Poursuiveurs et poursuivis

Thrar n'avait, lui, ni amadou ni briquet, sans quoi il aurait fait un bon feu, la lumière et la chaleur lui ayant fait défaut pendant de longs mois, ou
peut-être... de longues années. Il avait perdu toute notion du temps, enfermé qu'il était dans les cachots souterrains.

Rien, il n'avait rien. Pas d'armes, pas de quoi faire du feu, sa vieille sacoche toute dépenaillée était vide. Ah non! Pas tout à fait vide en vérité:
il sentit, en passant sa main au fond du sac, quelque chose dont il ne put tout d'abord connaître la nature. Puis, la sortant et la contemplant à la faible lueur de la Lune, il parvint à voir de quoi il s'agissait... de la nourriture!

Les Gobelins devaient avoir laissé quelques mets avant sa libération, juste pour le voyage vers Tronjheim. Enfin, si on pouvait appeler cette viande sèche et ces croûtons rassis des "mets". Ca n'était guère mieux que lorsqu'ils l'avaient fait manger sur place, mais cela lui permettrait de vivre un peu plus longtemps, en tout cas, et peut-être même d'atteindre sa Cité.

Mais pourquoi l'avaient-ils libéré, au juste, et comment se faisait-il qu'il lui aient fourni quelque nourriture, même de cette sorte? Voilà qui sema le trouble dans son esprit. Mais il était tellement soulagé d'avoir retrouvé la liberté après ces mois de captivité et de tourments qu'il ne s'attarda pas là-dessus.

Son visage était encore plus crasseux que celui de l'autre prisonnier, et son corps était couvert d'entailles. Mais il était libre! Il oublia pour un temps tous les soucis qui l'assaillisaient, toute tâche qu'il avait à accomplir, s'allongea et s'endormit. Mais il fit d'affreux rêves, souvenirs de la dure condition qui avait été sienne... de hideuses faces de Gobelins venaient le hanter.


Et des Gobelins, il y en avait, et pas seulement en rêve. Ils n'étaient pas si
loin du lieu où il dormait. Une dizaine de ces créatures, que ni l'Elfe ni le Nain n'avaient remarqué. Mais les vils sbires de Gorth, eux avaient parfaitement suivi Thrar, et aperçu l'oreille-pointue par la même occasion, qu'iols n'avaient jamais rencontré auparavant. Aussi étaient-ils restés en retrait, ne souhaitant se faire repérer par aucun des deux.

Voilà pourquoi Thrar avait eu la vie sauve.

L’elfe noir s’éveilla dès les premières lueurs de l’aurore. Le soleil dardait ses faibles rayons sur les montagnes enneigées, éblouissantes sous leur manteau blanc. Une légère brume s’étiolait le long des pics rocheux, embrassant l’abri du nain. Il s’ébroua, renoua le lien qui maintenait ses cheveux noirs jais, et se passa rapidement un peu de neige sur la figure, autant pour se débarbouiller que se réveiller. Il jeta un œil sur les aspérités qui constituait le terrier de sa petite proie. Elle n’était pas encore sortie, mais ne tarderait surement plus, il fallait tout de même… il leva ses doigts un à un dans sa réflexion… il fallait au moins trois jours pour rallier la cité de Tronhjeim, et encore d’un bon pas. Ce qui lui laissait au final pas mal de temps pour trouver un moyen d’éliminer le nuisible. Il sortit une carte, écornée, déchirée par les années et les intempéries. Il la déplia sur ses genoux, précautionneusement. Il apposa un index sur ce qui devait être sa position, puis calcula mentalement la distance. Il le déplaça suivant un itinéraire qui lui semblait le plus approprié, puis l’arrêta sur la modélisation de gorges. Ici il pourrait déclencher une avalanche. Il connaissait bien l’endroit pour avoir vu la mort blanche de près, de trop près. Les couches de glaces et de neiges y étaient fort instables, et le moindre faux-pas devenait mortel. Il tapota la carte sur le point fatidique. C’était à… hum… 4h de marche. Il se leva. Il n’avait pas de temps à perdre s’il voulait y être avant le nain, histoire de prendre une position stratégique.

Le barbu avait bien suivi le chemin qu’il avait prévu. Sa silhouette trapue avançait difficilement mais régulièrement, fendant avec courage les vents froids où voletaient quelques flocons sans se douter du danger qui culminait en dessus de sa tête. Sur un parapet de pierre, appuyé nonchalamment, l’elfe attendait patiemment. Il avait trouvé l’endroit idéal où le moindre éboulement provoquera la rupture des glaces et l’avalanche qui serait associé à ce phénomène. Soudain, avec un étonnement certain il remarqua du haut de son mirador que le nain n’était pas seul. Bien qu’à bonne distance, une troupe de… il n’aurait su le dire en fait, suivait sa cible, prenant soin de ne pas se faire voir de ce dernier.
L’elfe tiqua, un affreux doute s’insinuant. Si ce groupe était des hommes, ou bien des elfes. Oui mais que viendraient ils faire dans cette contrée inhospitalière ? Il se concentra fixant ce point qui grossissait de minutes en minutes, l’ombre des remords étendant son emprise sur ses pensées. Ils se rapprochaient dangereusement du barbu qui ne semblait s’apercevoir de rien, vu sa démarche. En revanche ce qui l’intriguait se déplacer d’étrange façon. Bipèdes certes, mais courbés, voutés et surtout l’éclat d’une lame lui appris qu’ils étaient armés. D’ailleurs ils s’élancèrent sur le nain… une attaque…. L’elfe eut un sourire mauvais, un regard malsain, empli de haine et dégout. Il plaça la pointe de son épée contre la roche, et leva. La pierre dévala sous l’effet de levier. Rebondissant en contrebas elle emporta avec elle les couches instables de neige. Rapidement une marée blanche se forma, emportant tout sur son passage. Rien ne pouvait arrêter cette impressionnante nébuleuse poudreuse qui fonçait droit sur les gobelins et le nain, le sauvant d’un tragique destin pour celui non moins enviable de l’ensevelissement.

Les rayons du soleil et une nouvelle inquiétude étaient revenus de paire. Thràr ignorait pourquoi, mais son instinct lui ordonnait de se hâter s'il voulait mener à bien la tâche qu'il avait entreprise.

Il avait marché pendant quelques quatres heures avec presque rien dans le ventre. C'était son devoir, son courage, sa bravoure qui le faisaient tenir le rythme. Son corps, quant à lui, n'en pouvait presque plus: il sentait ses forces diminuer et ses jambes devenir molles, mais il continua sans se reposer davantage.

Le Nain arriva devant un imposant ravin peu de temps avant que le soleil ne soit à son zénith, et il se demanda s'il n'allait pas manger un morceau avant de tenter la traversée, histoire de se redonner un minimum de forces. Mais il prit bientôt sa décision: il casser la maigre croûte qui lui restait une fois cette difficulté passée, comme un réconfort après l'effor.

Prenant son courage à deux mains, il commença à s'élancer sur le sentier, plus tortueux et étroit que jamais. Tout à coup apparut derrière lui un vingtaine de Gobelins, courant et beuglant comme cent loups. Thràr était désarmé... dans quelques secondes ils seraient sur lui sans qu'il ne puisse rien faire, leur agilité étant beaucoup plus prononcée que la sienne.

Seul un miracle pouvait le sortir de là.

Et miracle il y eu, provoqué, paradoxalement, par un être qui souhaitait sa mort. Mais le Naugrim n'en savait rien... lui ne voyait qu'une fumée blanche arrivé, accompagnée d'un grondement terrible. Les Gobelins hésitèrent; tous s'étaient déjà engagé contre la paroi rocheuses. Voyant leur fin proche, ils n'eurent d'autres solutions que de continuer et espérer emporter ce Nain dans leur chute ou y échapper de justesse avec lui.

Ce ne fut ni l'une ni l'autre des solutions, mais une tournure bien différente que prit la situation. Ceux d'entre les Orques qui ne s'étaient pas plaqué suffisemment furent propulsés vers l'extérieure pour terminer leur chute au-delà de tout regard... les autres - mais ils étaient cinq tout au plus - ceux qui s'étaient plaqué contre le roc, furent ensevelis sous un épais tas de neige. Trois d'entre eux moururent étouffés, incapable d'en sortir, mais les deux qui allaient en queue ne reçurent que peu de poudreuse, ne se trouvant pas au centre. Il en allait de même pour Thràr: seule sa tête pointait au-dessus de la congère.

Les deux survivants de la gent gobeline devaient se risquer à traverser le tas pour atteindre le Nain...


De leur côté, les Gobelins de Belegost qui observaient la scène à distance tout à fait sûre étaient dubitatifs... Qui étaient ces semblables qu'ils ne connaissaient point? Qui avait déclanché l'avalanche à ce moment précis? Autant de questions sans réponse...

Leur plan risquait bien d'être compromis.

Du haut de son promontoire, l’elfe observait tout d’un air satisfait. Quoi de mieux qu’une belle avalanche qui emporte sur son passage vermines et… vermines. Les bras croisé devant sa poitrine, le menton relevait de façon particulièrement hautaine, il cherchait à définir si son plan avait correctement fonctionné. Il avait toujours trouvé plus simple d’éliminer par des moyens « naturel », provoqués diront nous, ceux qui se trouvaient dans son chemin. Il n’aimait pas se salir les mains, et encore bien moins avec du sang de barbu.

Malheureusement, le nain devait avoir une chance de cocu, car il s’en tira bel et bien, et sans rien de plus que quelques flocons sur la tête. Comble de la malchance les gobelins restant, semblaient hésiter vivement entre sauter, et risquer un sort similaire à leurs comparses ou s’en retourner.
L’elfe jura. Puis commença à descendre la pente, devenue plus stable suite à ce petit « accident », Il n’était plus qu’à une quinzaine de mètres. Il encocha une flèche. Le premier trait jaillit, à une vitesse fulgurante. La hampe se figea en vibrant, entre les deux yeux globuleux, un filet sombre s’écoulant de la plaie. Le deuxième s’enfuit mais fut rapidement rattrapé par la deuxième salve qui acheva très vite sa triste vie de parasite.

Finalement l’elfe utiliserait des moyens plus expéditifs avec ce nain trop chanceux, la veine ne marchait qu’un temps. Il accourut sur la petite forme trapue et prenant son air le plus charmant, et assez réussi en fait, il prit de ses nouvelles.

- Vous allez ? Pas trop de mal… Vous ne devriez pas voyager seul et sans armes dans ces contrées, les gobelins tels qu’eux sont légion.

Il simula un vague regard critique sur les vêtements effilochés, troués et tachés du nain. Puis il lui tendit la main dans un salut tout ce qui pouvait sembler de plus amical.

Alors que la tête de Thràr émergeait peu à peu du tas de neige et qu'il parvenait à dégager tant bien que mal le reste du son corps, ses yeux lui montrèrent une vision des plus improbables en ces lieux: un Elfe, oui, c'en était bien un... ses oreilles pointues ne trompaient point, et il n'avait ni la tête ni la démarche d'un Gobelin ou de toute autre créature du mal qui eut put exister.

Le pauvre Nain ne détestait pas particulièrement cette antique race, contrairement à certains des siens, même s'il n'avait que peu de relations avec les Elfes et aucune espèce d'amitié. Mais celui-là semblait différent des rares représentants de cette espèce déjà rencontrés: un sourire plus prononcé, mais un visage qui n'en était pas moins énigmatique...

L'ancien prisonnier ne sut trop que penser de cette apparition, mais les phrases sans discourtoisie de l'Elfe et le fait qu'il vienne sûrement de lui sauver la vie encouragea le Nain à ne pas traiter son vis-à-vis avec trop de rudesse. Il lui serra même la main:

"Pas trop mal... pas trop mal... mais hélas je n'ai pas choisi de n'avoir ni arme ni compagnie. Et on n'efface pas des mois de captivité en un rien de temps."

La dernière remarque avait été provoquée par le regard inquisiteur du drôle de personnage.

"Quels que soient vos buts, je vous remercie de votre intervention. Grâce à vous, je peux poursuivre ma route plus avant, monsieur..."

Il attendait que l'autre se présente.


Les émissaires de Gorth scruptaient les deux individus dont les silouhettes sombres ressortaient dans la blancheur du manteau de neige. Il fallait que les Elfes viennent aider leurs éternels ennemis Nain, comme si ça ne suffisait pas... pourtant, sans cette intervention, le Naugrim aurait depuis longtemps perdu la vie, et adieu à la mission...

L’elfe se sentit satisfait, si le nain montrait signe d’inquiétudes ou de réserve à son égard, il le masquait bien. Mais n’était ce pas normal après tout, il venait de lui sauver la vie, d’une certaine façon.

- Elrohir Ar-Feiniel, mais on me nomme la plupart du temps Vif-Argent.

Il faut dire que les syllabes chantantes de son nom devaient être assez complexes pour les oreilles d’un nain, surtout d’un nain, et que la difficulté de les prononcer pour ses vermines fouisseuses devait s’avérer insurmontables. Lui donner son nom, évidemment ne changerait absolument rien à la finalité de l’affaire. Réflexion qu’il se garda bien de prononcer devant cette petite chose mal ficelé qui le regardait bizarrement. Essayer de créer un contact cordial à défaut d’amical. La tache se révélait ardue, vu les sentiments violents qu’il éprouvait pour ce barbu. Cependant, l’art de la traitrise et de la dissimulation, lui était comme une seconde peau. Ravalant toute sa rancœur, et sa haine comme si elle n’était qu’une illusion un peu trop persuasive, il continua sur sa lancée, prenant toujours un air étonné.

- Des mois de captivités ? Par ces … - il reteint de justesse l’insulte qui montait à ses lèvres – gobelins ? Vous leurs avez donc échappé ? Je ne puis que m’incliner devant tant d’ingéniosité. Mais j’ai bien peur qu’ils ne digèrent pas pareille évasion. D’ailleurs, même si ceux-ci sont morts, ils risquent d’en envoyer d’autres. Ceci dit… vous devez mourir de faim et de froid, je suis d’une impolitesse…

Il observa le soleil qui brillait, malgré l’inexistence d’une chaleur bienfaitrice, dans un ciel de midi.

- Trouvons un abri, et nous ferons du feu pour vous réchauffer. Et je suis certain qu’un vrai repas, même frugal vous sustentera suffisamment pour que vous retrouviez des forces jusqu’ à votre destination.

Il se dirigea vers le tas de neige. Il était vraiment dommage de perdre deux flèches pour un misérable nain, surtout des hampes d’aussi bonne qualité. Il haussa les épaules avec un regard navré sur les deux malheureuses inaccessibles. Il ne pouvait les chercher, trop de risques, trop dangereux, et puis il avait une méfiance naturelle de nain à endormir.

Cet Elfe semblait drôlement s'intéresser sur le sort de Thràr et sur ce qu'il avait vécu ces derniers temps. Mais les Nains ne révèlent pas aisément leurs faits et gestes, surtout lorsque cela à consiter à être prisonnier de ces larves.

"Oui, des mois, et je me suis échappé. Un Nain a plus d'un tour dans son sac! Mais cette situation n'a pas été vaine, et je dois rallier ma Cité de toute urgence pour régler quelque détail. Je suis navré, monsieur... hum... Vif-Argent, mais je ne puis m'attarder, le temps me presse."

Il n'avait jamais vu ou rencontré un Elfe de cette sorte, aux manières si bonnes et qui semblait si désireux de l'aider. Plutôt étrange en effet... eux qui d'habitude regardaient les Longues-Barbes avec plein de hauteur et de dédain, lui semblait différent. Et comme les Elfes hautains avaient toujours été laissés de côtés et n'avait jamais eu d'ennuis - ou presque - avec les gens de Tronjheim, Thràr se demanda bien si cet aimable personnage d'allait pas lui en apporter.

Mais son sens de l'honneur, comme tout Nain, était grand, et il se réprimanda intérieurement pour ces sombres pensées envers son sauveur. La tâche qu'il avait à accomplir n'en restait pas moins présente, et il dut faire, presque à contre-coeur, ses adieux:

"Eh bien, Eroïr Ar-Feïel, je vous remercie encore une fois, mais je ne puis m'attarder, comme je vous l'ai dit, même sous prétexte d'un repas et d'un feu. Adieu."

Les dents de l'elfe ses serrèrent, grincèrent, et ce ne fut qu'au prix d'une longue inspiration et d'une grande concentration qu'il parvint à se maitriser en entendant ce vers déformer son nom. Celui ci avait d'ailleurs repris son chemin, lui tournant deliberemment le dos. Son arc trouva bien vite sa main, et sa flèche l'encoche usuelle. Le trait partit et se figea dans la jambe du barbue, juste au niveau du genou, provocant chez le malheureux une douloureuse chute.

- Ce n'était pas une invitation mais un ordre. Enfin – l'elfe soupira d'un air navré – vous me contraigniez à un recours moins agréable pour vous. Alors qu'il aurait été si simple de vous endormir et ne jamais vous éveiller, vous préférez la manière forte. N'ayez crainte je m'appliquerais, à ce que vous en ressentiez toutes les douleurs avant votre dernier souffle.

Il s'approcha, dominant de sa taille et sa prestance sa future victime. Il n'avait d'ailleurs plus rien, du mystérieux sauveur, trop aimable pour être vrai. Ses traits se déchiraient à présent sous un rictus malsain, et son visage emprunt de méchanceté n'avait plus rien d'agréable. Ses yeux même brillait d'un éclat, qu'il ne s'obligeait plus à étouffer. Celui d'une haine ancestrale.
Il déposa avec amour son arc sur le blanc immaculé de la neige, puis d'un geste vif et élégant, sortit une épée courte de son fourreau. La lame chanta sous le mouvement ample qui la libéra, découvrant un profil d'argent aiguisé aux motifs finement ciselés. Un travail de maitre.


- Je ne voulais me salir les mains, mais il semblerait que vous ne m'en laissiez le choix.

Le premier coup, celui qui trancha la main du nain, personne n'aurait pu le voir venir, tant la vitesse de l'arme fut rapide et précise. A coup sûr le surnom de cet elfe, provenait de cette attaque imparable et redoutable. La plaie déversa son flot de sang chaud, faisant fondre la neige là où les gouttes s'écrasaient.
Le second coup, fut d'estocade et s'enfonça tranquillement dans le ventre de Thrar. D'un geste sec du poignet, vers l'extérieur, la blessure s'allongea dessinant un trait horizontal sanguinolent. Les tripes s'étalèrent autour du corps renversé, dans une mare rouge répugnante. Vif-Argent s'agenouilla auprès de sa victime, essuya nonchalamment sa lame sur un bout de ses ardes. Un sourire aux lèvres, il contempla son œuvre. Le nain respirait encore, mais rien ne pourrait le sauver, la mort engourdissant rapidement chaque atome de son corps trapu.

- Bien le bonjour à ceux des vôtres qui ne tarderons pas à vous rejoindre. Les vermines ne méritent rien d'autres qu'une éradication rapide et sanglante. Chose que vos anciens geôliers accompagnés de votre « ami » nain, s'empresseront d'exécuter sans que vous alliez prévenir qui que ce soit. Une bonne chose selon mon avis.

Il ramassa son arc, et laissa là la forme agonisante dans sa flaque sombre sur l'immaculé de la glace.

Thràr avait passé des années dans les cachots des Gobelins, pires ennemis des Nains, et ce n'était pourtant pas eux qui avaient eu raison de lui, mais bel et bien un Elfe, un enfant d'Ilùvatar.

Plus que toute douleur physique, c'était une douleur mentale qui le tenaillait le plus dans son ultime agonie: il s'était laissé berné par cet individu qui venait de lui sauver la vie, et qui provoquerait à sa façon l'ultime ruine des Nains. Plus moyen de prévenir Tronjheim, plus moyen de sauver les siens du désastre. Tout était perdu!

Mais il ne faut jamais laisser un Nain à demi-mort, même sans entrailles et dans une flaque glauque de sang. Et cela, l'Elfe l'avait omis. Et ne trouvant plus aucun sens à ses dernières et atroces secondes de vie, Thràr articula quelques mots déformés par la douleur:

"J'appelle cette malédiction sur vous, traître: avant que tout ne soit terminé, vous paierez le prix de vos actes, car qui trahit doit s'attendre à faillir par la traîtrise d'autrui."

Et il expira.


Un autre Nain observait la triste scène de sur les rochers en surplomb. Il était arrivé trop tard; la neige était déjà entâchée de rouge et fondue sur son semblable.

Il ne dit mot, se contentant de fixer l'assassin tout en tenant une solide hache de guerre.

Et soudain, l'imprévisible arriva! On entendit des cris et des pas. Les Gobelins de Gorth avaient également pris connaissance des évènements, et leur courroux était sans pareil: tout leur plan venait de tomber à l'eau avec la mort du Nain.

Ils escaladaient les rochers comme des fourmis, se moquant des obstacles et de la congère. L'Elfe était leur cible principale, mais le Nain roux n'était pas non plus de leurs amis. Dans quelques secondes ils seraient sur eux. Et il est dit que parfois les ennemis doivent s'unir pour résister...

L’elfe eut la désagréable surprise de voir surgir hors de leurs cachettes de roche une petite armada d’une douzaine de gobelins Ses sourcils se froncèrent lui donnant un air plus sombre de d’ordinaire. Il jugea que pour l’instant une retraite stratégique serait inefficace vu l’acharnement de ces immondices pour le rejoindre. Autant délayer un peu leur rang, surtout qu’il lui restait quelques flèches, pas assez peut être mais se serait toujours cela de prit. Son arc trouva immédiatement le chemin de sa main, et une flèche supplémentaire disparut de son carquois. L’avantage de les voir grimper, escalader, sans soucis de se mettre à couvert ou de la congère c’est qu’ils offraient une cible parfaite à l’archer. Il faisait mouche à chaque jet, mais fut rapidement à court de munitions. Ils se rapprochaient dangereusement. Se délestant de son arc devenu inutile et de son carquois vide, l'elfe grimpa à son tour. La neige ralentissait ses pas, il perdait du terrain, puis enfin il accéda au promontoire.

Un instant il resta bouche bée. Décidément ces saloperies de nains copulaient trop vite, la région en était infecté et mériterais une dératisation. Celui qui se tenait devant lui, serrait fortement sa hache et son regard peu engageant convainquit totalement Elrohir qu’il venait certainement d’assister à sa petite mise à mort. Cependant ce n’était pas vraiment le moment de s’en préoccuper, le premier des six monstruosités encore en vie, se pointant, épée au clair.

L’elfe sortit son arme qui chanta de nouveau avant de trancher allégrement dans les chairs offertes. Pas besoin de voir le nain, pour savoir qu’il en avait aussi sur son dos. Il convenait tout de même de garder un œil sur le barbu, juste au cas où que des idées de haches dans le dos lui passent par l’esprit.

La hache du Nain avait bien servi, car malgré les quelques Gobelins qui s'étaient écroulés transpercés, l'autre partie du groupe, ceux qui avaient été les plus chanceux dans un premier temps, furent en définitive aussi mal lotis que leurs semblables, à ceci près que ce n'était pas la pointe d'une flèche Elfique qui avait raison d'eux mais une lame ou un tranchant de haches.

Tous les êtres vertes furent bientôt supprimés. La tactique de Gorth avait échoué totalement, et rien ne parviendrait à ses oreilles... aucune nouvelle, pas même des rumeurs. Rien.

Désormais, à l'endroit où le sang rouge de Thràr tâchait le sol, un autre liquide plus noir vint s'y mêler. Cruel... cruel pour un Nain qui avait tant enduré les Gobelins... Il n'y avait pourtant pas moyen de porter ses restes à Tronjheim.

Sans quitter Elrohir des yeux et sans lui adresser la parole dans un premier temps, Khîm s'affaira à éloigner les cadavres des Gobelins du corps sans vie de l'ancien haut conseiller du Seigneur des Khazad. Un doute s'immisca dans son esprit... Etait-ce bien ce Nain si fier et si droit qu'il avait longtemps connu et qui avait, un beau jour, disparu? Il n'en était pas tout à fait sûr, tant son corps avait maigri, tant son visage avait été changé par la souffrance...

Il n'y eut bientôt plus trace des corps des viles créatures sur la neige, à part leur sang sombre: toute chair avait dévalé les pentes pour finir bien en contrebas. Travail guère agréable, mais nécessaire, du moins moralement. Une fois cela finit, Khîm fixa de nouveau l'Elfe avec un regard sans expression... pourtant son esprit était rempli de haine.

"La hache... L'épée... Voilà qui se vaut, maintenant que votre arc vous est inutile. Il y a eu un mort de trop aujourd'hui, je ne souhaite pas en rajouter. Je vais vous escorter jusqu'à Tronjheim, et le Seigneur jugera de ce qu'il y a lieu de faire. Jetez votre arme."

Voix neutre. Voix calme... étrangement calme. Khîm avait exposé sa volonté, il attendait la réponse de l'assassin.

Elrohir Ar-Feiniel de son vrai nom, contemplait dubitatif, amusé agacé, tout cela a la fois, le nain qui se tenait devant lui. Il plissa les yeux, ses lèvres s’étirèrent et il manqua de peu d’éclater d’un fou rire. Que ces vermines pouvaient être drôles. Le suivre ? Quelle déplaisante perspective ! Son épée brillait sous les rayons, elle s’inclina légèrement devenant plus menaçante, à l’image de son propriétaire. Il était clair, limpide et absolument certain, au vu de la posture de Vif-Argent, de la moue qui s’imprimait sur son visage, qu’il ne comptait pas visiter les terriers de ces raclures de nains même avec la meilleure des compagnies.

- Depuis quand les nains se permettent ils de nous donner des ordres. Je suis navré, mais vous me voyez obliger de décliner votre offre. Si vous ne souhaitez pas plus sang, je vous conseille d’inviter une autre personne dans votre trou à rat. Pour ma part j’ai fort à faire. Mais si vous souhaitez en venir aux lames, je ferais couler votre sang avec bonne grâce.

Il recula de quelques pas, sans pour autant lâcher des yeux le nain. Le bord du promontoire n’était plus qu’à quelques centimètres de ses bottes. Il peinait à laisser en vie un de ces barbus, mais il se sentait vidé à la suite du combat et des efforts fournies pour sa mission. La lassitude l’envahissait et il se surprenait, à son grand désarroi, préférer une auberge bien tenue et chaude, à l’éviscération d’un nain. Enfin ceci dit, il se doutait bien que ce dernier n’avait pas envie de le laisser s’éclipser. Plus qu’un pas, et il sauterait en contrebas, ramasserait son arc et… s’enfuirait. L’idée lui déplaisait mais mieux valait ne pas trop trainer dans le coin.

Il se retourna vivement et appliqua son plan, en s’élançant dans le vide de 2 ou 3 mètres avec à l’arrivée, une épaisse couche de neige pour le recevoir en douceur.

Elrohir venait de passer hors de portée de la hache du Nain et de s'éclipser à sa vue. Tant pis, Khîm n'avait jamais vraiment espéré pouvoir ramener cet assassin à Tronjheim pour pouvoir le juger... L'aurait-il fait que l'autre lui aurait faussé compagnie juste avant d'arriver à destination, voire pire: il aurait peut-être pu finir comme le pauvre Thràr! Cette tentative était plutôt un moyen de ne pas en venir aux armes - pas très glorieux et honorable, je le conçois, mais admettez que le Naugnrim n'aurait eu aucune chance en combat loyal face à cet Elfe millénaire.

Le Naugrim observa les alentours en direction de l'Est, espérant que cet Ar-Feiniel avait réellement pris ses jambes à son cou et redoutant une tentative sournoise de poignardage dans le dos.

Il se demanda un temps s'il devait rallier sa Cité seul et dès maintenant, ou bien rester encore tapi un petit moment derrière les buissons, un peu plus haut dans la montagnes, comme il l'avait fait depuis sa séparation d'avec ses frères.

"Oh et puis zut!"

Cette phrase était sortie d'elle même, toute seule, sans que son cerveau l'ait contrôlée, semblait-il. Il en avait plus que marre d'être le pantin de ce globuleux... il avait froid et il se sentait perturbé par la mort de son compatriote. Il rentrerait donc au bercail pour faire connaître au grand jour le décès de l'ancien Haut conseiller...

Et que dirait-il sur son emprisonnement? Il aviserait bien en temps voulu...

#Thrar