme et se garda bien de combattre les provocations par des provocations plus grandes encore. Ce fut sur un ton doux, presque mielleux qu'il repondit à Ralya, le regardant de ses grand yeux prétubérents et emplis de malice:

"La force d'écorcher un porc? Non, non, sans doute, vous n'avez pas tort... Mais la force compte peu, mon ami. La ruse compte, par contre... la ruse, l'intelligence et la déduction, voilà se qui nous servira dans ces affaires, ou plutôt devrais-je dire... cette affaire.

Je vous rapelle que vous devons mener une sorte d'enquête, non un combat de gladiateurs. Vous aurez besoin de moi pour ce qui est de la recherche, et j'aurais besoin de vos compétence pour intercepter le meurtrier. Nous devons travailler en équipe, Ralya..."

Cela lui coûtait beaucoup de feindre l'amitié entre lui-même et son "rival", mais il le fallait bien, aucun des deux n'y arriverait seul. Une missive tombée à pic venait conforter sa position. Le garde du port la lut, puis ce fut au tour d'Eodroc...

*Elle tombe à pic, celle-là, pensa Eodroc... sans cela, toute cette affaire aurait été confié à ce moins que rien.*

Peu après, et avant qu'il n'eut pu reprendre la parole, Ralya, le "fureteur des eaux", comme se plaisait à le nommer Eodroc, sortit du bureau, disant que l'on saurait où le trouver. Mais où était-ce donc? Au port, sans doute...

Cependant, le garde n'avait pas suivi toute la conversation. Une fois la porte totalement close, il fit un signe de tête interrogateur à son Capitaine, manière tacite de demander 'Où peut-on donc le trouver?'. Cette méthode demeurait fort utile pour ne pas faire parvenir des paroles à une personne indésirable. Car en cet instant plus que jamais, les portes avaient des oreilles.

Le Capitaine n'avait pas ouvert la bouche de toute la joute orale, un masque d'impassibilité sur le visage qu'un semblant de sourire en coin venait trahir : il se délectait du spectacle, écoutant chaque réplique des deux hommes. La rivalité Entre la Garde du Port et celle du reste de la Cité (cette dernière étant divisée en deux parties : Cite haute et basse) était légendaire, et un double meurtre n'arrangeait pas les choses. Si l'assassin, ou les assassins étaient attrapés, ce serait un prodige de coopération.

Au moment ou la porte claqua derrière Ralya, un premier éclaire zébra le ciel et frappa le sol sur une des montagnes environnantes. La pluie tombait déjà, les rues seraient rapidement transformées en rivières. Les habitants d'Albyor y étaient habitués. Le capitaine, en réponse à Eodroc, écarta les bras.

Vu l'heure, il est peut-être allé dormir. Ou peut-être est-il allé voir Jilhad, contre mes ordres, ou allé voir ce prêtre pour faire parler le corps...

Ses yeux restaient dans le vague, fixés à un masque qui pendait au mur. Il tortillait sa petite barbe en ses doigts, signe de réflexion. Il semblait même avoir oublié la présence de son subalterne en face de lui.

//En ce qui concerne le corps Narwel, rappelle-toi que tu as ordonné qu'on s'en débarrasse //

Que pouvais bien faire ce Ralya de malheur? Etait-il resté un temps à la porte, ou bien, comme l'avait dit le Capitaine, peut-être qu'il se trouvait en train de s'assoupir, de s'endormir même. Ca n'aurait été guère étonnant, étant donné l'heure tardive...

Pourtant, dans l'esprit d'Eodroc, le fait que le garde du Port aille se coucher, en pleine affaire, une affaire si importante que celle-ci, en plein bras de fer... c'était tout à fait impossible. Malgré le tonnerre et la foudre, malgré le ciel nuageux et sans étoilé, malgré le vent et la pluie tombant à verse, ce maudit garde irait sans doute mettre son nez ici ou là, comme à son habitude.

Eodroc ne souriait plus du tout à l'idée de n'avoir point de repos cette nuit. Mais il lui fallait surveiller son "coenquéteur"... oui, il le fallait bien. Enfin, après un moment de silence qui devint gênant, l'homme de main du Chef parla d'une voix à peine audible:

"Mmmrrr... fit-il en un grognement. Ce sale fouineur ne me dit rien qui vaille. Et s'il est allé mettre les pattes chez Jilhad contre votre gré, permettez-moi, capitaine, de le rejoindre et de lui montrer qui commande ici. Cependant, je trouve plus plausible qu'il ait été voir le prêtre, et dans ce cas, je crois que ma présence sera nécéssaire pour garder un oeil sur lui... votre oeil, l'oeil des gardes de la Cité Haute. N'êtes-vous pas de mon avis?"

Le famélique Eodroc, à peine eut-il fini sa phrase, commença à se détourner... Il alla à la porte, et l'ouvrant à peine, il regarda par la petite fente qu'il venait de créer.

Nul gêneur n'était resté derrière, c'était déjà ça... Il repoussa doucement la porte et relâcha la poignée.

"Que fais-je, donc? Quels sont vos ordres?"

Un sourire malicieux se fit visible sur ses lèvres. Voici venue l'occasion de prouver son utilité. Pourtant, la situation et les évènements récents ne prêtaient guère à la rigolade.

La voix de Eodroc tira le Capitaine de sa réflexion en un sursaut. Il resta interdit quelques secondes supplémentaires, puis, ayant repris l'ensemble de ses facultés, déclara :

Allez partout où ira ce fouineur, ne le lâchez pas d'une semelle. Vous êtes offifiellement habilité à enquêter avec lui, il ne pourra pas s'y opposer. Si il refuse quand même votre compagnie, filez le. Et envoyez-moi des rapports fréquents, toutes les quatre heures, ou plus rapidement si un événement important arrive. Et surtout, empêchez-le par tous les moyens d'aller chez Jilhad sans mon autorisation, ou de le rencontrer.

Pour la communication, il ne se faisait pas de soucis. Les messagers ne manqueraient pa, et s'ils dérobaient à leur tâche... ils sauraient ce qu'il leur arriverait si on les retrouvait.

Allez maintenant, j'ai besoin d'être seul.

D'un geste machinal de la main, il congédia Eodroc et ouvrit l'un de ses tirroirs pour en tirer un liasse de papier sur laquelle il se pencha immédiatement. La conversation était finie.

Ecoutant son Capitaine d'une oreille, Eodroc semblait bien plus préoccupée par ce qui pouvait se passer à l'extérieur, par ce que pouvait manigancer ce Ralya... Il entendit tout de même qu'il devait le suivre, et faire respecter les ordres du Chef... des rapports fréquents... et surtout, l'empêcher coûte que coûte d'aller chez Jilhad! Les ordres étaient clairs... ils les appliquerait.

"Je ferai selon votre volonté, capitaine. Mais je pense me rendre tout d'abord vers ce prêtre... Le fouineur doit s'y trouver, et si c'est le cas..."

Un geste d'agacement l'arrêta net. Décidément, le chef ne changerait jamais. Mais il valait mieux ne pas trop continuer dans ces cas-là, c'est pourquoi, après avoir salué son supérieur, le garde s'éloigna, et, passant le seuil de la porte, disparut pour cette fois. Il entendait, à travers le bois sombre et lisse, un bruit sourd, comme d'un livre tombant lourdement sur une table... Visiblement, le capiatine avait des affaires sous la main, et du pain sur la planche.

Quittant l'édifice avec un léger sourire, il erra un instant dans les rues d'Albyor, préférant de loin sa place à l'extérieur à celle de son capitaine, pourtant reputée plus confortable. Il ne dirait pas la même chose quand l'affaire se durcirait...

Cette pensée le ramena à la situation telle qu'elle était. Il avait une vernime - que certains appelaient garde du port - à retrouver. Il ne sourit alors plus de tout, ne sachant où aller.

*Le prêtre, pensa-t-il enfin.*

Une nuit avait passé depuis le départ d'Eodroc, et le matin du jour suivant était déjà bien avancé, quand vinrent du couloir des bruits de pas, faibles et nonchalants, jusqu'aux oreilles du Capitaine.

Trois puissants coups retentirent, comme si quelqu'un voulait forcer la porte...

Il n'en était rien, cependant, et les coups cessèrent. La porte s'ouvrit doucement, laissant peu à peu apparaître la figure d'un homme qui semblait âgé, à en voir la couleur de ses cheveux et ses rides. Il s'agissait là, en vérité, de l'un des quelques messagers de la ville qui formaient le services des "Postes". L'homme entra, et le Capitaine vit alors que son allure générale contrastait de beaucoup avec l'impression laissée par son visage: l'homme avait conservé, malgré son âge, une bonne souplesse et un maintien droit et fier.

Une missive se trouvait dans sa main contractée, et, s'avançant, le messager la posa sur le bureau. Elle était pliée simplement en deux, et cachetée à la hâte, si bien qu'en ouvrant un peu les bords, on pouvait voir une partie de l'écriture se trouvant à l'intérieur.

Le vieil homme repartit donc avec la même nonchalance. Si le destinataire avait été une des petites gens de la cité, il aurait peut-être réclamé le prix de ses services, et plus de celui qui avait été payé par le destinataire. Mais ici, il s'agissait du Capitaine de la garde, il ne fallait pas rigoler avec lui.

Ces messagers étaient vraiment des charlatans...

Le Capitaine décacheta la lettre, et voici ce qu'il put voir:

Citation :

Capitaine,

Je ne puis m'attarder à écrire un long message, car il me faut surveiller ce Ralya, selon vos ordres. Son comportement est étrange, et il a refusé de m'accompagner à votre bureau pour vous faire un rapport. Aussi vous envoye-je un message au lieu de vous rendre visite.

Nous sommes allés au temple Shamaran, dans la salle souterraine où sont entassés les corps écorchés des sacrifiés de la cérémonie d'il y a une semaine. Se trouvaient là trois autres corps, plus récents, dont l'un répandait encore un sang chaud sur le sol. J'ignore si notre affaire a quelque rapport avec les moines, toujours est-il que trois des religieux nous ont ordonné de sortir de temple, et nous n'avons pas pu trouver plus d'indices.

Nous allons y retourner lorsque le Premier des moines sera de retour, et nous tenterons de le convaincre. En attendant, je garderai un oeil sur l'homme du port, les deux même, afin qu'il ne pénètre pas chez Jilhad, comme vous me l'avez ordonné.

En toute hâte.
Votre fidèle Eodroc.

PS: J'ai payé le transport de la lettre. Méfiez-vous donc, ces messagers sont des voleurs.

L'écriture à l'encre noir était pour le moins grossière et hâtive, mais, pas de doute possible, elle ressemblait en effet à celle d'Eodroc.