Ivaldi, l'orfèvre exilé dans les Montagnes Bleues

Barukzigil Tuhúrka rejoint la Haute-Entrée de la Cité Tronjheim, comme il était convenu avec son compagnon. Il avait coupé par le marché, s'était réapprisionné en vivres, en bière et avait vérifié attentivement son équipement. Tout était là, il s'avancait fièrement dans l'immense couloir quand soudain, apercevant le nain qui l'attendait, accéléra le pas accompagné d'un sourire pour ainsi dire exceptionnel :

"Hola l'ami ! Je constate que vous êtes ponctuel, vous devez sans doute ne pas partager cet avis pour ma part ... J'ai fait quelques achats dans les magasins de Tronjheim qui, à vrai dire, je ne connaissais pas du tout. Ma bourse s'est allégée de plusieurs centaines de pièces, c'est sans doute la raison pour laquelle j'ai du mal à digérer mon repas de cette après-midi. Enfin, je parle, je parle. Disons que je suis prêt à affronter les longues heures de marche jusqu'aux bouts des pics élevés enneigés des montagnes bleues à la recherche d'Ivaldi. Et vous, de votre côté, j'imagine que comme vous m'attendiez, vous deviez être prêt également" demanda par politesse et aussi par curiosité Barbelune à son ami, son nouvel ami ...

"En effet, répondit aussi poliment Menzahar. Je vous attendais, mais soyez rassurez, je ne suis pas assez rustre ou assez idiot pour condamner un petit retard de rien du tout. Il vaut mieux perdre quelques instants à Tronjheim et être équipé et approvisionné pour l'aventure. Et puisque je suis prêt moi aussi, je ne vois pas ce qui devrait nous faire rester ici un moment de plus, mon ami!"

Et il rit. Menzahar appréciait Bardelune depuis le moment où il l'avait rencontré à la taverne. Les deux Nains se mirent en route, franchissant le grand pont qui marquait l'accès à la Porte et permettait d'enjamber un précipice vertigineux de plusieurs centaines de mètres.

"Il nous faudra peut-être bien plusieurs jours, voire peut-être une semaine avant de trouver ce que nous cherchons... enfin la personne que nous cherchons. Dieu merci, il est trop loin pour m'avoir entendu."

Barukzigil et Menzahar marchaient d'un pas léger - normal, ce n'était que le début de leur voyage et ils n'étaient pas encore fatigués. Empruntant tout d'abord des sentiers battus, ils virent peu à peu s'éloigner la Cité dans leur dos, et bientôt le trou noir que formait l'entrée disparut totalement de leur champ de vision.

Les chemins devinrent plus caillouteux à mesure qu'ils montaient et se dirigeaient dans la direction approximative du Nord-Ouest. De la neige commença à tomber faiblement.

Les deux Nains marchèrent tout le matin, puis vint le moment du repas de midi...

"Que penseriez-vous d'un bon feu, Maître Bardelune?"

Il est vrai que le crépitement de flammes rendrait la vue plus heureuse. Car ils étaient seuls, seuls avec la montagne.

Barbelune approuva d'un signe de tête très compréhensif car ses jambes et ses pieds le faisaient souffrir depuis la montée longue sur le chemin callouiteux :
"C'est une excellente idée ! Je vous propose qu'on en profite pour boire une lampée du breuvage que je tiens précieusement dans ma besace !"Sans attendre une quelconque réponse de son compagnon, le marchand nain sortit de choppe et les remplit à la limite de les faire déborder puis il en tendit l'une des deux à Menzahar en rajoutant :
"J'ai une question à vous poser : j'imagine qu'il n'y a pas beaucoup d'auberge dans l'coin [Rires] ! On devra donc dormir dehors, et vous qui connaissez bien ces montagnes et ses recoins, vous devez bien vous rappeler d'un endroit où nous pourrions dormir tranquillement ? Loin d'être effrayé par ce qui hante ces crêtes que nous allons explorer, le sommeil est la meilleure arme d'un nain, je pense que vous devez partager ce point de vue." Barukzigil regardait Menzahar en attendant une réponse ... convaincante.

"Si, Bardelune, bien sûr que si! Je connais une auberge réputée qui a été fondé il y a quelques mois dans la montagne. Sans cela, la marche en ces lieux serait un enfer!"

Le ton sérieux de Menzahar contrastait avec ses dires. Comment un aubergiste avait pu avoir assez de folie pour monter une auberge en pareil lieu? N'avait-il pas peur des Gobelins, des loups? Le doute s'installa un instant fugace dans l'esprit de son interlocuteur. Mais soudain, Menzahar ne put plus tenir son sérieux et son rire explosa.

"Non, non, bien sûr, il n'y a pas d'auberges ici. L'enfer nous est bien réservé... fit-il d'une voix calme, en souriant. Mais il arrive parfois que l'enfer et le paradis se côtoient. Etre ici, coupé du monde, c'est la liberté! Quoi de mieux que de vagabonder dans la montagne?"

Une bonne bière, sans doute...

"Je n'ai pas parcouru souvent ces chemins, mon bon ami, mais je suis sûr qu'un peu de recherche non fera trouver un endroit à peu près convenable pour passer la nuit."

Mais tout cela leur paraissait lointain: ils venaient juste de mager le dîner. Pourtant, l'après-midi de marche passa bien vite...

Une petite grotte, un bosquet d'arbres, un renfoncement... Voilà ce qu'ils se mirent à chercher. Le soleil se couchait à l'Ouest, il ne fallait pas traîner. Des arbres, il n'y en avait guère, et les rares qu'ils trouvaient étaient morts. Pas de quoi faire l'affaire ni réconforter les deux acolytes. Mais soudain:

"Une grotte, s'écria Menzahar."

Il regretta d'avoir parlé si fort, et jeta un regard circulaire inquiet alentours. Il n'était pas sage d'attirer trop l'attention, de briser le calme collégial du lieu. En réalité, ce n'était qu'une petite excavation qui permit à Bardelune et son compagnon de se protéger du vent et des minces flocons. Menzahar s'assit, dos contre la paroi.

"Que se passe-t-il donc, dans les contrées de l'Est d'où vous venez? demanda-t-il enfin."

Barbelune tourna la tête en direction de l'ouverture de la grotte, contempla quelques instants le vent balayer de ses vagues fraîches l'herbe assez haute des pâturages puis cala contre une pierre sa hache et son sac à dos et enfin parla lentement :

"Oh ... Les montagnes de l'Est ... Nous avons beaucoup souffert là-bas pendant des années, vous savez, les orques rôdaient pratiquement en permanence autour de nos petits remparts qui criaient leur agonie en nous montrant des fentes et des trous énormes ... Ce fut long, nous perdîmes beaucoup de frères pour les repousser mais nous y arrivâmes peu à peu. Je ne me vente pas d'avoir été l'un des derniers survivants de la bataille, de notre bataille décisive, celle qui fut une délivrance pour certains ... [Il raclait légèrement sa gorge et toussotait, c'était sa façon de pleurer.] et un tombeau pour d'autres ..."

Le nain se rendit compte qu'il faiblissait, son orgueil le lui rappela ; aussitôt, il s'empressa de fouiller dans son sac, d'en sortir deux choppes et d'y verser le breuvage de l'amitié mais aussi celui qui remontait le moral, le compagnon dans les moments difficiles. Il poursuivit après une lampée :

"Mais, par les enclumes de Uzbadzigil, qu'est-ce que je suis en train de vous raconter ! Je n'ai pas à me plaindre, je vis à mon aise depuis. Voyez, je parcours les Terres, je rencontre des personnes, j'apprends les langues et coutumes, je découvre d'autres bières, celles du Gondor, du Rohan, nos braves guerriers à cheval et même celles des hobbits qui seraient presque plus sucrées que les nôtres [cette périphrase voulait insinuer en fait que la leur serait plus bonne que celle de sa race mais ça, il ne se permettrait pas de l'avouer !].

Je ne suis pas un grand marchand mais je vends ce que je produits, c'est pourquoi, je peux être fier, me dire que je me rends utile et que je rends service à ceux qui ne peuvent s'en fabriquer !"Il but une autre gorgée, sourit timidement, s'essuya la bouche et la barbe mouillée et posa à son tour une question à son ami qui l'écoutait, plus concentré que personne, et cela, Barbelune s'en était rendu compte, longtemps furent ignorées ses paroles, c'est donc pour cela qu'il discutait avec passion :

"Et vous, l'ami, que faîtes-vous ? Vous êtes-vous déjà aventuré jusqu'au Royaume d'Arnor ou encore jusqu'à une vingtaine de lieues d'Osgiliath, la cité en ruine ?"

Menzahar n'avait pas compris que son compagnon préférait la bière de la Comté des semi-hommes à celle des Nains. Tout ce qu'il savait, c'était que lui-même n'attendait pas d'une bière qu'elle soit particulièrement sucrée. Il la préférait amère et goûteuse. Pour lui, la "boisson des guerriers", comme il aimait à l'appeler, devait être digne de son nom et ne montrer pas plus de douceur qu'un véritable combattant. Mais il n'en dit mot.

"L'Arnor, je l'ai souvent traversé pour me rendre en Moria, où certains de mes parents résident. J'aime bien ce pays, bien que ce soient des hommes qui en sont à la tête: ses étendues sauvages, ses rivières, ses collines. J'arrive parfois à me languir des grands espaces quand je suis trop longtemps resté à l'intérieur des mines..."

C'était bien vrai; Menzahar était un voyageur, pas un sédentaire. Mais Bardelune lui parlait également de contrées qu'il n'avait jamais vu, bien qu'il en ait entendu parler, bien sûr.

"Non, je ne me suis jamais rendu à Osgiliath, ni au Gondor... ni dans le Sud, finit-il par dire."

Cette phrase n'était pas sortie très facilement, mais il se rattrpa bien vite:

"Guère élogieux pour quelqu'un qui prétend être un voyageur, me direz-vous... Et je vous répondrai: je préfère le Nord. Les frontières d'Angmar, les Monts Brumeux, parfois même au-delà, à Erebor, d'où vous venez..."

Il veillèrent longtemps et racontèrent maites histoires avant de s'endormir enfin aux environs de minuit. Bardelune apprit bien des choses qu'il ne connaissait pas sur les contrées désertiques, et Menzahar aqcuit également des connaissances sur Osgiliath, la cité en ruines.

Lorsuq'ils se réveillèrent et sortirent au matin de leur cachette, ils purent voir qu'un épais brouillard s'étendait sur la montagne.

"Nous ne sommes plus loin des crêtes, assura néanmoins Menzahar. Nous ne tarderons pas à basculer sur le versant Ouest... Vers Ivaldi."

Ils continuèrent leur route sans anicroche... Enfin, il y avait bien quelque chose qui tracassait le Nain: à chaque tournant, une pierre de haute taille se dressait sur le côté du chemin. Etrange...

Barbelune suivait son compagnon de prêt et lançait des regards dans toutes les directions. Il admirait le paysage mais se observait également si quelqu'un ou quelque chose ne les suivait pas. Au cours d'une simple halte, tout en buvant de l'eau claire et fraîche (en effet, les nains peuvent boire de l'eau !) il demanda à son ami :
"Mon esprit s'égard peut-être mais j'ai comme qui dirait l'impression que nous sommes observés depuis un bon moment. Je ne vois rien mais je sens sa présence, j'ai souvent parcouru les montagnes, les pics, les haut-plateaux, jamais je n'avais ressenti ce sentiment en moi. Pensez-vous que je me trompe ? Ne serait-ce pas Ivaldi qui nous espionne, sa demeure est-elle encore loin ?" demanda-t-il. Il avait à la fois envie que l'autre nain lui réponde "oui", de ce fait, ils pourraient rapidement rentrer en contact avec l'hermitte mais aussi à la fois "non" car cela aurait voulu dire que les deux amis auraient pu se faire piéger bêtement par Ivaldi ... Ce qui était sûr, c'est que Barbelune tout en attendant la réponse de son interlocuteur scrutait attentivement chaque butte, chaque buisson, du plus mince au plus feuillu, les quelques arbres qui les entouraient en espérant riposter à toute éventuelle embuscade.

"Non! avait répondu Menzahar. Non, la demeure d'Ivaldi n'est plus éloignée du tout, je pense. Elle doit même être très proche: nous somme du côté Ouest des Montagnes Bleues, où bien peu de Nains vont séjourner. Si le brouillard était moins opaque, nous pourrions, je pense, apercevoir la grande Mer."

En effet, le sens de l'orientation n'avait pas quitté le brave Nain. Tout comme Bardelune, il demeura vigilant, ouvrant l'oeil et jetant des regards inquisiteurs en direction de ce qui les entouraient: rochers, arbres rabougris, irrégularités du terrain. La brume empêchait quelque peu la visibilité...

"Mais... on dit que cet orfèvre a des yeux de lynx. Je ne serais pas étonné qu'il soit en train de nous épier alors que nous ne pouvons pas le voir. Toutefois, je préfère que ce soit lui que tout autre: être pris dans une embuscade et dérobés par les Gobelins ne me dit rien qui vaille. Continuons!"

Et ils continuèrent. Mais ils n'eurent pas à aller bien loin pour découvrir ce qu'ils cherchaient: une grotte pofonde était creusée dans le flanc de la montagne. De chaque côté, une grande pierre levée.

"Mais oui, ça y est, nous y sommes! Rappelez-vous ce qu'avait dit mon frère, à Tronjheim: suivez les grandes pierres. Nous voici au seuil de la demeure d'Ivaldi. Entrez, mon ami, je vous en prie."

A l'intérieur, tout ne semblait qu'obscurité et ténèbres.

Barbelune s'avanca fièrement le premier dans la pièce sombre, elle n'était pas bien grande, les plafonds étaient indescriptibles, rapidement les conclusions qu'avait fait le nain cassèrent le silence qui rythmait ce lieu, fût-il oublié :
"Il n'y a vraiment rien à redire, nous sommes bien chez Ivaldi !"accompagna-t-il d'un rire étouffé. Son ami le regarda d'un air singulier attendant quelques explications qu'il donna peu de temps après :
"Eh bien oui ! Vous aviez raison, nous sommes chez l'orfèvre, vous savez, les gens qui s'isolent. On ne s'attend pas à visiter une belle maison avec des armes de belles factures, de la lumière, des trésors de guerre ... Cela dit, si cet "Ivaldi" en question n'est pas ici, je vous propose que nous poursuivions notre recherche en entrant par cette porte en bois massif." L'oeil du nain vut juste, une silhouette plus claire se détachait dans les épaisses ténèbres. Barukzigil Tuhúrka tournait en rond, examinant chaque recoin de la pièce en faisant croire qu'il arrivait à voir comme s'il faisait jour ...

Ils ouvrirent donc la porte de bois et entrèrent dans le corridor qui s'étendait au-delà, puis continuèrent à évoluer dans les ténèbres du lieu. Ils marchèrent un certain temps à tâtons, se heurtant les pieds aux irrégularités du sol et se cognant parfois contre les parois du tunnel: de fait, celui-ci n'était point rectiligne, mais ondulait comme un serpent, s'enfonçant de plus en plus dans les profondeurs.

Au bout de quelques minutes, Bardelune et Menzahar virent une chose qui leur manquait cruellement: la lumière. Oh! Ce n'était pas un bien grand feu, mais une petite torche était accrochée au mur à l'aide d'un cercle d'acier.

Ils durent encore passer le tournant pour trouver le Nain qu'ils cherchaient:


Ivaldi Barâk-Gazik, sans doute le plus grand Orfèvre nain de son temps. Des pierres précieuses et autres objets ou métaux brillaient de tous feux autour de lui, disposés sur des étagères ou des tables basses.

"Pour quelle raison deux Nains viennent-ils déranger le travail d'Ivaldi?" fit-il d'une voix gutturale en parlant de lui-même à la troisième personne.


L'irritabilité qui lui était devenue légendaire n'était donc pas infondée. Il aimait la solitude et détestait être perturbé dans son travail. Mais Bardelune n'avait pas le choix: il fallait le convaincre d'accéder à sa requête.