Tout ce passa ensuite très vite, dès lors que le petit groupe entendit les pas retentirent et les portes claquer à leur recherche. Si les hommes d’Ivar les trouvaient, ils étaient morts, tous les trois. Ils n’avaient aucune chance, piégés comme des rats qu’ils étaient. Un moment de panique passa. La pauvre Lysia était au bord de la crise de nerfs. Sa respiration devenait de plus en plus chaotique et inquiétante. Celle de Sathie, au contraire, était complètement imperceptible, comme si elle avait simplement disparu dans l’obscurité.
Soudain, pris d’une inspiration salutaire, Aranmorë se précipita. Il leur ordonna de le suivre et Amaryllis comprit qu’ils étaient sauvés… du moins c’est ce qu’elle crut avant que le groupe ne se heurte à une porte close. Les deux femmes reculèrent.
Sathie grogna. Au premier coup d’épaule du jeune homme contre le panneau de bois, le vacarme résonna sur tous les murs de la pièce. Désormais Ivar savait où les trouver. Il y eu un moment de silence durant lequel tous les hommes du trafiquant durent tendre l’oreille avant de se précipiter dans leur direction. La jeune femme jura et bouscula à moitié la hobbite pour joindre ses efforts à ceux d’Aranmorë tout en pestant entre ses dents. Son épaule protesta mais aucun des deux ne relâcha ses efforts tandis que les couinements de Lysia, de plus en plus aigus, leur indiquait la proximité de leurs ennemis.
- Je vais le tuer…, marmonna encore Sathie avant d’être projetée en avant par la porte qui cédait enfin.
Le trio s’engouffra juste à temps, emporté par leur élan, dans l’espace dégagé. Le bruit provoqué aurait réveillé un balrog ! Les pas vers eux s’accélérèrent et deux gars entrèrent dans leur champ de vision. Aranmorë poussa les femmes à passer devant.
- Et Ivar ?! protesta Sathie.
"Ne vous occupez pas de ça ! Attendez-moi un peu plus loin !"« - Mais… » voulut intervenir Lysia en voyant le jeune homme dégainer.
La lame émit un sifflement caractéristique qui faisait froid dans le dos.
- Pas le temps de protester demoiselle-poupée, gronda la jeune femme des rues en attrapant la hobbite par le col de sa robe déchirée.
Les deux jeunes femmes se précipitèrent vers la sortie en jetant de brefs coups d’œil par dessus leurs épaules.
Lysia ne garda par la suite que très peu de souvenir de cette courte fuite si ce n’était qu’elle lui avait semblé durer une éternité entière. Elle se souvenait vaguement d’avoir été tirée, poussée et soulevée par Sathie tout le long du chemin, d’avoir été éblouie par la lumière du jour et de nouveau tirée dans un angle de rue. Le reste ne fut qu’un amas confus de terreur. Etait-elle vraiment vivante ? Comment était-ce seulement possible alors qu’elle s’était jetée comme une idiote dans la gueule du loup sans même y réfléchir à deux fois ? Et Aranmorë ? S’il s’était fait attraper ou pire… tuer ? Jamais elle ne pourrait se le pardonner. Elle voulu revenir sur ses pas mais la poigne de fer de Sathie l’en empêcha. La hobbite jeta un regard en direction de sa compagne et ce qu’elle y vit lui glaça le sang autant les événements qui avaient précédé. Sur le visage de la jeune femme, nulle inquiétude, juste un profond agacement. Elle avait juste l’air… contrariée par la tournure des évènements. Alors Lysia serra un peu plus fort la bourse de cuir contre elle et attendit avec inquiétude la sortie du jeune homme.
Finalement, après plusieurs très longues minutes, il finit par débouler, seul, dans la ruelle. Sans y penser, la hobbite se précipita sur lui à l’instant, le visage rayonnant, et dû se faire violence pour ne pas lui sauter dessus comme une enfant tant son soulagement était grand. L’autre femme lui adressa un simple signe de tête difficilement interprétable.
"J'irai parler à Sandatt après cela." assura-t-il.
- Bien évidement, fit-elle simplement.
Votre dette vient de brusquement s’allonger.Sur ses mots et sans un au revoir, elle tourna les talons et disparut dans une allée, les laissant seuls pour sortir des bas-quartiers de la Cité Blanche. Amaryllis baissa les yeux en soupirant, gênée.
« - Oh oh… Je n’ai pas l’impression que ce soit bon signe… »Le retour au musée se fit particulièrement silencieux, chacun méditait sur les causes et conséquences de leurs actes. La pauvre hobbite en tremblait encore, serrant frénétiquement son trésor qui allait coûter si cher à son compagnon, le seul à avoir spontanément proposé de l’aider sans en avoir aucune obligation. Elle se sentait terriblement mal à l’aise à ce propos. Il lui semblait injuste que ce fut à lui de payer pour son peuple, mais il n’y avait plus rien qu’elle puisse faire à présent pour changer les choses. Leurs actions néanmoins, avaient sauvé les relations diplomatiques entre la Comté et le royaume du Gondor. Etrange pour un objet aussi insignifiant, quand on y pensait.
Au musée, ils retrouvèrent le vieux Tyr qui sembla s’être littéralement arraché la moitié des poils de sa barbe d’inquiétude. Il avait le teint pâle et la main tremblante. La Garde n’avait pas semblé lui être d’une grande utilité visiblement. Les hommes de la Cité avaient dû juger d’un simple bout de cuir plusieurs fois centenaire n’en valait pas l’effort… à moins que ce ne fut la perspective d’une énième perquisition infructueuse chez le receleur notoire qu’était Sandatt qui ne les enchantait guère. Tant et si bien que le pauvre homme était rentré au musée bredouille et terriblement soucieux.
Quand les jeunes gens arrièrent enfin, l’angoisse et l’espoir bataillaient dans le regard fatigué du vieil homme.
« - On l’a, on l’a !!! » chantonna Lysia en agitant la gourde au dessus de sa tête.
Un profond soulagement marqua les traits du vieil Tyr. Un poids énorme sembla tomber de ses épaules… et il retrouva toute sa personnalité.
- Mais arrêtez donc de l’agiter comme un hochet ! s’écria-t-il en récupérant l’objet avec précaution mais fermeté.
Cet artefact est plus vieux que votre grand-père ! N’avez-vous donc aucun respect pour votre propre histoire !« - Mais… » commença Lysia avant de finalement fermer la bouche sans rien ajouter.
Elle ne tenait pas à ce que le vieux Tyr ne devienne bougon avant l’arrivée de la délégation hobbite pour le don officiel de l’artefact.
Le vieil homme prit le temps d’analyser l’objet sous toutes ses coutures à la recherche de dégradation mais son état de conservation sembla le satisfaire et il s’autorisa même un long soupire de soulagement.
- Merci Valar, elle n’est pas abimée… C'est un miracle !Le vieillard se leva de sa chaise, où il s’était installé pour son inspection, avant de fouiller dans un tiroir de son bureau. Il en sortit une petite bourse en cuir bleuté et s’avança vers Aranmorë.
- Jeune homme, il semblerait que je vous ai mal jugé, vous vous êtes montré très efficace. Vous avez fait bien plus que de restituer un artefact unique à notre musée mais préserver un accord qui a mit plusieurs années à se négocier. Et vous avez bien veillé sur mademoiselle Sonnecor... Veuillez accepter ces quelques pièces en guise de récompense.Se disant, il tendit la bourse bleue à Aranmorë. Dedans tintèrent une dizaine de pièces, de quoi se payer une chambre propre dans une auberge respectable et quelques repas copieux.
Ils se virent ensuite offrir une tisane, puis des gâteaux, puis des histoires sur l’époque trouble des Guerres de l’Anneau… pour finir par être congédiés en fin de journée seulement.
Les deux jeunes gens se retrouvèrent ainsi à la porte du musée fermé. Amaryllis se tourna alors vers Aranmorë.
« - Je dois retourner auprès des miens. Il y a encore tant de travail et si peu de temps… Je suis vraiment navrée que vous ayez dû faire un marché avec cet odieux personnage. Si vous avez besoin de quoi que ce soit à partir de maintenant, surtout n’hésitez pas à venir me voir à l’ambassade. Je tâcherais de raconter à tous vos efforts et vos exploits. Je m’assurerais qu’aucun hobbit ne vous claque jamais la porte – bien que ce ne soit guère dans nos habitudes. Surtout n’hésitez pas à passer me voir avant que la délégation ne reparte. Cela me peinerait de partir sans un au revoir après tout ce que vous avez fait pour moi… pour nous en fait. »Et elle l'enlaça, entourant sa taille de ses petits bras avec force. Après quoi elle lui indiqua une bonne auberge et prit définitivement congés, le cœur un peu lourd.
Quand finalement Aranmorë se présenta à l’auberge indiquée, il ne put faire autrement qu’être surpris par la présence qui l’attendait, accoudée contre la porte de sa chambre, qui venait pourtant tout juste de lui être attribuée. C’était Sathie, absolument nonchalante.
- Tiens tiens, te voilà enfin... Aranmorë. Sandatt t’attend à sa boutique d’ici demain, juste avant le coucher du soleil. Pas avant, pas après. Et souviens-toi que tu as une lourde dette à payer !Et elle repartit de nouveau, se glissant par la fenêtre au fond du couloir. Pas un sourire, pas une remarque légère, juste un air grave et inquiétant qui plana dans la pièce bien après son départ.