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 [Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre

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Isilo
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[Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre EmptyLun 17 Oct 2016 - 2:44
#Isilo #Tatië
HRP:

À la lueur des flammes qui dansaient dans son antre, le maître de Limeclaire badigeonna la pointe de sa plume dans le petit pot d’encre et traça sur son manuscrit les premiers ruisseaux d’ébènes.


    Dame Tatië,L’élégance des fleurs ne vient-elle pas en partie du fait qu’elles soient un jour bourgeon, puis l’autre, splendide corole ? Qu’en est-il d’elles si elles ne se fanent jamais, quelle est la sensation que vous ressentez à la vue d’une fleur qui est la même d’un lendemain à l’autre ? On m’a longuement chanté la beauté de Tirion et de ses jardins, sont-ils aussi beaux que le racontaient mes aïeux ? Ici, à Limeclaire comme partout en Ennor, la vie se relaie sans cesse avec la mort afin que des miracles puissent avoir lieu. Dame Tatië, laissez-moi vous en donner un exemple, qui s’avère être un de mes préférés. Au moment où une graine touche le sol froid et qu’elle n’est pas plus lourde qu’un petit pois, elle contient en son cœur toute la nourriture, la connaissance innée et la magie qu’il lui faudra pour devenir un arbre mature faisant de l’ombre même aux plus grands palais. Sa vieille armure mourra, mais l’allure de sa nouvelle enveloppe corporelle sera plus fière que jamais. C’est la volonté de Yavanna qui vit en ce petit véhicule de vie, qui rend tout cela possible, n’est-ce pas ? S’émerveille-t-elle encore devant ces choses, même si ses jardins de Valinor sont plus brillants ? On dit qu’Ulmo vit dans chaque goutte de pluie et dans chaque ruisseau, où qu’ils soient : connaît-il tous les parfums de la rosée ou se surprend-il, comme moi, d’en découvrir des nouveaux à chaque saison ?Alors que je n’étais encore qu’un enfant qui ne connaissait que la langue de ses parents, il m’arriva à quelques reprises de penser aux Terres de l’Ouest. Si je ne me trompe pas, vous y étiez toujours, à ce moment. Je disais souvent que le fief de mes parents était un paradis en Ennor, que je ne le quitterais jamais et que je passerais ma vie à chasser des bestioles ou à explorer les bois, que je connaissais déjà par cœur d’ailleurs ! Or, j’attendais ma mère me dire, me reprenant, que la beauté de la demeure de Manwë et de ses paires dépassait celle de toutes choses qui existaient sur les terres qui avaient été mon berceau. Après une vie de contemplation et d’études, je suis certain que la lumière du royaume des Valars est en fait cette lumière intérieure qui brille en chacun de nous, que sa brillance est celle du cœur d’Eru. Par contre, je n’arrive pas à me l’imaginer, ni cette lumière, ni le visage des grands esprits, ni le palais de Mandos, ni rien de tout cela. Comment sont ces choses, mon amie ?Quand nous étions courroucés par le souffle de Manwë dans les hautes cimes des Monts Brumeux, j’ai eu très peur de vous perdre. Aussi, quand le froid arrachait la vie de mon corps, j’ai cru que je ne vous reverrais que de l’autre côté de l’Océan, où mon esprit essaierait de toucher le vôtre à travers les yeux d’un autre corps. Mais je vous ai revu et la sensation que j’ai perçue à ce moment, quand je suis descendu des ailes de mon nouvel ami, était indescriptible. Pourtant, j’avais déjà ressenti une parcelle de cette force, en tant que témoin, quand mes parents s’enlaçaient après une longue période sans s’être vus. À cet âge, je la ressentais comme l’onde de choc d’un lointain épicentre, mais elle était bien là, elle m’avait frappé. Vous étiez bien là, devant moi, quand je la ressentis. Vous êtes sage, Dame Tatië et je suis encore si jeune pour un edhel, pourquoi cela s’est-il passé? L’avez-vous ressenti, ma Dame ?Le temps est magnifique aujourd’hui et les domestiques en ont profité pour servir le banquet à l’extérieur. Les convives partageront le festin avec les abeilles et les escargots ! J’aimerais que vous y soyez, vous aussi.Je penserai à l’énigme d’Ilmendil et vous donnerai des nouvelles quand j’aurai une nouvelle piste. Man tolthatha i ‘waew ?1À bientôt,Votre dévoué serviteur et ami,Isilo




1 trad. sind: Qu'apportera le vent ?
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[Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre EmptySam 5 Nov 2016 - 18:55
[Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre Tatiy10

La fenêtre de la chambre était ouverte, laissant l'air vespéral inonder la pièce d'une chaleur anormale. Tatië se posa la question : était-ce l'été particulièrement généreux qui donnait au soir cette douceur, ou bien cette sensation était-elle due à son imagination ? Bien qu'elle ne le vit pas, elle savait que dans cette direction se trouvait le fief de Limeclaire, d'où Isilo lui avait écrit la veille dans sa demeure. Elle se demanda s'il avait le pouvoir de lui envoyer des ondes d'empathie par l'entremise du vent, puis sourit. Cette pensée était idiote, mais si réconfortante.


    Très cher Isilo,

    Je suis bien heureuse de recevoir votre lettre. Bien que mon échec sur la montagne puisse être vu comme une volonté de Manwë de vous faire rencontrer, vous et vous seul, les grands aigles qui sont ses préférés parmi les êtres doués de parole, je ne puis m'empêcher d'éprouver une pointe de honte. Bien que vous ne me l'ayez jamais fait sentir, j'ai eu peur d'avoir pu baisser dans votre estime à la vue de ma défaillance, et cette pensée a grandi dans mon esprit depuis que vous avez quitté Imladris. Si j'éprouve autant de soulagement à la lecture de cette lettre, c'est que je la vois comme une preuve qu'il n'en est rien, et je vous en remercie. Il semblerait que nous soyons à l'aube d'un départ pour une aventure encore plus grande, bien que nous n'en connaissions pas encore la destination... car je n'ai pas percé à jour, hélas, le mystère de l'énigme de votre ami. J'ai de nombreuses idées mais aucune ne semble s'appliquer parfaitement aux quatre vers, et je préfère ne pas influencer votre réflexion par des hypothèses fausses.

    Ce fut en l'année 122 du Quatrième Âge que je me joignis à ceux d'entre nous qui firent voile vers les terres mortelles, aussi je puis vous affirmer avec une quasi-certitude que les souvenirs de votre jeunesse datent d'un temps où je me trouvais encore à Tirion. Ah, Tirion sur la colline de Túna, Isilo ! Ce fut bien plus qu'un crève-cœur que de la quitter lorsque les premières rumeurs d'un Roi Elfique parvinrent au pays des Puissances. Mais au moins le faisais-je pour une juste cause cette fois-ci, et non par la faute des mensonges et de l'orgueil d'un des nôtres. Vous auriez dû voir la pureté du vert des pentes qui jouxtent la ville, la brillance des grands escaliers de cristal qui mènent aux portes d'entrée... Vous auriez été subjugué par le scintillement des ruelles dont le sol est tapi d'un sable fin de poussières de diamant, et par la blancheur immaculée des habitations. Tout cela vous aurait émerveillé. Mais je sais au fond de moi que votre contentement n'aurait été total qu'une fois atteints les Jardins. Car leur beauté n'est pas figée, mais changeante : ils paraissent irradier d'une faible lueur, si subtile que certains ne la perçoivent même pas la nuit tandis que d'autre arrivent à la sentir même pendant la journée, quand Ulmo et Manwë s'amusent à parsemer le ciel de nuages et que la soleil est cachée. Je me plais à croire que cette lueur est un écho presque imperceptible de la Lumière des Deux Arbres, que j'ai connu de trop brèves années et qui emplit à présent mon cœur de languir et de regret. Dans ces jardins, il y a des arbres, des arbrisseaux et des plantes qui ne poussent point de ce côté-ci de Belegaer. Quand les temps seront moins agités, Isilo, je me ferai une joie de vous en faire la liste et la description, aussi fidèlement que je m'en souvienne.

    Lorsque nos aïeux, les premiers nés des Noldor, firent le Grand Voyage et arrivèrent en Valinor, ces terres n'étaient pas encore séparées du reste d'Arda comme elles le sont aujourd'hui. Terres Mortelles et Terres Immortelles étaient faites de la même matière et formaient un tout, séparées qu'elles étaient seulement par les eaux. Gardez bien à l'esprit que ce sont les Valar, élus d'Ilúvatar, qui ont donné leur bénédiction au Valinor et lui ont apporté sa beauté, sa magie ; pas l'inverse. Cela, je l'ai appris par la bouche des érudits du peuple des Vanyar, les suivants d'Ingwë, qui habitaient jadis Tirion avant d'aller vivre aux pieds de Manwë et Varda sur le Taniquetil. Car je ne fais pas partie des Premiers-nés. Eux ont vu et savent de nombreuses choses que nous autres suivants ne pourrons jamais contempler. Toutefois comme vous le présagez, la beauté insufflée à Arda par ses créateurs se retrouve dans chaque parcelle de terre, dans chaque souffle de vent, dans chaque cascade qui chante sa douce mélodie dans le soleil du matin. Moi qui ait connu les deux mondes, je ne pense pas que je puisse affirmer que l'un est plus beau que l'autre. Quelle est la plus grande beauté, celle qui est pleine, entière, éclatante et non ternie, ou celle qui, subtile et délicate, se cache parmi le chagrin et la douleur attendant qu'on la découvre ? Je ne possède pas la réponse à cette question.

    De même, j'ai bien peur que certaines de vos interrogations concernant les Valar et leurs demeures ne restent sans réponse. Avec le temps, et notamment après les agissements de Fëanor, les Aratar ont mis davantage de distance entre eux et les Noldor et ne sont revenus porter leurs esprits dans les ruelles qui ont résonné de l'écho du terrible serment que très rarement depuis. Les seuls souvenirs que j'en garde datent d'avant ces événements sinistres et mon esprit les a enveloppé d'un brouillard au fil du temps. Qui plus est j'étais jeune, très jeune, à l'époque. Nous nous rendions dans le palais de Manwë seulement à l'occasion des grandes cérémonies ou des fêtes en l'honneur d'Ilúvatar, et je me souviens simplement que la petite Tatië connaissait en ces occasions une sensation que je n'ai jamais connu à nouveau. Une sensation d'une intensité incroyable. Peut-être même trop. C'est fort difficile à expliquer, mais pour vous donner une idée je dirai que contempler la beauté des Valar est comme essayer de fixer la soleil : l'on y voit directement la source de la lumière mais nos yeux et notre esprit imparfaits ne peuvent en assimiler la totalité. Je me souviens que la crainte me saisissait en de pareilles occasions.

    Ce qui se passa dans les jours si mémorables de notre ascension vers les hauteurs des Monts Brumeux ne m'a pas laissé de marbre non plus. Tandis que j'avais renoncé à monter plus haut en altitude et vous avais laissé continuer seul dans le froid et la tourmente, je me souviens qu'une crainte, une envie et un regret se saisirent de moi. La crainte que vous ne reveniez point des sommets, que vous reposiez à tout jamais dans la neige encore non foulée par quiconque, seul. L'envie de vous suivre malgré ma fatigue et ma douleur et de partager votre sort, si funeste put-il être : j'aurais préféré mourir à vos côtés plutôt que d'effectuer une descente solitaire en vous laissant là-haut. Et le regret de ne plus être en mesure de le faire car vous étiez déjà loin, hors de vue. J'ignore si nous avons ressenti la même chose ou des choses différentes. Nous avons vécu une situation périlleuse, des difficultés et ce genre d'épreuve est fait pour rapprocher deux êtres. Lors de ce fameux Conseil déjà ce ne fut pas seulement votre propos qui me poussa à vous suivre, mais aussi la certitude que vous étiez un homme de bien, que je pouvais vous faire confiance sans même encore vous connaître. Cela était-il le précurseur de ce que j'ai ressenti sur cette montagne ? Peut-être bien. Mais je ne suis pas assez sage, ou peut-être trop sage, pour savoir si ces ressentis vont évoluer, si de nouveaux vont émerger lors des moments que nous avons encore à vivre ensemble, ou si tout cela restera figé là où nous en sommes. Vraiment, je l'ignore, mais nous sommes tous deux des admirateurs de la beauté du monde et je suis heureuse que nous nous soyons rencontrés.

    À l'aune de tout ce que je viens d'écrire, je vais maintenant me risquer à répondre à votre toute première question, ou tout au moins à donner mon ressenti. La beauté des jardins de Tirion vient pour moi de leur lueur changeante qui leur donne un aspect différent suivant le moment de la journée. Les terres du Valinor, d'abord brutes et stériles, ont été bénies et enjolivées par la présence des Valar, et c'est ce qui fait leur charme. Je me suis trouvé une nouvelle raison de vivre en prenant le risque de quitter ma vie paisible à Tirion et de venir accomplir des choses ici. Quelles qu'elles soient, les émotions que nous ressentons l'un pour l'autre n'ont de valeur que parce qu'elles évoluent au fil de ce que nous vivons ensemble. Tous ces exemples nous enseignent que la beauté ou la félicité ne sont pas des états figés mais qu'elles se révèlent dans le changement, dans le passage d'un état à un autre. Tout changement implique un risque, le risque de perdre ce qui était là avant que ça ne change. Graine... Bourgeon... Corolle... Fleur fanée...

    Puis à nouveau graine. En ceci les elfes ne sont guère différents des fleurs.

    Est-ce le changement qui régit la vie de votre fief et de votre communauté depuis sa fondation, ou bien vous êtes vous, malgré vous, laisser aller à rêver d'un Limeclaire qui resterait le même, inébranlable, pour des siècles et des siècles ? Malgré la proximité de nos deux lieux de vie j'en connais fort peu sur votre domaine. J'aimerais en savoir un peu plus sur les personnes qui y vivent, les occupations qui rythment leurs journées et les projets qui font battre leurs cœurs. Comment voyez-vous votre rôle dans un si vaste monde ?

    Qu'Elentári veille sur vous,

    Tatië.


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[Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre EmptyJeu 4 Mai 2017 - 5:17
La domestique déposa sur le petit tabouret les étoffes pourpres qu'elle venait de plier et qui seraient bientôt déposées avec grâce féminine dans les armoires de la demeure seigneuriale. Quand elle vit le maître de Limeclaire déambuler dans le grand hall, elle s'empressa de lui sourire en lui tendant la main. Comme si ce même sourire avait cherché un autre visage où s'installer, il se dessina sur le minois délicat du seigneur qui attrapa aussitôt la lettre que lui remit la dame. Il la remercia et prit tout de suite le chemin de la salle de séjour où il s'installa face aux jardins. Bien qu'on y aurait vu une plume déverser ébène et strophes, c'était en fait le coeur d'Isilo qui était en marche.


    Dame Tatië,

    La beauté de vos mots n'a d'égal dans ce monde où beauté n'est pas rare apparition. Bien que j'eus dédié beaucoup de temps à l'apprentissage du maniement des vers et des sons, la mélodie entonnée par vos récits ferait s'incliner le génie derrière même le plus lumineux des Arias. Et que dire des visions merveilleuses que suscitent le silence soigneusement laissé entre vos descriptions et comment celles-ci m'ont fait voyagé ! Je suis émerveillé de voir que la grâce du Valinor est belle et bien vivante au sein de Ceux qui sont retournés. Je tenais à vous remercier pour la minutie de vos analyses et la fidèlité de vos syllabes envers votre voix, que j'entendais au plus profond de mon être à la lecture de votre lettre, exactement comme si je vous avais écouté me la lire.

    Vos questions sont, j'en conviens, des voies à travers lesquelles mon esprit pénètre le subconscient par des brèches qui m'étaient inconnues encore à ce jour. En effet, vous semblez me donner des pistes de réflexion encore inexplorées...Et bien, tout comme la brise du matin n'est que le soupir, l'extension du vaisseau dans lequelle Manwë s'incarne, j'ai longtemps cru que le fief de Limeclaire et moi ne faisions qu'un. La raison de cette croyance est simple: mon esprit n'a que très rarement compris la différence entre l'objet et sa définition, tellement ma représentation du monde s'est longtemps limitée à ce à quoi j'étais confronté dans le fief familial. Par exemple, une ''odeur'' au sens où nous la concevons aujourd'hui, n'a jusqu'à très récemment été une étiquette sans trop de valeur que j'apposais sur un phénomène que j'avais perçu avant d'acquérir la parole. Autrement dit, l'expérience d'Arda au sein de la paix de mon fief avait été si forte alors que j'ouvris à peine les yeux, qu'elle imprégna mon être d'une vérité inchangeante pendant presque toute ma vie. Or, ayant par la suite voyagé et appris à connaître les différents visages d'Ennor, il me fut plus facile de modifier mon interprétation du réel.

    Vous savez, mon amie, la vie dans le fief est celle des saisons qui s'enchaînent dans le calme, des éléments qui se respectent et du temps qui est régent respecté de tout ce qu'il gouverne. C'est ici que j'appris à être fils d'Iluvatar, porteur du sang de ceux qui ont connu Gondolin et le Premier Âge, à m'émerveiller devant la complexité de la langue des bêtes et des créatures immobiles. Tout jeune, je compris à quel point la création des Puissances était fragile quand je perdis ma mère, qui, heureusement, nous laissa dans la douceur et nous enseigna à respecter le chemin vers Mandos sur lequel elle s'engagea. Ma mère était belle, elle avait une beauté comme la vôtre, proche de celle d'Elentari. Je dois vous avouer que la mentionner dans cet échange me fait sourire, car l'image de ses iris m'est venue en vision au moment où je regardais les enfants des domestiques rigoler dans le pré. Il faut donc comprendre que Tout est Parfait, semble-t-il.

    Heureusement, mes chers parents réussirent à faire honneur à leur réputation en or et ouvrirent le domaine qui leur avait été donné pour leurs services envers Imladris aux Eldar voulant bien s'y réfugier. Un peu à la manière de notre Seigneur Peredhel, mon père voulut faire de sa maison un lieu de paix à l'abri des soucis du monde. Sans qu'on ne les invite vraiment, mes chers oncles et tantes s'y installèrent avec leurs entourages et apportèrent connaissances aux bibliothèques qui allaient être érigées ici. Ce fut là une des meilleures décisions de ma famille, car il est facile de voir aujourd'hui que l'union de ma lignée est préservée et que les liens entre les individus sont toujours très solides. Quand vous viendrez, vous verrez domestiques, savants, hommes d'armes et d'honneur se côtoyer dans les diverses installations, que ce soit autour d'une table ou se reposant près des cours d'eau. Vous verrez comment il est facile de croire en un monde plus paisible.

    Très peu d'Edain ne vinrent ici, je ne le crains. Peut-être que l'heure n'est pas encore venue, qui sait. J'attends toujours une rencontre fraternelle ici, chez nous, sous la bannière de la confiance et de l'amour. Tous les jours, je suis très excité à l'idée d'héberger une compagnie de savants ou d'aventuriers en provenance de contrées lointaines.

    Il semble que je m'égare dans mes rêveries ! Pour tout vous dire, Limeclaire est un lieu de connaissance où les détenteurs de savoirs longuement raffinés partagent des idées et prennent des décisions quant au destin de ces informations. Parfois, il est décidé dans des cercles de paroles que certaines connaissances doivent être révélées à certaines personnes, dans un royaume déterminé. Dans ce cas-là, des escortes partent avec des individus désignés afin de porter manuscrits et échantillons vers des peuples plus ou moins distants. C'est ainsi que les miens et moi contribuons, à notre façon, à guérir Ennor de ses maux.

    Dame Tatië, que ressentez-vous quant au lien qui nous unit Ilmendil et moi dorénavant. Qu'advient-il d'un Elda ayant vu le toit du monde ? Que signifie une telle amitié avec les messagers du Père des Vents ? Étrangement, bien que les jours passent en se ressemblant, la lumière de l'aube qui traverse l'espace sans obstacle, sans nuage ni pics, ne semble pas avoir quitté mon coeur. À vrai dire, j'ai le sentiment de n'être jamais descendu et que les ailes des Theryn sont désormais les miennes. Que comprendre d'une telle extase cosmique ?

    Puisse votre lumière ne jamais cesser de briller sur moi et mon destin,

    Votre plus fidèle ami et serviteur,

    Isilo
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Hadhod Croix-de-Fer
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[Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre EmptySam 6 Mai 2017 - 16:23
[Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre Tatiy10

Le temps était calme ce soir-là, pas un souffle d'air ne venait agiter les rameaux des myrtes qui poussaient autour de la terrasse prolongeant les appartements de Dame Tatië. C'est pourquoi la sage noldo avait choisi d'apporter sur la petite table carrée la lettre qu'elle avait reçu d'Isilo la veille, ainsi qu'une feuille de papier, son petit encrier en verre et sa plume de coq de bruyère taillée à la perfection. Elle que son ami avait enjoint un jour de regarder le monde, trouvait qu'il n'y avait pas meilleure façon de trouver les mots justes pour lui répondre que de goûter aux douces senteurs de l'extérieur, sous les étoiles. Elle n'alluma aucune torche, dont la trop vive lumière aurait gâché sa contemplation des astres, et se contenta de la flamme d'une chandelle. L'environnement immédiat était plongé dans l'obscurité, et un observateur attentif n'aurait vu de la scène que le buste et le visage de Tatië dans un doux halo de lumière dorée, penchée attentivement sur sa lettre, entourée d'une nuit naturelle et inspirante qu'elle ne craignait aucunement.


    Cher ami,

    Au moment même où je vous écris l'air semble être immobile et attentif autour de moi. J'ai rarement eu cette sensation depuis ma venue sur ces terres, dans ces reliefs caressés d'habitude par le souffle vivifiant de Súlimo ou parcourus par ses puissantes rafales lorsqu'il souhaite donner libre cours à son expression. Je me demande s'il ne s'agit pas de ce qu'on appelle le calme avant la tempête, et j'en viens parfois à penser que du haut de sa demeure il a pu voir ce qui se passait ici : que les Quendi ses bien-aimés et les Theryn ses messagers avaient renoué un lien depuis longtemps disjoint. Peut-être que ce que vous avez accompli sur ces hauteurs est le préambule à des événements dont l'importance ne peut être assimilée pleinement par nos esprits, bien que nous tendions nos volontés à les voir s'accomplir, et que cette importance est assez grande pour attirer l'attention de l'Ancien Roi d'Arda. Je ne sais si cela est vrai ou s'il ne s'agit que des divagations illusoires de mon esprit qui s'engage dans un orgueil qui ne me ressemble pas. Mais tout de même, je vois dans tout ceci plus que des hasards. S'il n'en tenait qu'à mes sensations ce pourrait être le cas, mais puisque vous ressentez aussi, assurément, la pensée de Manwë qui cherche à vous atteindre par l'entremise de ses majestueux Oiseaux, j'en viens à penser qu'il y a bien plus que du hasard et qu'il n'a pas abandonné la Terre du Milieu et ses problème comme certains le craignent. On ne peut, à mon avis, côtoyer de telles créatures, même un bref instant, et demeurer inchangé. Tout comme les cavaliers de notre peuple ressentent une symbiose avec le cheval qu'ils aiment et ressentent l'aura d'Oromë et de Yavanna, ceux qui ont la chance d'entrer en communion avec les êtres qui parcourent le ciel peuvent aussi ressentir la présence du Vala qui leur est associé. Mais vous, vous n'avez point côtoyé un aigle commun ou un faucon comme le font les fauconniers, non plus qu'un pigeon voyageur comme il arrive aux Edain de le faire ou un corbeau comme en ont coutume les Gonnhirrim, mais vous avez communiqué avec un Thoron, un Grand Aigle de Manwë, seul à seul, et vous vous êtes mutuellement fait confiance et une amitié a vu le jour. En ces conditions, trouvez-vous toujours étonnant de ressentir les effets de ce lien ? Mais si vous doutez toujours qu'un tel phénomène puisse se produire, rappelez-vous de l'histoire d'Elwing qui fut changée, dans son hröa-même, en Oiseau de Mer par la seule grâce d'Ulmo. Ce prodige s'est déroulé en des temps immémoriaux, lorsque les Terres Mortelles et Immortelles n'étaient pas encore séparées et que les Puissances apparaissaient encore de manière physique dans le monde. Je ne m'attends pas, bien évidemment, à ce que vous preniez véritablement la forme d'un Thoron, je pense simplement que vous expérimentez en pensée ce qu'Elwing a expérimenté physiquement. Mais ce que je dis n'est pas la vérité. C'est ma vérité, c'est ce que je pense.

    En levant le regard de la table à laquelle je suis accoudée, je peux voir une étoile plus brillante que les autres orner le ciel de l'Ouest. Vous voyez de laquelle je veux parler, mon cher Isilo ? Vous connaissez son histoire. Eärendil aussi vole dans les cieux, pas avec des ailes mais avec sa nef. Je me suis toujours demandé ce qui est la plus beau, de contempler la grande oeuvre d'Eru depuis le firmament et de l'avoir sous les yeux dans son entièreté, ou bien de ne voir que le fragment, limité et subjectif, qu'il est donné de voir à nous autres créatures terrestres. Il est drôle de se dire qu'Eärendil et Elwing étaient des époux, eux qui chacun à leur manière ont parcouru le ciel, mais là encore je n'y vois que peu de hasard. J'ignore si celle qui partagera un jour votre vie, Isilo, sera elle aussi gratifiée de l'extase cosmique dont vous parlez. Quoi qu'il en soit Eärendil est issu d'une ascendance singulière. Son père était Tuor, le seul adan à avoir foulé les ruelles de Tirion et à avoir été autorisé à vivre parmi les Eldar de Valinor. C'est pourquoi je connais, ma foi, bien peu ce peuple et toutes les longues années de ma vie ne me sont donc d'aucun secours dans ce domaine ; et je n'en connais donc pas mieux que vous sur eux, sans doute même moins. Mais ne sont-ils pas eux aussi des Enfants d'Ilúvatar ? Et puisque eux et nous sommes séparés par la mort, je pense qu'il est dans les desseins d'Ilúvatar que les Edain et les Eldar apprennent les uns des autres durant leur vie. Je me demande où vont les fëar des Edain après leur mort. Vous l'êtes-vous déjà demandé, Isilo ? Je vous avoue que mon esprit est incapable de se représenter un après où il n'y aurait rien, aucune pensée, que du vide. Et pourtant, les Vanyar qui demeurent sur le Taniquetil et qui s'entretiennent directement avec Manwë, lui qui en sait plus que tout autre sur la pensée d'Ilúvatar, parlent de la mort des Hommes comme un Don qu'il leur aurait accordé. C'est chose étrange... le plus grand don serait-il donc de consentir à donner le vide, l'oubli, autrement dit à donner rien. Et pourtant, bien que nous aimions tous les deux ce monde et ses beautés, mon cher ami, pensez-vous que nous l'aimerons toujours avec la même force dans mille siècles, nous qui sommes liés à son essence et qui devront aller jusqu'à la fin des fins avec lui ? Et n'en viendrons-nous pas un jour à envier les Fírimar et à vouloir être comme eux, et pouvoir reposer notre fëa de ces cycles ?

    Lorsque je demeurais en Valinor, j'aimais une personne du nom de Nolya et il m'aimait en retour. La beauté du Royaume Bienheureux était à son zénith et mon bonheur était entier. J'ai pensé que je pourrai vivre ainsi jusqu'à la fin des temps, dans une plénitude infinie. Lui aussi, il le pensait. Ce bonheur a duré de nombreux siècles... Et puis la plupart des Noldor ont fui, et nous les avons suivi. Mais arrivés dans le grand Nord, j'ai préféré rebrousser chemin avec notre seigneur Finarfin et implorer le pardon des Valar, et Nolya a suivi Finrod et les autres princes dans l'exil. C'était un grand érudit, et son cœur languissait après de nouvelles terres à explorer et de nouvelles merveilles à étudier, et non après le plaisir sauvage de la conquête comme certains. Et je n'ai plus eu de nouvelles de lui. Et le Beleriand fut englouti...

    C'est étrange, mais votre regard me rappelle un peu le sien.

    L'heure est tardive et les étoiles ont accompli une course certaine depuis que j'ai pris ma plume, mais j'aimerais vous poser une dernière question. Bien que ni vous ni moi m'ayons à l'heure actuelle la réponse à l'énigme de votre ami ni aucune idée du lieu où il veut nous envoyer, avez-vous peur des dangers qui nous attendent ? Vous peine-t-il de devoir vous exiler de votre fief bien-aimé, même si ce n'est que passager ?

    Je suis flattée, cher ami, que vous me trouviez une beauté proche de celle d'Elentári, car l'on ne peut trouver plus grand compliment. Quand le moment sera venu pour vous de la contempler, vous verrez que votre comparaison est erronée, mais votre erreur ne fait que prouver une fois de plus votre courtoisie. Qu'elle prenne soin de vous.

    Mes pensées vous accompagnent,

    Tatië


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[Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre EmptyMar 9 Mai 2017 - 6:58
Quand Isilo termina de lire la lettre de sa correspondante, les ombres se faisaient déjà longues dans les prés de Limeclaire et les flammes des bougies de ses quartiers avaient déjà soutiré à la pénombre toute l’intensité à laquelle elles avaient droit. Au moment où le sommeil aurait pu avoir emporté le maître du domaine, la lettre de la Dame du Valinor sembla inhiber toute sensation de fatigue qui aurait empêché Isilo de lui écrire une nouvelle réponse. Bien confortablement assis dans son fauteuil, installé de profil de manière à pouvoir s’appuyer sur une petite table, l’Elfe inspiré s’engagea à nouveau sur le sentier du récit et de la prose.


    Grande Dame Tatië,

    La clarté de votre esprit ne peut que laisser à découvert les doutes de mon esprit qui se tapissent dans les endroits que mon cœur désigne pour eux. L’émotion qui gonfle mes entrailles de fébrilité à la lecture de vos pressentiments est indescriptible. Vous lire me parler d’Ilmendil, de mon aïeule Elwing et me remémorer les récits d’antan me replonge dans mon enfance où on m’enseignait à sentir ces choses plutôt qu'à y croire. Contre toutes attentes, je crois que les Puissances ont remis une femme comme vous sur mon chemin pour me rappeler la sagesse de celle qui m’a donné la vie. Ainsi, tant que je bénéficierai de votre bonté, il me sera plus difficile d’oublier les deux plus grandes œuvres que m’a léguées ma mère : la vie et la connaissance. J’espère pouvoir vous montrer un jour la profondeur de ma reconnaissance, car sachez que si je fus aussi brave qu’Ëarendil, j’indiquerais aux étoiles votre chemin afin qu’elles ne cessent jamais de l’illuminer. No in elenath hílar nan râd gîn, Tatië thêl nîn! 1

    La beauté des étoiles vient du sens qu’elles renferment pour chaque créature. Pour les bêtes, elles ne sont que synonyme de repos et de réconfort, car elles veillent sur la paix de la nuit, apportant tranquillité aux tanières et aux nids. Quand je l’observe, je ne peux m’empêcher aux réfugiés des tristes fratricides et de la Nirnaeth Arnoediad qui ont vu en la plus brillante d’entre elles, alors qu’ils que leur regards se tournèrent vers Aman, le symbole de l’espoir. Pour eux, cette êl était un peu une façon de leur remettre finalement un Silmaril inaltérable, comme si la lumière d’Eru qui scintillait en eux trouvait la légitimité de son existence dans un proche reflet céleste. Pour la première fois depuis des siècles, fils de Noldor et de Sindar aux côtés d’Edain pouvaient sentir la force du Créateur les habiter malgré la violence infligée par le temps. Pour ma mère, elle était une confidente en laquelle elle avait confiance et qui veillerait sur ses enfants après son départ. Pour moi, les perles de Varda Elentari sont parmi les meilleurs guides, car je sais que la vigueur d’un fëa qui ne s’estompera pas ne les dissuadera jamais de l’abandonner. Pour cette raison, je crois qu’il est juste d’être à l’écoute de leurs soupirs. Les entendez-vous vibrer dans l’au-delà ce soir, Dame Tatië ?

    Quoi qu’il en soit du destin des edhil et des edain, j’aime avoir foi en l’idée d’un Ennor à l’image des premiers printemps du monde où il y avait suffisamment de place pour tous. Si les desseins d’Iluvatar sont mystérieux, je sais qu’ils ne font point la distinction entre bon et mauvais, mais qu’ils veulent plutôt que les choses soient ou ne soient pas. Or, les Elfes et les Hommes ont été, sont toujours et seront dans ces sphères-ci du monde pour encore quelques temps, il me semble. Par conséquent, si ces choses s’incarnent dans le présent, à chaque seconde, à chaque instant que la terre respire exactement comme le font nos poumons, je pense que la vie qui les habite est exactement telle qu’elle devrait être. Oui, ma chère amie ! Nous sommes tous ici, ensembles, et mieux vaut faire de la vie de nos frères et sœurs une histoire rendant hommage aux Puissances et à leur chef d’orchestre, le temps qui nous est alloué à tous. Moi, je n’ai ni connue la terre des Valar, ni jamais échangé avec ceux qui marchèrent aux côtés d’Ingwë, et je dois vous avouer que la raison derrière l’Immortalité des Premiers nés m’échappent autant que le sens de la nature éphémères des Hommes. Néanmoins, l’amour que je porte en moi, qui s’est embrasé de plus belle depuis que les cieux ne sont plus aussi distants qu’ils ne l’étaient pour moi, me renseigne plutôt sur la manière dont il convient de vivre cette vie. Puissent l’espérance de vie des nôtres leur permettre de sans cesse trouver bonheurs renouvelables et puissent les Hommes trouver la paix dans le vide qui leur est destiné. Surtout, puisse l’amour d’Iluvatar nous mener à nous honorer les uns les autres dans nos chemins qui s’uniront un jour.

    Vous ne m’aviez jamais parlé du seigneur qui avait partagé votre vie autrefois. Évidemment, je suis heureux d’apprendre que votre cœur puisse avoir été chéri et protégé par la douceur d’un enfant d’Iluvatar, au moins quelques unes de toutes ces longues années qui ont fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui. Si mon âme et la sienne avaient pu se croiser dans un vide lointain, je suis convaincu qu’il aurait su que vous et moi nous rencontrerions et qu’il m’aurait demandé de veiller sur vous. Dans mon corps gelé qui trouve le sommet de la montagne, dans les ailes d’un Thoron qui vient à mon secours et dans chacune de ces lettres, votre ami, paisible, agit probablement de sa volonté.

    Je ne vous le cacherai pas, on n’est nulle part si bien que chez soi ! Je crains que nos deux esprits vifs ne seront trop tarder à nous lancer vers notre prochaine destination et c’est pour cette raison que je tâche de ne pas trop m’habituer à nouveau au confort de mon domaine. Des dangers guettent notre prochaine destination et cette certitude me vient du regard de mon ami. Bien que les esprits de Sulimo soient fiers et majestueux, la peur dans son regard était celle d’une bête qui se replie dans son antre. Je me demande ce qu’un être de sa stature peut encore craindre en cet Âge. Pour ma part, mon serment est qu’il me revient de guérir la désolation qui gangrène le peuple d’Ilmendil.

    À notre retour, j’organiserai une fête pour vous ici, à Limeclaire. Nous serions honorés de recevoir une Dame de Valinor en notre havre de paix. La salle de feu d’Imladris possède une magie ambiante indéniable, mais je vous parie que vous tomberez en amour avec le fief de Limeclaire. Acceptez-vous mon invitation ?


    Saluez les grandes cascades pour moi,

    Votre ami le plus dévoué,


    Isilo


1Puissent les étoiles briller sur votre chemin, soeur Tatië !
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Hadhod Croix-de-Fer
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~ GRIMOIRE ~
- -: Nain de la Maison des Longues-Barbes.
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[Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre EmptyJeu 18 Mai 2017 - 20:30
[Fief de Limeclaire/Flashback]D'une vie à une autre Tatiy10

Dans l'heure froide qui précédait l'aube, la végétation des alentours était grise et les reliefs lointains, indistincts. Le bruit sourd des torrents servait de fond sonore aux chants matinaux des oiseaux de bien des espèces qui avaient fait des ramures des arbres de la vallée leurs logis. Tatië entendait le grondement des uns et les pépiements des autres affluer par la fenêtre qu'elle venait d'ouvrir pour faire entrer l'air neuf et vivifiant. Elle ne sortit pas sur la terrasse comme l'autre soir mais s'installa sur la table d'angle de sa chambre pour écrire.



    Cher Isilo,

    Si les maux dont souffre Imladris n'étaient pas si grands, si autant de salles et d'endroits ne portaient pas encore les stigmates de la guerre qui les a meurtris, je n'aurais besoin ni d'encre ni de papier pour vous parler, car je serais en train de deviser avec vous tout en contemplant d'un œil émerveillé les beautés de votre domaine. Cela, je vous l'aurais demandé comme une faveur. Hélas, ce n'est pas le cas, et la cité de Calion Palantir réclame ma présence, je le sens, pour l'aider à renaître, d'autant que certains, je le sais et je l'ai remarqué, possèdent un attachement encore plus viscéral à ces murs, y habitant depuis bien plus longtemps que moi, et sont touchés par un chagrin qui me fait grand-peine. Je me dois de les aider à surmonter ces épreuves et seule la mission d'Ilmendil passera au-devant de ce devoir et excusera ma future absence.  Néanmoins notre aventure pourrait prendre du temps, et je pense qu'à notre retour les choses auront évolué. Alors, après un court séjour ici pour m'assurer que la cité va mieux, je pourrai certainement me permettre de quitter Imladris pour un temps et de venir à Limeclaire comme mon cœur le désire. J'accepte donc votre invitation avec joie, si tant est que le destin tissé par Vairë nous permette de rentrer tous deux vivants des périls qui nous attendent.

    D'ailleurs, quand nous disposerons de plus de temps et que nos esprits se seront affranchis de toute agitation, nous pourrons nous adonner tous deux à des activités de paix. Je connais beaucoup de choses que vous ignorez sans doute, Isilo, et vous-même avez de grandes connaissances dont je ne suis pas au fait. J'aimerais que vous m'emmeniez en balade dans les forêts et les prairies de votre domaine, par les sentiers secrets et dérobés que seuls connaissent le chevreuil, le lièvre et l'amoureux de la nature que vous êtes. Vous pourrez alors me faire découvrir les plantes que je n'ai encore jamais vues de mes yeux, me les nommer et me conter leurs histoires. Et peut-être alors pourrai-je vous dire que l'aspect de leur feuilles ou l'éclat de leurs corolles me rappellent telle ou telle essence qui ne pousse point de ce côté de la Mer, et ainsi apporter ma modeste contribution à votre grande érudition en la matière. Ah, Kementári nous a gratifié de bien des merveilles et les découvrir à vos côtés serait la plus belle des manières de rendre hommage à son oeuvre !

    Il me semble que mon esprit pénètre de plus en plus profondément dans les vers sibyllins de votre ami thoron, sans toutefois que je parvienne à dégager une réponse à l'énigme qu'ils composent. C'est comme si je m'immergeais peu à peu dans la pensée d'Ilmendil au moment où il a choisit ces mots et ces tournures : je saisis l'atmosphère et je saisis la saveur de ce qu'il a voulu nous transmettre, mais sans parvenir à mettre le doigt sur l'essentiel, sur la chose précise qu'il veut nous faire comprendre. Il vous est certainement arrivé, Isilo, tout sage que vous êtes, de rechercher parfois un mot, de l'avoir sur le bout de la langue mais de ne pas arriver à vous en rappeler ? Eh bien c'est ce que je ressens quand je médite sur ce quatrain : la réponse est là, latente, cachée juste devant moi, peut-être même en moi, et pourtant je ne puis l'attraper... Dans ces cas-là, généralement, le mot en question nous revient à l'instant-même où l'on cesse de chercher et où l'on pense à autre chose ; l'ennui, c'est que je ne parviens pas à débarrasser mon esprit de cette question, ce qui paradoxalement m'empêche ne trouver la réponse. Et vous mon ami, y parvenez-vous ?

    Quoi qu'il en soit, ce n'est certainement pas ce matin que viendra l'illumination. Car c'est dans un grand trouble que je me suis réveillée aux aurores et que j'ai fait les quelques pas qui séparent ma couche de la table d'écriture, afin de trouver dans notre correspondance le réconfort qui puisse atténuer mon chamboulement. D'habitude les rêves que je fais ne me plongent pas dans un tel état et ils ne viennent guère troubler la suite de ma journée, mais celui que je viens de traverser en cette fin de nuit me laisse une impression étrange, comme si j'étais encore plongée dans son atmosphère alors même que mes yeux sont ouverts. Il y avait des portes rondes sur le flanc d'une colline, et devant chacune d'elle un jardin propret entouré de barrières en bois. Mais l'une de ces portes était ouverte en plein et donnait sur un terrain où les herbes folles se disputaient la place comme si elles se livraient bataille, et le vide béant de la porte laissait entrevoir un intérieur abandonné, le propriétaire de ce logis manquant de toute évidence à l'appel. Cette vision m'a prise au cœur, et pourtant je ne puis définir le sentiment qui m'a saisi et qui semble rechigner à me quitter. C'est comme si j'avais conscience de la grande importance de ce rêve sans savoir dans quel sens je dois l'interpréter, et cela est fort troublant. Je hâte donc l'envoi de cette lettre pour vous en faire part, vous qui savez apaiser les cœurs et les esprits.

    Les grandes cascades sont en perpétuel mouvement et pourtant sont toujours là, éternelles, et nulle tempête ne vient les troubler. J'aimerais avoir cette force.

    Soyez assuré de mon amitié indéfectible,

    Tatië


The Half Cop
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