La douce complainte de l’arnaqueur.

La journée était belle et douce, sans aucun nuage à l’horizon. L’esprit de Gildon batifolait tranquillement tandis qu’Entourloupe, sa vieille jument, avançait péniblement sur la route de terre battue, le chariot derrière elle. Sa destination n’était plus bien loin et cela lui convenait parfaitement, les contacts humains étant devenus bien rarissimes dernièrement. Le plan était simple : une fois arrivé au petit village, comme à l’habitude, il déballerait son matériel et installerait son étal bien en vue, préférablement sur la place centrale. Avec l’expérience, les remords avaient disparus. En effet, l’intelligent hobbit ne concevait aucun arrière pensé de ses ventes plutôt… tordues. Par ce fait même, il ne revenait presque jamais vendre sa marchandise à un endroit où il était déjà passé auparavant, les… clients devenant souvent hargneux après avoir réalisé l’énormité de la chose. Selon Gildon, ce n’était que de la mauvaise fois, tandis que pour ses partenaires d’affaires, cela s’apparentait plutôt à du vol pur et dur. Malgré tout, l’énergique petit homme persistait, puisque le commerce lui rapportait tout de même de quoi vivre.

L’après-midi était déjà bien entamée lorsqu’il arriva enfin à destination. À première vue, les habitants semblaient sympathiques… Et profondément stupides, ce qui, pour les affaires, se révélait souvent très rentable. Il déplia son étal, sortit quelques fioles, et partit sur sa lancée habituelle, tandis que les enfants, curieux, l’observaient en riant. En effet, il était rare que Gildon dépasse l’un d’eux par la taille.

Venez, venez mes amis! Bienvenue à vous! Oui, approchez, n’ayez craintes! Par ici, ma p’tite dame, vous ne le regretterez pas!

Voyant qu’il avait capté l’attention de quelques futures cibles, il s’éclaircit la gorge, offrit son plus beau sourire et débita son discours régulier.

Venu de par delà les montagnes et les vallées, par delà les plaines et les dangers, et ce, spécialement pour vous, braves hommes et gentes dames, voici l’élixir Feuilledechou! Ce remède miraculeux, selon votre choix, guérira tous vos maux, rafraichira votre haleine et vous donnera femmes et richesse. Non, non, ne soyez pas sceptiques! Voyez par vous même! Monsieur, oui vous : approchez. Regardez tous, je ne le referai pas!
Ce numéro était spécialement réservé aux foules les plus stupides. Il était simple et efficace, mais les résultats, du côté vente, s’en trouvaient souvent améliorés.

Aujourd’hui, vous aurez l’incroyable chance de consommer l’élixir de fortune! C’est plutôt simple, voyez par vous-même : vous n’avez qu’a boire tout le contenu de cette petite fiole.

Une fois que ce fut fait, Gildon enchaîna avec la partie la plus risquée du numéro.

Maintenant, ouvrez votre bourse, et regardez à l’intérieur. Dites mois ce que vous y voyez…

L’homme, hésitant, dit :

Eh bien, j’y vois quelques pièces d’or, sans pl…

Gildon le coupa et s’écria alors :

Et voilà! N’est ce pas incroyable! Après avoir consommé l’incroyable élixir Feuilledechou, notre sympathique testeur se retrouve maintenant riche! Alors, vous voulez vous aussi profiter de cette aubaine sans précédents? C’est maintenant ou jamais!

Bien que les cerveaux plutôt lents des paysans commençaient à percevoir une certaine arnaque dans la chose même, leurs corps, motivés par la promesse d’une vie meilleure, se dépêchèrent d’acheter l’élixir magique. Gildon, heureux du succès de son numéro, se confondait en explications, calculs de prix et félicitations. Tout semblait aller pour le mieux et Gildon songeait même qu’il pourrait prendre congé le lendemain, lorsqu’un homme de forte carrure sortit de la foule et, grimpant sur le petit chariot, s’adressa à celle-ci :

Honnête gens! C’est plus que le hasard qui me conduit chez vous aujourd’hui, car j’ai à vous révéler une imposture! Ce voleur, au visage enfantin, cache de bien sombre desseins! En effet, il y a quelques jours, il est passé par mon village et nous a escroqué! Tout son numéro n’est qu’entourloupe, car la seule chose que sa camelote à accomplit, c’est bien de nous rendre tous malade! Je demande qu’on pende cet imposteur!

Affolé, le hobbit essaya de réfuter les dires de l’homme, mais la foule, motivée au maximum, devint agressive et Gildon, reconnaissant une cause perdue, s’empressa de sauter sur son chariot. Mais s’était peine perdue, et il fut attrapé de toutes part et maitrisé. Hurlant à tue tête, il ne pouvait rien faire contre cette masse enragée. Croyant son heure venue, il leva les yeux vers le ciel azur et regretta amèrement la force qui l’avait amené ici. Vraiment, c’était trop absurde, de finir comme cela…