Dans la fraicheur du petit matin, un cavalier isolé chevauchait à vive allure. Le cheval était une bête magnifique, un étalon noir dans la fleur de l’âge qui semblait particulièrement apprécier cette opportunité de galoper dans la rosée du matin. Il avançait si vite qu’on aurait dit que sa cavalière ne pesait rien.
Cette dernière était dissimulée dans des vêtements amples mais confortables, ses longs cheveux noirs flottant librement derrière elle. Elle ne semblait pas inquiète à l’idée qu’on puisse la repérer. Car sa présence au Rohan aurait semblé étrange à quiconque aurait croisé son chemin. Les orientales ne passaient pas vraiment inaperçues à l’Ouest.
Cependant c’était la nécessité qui avait guidé Néhélac si loin de sa terre natale. Pour toute autre mission, elle aurait envoyé l’un de ses nombreux espions mais il s’agissait d’une affaire personnelle. Cette enquête se poursuivait depuis maintenant trois ans et elle ne désirait rien d’autre que des réponses à ses questions.
Sa cible était l’un des espions de Rezlak. Un homme de l’Est envoyé dans un petit village à l’ouest de la Trouée du Rohan afin de surveiller la route entre le Gondor et l’Arnor ainsi que les allées et venues vers l’Isengard. Ses informations étaient le plus souvent peu détaillées mais elles s’étaient révélées primordiales en bien des occasions. Malgré ses origines, il était parfaitement intégré à la petite communauté dans laquelle il avait élu domicile. Cela faisait plus de quinze ans qu’il avait quitté Rhûn et il était désormais marié à une locale qui lui avait donné pas moins de quatre enfants. Et pourtant, il les quitterait sur le champ s’il en recevait l’ordre. La loyauté à Rezlak primait toujours sur les considérations personnelles. Et ceux pour qui cela faisait le moindre doute étaient rapidement ramenés sur le droit chemin.
Mais elle ne faisait pas le voyage en émissaire de Rezlak. Cette mission ne regardait qu’elle et cet homme était susceptible de posséder les informations qu’elle recherchait depuis si longtemps. Elle avait eu le plus grand mal à l’identifier mais vingt années s’étaient écoulées et elle devait se montrer discrète. Repenser à cette période la troublait toujours au plus haut point. Tant de choses avaient changé depuis lors. Elle-même avait tant changé qu’elle se disait parfois qu’elle cherchait à contenter une autre femme. A moins qu’il ne s’agisse plutôt du fantôme de celle qu’elle avait été.
Elle avait repéré sa première cible il y avait bien longtemps de cela. Sa colère avait été la plus forte et l’ex espion était mort avant d’avoir pu lui apporter les informations qu’elle recherchait. Elle s’était alors promis de ne plus jamais commettre la même erreur mais l’occasion d’en apprendre plus ne s’était jamais représentée.
Elle était presque certaine de l’endroit où se trouvait l’homme qui aurait pu lui dire tout ce qu’elle voulait savoir mais les Terres du Sud étaient inaccessibles pour elle. C’était là la chasse gardée d’Ajark et elle savait très bien qu’elle ne pourrait s’y rendre sans qu’il ne l’apprenne. Et alors Rezlak aurait appris à son tour ce qu’elle recherchait. Elle n’avait pas le moindre doute qu’il la ferait tuer au moindre soupçon de trahison, qu’importe l’importance qu’elle avait pris au sein de leur organisation. Elle n’était pas encore assez puissante pour s’opposer directement à lui. Et surtout, elle n’était pas certaine de le devoir. C’est pour cela que cette mission au Rohan était si primordiale à ses yeux.
Elle avait déjà échoué l’année précédente alors qu’elle avait localisé un autre homme qui aurait pu la renseigner. Rezlak et Urik avaient été plus rapides qu’elle et il était mort avant qu’elle n’ait eu la chance de l’approcher. L’avaient-ils tué car il aurait pu lui apprendre ce qu’elle voulait savoir ou parce que cet homme l’avait mérité ? Il allait sans dire qu’il méritait la mort pour avoir osé trahir Rezlak mais la rapidité avec laquelle Urik avait pris les choses en main avait été incroyable. Il n’avait même pas eu à se salir les mains, Mardil ayant fait le travail à sa place. Un nouveau test cruel imposé au jeune espion par son maître aimant. Après tout, ce dernier ne pouvait pas laisser la distance diminuer l’emprise qu’il devait conserver sur le jeune homme.
Ses pensées avaient maintenant divergées vers son ancien protégé et elle espérait que le messager qu’elle avait envoyé à sa rencontre avant de quitter Vieille-Tombe avait pu délivrer son message. Elle y serait sûrement allée elle-même si elle ne croyait pas que cette mission au Rohan lui apporterait les clefs de la vérité. Le message destiné à Mardil était fort simple. Ils avaient pris du retard dans la livraison des drogues à cause d’une tempête locale qui avait dévasté l’un de leurs entrepôts. La prochaine livraison aurait donc 3 à 4 semaines de retard.
Néhélac pensait bien qu’elle l’effectuerait elle-même, car il était grand temps qu’elle voit ses informateurs en personne. Beaucoup d’entre eux avaient été formés par Urik et elle devait s’assurer de leur loyauté à son égard. Elle serait absente bien plus longtemps et il faudrait qu’elle pense à laisser assez à manger au chien si elle voulait éviter les désagréments qu’elle avait rencontrés la fois précédente.
C’est vers 10 heures du matin qu’elle attînt enfin sa destination. Elle comprît sur le champ que quelque chose n’allait pas. Les habitants étaient réunis et elle entendait distinctement les pleurs de plusieurs femmes. La raison lui en apparut rapidement. Ce n’était pas moins de cinq cercueils autour desquels les parents et amis se pressaient afin de rendre un dernier hommage. Une terrible intuition la frappa alors. L’intuition qu’une fois de plus elle était arrivée trop tard.
Les regards se tournèrent vers elle lorsqu’elle descendit de cheval. Les hommes et les femmes murmurèrent sur son passage et lorsqu’elle avança vers eux, ils s’écartèrent afin de la laisser passer. Elle avait l’habitude qu’on l’évitât de la sorte mais cette fois-ci, les choses étaient différentes. Une femme manifestement éplorée lui fît face. A sa tenue on comprenait aisément qu’elle faisait parti de ceux qui avaient perdu un membre de leur famille récemment. Mais de quoi ces gens étaient-ils morts au juste ?
- Êtes-vous la jeune sœur d’An-Êsh ?An-Êsh ? Même après 15 ans leur prononciation du nom de l’espion n’était pas correcte. Han-ahesch n’avait pas dû juger utile de leur apprendre à prononcer correctement les sons de sa langue natale. Elle-même parlait un Commun absolument parfait, son accent de l’Est étant pratiquement indécelable. Cependant, et afin de rester crédible, elle força délibérément dessus, jouant le rôle qu’Han-ahesch lui avait manifestement attribué.
- Où mon frère se trouver ?
- Je suis au regret de vous informer que votre frère est mort il y a de ça deux jours. Je me nomme Aelende. Il était mon époux.Néhélac joua jusqu’au bout son rôle de sœur éplorée, tâchant de réconforter cette étrangère à qui elle se retrouvait liée. Les deux jours qu’elle passa auprès d’eux lui apprirent ce qui s’était passé et lui permirent de trouver le rapport de l’espion, bien dissimulé dans un espace entre deux pierres de la maison qu’il avait lui-même construite des années auparavant.
La veuve lui apprît qu’un étranger s’était présenté au village, cherchant du travail en ce début d’été précoce. Il se faisait appeler Gharnûn mais qui pouvait savoir quel était son vrai nom. Dans tous les cas, il venait du Sud, des lointaines terres d’Harad ou du Khand peut être. Il était jovial et s’était très rapidement mêlé à la population locale. Il était aussi travailleur et toujours prêt à rendre service. Il avait passé presqu’un mois en leur compagnie, personne ne soupçonnant que cet être charmant (malgré son étonnant crâne rasé qui devait être la mode du Sud) cachait en réalité un monstre de la pire espèce.
Il avait appris à les connaître et s’était retourné contre eux. Il avait violé, défiguré et démembré la plus aimée des filles du village. Il avait fui bien sûr mais certains hommes du village lui avaient donné la chasse. Aucun n’était revenu vivant. L’espion oriental était au nombre de ces derniers.
Néhélac passa le voyage du retour à ruminer ce nouvel échec. Le sort s’acharnait contre elle. La vérité, tel un mirage, s’éloignait sans cesse d’elle lorsqu’elle croyait la rattraper. Alors qu’elle pensait avoir atteint son quotta de mauvaise nouvelle, elle déchanta un peu plus en rentrant à Vieille-Tombe. Le messager qu’elle avait envoyé à Mardil était de retour avec des nouvelles désastreuses. Le jeune espion était recherché par les autorités. Apparemment il n’était pas soupçonné d’être un agent de Rhûn mais sa tête était mise à prix depuis plusieurs semaines. Il avait été impossible de le localiser mais les autorités le trouveraient tôt ou tard.
Néhélac ne perdît pas de temps. Il lui fallait partir pour le Gondor au plus vite. Si jamais les autorités de la capitale gondorienne le trouvaient avant elle, le risque était trop grand qu’il parle. Elle ne pensait pas que le jeune homme soit assez fort mentalement pour résister à un interrogatoire approfondi (ce qui serait le cas étant donné que la drogue venait de Rhûn et que tout lien possible avec l’Est serait étudié avec la plus grande attention). Elle devait extraire Mardil de la ville avant qu’il ne soit trop tard. Et si cela s’avérait impossible, alors elle devrait neutraliser cette possible menace avant qu’elle ne se concrétise.