Une transaction douteuse

Le vent souffle, siffle, soulevant les feuilles mortes, s'attaquant aux arbres séniles avec un désir vicieux de les briser, les pousser vers la terre.
Ici, dans la vallée de Caradhras, le vent ne s'arrête jamais. C'est l'automne, et le soleil n'a plus assez de force pour lutter contre le souffle glacial.

Trois chariots, tirés par des mules. Autour d'eux, une quinzaine de silhouettes armées. Des nains. Leurs barbes sont tressées, leurs cottes de maille arrivent jusqu'aux genoux. Des larges épées courtes et des haches brillent dangereusement dans leurs mains. Larges d'épaules, les sourcils froncés, ils ont l'air de guerriers redoutables et féroces.

En face, une vingtaine d'hommes. Ils sont vêtus en noir et en blanc, et armés, eux aussi, jusqu'aux dents. A leur tête se trouve un homme de taille moyenne, des cicatrices recouvrent son visage barbu. Deux glaives pendent à sa ceinture, les fourreaux disparaissent dans les profondeurs de sa cape usée.

Il s'avance, et s'arrête en face du chef des nains, dont l'armure et la lourde ceinture d'or montrent sa richesse et son statut.

Malgré l'armement semblable à celui des guerriers des Collines de Fer, lorsque le nain prend la parole, ses origines du Khazad Dum se font entendre dans sa voix.

-Nous vous avons amené ce que vous demandiez. A votre tour de respecter votre partie du contrat, humain.

L'homme barbu s'approche d'un des chariots, et regarde sous le tissu lourd qui dissimule son contenu. Satisfait du résultat de l'inspection, il revient dans la direction du nain, et lui répond:

-Très bien. Je vous laisserai un de mes hommes. Il vous guidera la où il faut.

Le nain acquiesce d'un hochement de la tête, mais ses yeux restes méfiants. Ses compagnons tiennent leur armes en main.

L'homme barbu sourit, dévoilant ses dents dans une grimace de prédateur, et fouille pendant un instant dans sa poche.

Il en sort un petit objet difforme, et le jette dans la direction du nain. Un rayon de soleil se reflète momentanément dans celui ci. Le nain l'attrape avec agilité, ses doigts jouant avec la texture, appréciant la légèreté de l'objet. Il finit par le glisser avec soin dans sa bourse.

Les deux groupes se quittent sans un mot, les hommes repartent avec les chariots, les nains repartent avec un des hommes.

Bientôt, plus que le vent reste dans la vallée, laissé à nouveau à sa lutte contre les arbres séniles...

Les humains marchaient d'un pas alerte, l'œil aux aguets, leurs mains machinalement nouées autour de leurs armes. Ils guettaient les dangers, sauvages et doués de raison. La région n'était pas sûre par ici, les touffes rachitiques de buissons transis par le froids qui défiaient les voyageurs de leurs épines effilées, ces buissons noirs et sombres que le vent transperçait, ces buissons comme des boules furieusement rondes, ces buissons, inquiétants, donc, armée de squelettes qui s'accrochaient passionnément au sol mort, pouvaient dissimuler nombre de dangers. L'absence de reliefs était un avantage et un inconvénient : si une troupe hostile pouvait ainsi facilement être repérée au nuage de poussière qu'elle ne manquerait pas de réveiller, c'était cette même fine poussière qui révélait la présence du convoi à qui le voulait. C'était inquiétant.

Car ils cultivaient le secret, et une partie de ce secret reposait sous la lourde bâche de tissu épais, là, dans les chariots, et murirait encore quelques jours avant de voir la lumière terne du jour.

Là, juste là, de petites merveilles de fabrication Naine, que quelques rares privilégiés pourraient porter. Et peut-être, ainsi parés, ils pourraient aller remercier leurs bienfaiteurs d'une attention bien aiguisée qui leur irait droit au coeur.


"C'est encore loin? bougonna le nain à la ceinture d'or?

-Non", répondit simplement leur guide.

En effet, ce n'était plus très loin. Sur le sentier approximatif, leurs pieds glissant sur les pierres, ils marchèrent encore une cinquantaine de mètres, avant que le sentier ne s'arrête sous leur pieds, déchiré par un éboulement récent. Le groupe contempla quelques secondes la plaie béante qui s'ouvrait dans le flanc généreux de la montagne, et tous remarquèrent les précaires installations minières. On avait creusé la montagne, et un boyau s'enfonçait en son sein.

Le groupe gagna l'ouverture et inspecta l'installation. Mais le nain à la ceinture d'or savait cette démarche pure formalité : dès qu'il avait vu la meurtrissure encore à vif qui saignait encore sa terre et ses rochers, il avait su que les Humains n'avait pas menti.

Il L'avait senti, il lui semblait déjà Le voir et Le toucher. La richesse et la gloire de son peuple, là, à portée de pioche. Et déjà, il se délectait de frapper la pierre, de sentir la sueur, avec toute sa rage et son amour. Pour Le tenir dans sa main et encore une fois s'étonner de Sa légèreté, et pour enfin, surtout, Le façonner.