Le retour au camp se fit dans le silence le plus total. Fendor savait pourtant que son oncle ne laisserait pas passer ses décisions et son comportement. Pourquoi ne disait-il rien ? La colère d'Eoseld était nettement visible et il ne semblait pas chercher à la cacher. Felarel et Artus restèrent muets également, conscients sans aucun doute que cela valait mieux. Fendor s'en voulait maintenant de ce qu'il s'était passé, pourquoi n'avait-il pas tout simplement suivi les ordres de son oncle comme prévu, d'où lui était venue cette idée folle d'annexer Fangorn, au risque de perdre l'Isengard ? Eoseld allait le massacrer. Il avait osé lui dire non et s'imposer auprès de Sylvebarbe. À cette pensée, Fendor frissonna.
Ils quittèrent enfin les arbres et retrouvèrent les autres à une certaine distance, ils ne s'étaient pas trop mal orientés finalement. Le campement était prêt, plusieurs tentes étaient montées, un feu brûlait et une réserve de bois était préparée, du bois mort exclusivement, couper ne serait-ce qu'une branche de la forêt aurait ruiné toute leur entreprise, et pire encore.
- Alors, comment ça s'est passé ? Cria Alden aux arrivants.
Felarel lui fit signe de se taire et désigna Eoseld. Le nouveau Chevalier compris tout de suite en voyant le Vice-roi. Felarel et Artus rejoignirent chacun leurs hommes, tandis qu'Eoseld sortit enfin de son mutisme pour demander à son neveu de le suivre. C'était le moment, Fendor le savait. Il le suivit assez loin, jusqu'à ce que le couvert des arbres les cachent du camp et qu'ils ne puissent pas être entendus. Le poing qui s'abattit sur son visage, il ne le vit pas venir. Il se retrouva sur les fesses, une vive douleur le tiraillant au niveau de la mâchoire. Il s'essuya la bouche et découvrit que sa lèvre saignait. Eoseld entra alors dans une rage folle comme le garçon ne l'avait jamais vu. Il n'avait d'ailleurs encore jamais porté la main sur lui. Il ne le reconnaissait plus, à tel point qu'il en était effrayé.
- Comment as-tu pu ?! Comment as-tu osé espèce de misérable avorton ?! Je t'ai tout donné, j'ai tout fait pour toi, je me suis sacrifié pour que tu montes sur ce putain de trône et que tu retrouves ta place, et c'est comme ça que tu me remercies ?! Réponds, c'est comme ça que tu me remercies ?!
Eoseld sortit son épée et la pointa en direction du gamin.
- RÉPONDS !!!
Fendor essaya de bredouiller quelque chose, mais il était tétanisé.
- Tu vas répondre, bon sang ! Tu as perdu ta langue ? Pourtant tout à l'heure elle semblait aller bien vu comment tu t'en es servi pour m'humilier ! Mais si tu ne veux plus l'utiliser, je peux t'en débarrasser si tu veux !
Il planta d'un coup vif son épée dans le sol et sortit un poignard qu'il approcha du garçon. Fendor s'écarta, toujours par terre. Il essaya de se lever mais ses jambes ne le portaient plus. Il sortit sa hache de sa ceinture et la brandit devant lui. Eoseld lança son poignard qui vint se planter entre les deux jambes du garçon. Fendor donna un coup dedans avec sa hache qui le fit s'envoler plus loin. Eoseld récupéra son épée et s'approcha. Fendor serra de ses deux mains son arme dérisoire face à celle de son oncle. Le garçon ne semblait pas avoir la force de sortir sa propre épée. Eoseld frappa d'un coup vif et nette sur la hache qui s'échappa des mains du garçon et atterrit hors de portée. Eoseld brandit son épée.
- Misérable...
- EOSELD !!!
La voix autoritaire de Felarel arrêta net le Vice-roi qui se retourna pour lui faire face.
- Qu'est-ce que tu es en train de faire Eoseld ? C'est le roi, c'est ton neveu !
- Il m'a humilié ! Devant l'Ent, devant le capitaine de ma Garde, tout le monde saura comment je me suis fait moucher par un môme !
- Par ton roi !
- Il est peut-être roi, mais c'est moi qui gouverne, je suis le numéro un et c'est à moi qu'on obéit. Si je dis de négocier cette chose, alors on la négocie et rien d'autre, et si j'insiste, on ne me dit pas non !
- Et quoi ? Tu vas le tuer pour ça ? Pour ça ou pour autre chose, tu es prêt à le tuer ? À tuer le roi ?
- Mais je n'allais pas le tuer, je lui donnais une leçon qu'il n'est pas prêt d'oublier.
- Range donc ton arme, tu es peut-être le Vice-roi, mais mon rôle est de protéger le garçon contre tous ceux qui se dressent contre lui, toi y compris mon ami.
- « Mon ami », le penses-tu vraiment ? L'avons-nous été un jour ?
- J'aurais aimé le penser, mais je ne suis pas naïf.
Eoseld rengaina son arme, récupéra son poignard et repartit au camp. Felarel le regarda partir et lâcha la poignée de son épée. Il se retourna vers le garçon. Fendor suffoqua, puis fondit en larmes entremêlées de hoquets tandis que Felarel s'approchait de lui. Il s'assit simplement à côté du garçon, sans faire le moindre geste ni rien dire. Il se passa quelques secondes, et le garçon s'accrocha alors au Chevalier et pleura dans ses bras. Il avait subit un siège au Gouffre de Helm face à une armée plus nombreuse, il avait connu la déroute, la mort de ses amis, mais rien ne l'avait autant effrayé que ce moment, seul, impuissant. Il s'effondra complètement, tout ce qu'il avait vécu ces derniers mois sortit, tout ce qu'il avait dû garder en lui pour se montrer digne, à la hauteur de son rang, toute la pression, la terreur, la solitude s'évacuèrent à travers les torrents de larmes qu'il versait. Il n'avait que onze ans, ceci expliquait pourquoi le Rohan avait besoin d'un Vice-roi. Mais ceci expliquera aussi le roi qu'il deviendra.
Au bout d'un temps infini, bien longtemps après que les dernières larmes ait été versées, Fendor lâcha Felarel.
- Je n'ai jamais autant regretté la mort de votre père qu'à cet instant, il a laissé derrière lui un fils qui a terriblement besoin de lui.
- Felarel, vous ne direz jamais à personne ce qui s'est passé ici d'accord ?
- Rien de ce qui se sera passé ou dit après le départ de votre oncle.
- Merci, je vous aime bien. Nous sommes amis n'est-ce pas ?
- Bien sûr, vous êtes mon roi, mais cela ne remet pas en cause notre amitié.
- Bien, bien...
- Êtes-vous prêt à rentrer au camp ? Il fait nuit, les autres vont s'inquiéter.
- Pas tout de suite s'il vous plaît.
Ils restèrent encore un moment assis en silence, puis le garçon s'endormit contre l'épaule de Felarel. Le Chevalier hésita, puis décida de réveiller le jeune roi, il valait mieux que les autres le voient rentrer en marchant que porté. Felarel se leva puis aida son protégé à faire de même. Avant qu'ils ne franchissent les derniers arbres, Fendor s'arrêta.
- Je fais le serment, ici et maintenant, que plus jamais je ne me sentirai aussi impuissant. Je vais devenir plus fort, de corps et d'esprit, et quand je serai prêt, je reprendrai à Eoseld le pouvoir et je deviendrai le plus grand roi qu'ait connu le Rohan. Ce royaume connaîtra la paix et la prospérité sous mon règne. Ce serment, je le fais solennellement à Fangorn, cette forêt qui est là depuis toujours et qui sera toujours là. Elle sera la garante de ce serment. Si je ne m'y tiens pas, qu'elle m'appelle, et je viendrai finir mes jours ici, abandonnant titre et couronne.
- Vous ne devriez pas faire ce genre de serment à la légère, mon roi. Cette forêt est puissante, Sylvebarbe se souviendra.
- J'y compte bien, si je ne puis respecter ce serment, c'est que je ne suis pas digne d'être roi. Ce serment protégera mon peuple de moi, et me donnera la force nécessaire pour devenir celui que je dois devenir.
- Alors je fais le serment ici et maintenant de vous aider jusqu'à ma mort à respecter votre serment.
Tous deux quittèrent ainsi la forêt et rentrèrent au camp. Fendor rentra dans sa tente et s'écroula sur son lit, littéralement épuisé. Felarel raconta aux autres Chevaliers ce qui s'était passé avec Eoseld, en taisant comme promis la suite. Ils décidèrent de ne plus laisser une seconde seul Fendor, son propre oncle n'étant plus quelqu'un de sûr. Felarel décida qu'il veillerait sur le garçon cette nuit.
***
Trois jours s'écoulèrent dans une ambiance morose. Eoseld ne sortait quasiment pas de sa tente, ses hommes ne parlaient pas. Les Chevaliers n'osaient pas rire. De son côté, Fendor passait son temps avec Felarel à s'entraîner. Ils avaient commencer par l'épée, mais elle était encore un peu trop lourde pour le garçon, Felarel décida donc de lui apprendre à manier sa hache et à se défendre à mains nues. Le serment qu'ils avaient chacun fait cette nuit-là, aucun ne le révéla, mais ils n'avaient pas attendus pour s'employer à le respecter.
C'est au soleil couchant du troisième jour que Sylvebarbe réapparut. Il sortit des arbres tout simplement, ce qui effraya les bêtes qu'eurent bien du mal à calmer les hommes. Eoseld sortit de sa tente et Fendor arrêta ses exercices. Tous deux vinrent à la rencontre de l'Ent qu'ils saluèrent. Fendor appréhendait, devait-il laisser parler son oncle ou devait-il finir ce qu'il avait commencé. Felarel se tenait en retrait du garçon. Ce fut Sylvebarbe qui sortit Fendor de son dilemme.
- Je souhaiterais finir ces négociations en m'entretenant seul à seul avec votre roi.
- Mais je suis le Vice-roi en poste, c'est moi qui dirige le Rohan !
- Il suffit ! Vous n'êtes qu'un suppléant, le garçon est l'avenir de ce royaume, c'est donc avec lui que je dois parler.
- On vous dit sage, mais apparemment pas clairvoyant...
Eoseld partit furieux, une nouvelle fois. Fendor n'y était pour rien, mais il aurait préféré qu'il en soit autrement, il redoutait les conséquences. Felarel s'éloigna à son tour sans regret, il savait qu'il serait en sécurité auprès de l'Ent.
- Jeune roi, vous souvenez-vous des conseils que je vous ai donnés à notre première rencontre ?
- Oui, je crois.
- Je sais beaucoup de choses, je peux en prédire d'autres, mais je n'avais pas prévu que ça se passerait de sitôt. Que comptez-vous faire de l'Isengard ?
- Surveiller la Trouée du Rohan pour protéger mon royaume.
- Que comptez-vous réellement faire de l'Isengard ?
- Ah. Je veux former de nouveaux soldats qui me seront loyaux en toute circonstance et qui auront pour mission de protéger le royaume de ses ennemis, mais surtout de ses alliés. Ce qui s'est passé avec Hogorwen m'a fait prendre conscience que les allégeances des uns et des autres ne vont pas forcément au roi, et que chacun est prêt à faire monter sur le trône qui lui semble mieux pour lui.
- Vous êtes un garçon intelligent, encore un peu naïf, mais vous comprenez beaucoup de choses. J'espère juste que vous finirez par voir ce qui se trame sous votre nez.
- Comment ça ?
- Je ne me mêle pas des affaires du Rohan, je vous prodigue quelques conseils parce que je pense que cela est la juste chose à faire, pour le reste, c'est à vous et à vos alliés de vous débrouiller. Mais je considère qu'en ces temps troublés, vous suivez le bon chemin.
- Vous acceptez de nous céder l'Isengard alors ?
- Vous m'avez demandé d'étudier vos propositions comme une seule. Nous en avons discuté, et nous nous sommes décidés. Mais avant cela, nous avons besoin de précisions.
- Je vous écoute.
- En annexant notre forêt, cela veut dire que vous devenez notre roi et que nous avons l'obligation de vous obéir.
- Non. Je dois avouer ne pas y avoir réfléchi en ces termes, mais clairement non. Votre forêt ne sera plus indépendante, mais elle sera autonome. Vous serez toujours le maître de ces lieux, vous ne devrez obéir à personne et nous ne pourrons pas vous ordonner de faire la guerre ou d'autres choses. Je veux vous garantir de vivre en paix. C'est tout ce sur quoi repose ces négociations.
- Et si vous veniez à mourir, que deviendrait notre traité ?
- Il serait garanti. Le traité de notre union sera valable pour mon règne et pour l'ensemble de mes successeurs. Si l'un d'eux venait à le rompre, alors la forêt de Fangorn retrouverait son indépendance, et l'ensemble du traité serait caduc.
- Dans ce cas, nous acceptons ce traité. Isengard et notre forêt font désormais partie du Rohan. Sachez que nous n'aurions sans doute jamais accepté un tel traité en temps normal. Mais les événements d'il y a trois jours ont fait poids. Votre serment a été entendu, et j'en suis le gardien. Si vous ne vous y tenez pas, je vous appellerai.
- Je sais, ce serment, ce sera ma vie.
- Et c'est pour ça que nous avons accepté ce traité. Vous êtes quelqu'un d'ordinaire et d'extraordinaire à la fois. Il n'y a encore pas si longtemps, vous jugiez les gens inférieurs à vous, vous étiez imbu de vous-même, mais la guerre et ce que vous avez vécu vous ont profondément changé, la personne que vous êtes aujourd'hui, même si elle est encore un peu instable, et surtout la personne que vous allez devenir, nous donnent l'espoir d'un bel avenir pour ce royaume. Un avenir de paix, et c'est pourquoi nous nous associons à vous. Quand vous dirigerez ce royaume, si vous réussissez à surmonter l'obstacle qui se dresse devant ce futur, venez me voir de temps en temps, nous pourrons discuter, j'ai maintes histoires que vous aimeriez peut-être entendre.
- Ce sera avec plaisir Sylvebarbe. Je dois vous avouer que j'avais un peu peur en venant ici, les histoires sur votre peuple ne sont pas toujours paisibles. Mais je dois dire que si tous les Ents sont comme vous, vous êtes sûrement le peuple le plus incroyable sur cette Terre. Je suis heureux de vous avoir rencontré.
- Petit homme, je sais maintenant que nous nous reverrons. Avant de vous laisser, je dois vous dire que les Ents ne détiennent pas les clefs d'Orthanc, il y a longtemps, je les ai données au roi Elessar, elles sont donc sûrement à Minas Tirith aujourd'hui.
- Tant pis pour la tour, le domaine est plus important. Peut-être qu'un jour nous aurons l'opportunité de les obtenir, en attendant, nous ferons sans. Merci pour tout Sylvebarbe, et merci aux Ents qui ont accepté de me faire confiance.
- Même si vous n'en avez pas encore la force, vous êtes prêt. N'attendez pas trop longtemps, viendra peut-être un moment où il sera trop tard.
- Qu'est-ce que ça signifie ?
Sylvebarbe disparut sous les arbres, laissant un Fendor perplexe. Il retourna au camp où il découvrit les tentes d'Eoseld et de ses hommes pliées. Eoseld s'apprêtait à monter à cheval.
- Ne dis rien, je ne veux pas savoir. Si tu as eu l'Isengard, vas-y, tu l'as négociée, la terre est à toi, sinon débrouille-toi. Dans tous les cas, ne remets plus les pieds à Edoras, crois-moi, tu n'en as pas envie.
Et il partit au galop, ses gardes à sa suite. Fendor raconta à ses Chevaliers la fin des négociations avec Sylvebarbe. Felarel était quelque peu rassuré, ils avaient l'ancienne forteresse et Eoseld ne serait pas dans les parages. La milice d'Eomer devrait être dans les environs, ils auront ainsi les hommes nécessaires pour se protéger. Il allait y avoir beaucoup de choses à faire. En attendant, direction l'Isengard.
#Eoseld #Fendor #Felarel