Mahal Gabil !

l ne restait plus beaucoup de chemin pour arriver à la Porte occidentale du pays de Cavenain, du moins était-ce ce que montrait la carte de Thorik le sage. Les Nains ralentirent le pas: ils évoluèrent aussi silencieusement que le pouvaient des Nains, et avec grande prudence. Hadhod savait fort bien que l'entreprise était risquée. Pourquoi avaient-ils accpeté l'aide des autres peuples? Il commençait à douter du bien-fondé du plan d'Arminas. Le Seigneur de la Moria ne put s'empêcher d'échanger quelques mots avec Kofur, dernier Compagnon de la Croix-de-Fer encore avec lui:

- Mon ami, vous connaissez nos alliés de ce jour et le plan qui a été ourdi. Je ne suis plus tout à fait sûr d'avoir pris une bonne décision en l'acceptant. Que dira le peuple lorsqu'il apprendra que nous nous sommes allié avec ces Masques, trois fois maudits? Ma seule chance est qu'ils respectent leur parole et nous soient utiles. Ils servent le plus offrant, nous a dit Arminas... Eh bien espérons que les richesses des Gobelins aient quelque peu diminué ces derniers temps.

Kofur répondit calmement à son Seigneur. Il était, de la Maison de la Croix-de-Fer, celui qui avait le moins d'apriori et d'inimitié concernant les autres peuples; et de fait, il était l'un des messagers et l'ambbassadeur des Nains de Moria.

- Monseigneur, gardez confiance. Les Elfes les ont acheté et eux, en tout cas, ne trahiront pas leur parole. Ce n'est pas dans leur nature, croyez-moi.

- Eh bien, je l'espère, Kofur. Mais je ne m'en méfie pas moins, et ne serais guère étonné de voir la Porte encore tenue contre nous, et plus que jamais. Si les gens d'Esgaroth s'avisent de se ranger aux côtés des Gobelins, ils verront notre courroux.

- Cela, nous le verrons lorsque nous arriverons sur place.

- Plus que quelques milles, et nous y seront.

Des cris sourds et lointains se faisaient entendre en direction de l'Ouest, comme des échos: il semblait y avoir de l'agitation dans l'air, mais on ne pouvait rien déduire des tournures que prenaient les choses. Puis soudain, un cor retentit, puissant mais faible à cette distance, peut-être était-ce même à l'extérieur des mines. Il avait, toutefois, une intonation différente de celle des cors des Gobelins lors des batailles.

- Le signal! cria Hadhod. Magnez-vous! Soyez sur vos gardes cependant, il se peut que le plan ait mal tourné, ou pire, que ce soit un leurre...

u croisement des Trois Portes, les choses n'allaient pas pour le mieux...

Certes, un bon amoncellement de cadavres de Gobelins et autres créatures des profondeurs s'était élevé sur le replat en face des arches, chacun ayant un flèche, un carreau, ou les deux, fichés dans la gorge, l'abdomen, le thorax, ou tout simplement dans le crâne. Mais vint le moment où la dernière flèche fut décochée et où l'ultime carreau vola dans les airs, et où la fureur meurtrière des ennemis des Naugrim ne put plus être freinée à distance.

Il fallait en venir aux mains... ou plutôt aux haches! Bahïn avait prévu cet instant depuis que Hadhod et l'armée s'étaient éloignés, aussi ne fut-il pas pris au dépourvu: d'une main il tenait la bannière sang et or du seigneur, de l'autre une hache, et il tint bon lorsque les premières lignes Gobelines entrèrent en combat avec lui.

La section numéro huit des gardes du Khazad, ceux que d'aucuns nommaient les Tueurs de Troll, avaient eux aussi sorti leurs haches et montré leurs boucliers. Ils formèrent une phalange impénétrable autour du Général, sur laquelle les vagues des adversaires venaient se briser comme l'eau sur les rochers. Pas de Troll en vue... tant pis, ces Nains, malgré leurs noms, savaient fort bien s'y prendre avec les Gobelins.

Depuis que l'attaque avait été déclenchée, nul tambour ne s'entendait plus: on ne peut pas à la fois tenir les os pour jouer et le glaive pour tuer. Enfin, pour l'instant, les êtres verts se faisaient davantage tuer qu'ils ne tuaient eux-même, pour tout vous dire... Le tas de corps déchiquetés grossissait à vue d'oeil, monceau de chair abjecte baignées de sang noir.

Mais l'assaut ne faiblissait point.

- Tenez vos positions, Khazad ! criait Bahïn. Archers, maintenant !!!

Sur cet ordre, ceux des Naugrim qui tout à l'heure décochaient des projectiles lâchèrent leurs armes à distance et se saisirent de leurs lames de corps à corps. Ils se lancèrent dans la bataille avec force cris, rentrant sur le flanc des hordes ennemies.

L'espoir vivait encore!

e général Bahïn menait ses troupes d'une main de fer, et lui-même bataillait avec hargne, tranchait, tailladait, tuait avec sa hache. La bannière seigneuriale se détachait dans l'obscurité malgré les tâches de sang noir qui tâchaient le tissu jaune et rouge.

Quelques dizaines de Nains enragés tenaient tête à une ou deux centaines de Gobelins; dans ces étroits couloirs et sous ces hautes arches, le nombre des ennemis ne comptait plus. Les créatures des profondeurs venaient se briser sur les lignes naines comme l'eau sur les rochers... Mais vague après vague, ils revenaient pourtant toujours en nombre supérieur, et à chaque fois ils avançaient davantage.

Le soutien des anciens arbalétriers et archers des Khazad ne fut pas de trop: pris sur les côtés, les ennemis furent mis en déroute et battirent en retraite. On ne les revit plus d'un moment, ce qui permit aux Naugrim de souffler un peu. Quoique...

- Dégagez un peu le passage, sans quoi nous serons ensevelis sous les corps gisant de nos ennemis avant que la bataille ne soit terminée. Emmenez nos blessés et nos morts en retrait. Et les archers, reprenez quelques traits et encochez-les!

Certaines flèches et carreaux furent retirés sans grande douceur des corps transpercés. La tâche de ceux qui emmenaient les Nains blessés et morts fut plus dure moralement que physiquement: il n'y avait que sept ou huit des leurs touchés assez gravement, et cinq avaient aussi perdu la vie. Pour ceux qui débarrassaient les dépouilles des Gobelins et achevaient les agonisant, ce fut tout le contraire... Le nombre de ceux-ci réjouissait l'esprit mais courbaturait les muscles.

Au bout d'un certain temps, le lieu redevint praticable. Les tireurs furent embusqués et les guerriers reprirent leurs haches. Et ils attendirent.

Une minute. Deux minutes. Un quart d'heure. Nul ne venait. Seuls trois coups de tambour consécutifs s'étaient fait entendre, et puis plus rien.

Sans doute le signal de la retraite finale. Les Gobelins venaient-ils d'abdiquer? Bahïn restait prudent.

- Gardez vous position, Khazad! Depuis le temps que nous parcourons ces mines, nous ne connaissons que trop leurs ruses.

ahïn et les siens attendirent longtemps le retour de l'ennemi au Croisement des trois Arches, mais nul ne vint finalement. Peut-être que les corps amoncelés de leurs congénères avaient découragées les immondes êtres verts... peut-être s'étaient-ils repliés vers leurs plus profondes tanières, les endroits les plus sombres et les plus malfaisants des mines, entendant une heure plus heureuse pour eux. Et elle n'était peut-être pas si loin, cette heure-là, car les bouches des Nains racontaient que les Gobelins qui étaient partis au Nord pour la bataille reviendraient sans doute au bercail, désorganisés mais bien présents. Pour lors, les gens de Bahïn allumèrent un grand feu de bois au centre de la surface plane. Ils pansèrent les blessés et couvrirent les rares morts. Le génaral débarassa la Bannière Royale de sa souillure avec une vieille casserole d'eau chaude. Des sentinelles furent néanmoins postées, surveillant les trois arches.


Loin à l'Est, dans le Corridor de la Résistance que gardaient Thörn et les gardes de Khazad, l'humeur serait rapidement devenue morose si les chants avaient cessé, car l'ennui aurait vite gagné le coeur des fils d'Aulë. Rien à faire dans cet étroit couloir, et aucun ennemi en vue, aucune tête à trancher, aucun espoir de réjouissance. Seulement l'espoir que la stratégie du Seigneur Hadhod fonctionne.


Il n'y avait pas plus de signes des ennemis dans les anciennes mines que gardait Oïn III, fort heureusement pour lui. Le vieux Nain s'était assis dans un coin, laissant à d'autres Naugrim plus lestes que lui le soin de surveiller les entrées et de crapahuter dans le réseau de galeries. Il avait sorti de sa sacoche la copie du livre de Mazarbul et en relisait un chapitre à la lueur orangée des torches. Son attention fut tirée des pages du manuscrit par un grand fracas: non loin, un nain maladroit venait de se heurter à un gros rondin de bois soutenant la voûte basse et dangereuse d'un corridor. La pièce de chataigner avait chu et une partie du "plafond" avait cédée en une cascade de rocs et de pierres. Une bosse au crâne et une réprimande d'Oïn furent les seuls maux que dut endurer le fautif, fort heureusement.


Frehïn était sans nul doute le mieux loti de tous les compagnons de la Croix-de-Fer. Le point stratégique qu'il gardait, le Grand Logis, était une vaste salle qui offrait plus de confort que bien d'autres lieux. Il fallut longtemps pour que la chaleur des feux se propage dans tout l'espace vide, mais au bout de quelques heures, le séjour ici fut aussi agréable qu'une sieste au soleil. Rien d'imprévu ni d'alarmant ne survint ici.


Une petite patrouille d'éclaireurs Gobelins s'étaient glissé, par un passage connu d'eux seuls, entre les points stratégiques des puits, tenus par Fréor, et de l'Eau, défendu par Dràr. Ils débouchèrent en ce dernier lieu, et, surprisfurent contraints de repartir en sens inverse, poursuivis par une section de Naugrim les plus rapides. La course-poursuite les mena vers les puits, et ils furent pris entre le marteau et l'enclume, puis éliminés jusqu'au dernier.


Le point stratégique situé le plus à l'Ouest, la barraicade tenue par Murin et une trentaine de lanceurs de haches, fut rallié par l'un des messagers de Hadhod Croix-de-Fer. Dépêché juste après la fin de la bataille, il donna à ses compatriotes la nouvelle de la victoire de leur Seigneur, ce qui occasionna de grands cris de joies.

Jusque là, l'entreprise de Hadhod et d'Arminas était couronnée de succès.