Longbourg, siège de la milice d’Eomer. De bonne heure, Mereorn et Keral décidèrent de faire une inspection du village. Ils sortirent de l’auberge où ils avaient réquisitionné le premier étage pour y établir leur commandement. Jurgal et Karyn, le couple qui tenait l’établissement, le leur avait cédé sans rechigner, tout honorés qu’ils étaient d’apporter leur contribution à la milice. Un couple aimable et bon vivants, qui aurait bientôt le plaisir d’accueillir un bébé chez eux, Karyn en étant à son septième mois. Mereorn ferma la porte après l’Arnorien et rajusta correctement son manteau pour se couvrir du froid. Un hiver comme ça, pas moyen de s’y habituer, et le chevalier ronchonna une fois de plus après lui. Keral s’adaptait plus facilement, si le froid n’était pas le compagnon qu’il préférait, il aimait assez la neige. Ils prirent la direction de la forge où ils commenceraient leur tour. En chemin, ils croisèrent deux gardes qui les saluèrent avec respect. La milice n’était peut-être pas comparable à une armée, mais ses deux chefs y avaient installés une certaine discipline qu’ils veillaient à faire respecter pour que leur organisation ne s’écroule pas sur elle-même. La forge se trouvait devant eux. S’ils ne l’avaient pas vu, les coups de marteau qui retentissaient de l’extérieur ne pouvaient pas leur échapper. Ils pénétrèrent à l’intérieur et remercièrent la chaleur qui y régnait. Ils quittèrent leurs manteaux qu’ils déposèrent à une patère près de la porte. Un jeune apprenti arriva un instant plus tard et Keral demanda à ce qu’il prévienne le forgeron de leur présence. En attendant, ils observèrent le forgeron qui travaillait. Il était à l’œuvre sur une tige de métal destinée très certainement à devenir une lame. C’était l’une des raisons pour laquelle Keral avait choisi Longbourg pour installer la milice. Rares étaient les villages à disposer d’un forgeron-armurier, mais Longbourg en hébergeait un très bon, Gannel. Ce n’était pas le meilleur, ceux-là partaient pour la capitale ou les places fortes, mais il faisait du travail de bonne qualité. Le garçon revint s’excuser en leur informant que son maître était absent.
« Mon père est parti régler un problème concernant des retards de livraison. Avec toute cette neige, les transports se font moins réguliers, et ce n’est pas au goût de mon père. »
Le forgeron dont ils avaient observé le travail les regardait à son tour. Il s’agissait de Horst, le fils de Gannel. Un jeune homme qui ne devait pas avoir une vingtaine d’années. Son père lui avait appris le forgeage dès son plus jeune âge pour qu’un jour il lui succède. Il n’avait clairement pas l’expérience de Gannel, mais il avait un potentiel bien plus important. Merorn, qui s’entendait généralement bien avec les forgerons eu égard du respect qu’il avait envers leur travail, se dit qu’il devrait apprendre avec les meilleurs forgerons du pays pour qu’il puisse pleinement développer son talent. Mais pour le moment ils devaient chacun penser à autre chose. Keral posa les questions habituelles pour s’assurer que la forge tournait bien et qu’ils ne rencontraient pas de problèmes. Après que le jeune forgeron les eut assurés que le travail allait bon train, malgré les livraisons en dents de scie, ils reprirent leur manteau et sortirent affronter de nouveau le froid.
Les deux hommes eurent juste le temps de faire un bond en reculant. Une charrette venait juste de tourner devant eux, les fauchant sans aucun doute s’ils n’avaient pas eu de réflexes. Elle entraînait le cheval qui la tirait et l’homme qui conduisait bascula par-dessus, atterrissant dans la neige. La charrette s’arrêta enfin et le cheval hennît de mécontentement. Mereorn aida son ami à se relever après qu’il soit tombé sur les fesses et tous deux se secouèrent pour ôter toute la neige dont ils avaient été couverts avant d’aller voir le conducteur de la charrette qui restait tentait de se relever tant bien que mal. Keral regarda autour et remarqua une plaque de glace où débutaient les traces de glissement. Il en déduisit que l’attelage avait glissé dessus.
« Vous deviez aller un peu vite pour glisser de la sorte ! fit remarquer l’Arnorien. Votre charrette est vide, quel besoin urgent vous obligeait à une telle allure par ce temps ? Vous auriez pu faucher quelqu’un, et vous avez d’ailleurs failli réussir avec nous ! Trouvez-vous un remplaçant, je ne veux plus vous voir monter là-dessus. »
Keral avait été ferme, les accidents comme ça pouvaient être évités si on prenait suffisamment la peine de réfléchir. Mereorn mit debout le conducteur qui restait sonné, autant par l’accident que par les paroles de son chef. Le Chevalier appela un milicien qui regardait la scène sur le côté.
« Toi, guide l’attelage jusqu’aux écuries et dit-leur ce qu’il vient de se passer pour qu’ils prennent soin du cheval. »
L’homme acquiesça et rejoignit le cheval doucement pour ne pas l’effrayer plus. Il saisit délicatement les rênes qu’il fit passer par-dessus l’encolure du cheval puis le tira. La bête suivit sans faire de caprice, peut-être rassurée d’y aller sans hâte. Les deux chefs reprirent leur chemin en direction du camp des miliciens. Il s’agissait d’un assemblage en bazar de tentes où logeaient leurs hommes. En provenance de toute la Marche Ouest, le village ne pouvait pas les héberger. Les deux Rohirrim passaient entre les installations en saluant les hommes qu’ils croisaient. Ils voyaient bien que leurs miliciens n’étaient pas des soldats de métier, la discipline n’était visiblement pas dans leurs habitudes. Le camp aurait pu être fait et entretenu par des enfants, le résultat aurait été le même, la ressemblance avec un camp militaire était nulle. Au milieu de tout ce fouillis trônait une grande tente, bien droite, propre, avec deux miliciens en tenue correcte postés devant. Les deux hommes laissèrent passer leurs chefs en les saluant respectueusement au passage. À l’intérieur, quatre lits, une table, six sièges et quatre malles remplissaient la tente. Rien de plus. Tout était en ordre. Deux hommes discutaient vivement à la table. Quand ils virent leurs invités, ils se levèrent d’un bon et saluèrent.
« Sergents, au rapport ! » ordonna Keral.
Barom et Dereo avaient été choisis comme sergents car ils faisaient partis des rares soldats de souche. C’est ce dernier qui répondit.
« Chefs, une demi-douzaine d’hommes sont arrivés du nord, on les a installés, donnés un équipement et mis au travail sur les pieux. Une bagarre a éclaté hier soir et s’est terminée avec un nez et un doigt cassés. On entend des loups hurler la nuit ces temps-ci, je leur ai fait donner la chasse pour qu’ils ne viennent pas effrayer nos chevaux. À ce sujet, une jument a mis bas il y a deux jours. Le poulain et la mère se portent bien. Nos éclaireurs devraient revenir bientôt... »
Le sergent continua comme ça un moment à faire son rapport, aussi détaillé que possible. Keral avait demandé à ce que tout lui soit rapporté, il disait que chaque chose pouvait avoir son importance et qu’il préférait être seul juge à ce niveau-là. C’était évidemment le genre de chose qui ennuyait Mereorn, qui écoutait d’une oreille distraite le rapport tout en pensant qu’il devrait peut-être retourner à la forge voir si Gannel était rentré. Il aurait bien discuté un peu avec lui. Le rapport terminé, Keral prit le temps de réfléchir à tout ce qu’il avait appris avant de répondre.
« Très bien, merci sergent. Maintenant, je veux que tous les deux vous alliez donner un coup de pied aux hommes pour qu’ils mettent de l’ordre dans le camp. Qu’ils soient en tenue militaire, leurs tentes propres et en ordre pour une inspection en fin d’après-midi.
- À vos ordres, chef ! »
Keral et Mereorn sortirent de la tente. Ils décidèrent de passer faire un tour aux écuries avant de continuer voir les travaux concernant les pieux. La matinée allait se poursuivre ainsi, sous les flocons de neige qui commençaient à tomber sur Longbourg, teintant le monde d’un blanc immaculé.