Cärmallen Beraid, les secrets de la tour à la clé d'or

Le vieux vagabond, à l’air aussi harassé qu’exténué, qui se trouvait devant les portes joliment ouvragées de Cärmallen Beraid était d’une parfaite incongruité avec la beauté épanouie qu’affichait la tour.  Il se dressait pourtant devant celle-ci avec une attitude assurée, comme si il était résolu à y entrer.  Le jardinier, un brave homme assidu et acharné à la tâche, releva les yeux de son travail le temps d’adresser quelques mots à cet étrange visiteur :

-Je ne sais pas qui vous êtes, ni d’où vous venez, mais je vous recommande de ne pas trop fortement espérer entrer dans la tour.  Les rares gens qui se trouve à l’intérieur ne laisse entrer que ceux détenant une autorisation spéciale.  Cette tour a été faite par les anciens et il est absolument impossible d’y entrer si on ne l’ouvre pas de l’intérieur.

Le vagabond lui répondit alors spontanément :

-On ne peut pas l’ouvrir avec la clé d’or?  Comme l’insinue le nom de la tour.

-Se serait bien étonnant de voir cela!  On n’a pas revu la clé de la tour depuis fort longtemps.  Personnellement, je ne l’ai même jamais vu de mes propres yeux.  C’est d’ailleurs pour cette raison que quelqu’un doit rester à l’intérieur en permanence, autrement on ne pourrait plus y entrer par la suite!

Le vagabond remercia le jardinier d’un petit signe de sa main libre, l’autre enserrant un bâton de marche sur lequel il s’appuyait lourdement.  Puis, le vieil homme farfouilla dans ses nombreuses poches à la recherche d’un objet qui ne lui avait jamais servi jusqu’alors.  Mettant finalement la main sur l’objet métallique qu’il convoitait, il s’avança dans la petite entrée et gravit les quelques marches qui menaient au petit balcon surplombant le terrain de jeu du jardinier.

Il tenait dans sa main une clef entièrement faite d’or, portant des symboles elfiques venant de Valinor.  Il la laissa glissée avec douceur dans la serrure à laquelle elle s’ajustait parfaitement et dans un déclic aussi bref que ténu, l’elfe comprit que la clef était entièrement enfoncée et il la fit tourner avec la même douceur, comme si chaque geste était calculée, savourée.  Les entrelacs de métal qui tissait la porte se mirent alors à scintiller de plus en plus intensément, gagnant par la suite l’ensemble de la tour qui semblait éclairé d’un soleil radieux des mois d’été, alors que la journée était maussade et grisonnante.

Le jardinier releva à nouveau les yeux de son fastidieux travail et regarda, ébahi, la tour briller d’une flamme nouvelle.  Si le vieux voyageur avait porté attention, il aurait également vu un grand nombre de marins et de passant porter le regard sur la paisible tour à l’ombre de laquelle ils se trouvaient.  Mais il n’en eut pas conscience, déjà ses pas l’avaient menés à l’intérieur de l’édifice qu’il n’avait que trop longtemps espéré visiter.

#Finrodel

Le temps s’égrenait toujours au même rythme, après tout, c’était une loi immuable, mais dans le tour à la clé d’or, le vieux vagabond n’en avait plus conscience. Partout où se posait son regard, des merveilles de connaissance s’offrait à lui et irrésistiblement il s’en saisissait pour mieux les comprendre et les assimiler. Cärmallen Beraid, étant l’une des tours d’Ellostirion dans l’ancien fief de Cirdan, le charpentier, était devenu l’un des bastions de l’érudition des Eldars. Toutes les embarcations en provenance de Valinor et même la plupart de celle de Nùmenor étaient passées par le port de la Lune. Ainsi, que ce soit par les documents de gens exilés ou par les notes de gens de Cirdan, Cärmallen Beraid est devenu l’endroit de la Terre du Milieu où l’on retrouve le plus d’informations sur les connaissances antiques des elfes et des hommes.

Et c’était justement là les plus grandes lacunes de Finrodel sur l’histoire d’Arda, lui qui n’est qu’un Moriquendi, il n’a jamais mis les pieds en Valinor et n’a capté que de bien faibles échos de sa gloire et des connaissances qui y ont été recueilli. Il baignait donc dans un rêve éveillé, inconscient du temps qui coulait inexorablement autour de lui, n’en ayant cure d’ailleurs. Mais une chose, une seule, à toujours suscitée d’avantage d’intérêt chez le vieil elfe que les connaissances qu’il acquérait ici. Cette chose, c’est de découvrir et de comprendre le monde par ces propres yeux, il ne se nommait pas vagabond de métier par pure fantaisie après tout! Et après près d’un an passé enfermé dans sa belle d’or aux teintes dorées, le besoin de grand air devint plus poignant que celui de connaissance.

Alors que les jours frais succédaient lentement aux journées chaudes de l’été, Finrodel comprit que son temps en Cärmallen Beraid s’achevait et il prépara son paquetage plusieurs jours à l’avance, prenant à la dérobée chaque moment de répit pour revoir toutes les choses qui allaient tant lui manquer. Puis, un beau matin, alors que le fruit de Laurelin n’était encore qu’une pale lueur à l’horizon, la tour perdit son occupant et celui-ci se demanda si il aurait jamais la chance de réutiliser un jour la magnifique clé d’or qui y donnait accès. L’air était frais et vif donnant des ailes au vieux voyageur, mais il voulait absolument passer par le port, prendre des nouvelles de son Seigneur et sa Dame avant de laisser ses pas le guider. Il prit donc la direction des Havres Gris.