Est-ce bien vrai?

L'homme entra dans l'auberge, le front vrillé d'inquiétude. Il survola rapidement la pièce chargée de fumée, repéra une table inoccupée et s'y installa. Comme si un long voyage avait épuisé toutes ses forces, il s'affala lamentablement sur la chaise en bois dans un soupir d'épuisement. Péniblement, il se débarrassa de la sacoche qui pendait à son épaule, puis fit signe au tavernier, lui passant commande en montrant la chope que buvait un client deux tables plus loin. Sans un mot, le regard vide, il attendit d'être servi. Il avait cet air livide, fermé, qu'ont les gens soucieux. Mais lui, son soucis paraissait être de taille. Lorsque sa bière arriva, il ne prit même pas la peine d'admirer la ravissante serveuse, aveugle aux regards stupides que beaucoup de buveurs portaient sur la généreuse poitrine de la jeune femme. Lui se contenta de lui tendre quelques pièces et de porter sa main vers l'anse de sa chope, l’œil toujours fixe.

"Non mais regardez-moi ces benêts. Tout ce qui les intéresse, c'est de commander le plus souvent pour avoir une chance de tâter d'un peu plus prêt la petite. Ils sont complètement obnubilés, de purs crétins, moi je vous le dis!"

La voix venait de derrière. L'homme se retourna et examina celui qui venait de l'interpeler. C'était un individu impressionnant. Pas très loin des deux mètres, sa musculature inhumaine rendait minuscule tout ce qu'il touchait. Néanmoins il n'avait rien des brutes stupides qui peuplaient l'auberge. Pas une once de graisse, pas de gestes brusques, mais des mouvements précis et mesurés. Un plastron de cuir bouilli recouvrait son torse, et une épée pendait dans son dos (c'était d'ailleurs peut-être pour cela qu'il s'était assis à l'envers sur sa chaise, le dossier face à lui), d'évidence prête à être dégainée .

L'homme n'eut pas une seconde d'hésitation. Son interlocuteur avait tout d'un escrimeur redoutable.

" Oui, de purs crétins. Gedd, pour vous servir.

-Esthan"

Pendant une minute, ni l'un ni l'autre ne parlèrent. Comme Gedd ne semblait pas se gêner d'un tel silence, le colosse prit l'initiative de briser la glace.

"Excusez-moi si je vous dérange, mais vous paraissez soucieux. On a pas l'habitude de voir des gens sérieux comme vous, ici."

L'autre le regarda sans ciller, toujours impassible, pour finalement se détendre en un long soupir.

"Excusez mon impolitesse. Oui, en effet, ma conscience me tourmente. Enfin... pas vraiment. C'est juste que... Quelqu'un que je connais a des problèmes. Mais je ne vais pas vous..."

Il s'arrêta, resta interdit quelques secondes, puis secoua la tête, un rire nerveux collé aux lèvres.

"Si, bien sûr, vous devez la connaitre. Il s'agit de la jeune Sorge...

Silka!!??"

Il avait presque crié. Des regards curieux se tournèrent vers eux, mais la conversations reprirent rapidement leur cours.

"Oui, Silka. Vous la connaissez bien?

-Je... Non. Je ne sais pas si il y en a qui la connaissent bien. Mais oui, je la connais. Tous les bretteurs dignes de ce nom la connaissent. Elle donnait des leçons, ici, à Minas Tirith, il y a longtemps. Mais parlez! Vous l'avez vu?

-Non. Mais j'aimerais bien.

-Que voulez-vous dire?

-Et bien... j'ai croisé un voyageur, tandis que je venais du Rohan. Un bandit de grand chemin, pas mieux que ceux ivrognes, là. Il... il m'a détroussé. Enfin, c'est ce qu'il a cru. Mais là n'est pas la question. Ce qui m'a surpris, et ce qui me fait peur, c'est l'arme avec laquelle il m'a agressé. Peut-être suis-je en train de me tromper... Je ne suis pas sûr, je n'ai réalisé qu'après. Et..

-Dites!

-Il avait une épée aux livrées des Sorge."