Daeron manigançait quelque chose ou bien le vieux fou lui vouait une attention qu’il n’avait jamais attendue. Il posa la main contre sa veste pour être certain que la lettre se trouvait toujours dans sa poche intérieure. Un illustre inconnu était sur ses pas et il avait fait rapidement le lien entre l’arrivée de Baudouin, la lettre et ce jeune homme peu discret qui le suivait depuis la Maison des Contes et des Légendes. Ses traits lui disaient quelque chose, mais il avait peu mis les pieds dans la grande bâtisse ces derniers temps et il ne connaissait pas les nouveaux venus.
Il bifurqua dans une petite rue entre des étales vides de légumes et de fruits. Les volets clos laissaient filtrer des raies de lumières, promesses de douceur et de chaleur. Dehors le froid et le vent lui fouettaient le visage. Il resserra sa cape autour de lui et tint plus fermement son bâton de marche. Celui-ci pourrait toujours lui servir pour effrayer son poursuivant, tenace, mais qui ne manifestait aucun signe d’expérience dans l’art de filer une cible. Les grandes allées étaient vides dès les premières heures de la nuit et il ne pouvait espérer à présent se perdre dans la foule. Il lui fallait prendre de vitesse ce chasseur.
Il accéléra le pas et prit tous les raccourcis qu’il connaissait pour rejoindre les étages supérieurs de la Cité. Mais son poursuivant tenait bon. «
Quelle crevure, pensa-t-il. » Il parvint au sommet de la Cité, à proximité des grandes portes menant au Palais. Cependant il ne s’approcha par des gardes ni plus des soldats qui faisaient leur ronde nocturne. Il prit la direction des portes des cuisines, de moindres importances et à l’accès moins réglementé. Un garde en faction menait la garde et le dévisagea d’un regard sévère et hautain. L’idée n’était peut-être pas bonne après tout, celui-ci ne paraissait pas très enclin à accepter un pot de vin.
- Qui êtes-vous, ombre dans la nuit ? Les poivreaux ne bénéficient pas de ma pitié et les mendiants ne sont pas les bienvenus ici.
- Alors vous serez heureux d’apprendre que je ne suis ni l’un ni l’autre soldat. Je me nomme Sangar, marchant de bovin. Je dois négocier avec le cuisiner des lieux quelques pièces de viandes pour les prochains repas des occupants du Palais.
- Le Roy et l’Intendant son absents. A qui appartient l’estomac dont se préoccupe le Grand Cuisinier ?
- Aux seigneurs qui ne sont pas partis en Rohan, aux proches du Roi et aux soldats, bien évidemment…Le garde eut un regard suspicieux et ne prononça mot pendant quelques secondes. Lui faudrait-il trouver une autre issue pour pénétrer discrètement dans le Palais ? Il lui faudrait prendre du temps ultérieurement pour découvrir quelques passages plus secrets et moins fréquentés. Trouver sans cesse des excuses le lassait quelque peu.
- Combien de jours aurons-nous de la viande ?Après un silence un peu pesant les yeux du soldat s’était éclairés dans la nuit. Ses mots avaient fait leur petit chemin dans l’esprit du garde et il commençait à voir l’intérêt qu’il pouvait y avoir à laisser entrer un marchand de bovin dans une salle de cuisine.
- Ma viande se conserve bien et selon les vœux du cuisiner il doit y en avoir pour les quatre jours à venir. Et selon ses dires, il prendrait commande ensuite pour de la viande de mouton et même d’agneau s’il trouve vendeur.Le froid et la faim constataient fortement avec les paroles pleines de promesses qu’il prononçait. Le garde se laissa amadouer en imaginant ses prochaines orgies. S’il en était …
- Je garde votre nom et votre visage en mémoire et vous laisse entrer par cette porte. Si jamais vous vous avisez de me tromper, soyez sûr que plus jamais vous ne reverrez la lumière du jour, ombre dans la nuit.
- Bien évidemment.Il vit le garde se pousser pour le laisser passer et il pénétra dans les cuisines du Palais, bien loin des Grandes Portes et des fioritures royales. Quoi que … Une fois à l’intérieur ses narines s’emplirent de dizaines de fumets différents. Le tintement des louches sur les grandes marmites éveillèrent en lui un nouvel appétit. Il ne demeura pas longtemps pourtant en ce Valinor gastronomique et quitta rapidement la place.
***
Dans les couloirs du Palais il lui faudrait retrouver maintenant le dernier lieu où il avait rencontré Gilgamesh. Une fourmi dans un labyrinthe de géant. Il avait cette sensation d’être toujours perdu au milieu de nulle part entre ces murs. Il chercha un lieu calme et peu fréquenté pour s’arrêter quelques minutes à la lueur d’une flamme. Il s’apprêtait à donner une lettre à Gilgamesh sans même l’avoir lu alors qu’elle lui était personnellement destinée. Prendre cinq minutes pour lire à l’abri des regards indiscrets une telle lettre ne serait pas du temps perdu. Il trouva après quelques détours une petite cour intérieur où deux jeunes seigneurs fumaient la pipe en discutant de futures cargaisons de … il n’avait pu saisir de quel type de marchandise il s’agissait. Son arrivée les fit fuir.
« Tant mieux, allez voir ailleurs, seigneurs de pacotilles, aux poches plus pleines que votre crâne. »Il posa l’épaule contre un mur proche d’une torche pour lire rapidement les mots de Daeron.
Très cher maître Sangar,
Je me souviens encore du dernier repas que nous avons pris ensemble vous et moi. De la viande de qualité et des vins parfumés à en faire pâlir les souverains du Rohan.
Mais les nouvelles du Rohan sont à présent inquiétantes. Je vous les transmets dans l’espoir de vous voir revenir au pays et de considérer la chose par vous-même.
Notre défunt roi Thénéor, eut-il pu participer à son propre enterrement qu’il serait mort une seconde fois. Femmes et chevaux ont été bannis des nouvelles traditions imposées par le roi Hogorwen. De nouveaux uniformes ont été imposés. Les chants eux-mêmes ont été proscrits de la cérémonie. Cependant il semble que le Champion du Rohan se soit opposé à son souverain lors de la cérémonie. Des combats s’en sont suivis. Le père de la femme du Champion serait mort.
Réjouissons-nous pour Thénéor, et pleurons pour le peuple du Rohan, car Dame Cella a elle aussi rejoint le tertre de ses ancêtres. Dans quelles circonstances, je ne puis le dire.
D’autres blessés sont arrivés en les murs de Méduseld. Et beaucoup de morts sont restés hors les murs, sans sépulture. Pourquoi tant de sang ? Mes questions demeurent sans réponse. Mais il est dit par ici qu’un proche du roi de ton pays a disparu, peut-être enlevé. Il est certain en tout cas que les soldats du Riddermark et du Gondor ont combattu ensemble un ennemi commun.
A leur retour un grand seigneur a déposé les armes auprès d’un gradé de ta région. M dit qu’il est « maître de la Cité de Bard le tueur de dragon ».
Nor. Il ne prit pas le temps de lire une seconde fois la lettre, de crainte d’être surpris pas un curieux. Il quitta la cour intérieure et regagna calmement les couloirs du Palais en espérant que Gilgamesh le trouve, comme de coutume.
#Daeron