Alors que notre cher Intendant s’était retiré pour prier pour le salut de leur âme, nos quatre aventuriers cogitaient sur la nécessité d’une alliance, le choix d’un partenaire et celui de la direction à prendre. Un premier murmure se fit entendre :
- La Grande Bibliothèque …Mais des interrogations demeuraient. Fallait-il aller là-bas ? Et avec qui ? Pouvait-on faire confiance à ces hommes et ces femmes dont on ne savait rien - ni de leur passé, ni de leurs intentions ? Alors que les doutes s’immisçaient dans les esprits et que des regards plein de soupçons étaient échangés, Jigvard le Maître Bâtisseur souhaita rassurer tout le monde.
- Mais on est tous Gondoriens !A quoi répondit notre généreuse Adénais.
- Mais non, moi je suis Arnorienne !Quel drame, le défaut de maître Jigvard ne semblait pas se limiter à être borgne ; il devait lui manquer un peu plus qu’un oeil. Les propos d’Adenais entraînèrent une levée de bouclier. Arnorienne ! En voilà un autre défaut. Et comment être sûr de sa loyauté envers le Gondor alors qu’elle venait d’affirmer avec conviction venir d’un pays froid et sombre loin au Nord ? Sentant la méfiance prendre une place démesurée, elle rappela vivement les grands principes qui l’avaient poussée à s’engager dans une telle aventure.
- L’Arnor est le royaume soeur du Gondor. Je suis venue m’enrichir de savoirs auprès des érudits du Gondor. Frère et soeur, main dans la main. L’image faisait rêver les esprits naïfs mais Iohil, le guérisseur, ne se laissa pas duper et, fort des informations qu’il avait pu acquérir auprès de Dalia de Ronce il rappela un peu les dernières nouvelles de la famille.
- Entre l’Arnor et le Gondor la communication est pas super bonne donc j’ai pas confiance en l’Arnorienne. Mais pour les trois autres compères, oui ça va, je leur fais confiance.Iohil ne précisa pas si c’était le réseau Gondorien ou la connexion Arnorienne qui merdouillait. Face à tant de haine et de méfiance, Adenais mit en avant sa fragilité de frêle et douce jeune femme.
- Ben moi je suis assez là pour me débrouiller toute seule mais je sais aussi que je peux pas tellement m’en sortir toute seule en fait … Offrant des yeux emplis de larmes elle regarda ses compagnons la lèvre tremblante. Sa tentative échoua et c’est avec un peu plus de confiance et de détermination qu’elle rajouta.
- Donc je vais en choper un et je vais pas lui demander son avis !Un curieux silence s’installa entre les aventuriers. Qu’entendait-elle pat “choper” ? Pour éviter de cogiter trop longtemps et de découvrir une facette perturbante de la généreuse Arnorienne, Iohil prit les devants.
- Moi je suis agoraphobe et j’aime pas les gros groupes. Donc …- Mais on a besoin de s’allier ou pas ?
- Moi je suis pas méchant, je m’en fout …
- On va faire un pacte de non agression. Alors on va essayer de se démerder tous ensemble.
- Ca peut être pas mal.Face à tant d’incertitude, une voix forte, confiante et sûre d’elle s’affirma au milieu de la cacophonie qui croissait.
- Moi, je vais à la taverne ! Qui m’aime me suive. Et qui ne m’aime pas, ne me suive pas …C’était à se demander s’il n’avait pas déjà fait un tour dans cette fameuse taverne, réputée qui plus est pour une verveine au goût exquis.
- A la Taverne ! Hop et voilà !Oui effectivement, on était en droit de se poser des questions. Pourtant la décision de Jigvard n’était pas partagée par tous et l’Arnorienne trouva judicieux de rappeler ses fonctions - un petit plaisir personnel sans doute, à moins qu’elle ne fût pas si sûre de ses capacités.
- Moi je suis une érudite…Mais sa vaine tentative pour prendre la parole et exprimer ses opinions fut enterrée à grand coups de pilon par le Maître Bâtisseur.
- A la Taverne ! Je vais écouter les ragots moi. Y a que ça de vrai. In vinas veritas. Euh là dans le vin et tout ça.
- Et moi je vais aller glaner des infos dans un codex.
- Honnêtement j’en sais rien.
- Moi je vais à la Taverne. Allez, je suis parti, c’est pas que je les aime pas, mais je suis un peu solitaire. Mais est-ce que vous voulez aller à la Taverne avec moi ?
- Non
- Non
- Mais on peut apprendre des choses … des choses intéressantes à la Taverne. Moi je vais à la Taverne, quoi qu’il se passe !
- Moi je vais peut-être aller à la Bibliothèque je pense.
- Mais qu’est-ce que vous voulez aller foutre à la bibliothèque ?Apparemment indifférent à la connaissance écrite, Jigvard croyait plus ardemment à celle acquise à grandes goulées au milieu d’hommes imbibés d’expériences vaporeuses. Et tandis que Jigvard reconnaissait avec tact et diplomatie l’inutilité d’un aller-retour au milieu des étagères de parchemins, Iohil quant à lui affirmait avec modestie à ces dames qu’il était superflu de faire un tel déplacement.
- Dans la logique, moi j’ai déjà vachement de connaissances, donc j’irai pas à la Bibliothèque. Et du coup, ben, dans les Tavernes on peut entendre des trucs … des rumeurs et tout. Donc j’irai plutôt à la Taverne. Avec Jigvard.
- Jig !
- Ok Jig !Une première alliance était scellée face à l’incompréhension totale de nos demoiselles. Bras dessus, bras dessous, Jigvard et Iohil descendirent les différents niveaux de la cité pour se rendre jusque dans la Taverne des Bas Quartiers où ils escomptaient trouver des informations auprès d’hommes de confiance à la parole incontestable.
Le Maître Bâtisseur, avide de connaissances et d'alcool, pénétra le premier dans la pièce. Et il en fut bienheureux.
- Bienvenue à vous mes bonshommes. Jigvard ! En voilà un habitué. Allez, comme vous êtes le premier client de la journée, je vous offre une bière. Freiné par son agoraphobie, Iohil suivait son compagnon avec hésitation.
- Et vous mon brave, souhaitez-vous quelque chose ?
- Mhhh .. et biiiien …
- Avez-vous au moins les moyens de vous offrir quelque chose ?
- Euh … etttt … une bière. Etudiant la possibilité de se faire payer pour cette consommation, le Tavernier finit par tendre une chope au Guérisseur avant d’entamer une conversation des plus trépidantes.
- Le temps est magnifique aujourd’hui, vous avez vu ça ? Ca fait un moment que je n’avais plus vu un été pareil. Et l’automne promet d’être aussi ensoleillé. Mais le soleil fut rapidement couvert par une brume menaçante.
- Mais au fait mon cher Jig, la dernière fois que vous êtes venus, vous n’auriez pas omis de me payer ? Un oubli fâcheux je suppose. Et vous êtes venus pour me rembourser n’est-ce pas ? Sans quoi il va falloir que vous m’expliquiez pourquoi vous revenez ici si vous avez les poches vides ?
- Euh … mais je suis venu hier et avant hier et vous m’aviez pas fait la remarque.
- C’est que vous avez une ardoise bientôt aussi longue que le bras.
- Une ou deux pièces d’or … ce n’est rien … mais écoutez, mon cher ami, je suis sur un gros coup actuellement. Je vais me refaire. Vous savez je … Ecoutez… Je travaille pour … enfin, j’ai écouté le discours de notre cher Alcide et je … nous sommes sur un gros coup. Nous cherchons des artefacts. Si vous m’aidez à trouver ces artefacts, bien sûr que je pourrais alors vous rembourser et même plutôt deux fois qu’une.
- Mon ami, vous savez pourtant qu’à part des verres et des cuillères vous ne trouverez guère d’artefacts chez moi.
- Mais peut-être avez-vous entendu quelques rumeurs ! Vous êtes un Tavernier ! L’homme regarda son client de haut et une lueur anima tout à coup son regard. Et c’est sans grande discrétion qu’il s’exprima.
- Il se pourrait que je sache quelque chose …
- S’il se peut … qu’attendez-vous ?
- Et bien, déjà … mes deux pièces d’or ! Mais il s’agit d’un homme que je vois souvent traîner dans la Taverne. Un homme un peu bizarre s’il en est, comme beaucoup dans la Cité Blanche. Il aime bien avoir le nez dehors, il se promène dans la Cité. Il est rare je pense qu’il se mette souvent au travail. Néanmoins pour en savoir plus, je vous mets au défi, vous et votre ami de répondre à une petite question. Car vous ne m’avez toujours pas rendu mes deux pièces d’or.
- Mais j’y compte bien … plus tard ! Vous ne le regretterez pas.Silencieux jusqu’à présent, effacé et discret, Iohil s’avança.
- Mais il se trouve que j’ai un salaire de guérisseur. Je puis avancer mon ami.
- Les deux pièces d’or, c’est pour les bières. Si vous voulez me tirer les vers du nez, répondez à ma question !
- Très bien.
- Je vous demanderai simplement, car j’ai quelques origines Rohirrimes, …
- Quelle tare …
-… ce que l’ont peut trouver au coeur du Rohan ?Est-ce l’alcool ou la réflexion qui leur donnait l’air aussi troublé ? Toujours est-il que pour un court instant, Iohil et Jigvard reposèrent leur bière sur le comptoir et s’enfoncèrent dans un profond silence réflexif. Le Tavernier les regardait un petit sourire aux lèvres, attendant qu’il surgisse des profondeurs de leur esprit, une étincelle d’intelligence. Le guérisseur surprit tout le monde en sortant soudain de son mutisme.
- Ha, j’ai une idée !Il en paraissait lui-même étonné.
- Car moi les coeurs, ça me connaît ! Je les dissèque … Je dirai que nous trouvons un “H” !Bien malgré lui le Tavernier dut concéder qu’il s’agissait de la bonne réponse avec une petite moue boudeuse.
- Oui mon ami, il s’agit de la bonne réponse. C’était une petite blague que nous nous racontions entre cavaliers à l’époque quand nous parcourions les plaines …
- Je porte un toast à ce Tavernier ! Pour son humour.
- Et bien, venons en au fait. Cet ami qui aime bien se promener le nez au vent se balade quelques fois vers le Réservoir Sud.
- Grand merci cher ami. Tu ne le regretteras pas. Tu auras ton or et bien plus encore si on arrive à retrouver cet artefact. Et saluant le Tavernier d’un geste chaleureux de la main, Jigvard et Iohil sortirent de la Taverne pour prendre le chemin du Réservoir Sud, non loin de là, quoi que la route ne leur parût plus si droite.
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Pendant ce temps, les deux demoiselles restées sur la Place de la Fontaine s’étaient décidées. Par méfiance ou par pitié, Eleyna avait choisi d’accompagner Adenais dont la mauvaise vue serait compensée par le grand sens de l’observation de l’espionne. Choix intellectuel, autrement appelé la stratégie de la feignasse, les deux demoiselles avaient choisi le lieu le plus proche de l’Arbre Blanc : La Grande Bibliothèque. Elles pénétrèrent dans la vaste pièce principale d’où émanait une légère odeur de renfermé. Un homme d’un certain âge, courbé et à la barbe blanche s’avança au devant d’elles tout en se présentant.
- Bonjour mes dames, je me nomme Edwin Vandergahast. Je vous informe que vous ne pouvez pénétrer avec vos armes dans la Grande Bibliothèque. Je vous prierai de les laisser avant d’entrer. Nous avons été dernièrement victimes de plusieurs infractions. Nous avons eu des vols et des problèmes. Ho, tout ça est lié je pense à ces fameux artefacts dont nous a parlé l’Intendant… mais je n’y comprends pas grand chose. Les vols, les archives, des documents importants volatilisés, …L’homme s’enferma dans son discours et se répèta inlassablement à propos de vieux parchemins disparus.
- Vous savez ce sont les salles des archives qui ont été violées. Et quelques documents secondaires dans la Bibliothèque. Je ne comprends pas comment cela a pu arriver. Pourtant nous avions des gardes sur la Place de la Fontaine. Devant la menace d’un nouveau monologue sans fin, Adenaïs intervint avec toute l’habileté d’une érudite.
- Cher monsieur, excusez-moi de vous interrompre, mais bien que ceci soit très passionnant, il se trouve justement que nous enquêtons sur tous ces problèmes. Et que nous serons ravies de vous apporter notre concours. La dame et moi-même …
- Concours ? Mais pourquoi me parlez-vous de concours ? Je ne comprends pas. Que voulez-vous ?
- Nous allons vous aider espèce de vieux schnock !Mais le vieil homme, ignorant ce compliment obséquieux, renchérit à propos des bribes de mémoire qui lui restaient.
- Est-ce que je vous ai dis au fait que des archives avaient été volées dans la Bibliothèque ?
- Oui monsieur, vous nous l’avez dit ! Nous allons enquêter de ce pas, bonne journée ! Adenais et Eleyna s’apprêtaient à prendre la direction des portes du haut bâtiment quand le vieil homme, sur ses jambes tremblantes, les rattrapa en parlant de sa voix chevrotante. Il semblait vouloir retenir la seule distraction qui remplirait sa journée.
- Mademoiselle, mademoiselle, est-ce que je vous ai dis que c’est le livre du Thaïn qui a été volé ?
- Euh … non.
- Ha au fait … des archives ont été volées à la Bibliothèque. Et sans prévenir, Edwin fit demi-tour et retourna dans les profondeurs de son antre où des piles de parchemins et des vélins griffés par de nombreuses mains occupaient de longues étagères. Laissées à elle-même, les deux demoiselles, quoi qu’un peu étonnées, commencèrent à discuter pour faire le point.
- Je suis une … comment dire …
- Une emmerdeuse ?Un regard noir fit à peine taire le gloussement jaillissant de la gorge d’Adenais.
- Je ne suis pas très poussée dans les connaissances et l’érudition. Mais … c’est quoi le livre du Thaïn ?Un nouveau gloussement fit rebondir les formes généreuses de l’Arnorienne. Elle s’offrit le plaisir mesquin d’étaler son savoir.
- Visiblement, il parle du livre de la Comté … je ne suis pas sûre, je ne suis qu’une apprentie. Mais dans ce cas … je ne sais pas ce qu’il foutait là. Il serait bon d’enquêter dans cette Bibliothèque qui a été cambriolée. Il doit y avoir quelque chose d’important. Apparemment, Adenais savait bien des choses, mais non pas la définition du mot vol.
- On finira pas trouver quoi et où ça se trouve. On va jeter un coup d’oeil et voir si on trouve quelque chose. Et d’un commun accord, les deux jeunes femmes commencèrent à divaguer au milieu de codex anciens, de parchemins poussiéreux et de vieux livres rangés selon une logique propre à l’occupant des lieux.