L’arène de combats n’était qu’un cercle de poussière noire clôturée par des buissons d’épineux. La règle était simple : se battre ou être jeté contre les aiguilles cuisantes des pruniers, des cynorhodons ou des grands chardons mauves. Ceux qui voulaient s’enfuir étaient fouettés avec des bouquets d’orties. Lissandre portait encore les cicatrices des coups reçus, mais elle pouvait se targuer de n’avoir jamais senti la pointe d’une épine. Elle avait compris, très tôt, que souffrir valait mieux que mourir.
Sous ses pieds nus, la terre sèche où s’enfonçaient les racines des hauts arbres lui rappelait celle de l’arène. Les épines et les orties sous les bois aussi. Il faisait plus chaud au bord de l’Isen qu’au cœur des Monts Brumeux. La haute vallée qu’elle occupait avec son frère jumeau ne connaissait guère la chaleur. Il pouvait y geler en plein cœur de l’été. Mais là-haut, au moins, aucun autre clan ne venait leur faire la guerre. Les Dunlendings se battaient autant contre les Forgoils qu’ils se battaient entre eux. Les bagarres, les rapines, les vols, les rapts de femmes et d’enfants faisaient partie de leur mode de vie. Les éleveurs de chevaux ne comprenaient rien à cela et les traitaient de barbares querelleurs. Mais à en croire les voyageurs et les colporteurs, la barbarie avait fini par gagner le peuple d’Eorl. Il y avait eu beaucoup de morts. Et pour quoi ? Pour un trône. Pas pour de la nourriture ou une femme ni pour des armes ou du bétail. Non, juste pour un trône. Un siège de bois ou de pierre dans une maison d’or. Et ceux qui se battaient pour un siège les traitaient de barbares. L’idée arracha un sourire à Lissandre.
Souffrir ou mourir. Elle était descendue de sa vallée froide pour cette unique raison. Les chasses étaient de plus en plus mauvaises. Même Tharain revenait toujours plus souvent les mains vides. Dans les plaines et les collines proches de l’Isengard se trouvaient davantage de victuailles. Un repas de roi. Les Rohirrims étaient venus dans l’antre du magicien blanc aux promesses de miel. On l’appelait encore, ici et là, dans les histoires, le Coucou Blanc. Comme l’oiseau il était venu créer ses petits dans un nid fait par d’autres avant lui, il avait chanté le printemps pour ses Uruks et ses fidèles alliés du pays de Dun. Mais leur printemps était mort dans l’œuf et le Coucou Blanc avait fini par fuir son perchoir. Personne ne savait où il était allé. Mais il se disait dans les bouches des vieux que le serpent qui l’accompagnait avait fini par tuer l’oiseau.
Il y eut un sifflement dans un fourré, plus loin. C’était le signal. Lissandre jaillit comme une flèche de sa cachette et bondit sur sa cible. La vieille femme qu’elle surprit ouvrit la bouche, mais elle n’eut pas le temps de crier. Lissandre tirait déjà le cadavre de la doyenne derrière d’épais buissons et l’abandonnait à l’ombre des arbres. Deux membres de son clan s’étaient introduits sous les tentes où la nourriture était conservée. Lissandre les rejoignit avec une longue besace faite de peau de chamois. Ils prirent tout ce qu’ils purent : du pain, des fromages, des saucisses de chèvres et de brebis, un jambon et même des outres de vin qui sentaient autre chose que l’urine de bœuf rancie.
Ils retournèrent sous le couvert des bois comme des ombres où un jeune garçon les attendait avec une mule. Ils chargèrent l’animal aussi rapidement possible et se dispersèrent. Il faudrait trois ou quatre jours pour rejoindre la vallée perchée de leur camp. Une autre mule était partie deux nuits auparavant, chargée de deux ou trois agneaux gras qu’ils avaient volés un peu plus loin à un berger isolé.
Lissandre essuya son coutelas contre sa tunique et retourna tirer le cadavre de la vieille dans les profondeurs de la forêt. Si les Rohirrims ne se rendaient pas compte tout de suite de son absence, peut-être pourraient-ils encore voler quelques miches de pain à la mie couleur de crème et à la croûte au goût de noisettes. Peut-être. Lissandre devrait continuer ainsi jusqu’à la prochaine lune avant de pouvoir revoir son frère. Ainsi en allait-il chez les Dunlendings.