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 Compas dans l'œil

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Ryad Assad
Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
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Ryad Assad

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Compas dans l'œil EmptyDim 11 Jan 2015 - 18:08
- Tu l'as vraiment ? Tu es sûr ?

L'homme contenait à grand peine son impatience. On aurait dit qu'il allait se jeter férocement par la porte que son interlocuteur barrait encore de son corps, et dans ses yeux on lisait une agitation palpable. Il paraissait fiévreux, comme s'il attendait ce jour depuis longtemps, comme s'il arrivait au terme d'une longue traque qui l'avait conduit à travers la Terre du Milieu. Quelque part, c'était ce qu'indiquait sa tenue rapiécée, ses bottes usées couvertes de boue, et sa longue cape abîmée par les intempéries. Il allait à pied, et nul cheval ne l'attendait dehors, ce qui signifiait qu'il avait dû marcher des jours durant pour arriver jusqu'ici, dans cette petite cabane isolée, loin de tout, où vivait un vieillard solitaire et un peu faible d'esprit. Les cheveux de ce dernier dégoulinaient autour d'un visage bête, et encadraient des joues mal rasées. Ses yeux globuleux étaient gonflés de fatigue, et il paraissait n'avoir pas vu la lumière du soleil depuis des années. Son visiteur n'était pas le premier à venir le voir, mais cela faisait bien une semaine qu'il n'avait pas eu d'invités… surtout pas pour cette raison précise. Il parut hésiter devant l'insistance de l'homme qui venait d'arriver à une heure si tardive chez lui, et se demanda s'il était bien prudent de laisser entrer chez lui un individu aussi patibulaire et étrange, qui débarquait d'on ne savait où. Mais en même temps, s'il était venu pour la même raison que les autres, alors il y avait tout intérêt à le faire s'asseoir quelques instants.

- Oui, oui je l'ai. Vous voudriez le voir ?

L'inconnu inspira profondément, avant de hocher la tête positivement. Il avait fait une longue route sur les conseils d'un ami, et il entendait bien vérifier ses dires de ses propres yeux. Le vieil homme s'écarta maladroitement, et referma la porte derrière le voyageur qui posa un regard circulaire sur la pièce sombre. Elle était chichement meublée, avec un lit de toute évidence inconfortable posé dans un coin, un bureau plaqué contre un mur, et une table haute sur laquelle trônaient des assiettes sales. A n'en pas douter, il n'y avait qu'un homme seul ici… seul depuis bien longtemps. Le voyageur se débarrassa de sa cape, et la déposa en vrac sur la première chaise qui se trouvait à sa portée. Ses yeux allaient de droite et de gauche, comme s'il pouvait repérer dès à présent l'objet de sa convoitise. Nul doute que s'il mettait la main dessus, il s'abîmerait dans sa contemplation comme un enfant ravi, ébahi devant un spectacle splendide. Le vieillard s'approcha de lui, et l'interrogea d'une voix encore un peu perplexe :

- Vous y croyez, vous ? Je veux dire… Vous y croyez vraiment ?

Le nouvel arrivant haussa un sourcil, comme s'il ne comprenait pas bien la question qui lui était posée. Il répondit, les yeux plissés comme un animal ayant repéré un danger dans l'ombre, et essayant de le débusquer :

- Bien entendu, j'y crois. Son pouvoir m'a… transformé. Radicalement. J'aimerais le toucher, j'aimerais l'effleurer… Voir ce que cela me fera. Ça pose un problème ?

La dernière question était posée sur un ton légèrement menaçant, et le vieillard ne s'y trompa pas. Il s'empressa de faire « non » de la tête, et de se diriger vers un coffre épais qu'il ne tenait pas particulièrement caché, mais qui était fermé par une épaisse serrure dorée. Difficile à forcer, à première vue, pour ne pas dire impossible à ouvrir sans la clé. Il y avait plus de chances de venir à bout de la gangue de bois à coups de hache, sans nul doute. Se frottant les mains pour dissimuler son trouble, le propriétaire de la petite cabane alla récupérer le précieux sésame, la clé secrète qu'il tenait cachée aux yeux de tous. Il la glissa dans l'interstice prévu à cet effet, la fit pivoter, et releva le couvercle. Son invité se hissa sur la pointe des pieds pour voir par-dessus son épaule. Il se mordait la lèvre inférieure nerveusement.

L'homme aux cheveux blancs écarta une mèche qui lui tombait devant le visage, et se retourna précautionneusement, tenant un objet de toute évidence très fragile, enroulé dans du tissu. Il le déposa sur un coin relativement propre de la table, et à gestes lents et pleins de révérence, il découvrit la merveille qu'il conservait comme un trésor. Le voyageur se mit à trembler perceptiblement, et il s'approcha de la table, absorbé dans sa contemplation au point qu'il ne voyait plus rien d'autre. Le monde avait cessé d'exister autour de cet objet, qu'il aurait imaginé plus grand et plus imposant. Toutefois, cette pensée s'échappa de son esprit aussi rapidement qu'elle y était rentrée, sans même laisser l'ombre d'un souvenir. Sans s'en rendre compte, ses mains se tendirent vers l'objet tant recherché. Ses doigts glissèrent lentement sur la surface parcourue de fins motifs incrustés, des entrelacs délicats abîmés par le temps, mais qui étaient toujours sensibles au toucher. Il referma ses griffes autour de cette chose magnifique, et ses yeux parurent partir dans le lointain, comme s'il était perdu hors de l'espace et du temps. Son visage s'approcha de la surface de l'objet, qui semblait devenir de plus en plus chaud sous ses doigts… A moins que ce ne fût qu'une impression.

Le vieillard, légèrement en retrait, murmura :

- Voici l'Orbe…

L'homme parut revenir à la réalité, brutalement. Son regard se fit de nouveau alerte, ses paupières clignèrent pour humidifier ses iris, et il laissa lourdement retomber l'objet sur la table, sans plus de cérémonie. Le propriétaire glapit, et se tourna vers le voyageur, plein de questions muettes. Ce dernier y répondit d'une voix grave :

- Ce n'est pas l'Orbe. Une copie de bonne qualité, rien de plus… Combien fais-tu payer les voyageurs qui viennent pour en consulter quelques passages ?

Il y avait de la colère dans cette voix. De la colère, et de la déception. La déception infinie d'un homme qui s'apprête à reprendre la route, à charger de nouveau sur son dos un fardeau qu'il avait cru déposé à jamais. Le vieillard, percevant cela, essaya de se justifier d'une voix ridiculement aiguë :

- Mais… Je vous assure que c'est l'Orbe, le seul ! Je l'ai trouvé, gisant dans les glaces fondantes, serré dans les bras de…

- …Dans les bras de celui qui l'a créé, je sais. Aucun d'entre nous n'ignore cette histoire. Tu es l'auteur de cette copie ? Elle est très bien réalisée.

Comprenant que, de toute façon, il n'avait plus aucune chance de s'en sortir avec un pieux mensonge, le vieillard confessa. Il baissa la tête honteusement, sans même chercher à se justifier plus avant, et avoua avec des remords dans la voix :

- Oui, c'est moi… Je n'ai aucune excuse…

Le voyageur s'approcha, et prit son interlocuteur par le bras, sans violence. Il avait sur les traits un air apaisé, bien moins contrarié que lorsqu'il avait découvert la supercherie. On aurait dit qu'il avait laissé passer la colère, qu'il avait oublié la hargne, et qu'il était tout à coup beaucoup plus disposé à la conversation. Il fit asseoir le vieillard effrayé sur une chaise, et se glissa dans son dos, hors de vue. Ses mains étaient posées sur les épaules du contrefacteur :

- Combien de temps ? Pour le fabriquer, je veux dire.

- P-Plusieurs semaines. Je ne suis pas un grand artisan, et mes yeux ne sont plus ce qu'ils étaient…

Les doigts se mirent à pianoter sur ses épaules, et il se raidit perceptiblement. Il ne voyait pas à qui il s'adressait, et la situation était des plus dérangeantes, car il n'osait même pas se retourner de peur de trop en voir. Il se sentait soudainement à la merci d'un prédateur plus gros et plus déterminé que lui. Sa survie ne dépendait que du bon vouloir de son geôlier. C'est la voix de ce dernier qui s'éleva, encore :

- Même si ce n'est pas l'original, le premier… même si c'est une copie trompeuse… il y a du pouvoir dans cet Orbe. Dans tous les Orbes, en réalité. Si chacun d'entre nous avait sur lui un d'entre eux, nous pourrions nous comprendre sans avoir à nous tenir dans un même lieu, sur des miles et des miles. Il ne me serait plus utile de venir te rendre visite si loin de chez moi, comprends-tu ?

Il y eut un hochement de tête en retour. Le vieillard était terrifié, maintenant :

- V-Vous voulez que j'en fasse d'autres ? C'est ça ?

Nul besoin de voir le voyageur pour deviner le léger sourire qui ourla ses lèvres à ce moment. C'était comme si son rictus était le fruit de la torsion d'un morceau de cuir grinçant alors qu'il était déformé par la torsion de mains puissantes. Une de ses mains quitta l'épaule du faussaire, qui déglutit bruyamment. Sa respiration resta bloquée au fond de sa gorge, et il demeura immobile, tendu comme la corde d'un arc, dans l'attente du prochain mouvement, dans la crainte du prochain geste qui pouvait tout aussi bien lui ôter la vie. Ses oreilles essayaient de percevoir le chuintement caractéristique d'une lame qui quitte son fourreau, pour savoir si sa dernière heure était arrivée. En réalité, même en le sachant à l'avance, il ne pourrait rien y changer, et dans un sens il était peut-être préférable qu'il demeurât inconscient du danger pour ne pas mourir pris par la panique.

La main revint se poser sur son épaule, soudainement, et il sursauta comme s'il on lui avait brusquement hurlé dans l'oreille. Sa lèvre inférieure tremblait, et on aurait dit qu'il allait se mettre à sangloter comme un bébé. Il attendait toujours la réponse à sa question, et l'homme finit par la lui apporter, d'une voix lente et mesurée :

- Ce serait préférable. Mais seulement le quart. Cela devrait réduire les délais, si je ne m'abuse.

- Oui, c'est possible… Je pourrais aller beaucoup vite ainsi…

Les mains se refermèrent un peu plus fort sur les épaules du faussaire, qui ne comprenait pas vraiment ce qu'il avait bien pu dire de mal. Il fut prit d'une crainte soudaine, et son bref élan de soulagement céda la place à une terreur indicible. Cette fois, il crut bien que l'heure était venue pour lui de rejoindre ses ancêtres. Il ferma les yeux, attendant le coup fatal, attendant qu'on tordît sa nuque ou que l'on enfonçât une lame aiguisée entre ses vertèbres. Il y eut un claquement de langue dans son dos, et une voix s'éleva de nouveau :

- Ne te réjouis pas, tu ne seras pas payé pour cela. Tu accompliras ce travail à tes frais, pour te faire pardonner ton mensonge.

- A mes frais ? Mais comment vais-je me procurer le matériel nécessaire ?

Des doigts glacés glissèrent sur son cou, et un souffle chaud vint chatouiller son oreille. Il pouvait sentir une brusque tension, comme si de l'électricité statique passait entre sa joue et celle du voyageur, située à quelques centimètres seulement de la sienne. La voix était doucereuse mais menaçante, comme le sifflement d'un serpent prêt à mordre.

- Tu trouveras un moyen, si tu ne veux pas qu'il soit au courant.

Les doigts se retirèrent lentement, la tension se rompit, alors que le seul bruit que l'on entendait était celui de la respiration haletante du vieillard, qui, les yeux écarquillés, était au comble de la terreur.

- Il ? Vous voulez dire qu'il existe ? Le Dauphin existe ?

La seule chose qui lui répondit fut un silence assourdissant, et lorsqu'il trouva enfin le courage de se retourner, il se rendit compte qu'il était seul dans la pièce. Parfaitement seul. Tremblant, il recouvrit l'Orbe du tissu qui l'enrobait, et s'épongea le front de la sueur qui y avait perlé. Il avait désormais plus qu'un travail… il avait une mission.

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#Orbe #Dauphin


Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop

"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Compas dans l'œil Signry10
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