Le triste destin des Elfes

L'expédition se préparait. Les domestiques s'affairaient, empaquetant les dernières affaires qui serait nécessaires pour le long voyage qui s'annonçait. L'activité était frénétique mais tendue. Dans cette maison, la tension était chose courante. Nul n'était jamais à l'aise en ces lieux. Car il s'agissait tout simplement de la demeure d'Elarinya, la redoutable ambassadrice. Celle que chacun redoutait, sauf les plus puissants et les plus sages. Ses colères phénoménales et ses crises d'orgueil et de mégalomanie étaient connues de tous. Mais aujourd'hui était un jour spéciale, car elle partait.

Assise dans un coin, la tête cachée dans l'ombre, surveillant d'un œil las les préparatifs de son voyage, Elarinya pensait. Ou tout du moins donnait-elle cette impression. En réalité, son esprit était vide.

Depuis l'expédition aux Havres, quelque chose s'était éteint en elle. Elle avait été complètement perdue. Toutes ses certitudes s'étaient écroulées. Alors qu'elle semblait diriger les opérations, un simple soldat sans envergure avait mené les affaires, et l'avis de l'ambassadrice, pourtant bien plus important lui semblait-elle, n'avait plus eu voix au chapitre.

Comment cela avait-il pu arriver? Comment se pouvait-il qu'on la dénigra à ce point au profit d'un moins que rien? Valait-elle encore quelque chose? Avait-elle encore tout simplement sa place en ce monde?

C'est finalement la réponse à la dernière question qu'elle pensait avoir trouvé. Non. Elle n'avait plus sa place ici. Elle n'avait plus rien à faire sur ces Terres. C'est ce que les Elfes se disaient de plus en plus de nos jours, et un à un, ils quittaient les Terres du Milieu pour rejoindre Valinor. Le tour d'Elarinya était venu.

Elle repartait vers les Havres, mais cette fois, elle ne reviendrait pas.

Tout était fin près, ne manquait plus que l'escorte qui devait l'accompagner pendant son ultime voyage.

Le soleil ascendant venait de franchir la bordure des montagnes proches. La lumière matinale était douce, et filtrait par intermittence, son intensité variant au gré des nuages élancés qui glissaient dans les cieux. Elle venait couronner la cime des bois surplombant la cité elfique qui dominait la Bruinen. Aucune oreille humaine ou elfique ne pouvait demeurer insensible au doux murmure de la rivière, de même que les yeux restaient subjugués par la puissance des eaux qui formaient de majestueuses cascades.

C’était ce spectacle qui ravissait Hellebron, encore embrumé par sa nuit en ce lieu magique. Les bras posés sur le rebord d’un promontoire, il contemplait la vallée de Fondcombe, que son peuple nommait Imladris. Pour l’heure, la lumière céleste n’avait pas encore réveillé la plupart des résidants de la Dernière Maison Simple. Il était vraiment tôt, pourtant, l’elfe savait déjà qu’il avait tord de s’attarder comme il le faisait. Il avait perçu dés l’aube l’agitation d’un départ se rependre dans les palais de marbre, bien que ces préparatifs fût enveloppé d’un voile de discrétion, presque de secret. Cette façon de procéder l’avait emplit d’un note de méfiance, mais également d’une curiosité infiniment plus grande.

Il avait hâte d’entreprendre ce nouveau voyage.

Gravant dans sa mémoire cette dernière vision de Fondcombe, Hellebron se détourna du paysage et emprunta les chemins harmonieux où il était si bon de se promener. Il finit par se détacher de tant de magnificence et se détourna vers le centre de la cité, pleinement conscient que l’escalier immaculé qu’il gravissait était le même qu’avait jadis emprunté Elrond lui-même. Un frisson délicieux lui traversa l’échine, nullement né de la fraîcheur du matin, mais bien d’excitation et d’anticipation. Il joua avec ses pensées jusqu’à ce que toute trace susceptible de trahir ses émotions ait déserté son visage. Le peu qu’il avait appris au sujet de la personne qu’il devrait escorter l’avait incité à rassembler le minimum de sérieux dont il était capable.

Une pensée amusante lui vint : la célèbre Elarinya, plainte par les uns pour son mal-de-vivre, et
détestée des autres pour son supposé délire des grandeurs, ne serait-elle pas l’épreuve principale de cette mission ?

Hellebron s’efforça de tuer dans l’œuf un sourire moqueur. Mieux valait éviter de tenter le sort, et se satisfaire des seuls dangers que recelait la route d’ici aux Havres Gris. Ce serait, sans doute aucun, largement suffisant.

Il franchit une arche dorée à la feuille d’or, balaya du regard la dizaine de serviteurs qui s’affairaient à déplacer d’innombrables bagages et à ranger ensuite. Un tel étalage de luxe éveilla en lui des sentiments contradictoires. D’un côté, il trouvait tout ces biens parfaitement inutiles, car tout ce dont il avait besoin, il le transportait avec lui sans avoir besoin de quiconque. De l’autre, cela attisa sa jalousie, et lui rappela également la qualité du propriétaire d’une telle fortune.
Hellebron fendit la foule, cherchant du regard où pouvait bien se trouver son employeuse. Il n’eut pas à chercher longtemps. Un autre que lui se serait peut-être sentit perdu au milieu d’un pareil chaos, mais la chance lui sourit bien vite. Celle qu’il cherchait s’était tapie dans le recoin le plus sombre de l’antichambre, mais l’obscurité n’avait que peu de mystères pour un Sindar. Il s’arrêta à moins de cinq pas d’elle, attendant l’instant fatidique où elle le dévisagerait. Ses traits étaient plongés dans le noir. La flagrance de son parfum, légère et inconnu, irrita les sens d’Hellebron par sa simple perfection.

Agacé, voyant qu’elle ne réagissait pas à son arrivée, il se força à prendre son ton le plus humble, toussota pour attirer son attention, puis commença ainsi :

‘Dame Elarinya’ dit-il en esquissant une révérence d’une maladresse feinte, ‘je suis Hellebron, venu me placer à votre service, ainsi que le présentaient les termes de votre annonce.’

Elarinya ne releva pas même un cil, et encore moins la tête, quand le soldat de l'escorte vint s'adresser à elle. Vraisemblablement, il ne la connaissait pas. Nul être de si peu d'importance qu'un vulgaire guerrier ne s'adressait directement à elle sans y avoir été invité. Quiconque avait déjà rencontrait l'Ambassadrice l'avait appris douloureusement. Certains dans la pièce sentirent que la foudre allait s'abattre sur le malheureux. C'est ce qui se passait toujours face à tant de culot et d'aplomb.

Mais Elarinya ne dit rien. Elle ne fronça pas les sourcils, mais ferma les yeux, ses longs cils s'entrecroisant. Elle inspira, comme pour prendre un élan avant de déverser sa fureur, mais la seule chose qui se leva fut son bras. D'un geste lent, ses longs doigts délicats indiquèrent au soldat d'aller se placer près des chevaux, et des autres soldats qui arrivaient à l'instant, et qui avaient eu la prudence de ne pas venir importuner la diplomate.

Quand Hellebron eu rejoint ses compagnons, Elarinya se leva avec grâce, mais chacun de ses gestes transpiraient la tristesse. On aurait dit qu'elle se levait pour la première fois depuis des mois, comme sortant d'une longue paralysie. Elle avança vers son destrier, la tête basse, ne regardant pas une seule fois cette demeure qui n'était plus la sienne désormais, pour la première fois depuis des siècles.

Une simple phrase, et tous se dépêchèrent d'empaqueter les dernières affaires qui trainaient.

"Nous partons"

Il fallut tout le sang-froid dont disposait Hellebron pour qu’il garde son calme. Mais en dépit de sa maîtrise de lui-même, le déni d’Elarinya l’avait vexé plus qu’il ne voulait bien l’avouer. Son irritation s’estompa lorsqu’il s’aperçu que sa main était inconsciemment venu caresser le manche de sa dague. Il se lança une malédiction silencieuse. Le voyage n’avait pas débuté qu’il avait déjà commis un impair.

De profondes respirations lui apportèrent la paix, bien que la colère qu’il ressentait n’ait pas disparu. Elle était, comme beaucoup d’autres émotions, mise entre parenthèse et relégués dans un coin de son esprit, attendant son bon vouloir pour resurgir. Ce n’était pas un exercice facile que de contrôler ses pensées, mais l’art demandait toujours du temps, un temps incompressible.

L’elfe allait rejoindre les guerriers de l’escorte, ainsi qu’Elarinya lui avait signifié avec tant de désintérêt. Il jugea ses pairs en quelque regard, avant de comprendre à quel point ce terme relevait de la perversité de langage. Il ne lui ressemblait en rien et, hormis l’allure de deux d’entre eux, aucun ne lui rappela les Sindars. Rien d’étonnant. Qui parmi les guerriers de son peuple auraient arboré des tenus aussi lumineuse, ou des bracelets aussi éclatants ? Ils étaient synonymes d’une richesse inconnue pour Hellebron. Son opinion sur ces elfes était déjà faite. Des guerriers loyaux, probablement prêt à se battre et à mourir, mais tellement différent de lui. Ils comptaient au nombre de ceux qui se battaient au grand jour. Ce n’était pas des chasseurs.

L’avant-garde attendit patiemment que les préparatifs se terminent. Même Hellebron semblait devenu patient. Ils patientaient sous un dôme de verre coloré, mauve et jaune, dans une salle circulaire assez grande pour que les chevaux s’alignent sans se bousculer. Hellebron jetait de fréquents coups d’œil soupçonneux aux animaux. Même s’il aurait pu déclencher un duel à qui l’aurait accusé de la sorte, il se savait être un cavalier très moyen. Il retint un soupir, espérant que ce ‘détail’ n’allait pas affecter sa mission outre mesure.

"Nous partons" déclara finalement Elarinya.

Hellebron suivit alors le mouvement, se demandant s’il devait enfourcher dés maintenant la monture qui lui était réservé. Manifestement, car les elfes autour de lui ne le faisait pas. Il devina que la compagnie attendrait d’avoir quitté Fondcombe, sans doute à la recherche d’une piste dégagé et où l’ordre de progression serait définie.