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 Une piste rouge sang

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Théomer
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Théomer

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Une piste rouge sang EmptyDim 30 Sep 2018 - 16:52

"Quand êtes-vous prêts à vous mettre en route ?"
Si la phrase avait été posée telle une question, tu l'avais perçue comme un ordre. Tu voulais que ce soit un ordre. En réalité l'inaction te pesait depuis de trop nombreux jours. Et maintenant que Leda était partie... Tu ne voyais nulle réelle compensation, nulle motivation à continuer à rester récupérer entre ces murs.
Comme le jeune étalon sauvage voyant enfin s'ouvrir la porte de l'enclos, tu n'as plus qu'une envie: prendre le large, partir, t'ébattre. En te privant de Leda en te condamnant à l'oublier, il ne te restait plus qu'un seul objectif. Un objectif principal.

"Tirez cette affaire au clair et si possible mettez un terme aux agissements de cet Ignus."
Nul réel besoin de compensation ou de promesses. Et même si tu mesurais l'importance symbolique de celle du Vice Roi, cette cape de la Garde Royale n'avait nul besoin de t'être promise pour te lancer dans cette mission. Il y avait autre chose. Une motivation beaucoup plus profonde, un instinct beaucoup plus primitif et sauvage. Le désir de vengeance. Le souhait de trouver des réponses qu'on te promettait ailleurs. La volonté de démêler les raisons de toute cette histoire. Et au bout, ce souhait de revanche.

Tu as décidé de partir le lendemain. De passer une dernière nuit sous les toits d'Edoras dont tu auras pu pendant de si longues journées contempler les charpentes en détail, mais aussi te donner le temps restant de cette journée pour préparer ton départ.
Mortensen t'a promis ordre de mission et courrier d'introduction auprès du Bourgeois. Mais il te faut aussi préparer ton paquetage pour cette nouvelle mission. Si ton harnois a été jugé récupérable par l'armurier de la course, ta lance ton épée et les restes de ton bouclier gisent quelque part dans un vallon, sur un sol ravagé par le feu et les affrontements. Certes la hache semble avoir été faite tienne, mais tu te sentirais nu sans ton harnachement habituel.
Il te faut également un nouveau cheval. La pauvre bête qui a réussi à te mener jusque sous les murs d'Edoras n'est toujours pas jugée apte par les garçons d'écurie à reprendre du service. Et trouver une monture a même de remplacer le valeureux Nivafel que tu avais élevé dès son plus jeune âge n'est guère chose aisée.
Enfin, le paquetage proprement dit.
Partout l'ombre de Mortensen t'ouvre des portes et facilite grandement tes demandes. Être en mission pour le Vice Roi aplanit beaucoup de tracas logistiques.

Tu pars le lendemain.
Le temps de faire une rapide toilettes, non sans quelques élancements.
Le temps de t'habiller et revêtir ton harnois. Une première depuis longtemps' et non sans grimacer. A en croire que les guérisseurs jugeant ton départ précipité n'auraient pas tord.
Le temps enfin de t'assurer avoir bien les papiers signes de la main du Vice Roi, les provisions et équipement suffisant pour la durée estimée de ton voyagé avant d'enfin te mettre en selle. Avec un discret grognement de douleur.
Mais rien ne saurait plus te retenir.
Tu es de nouveau en mission.
Pour le Rohan.
Pour tes frères.
#Théomer


Dernière édition par Théomer le Jeu 4 Oct 2018 - 14:01, édité 3 fois
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Ryad Assad
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Une piste rouge sang EmptyMer 3 Oct 2018 - 21:43
Le Rohan, ses plaines, ses champs et ses gens…

Tant de choses avaient changé avec la guerre, les massacres, les trahisons… et pourtant il restait quelque chose d'inaltérable dans ces paysages à la fois apaisants et rudes. De belles collines qui, bien que couvertes d'une herbe rase et brûlée par le soleil, étaient accueillantes et invitaient au voyage. Et ce vent qui battait toujours sur la peau. Et ce parfum de liberté et d'insouciance. Comment ne pas se laisser happer par l'émotion, et par une sincère joie de pouvoir galoper dans l'immensité ?

L'aventure attendait le jeune Théomer qui, le regard fixé vers l'est, était promis à un voyage à la fois difficile en raison de ses blessures et de son état de fatigue, mais également revigorant. Il allait retrouver des forces en selle, et s'il endiguait la souffrance et la faisait sienne, il serait capable de sortir plus fort de cette longue chevauchée qui l'attendait. A bride abattue, il en avait pour trois jours avant de rallier la frontière du Gondor, mais il n'était pas capable de voyager à une telle vitesse avec un seul cheval, ce qui signifiait qu'il devrait se restreindre, faire preuve de patience, et accepter de retarder son arrivée dans le grand royaume des Hommes.

Chance ou malchance, les plaines du Riddermark étaient bien moins fréquentées que d'ordinaire. Les hommes du royaume avaient amené leurs troupeaux sur les contreforts des montagnes naines – le seul endroit où il restait de l'herbe bien verte – pour les y faire paître et éviter que la chaleur écrasante qui succédait au Rude Hiver n'aboutît à un désastre absolu. Les cultures avaient souffert, et si les animaux succombaient à la faim et à la soif, le Rohan allait au devant d'une très grave crise alimentaire, qui touchait déjà certaines régions parmi les plus reculées. Traverser le Rohan, pour Théomer, était aussi une manière pour lui de renouer avec la réalité du royaume qu'il défendait. Une réalité dont il avait été coupé pendant sa convalescence, aux bons soins de Leda qui s'était efforcée de le protéger.

Leda…

La jeune femme avait disparu de la vie du cavalier aussi vite qu'elle y était entrée, en laissant un goût amer et inachevé… Comme si les sentiments naissants et réciproques qu'ils développaient l'un pour l'autre avaient été piétinés par le destin avant de pouvoir éclore et donner de superbes fruits. Chevaucher vers l'est, c'était aussi une façon de se rapprocher d'elle, car elle avait été contrainte d'emménager dans l'est du royaume, près des bouches de l'Entalluve, que l'on appelait aussi Entévière. Il passerait seulement à quelques lieues au sud de là où elle habitait, s'il suivait la route principale. Comme un rappel douloureux que les frontières qui les séparaient étaient seulement symboliques : les interdictions qu'ils s'imposaient l'un et l'autre d'aller contre leur devoir.

Les premiers jours de son périple furent relativement doux pour Théomer. La chaleur était toujours pesante, mais il pouvait chevaucher en laissant ses vêtements les plus chauds de côté, ce qui n'était pas désagréable. Il avait l'avantage de pouvoir aller à son rythme, sans avoir à subir la pression d'une compagnie qui lui aurait imposé une allure forcée. Quand il était fatigué, il pouvait se reposer, et quand il se sentait assez fort pour poursuivre, il pouvait gagner quelques précieuses heures. Les gens qu'il croisait sur son chemin, principalement des femmes restées en arrière pendant que leurs maris partaient chez les Nains, elles le dévisageaient avec un peu d'étonnement, et parfois une certaine méfiance. Les gens du peuple étaient marqués par la guerre civile, par ces bandes armées portant les couleurs du Rohan, mais qui débarquaient le soir pour traquer les traîtres et tuer leurs opposants. Les troupes de Hogorwen avaient commis des exactions inavouables, et le pardon accordé aux soldats par le roi n'avait pas fait oublier que certains des assassins avaient désormais réintégré les rangs, et arpentaient librement le royaume. Quelques enfants adressèrent des signes de la main au cavalier solitaire, mais leurs parents se montraient un peu moins chaleureux…

Le Rohan avait besoin de temps avant de retrouver son unité.

Sur la grande route qui reliait le Gondor à l'Arnor en traversant le Riddermark, Théomer croisa assez peu de marchands. Ils lui expliquèrent que les frontières du Gondor étaient fermées. L'un d'entre eux, qui appartenait à une petite caravane qui avait accueilli le soldat au troisième soir, lui avait expliqué :

- On dit qu'une grande armée venue de l'est attaque le Gondor. Des démons surgis tout droit des pires cauchemars, qu'on raconte. Y a des hommes qui patrouillent aux frontières, des hommes de Mephisto : ils conseillent aux gens de faire demi-tour, de pas se risquer là-bas. On peut pas dire que ce soit la grande joie…

Il avait craché un pépin dans les flammes, et s'en était retourné à parler de choses et d'autres avec son fils, qui se plaignait du mauvais état du chemin, et des conséquences sur leur attelage. Théomer avait repris la route, le lendemain en les quittant, puisqu'ils chevauchaient vers Edoras pour s'y reposer. Les jours passaient et se ressemblaient pour la plupart, la monotonie du voyage gagnant peu à peu sur l'émerveillement que constituaient les Montagnes Blanches au sud, et les superbes paysages de la Marche.

Par un après-midi apparemment anodin, Théomer finit par apercevoir quelque chose d'étonnant. Ce qui ressemblait à un homme menant un chariot rempli de meubles à toute allure. Il ne s'arrêta pas en voyant le cavalier solitaire au milieu de la route, sans même paraître remarquer qu'il s'agissait d'un soldat du Rohan. C'était une vision étonnante, qui aurait pu paraître singulière si une heure après le jeune cavalier n'avait pas vu d'autres silhouettes apparemment pressées qui s'éloignaient en portant sur eux leurs biens et leurs dernières bêtes. Les poules caquetaient, les enfants pleuraient, et les adultes s'efforçaient de forcer l'allure malgré le poids de tout ce qu'ils portaient. Le vieil âne mis à contribution menaçait de s'écrouler sous son chargement, mais il continuait à avancer vaillamment, soutenu par deux enfants qui l'encourageaient à continuer.

La présence de Théomer fut remarquée par un des jeunes, qui se mit à crier à l'aide, et à appeler le cavalier avec de grands signes de main. Quand celui-ci fut suffisamment proche, il put remarquer que deux des hommes, qui commençaient à se faire vieux, portaient un brancard de fortune sur lequel était allongée un adolescent. Il avait été blessé à la jambe, et de toute évidence il souffrait beaucoup. Son visage était pâle, ses traits tirés, et il regardait le cavalier avec un mélange de crainte et d'espoir. Un des hommes, au bord de l'épuisement, lança :

- Par tous les Valar, merci de vous être arrêté ! Auriez-vous quelque chose pour le soigner : des simples, ou quoi que ce soit de cet ordre ? Sa blessure va s'infecter si on ne fait rien, et ils nous ont tout pris…


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Une piste rouge sang EmptyJeu 4 Oct 2018 - 15:01
En ayant conscience à l'avance qu'il serait illusoire d'espérer faire le voyage a bride abattue, le dur rappel à la réalité de tes blessures t'obligèrent même à une attitude encore plus posée qu'il n'était nécessaire. Ton choix de monture s'était finalement posé sur un jeune étalon de six ans, à la robe souris, et au front marqué par une étoile blanche, prénommé Agarön. La bête était fougueuse, te rappelant Nivafel par cet aspect, et il t'avait fallu au départ brider ton nouveau destrier, qui semblait trop heureux d'enfin quitter les enclos d'Edoras.
Le premier jour ft calme, la monotonie de ta lente et prudente chevauchée, rythmée par les vallons et traversées de rivière. Habituellement, contempler les étendues sauvage du Rohan auraient suffi à désemplir ton coeur d'amertume. Mais au delà du triste constat de la sécheresse persistante, et de plaines désertées de ses troupeaux et fermiers, il y avait bien sûr Leda. Encore et toujours.

Tu avais pensé que cette nouvelle mission t’ôterait de l'esprit ces souvenirs encore trop frais mais si douloureux. Hélas, la calme chevauchée imposée par ton état lui laissait libre cours pour ressasser tous ces moments passés ensembles. Ces espoirs. Ces sentiments inavoués.
C'est seulement le matin du deuxième jour, en quittant la ferme ou tu avais été accueilli la veille, que tu avais douloureusement reconnu que ton trajet t'amènerait non loin de sa future demeure. Ton cœur s'était serré. Affreuse punition. Douloureux faux espoir. Que pouvais tu espérer d'une telle situation? Faire un détour pour tenter de la voir? L'approcher? Voire même, et ton esprit n'avait pu s'empêcher d'imaginer un court instant la scène, l'enlever? La ravir à son funeste destin?
Hélas. Cela t'était impossible et tu le savais. On avait beau te traiter d'impétueux et de sang chaud, tu savais au fond de toi que pareille tentative serait vouée à l'échec. De plus, comment oublier ton sens du devoir. Comment mettre de côté ta mission et renier la confiance du Vice-Roi?
Dur tiraillement qui déchire parfois au sein de la même personne, l'homme et le soldat. Mais cette fois-ci, le sens du devoir serait le plus fort. Il se devait de l'être.
*****

Un autre jour. Tu as croisé d'autres gens, ressenti cette méfiance qui émanaient de la plupart d'entre eux, cette crainte permanente. Une fois de plus, tu contemplais les vestiges d'un royaume brisé qui avait bien du mal à se remette des luttes fratricides et des guerres sournoises.
Pendant les soirées, lorsque tu rejoignais une communauté, un camp ou une caravane, tu récoltais les rumeurs et ragots des différents endroits dont venaient tes compagnons d'un soir. On parlait, souvent avec défiance, du jeune roi, toujours quelque part dans les bois de l'Isengard. On rapportait d'étranges ragots sur la cour de Minas Tirith. Et on faisait aussi allusion à des récits d'invasion.
Curieusement, celles-ci ne parlaient pas du Rohan. Pour une fois aurais-tu pu songer. Quelques semaines auparavant, on parlait encore beaucoup de ces bandes d'orques surprises à traverser le Rohan pour rejoindre quelque destination au Nord ou à l'Est. Mais cette fois-ci, il était fait mention... du Gondor? Il te fallait bien reconnaitre n'avoir jamais té versé dans la géopolitique extérieure au Rohan, mais voilà qui était surprenant. Peut-être n'en entendais tu parler que maintenant, alors que jour après jour, tu te rapprochais des frontières du royaume du roi Méphisto?
Tu étais peu sollicité au cours de ces soirées. A vrai dire, tu restais souvent en marge. Ton statut de soldat isolé intriguait le reste des gens et les maintenait quelque peu à l'écart. Et cela t'allait tout aussi bien.
*****

Troisième jour de chevauchée, les terres de la Marche défilent sous les sabots d'Agarön, et la frontière se fait toujours plus proche. Les foulées de ta monture se font plus amples, plus rapides. A force de rééducation agressive, et malgré les courbatures chaque soir, tu as l'impression de commencer à cicatriser définitivement. Ou du moins essaies-tu de t'en convaincre.
A ce rythme, tu devrais passer la frontière d'ici le lendemain , du moins l'espères-tu. Avec une monture fraiche et un système de relais, tu serais déjà arrivé depuis deux jours à la Cité Blanche, mais qu'importe. La frontière sera déjà une belle étape de franchie, et tu as confiance dans le sauf-passer de Mortensen pour la franchir sans problèmes malgré les récits alarmistes qui t'ont été fait.

Alors que la journée s’annonçait sans grandes particularités, les décors peu changeant des Montagnes Blanches au sud perdant quelque peu de leur intérêt au bout de trois jours de chevauchée, tu croises tout d'abord cette carriole lancée à toute allure. La vitesse, de même que son chargement incompatible avec celle d'un marchand, te laisse perplexe quelques instants sur le bord de la route ou tu t'es rangé pour le laisser passer. Hésitant presque sur l'attitude à adopter - faut-il le rejoindre? l'arrêter?- tu  conviens finalement qu'il ne représente en soi guère un danger et surtout un risque de distraction de ta mission.
Reprenant ta route, il te faut hélas peu de temps pour croiser d'autres personnes, toutes semblant partager - à défaut d'un moyen de locomotion aussi pratique et rapide- les mêmes empressements et terreur dans leurs yeux. C'était une scène d'exode, de fuite. Les enfants qui pleuraient, les biens entassés en toute hâte sur des bestioles parfois faméliques, les jeunes femmes tentant de garder rassemblées les quelques oies, poules et cochons qui devaient être leurs dernières richesses.

Cens gens semblaient fuir un danger. Subitement en alerte, tu accélères l'allure de ta monture pour les rejoindre au plus vite, fouillant du regard les vallons et environs proches. Pourtant aucune troupe suspecte, aucune fumée inquiétante. D’où donc venaient ces gens et qui fuyaient-ils?

'' Hola, que se passe-t-il?''

Tu as ralenti Agarön avant d'arriver à leur hauteur pour ne pas les affoler. Pourtant personne ne semble te prêter réelle attention. La panique est encore plus palpable au milieu de cette misérable troupe. A peine croises tu quelques regards effrayés, des yeux rougis de pleurs, mais personne ne semble vouloir ou pouvoir te parler.

Tu mets pied à terre, cherchant à trouver réponse à toute cette panique et agitation, mais malgré tes sollicitations, tout le monde préfère continuer à avancer, le visage fermé. Tu dois calmer Agarön lorsque des oies le frôlent d'un peu trop près, et c'est à ce moment-là que tu remarques enfin quelqu'un te faire signe. C'est un jeune homme qui guide un âne beaucoup trop chargé pour son âge. Menant ton cheval par la bride, tu te rapproches de lui et il t'amène précipitamment en queue de colonne ou deux autres personnes sont occupées à traîner un brancard de fortune. On semble enfin remarquer ta présence et les sollicitations affluent, mais pas vraiment celles que tu espérais.

"Posez-le au sol, je vais voir ce que je peux faire.''

Les deux compères semblent soulagés de pouvoir en profiter pour faire une pause. Ils ne sont plus tout jeunes, mais celà ne t'interpelle plus vraiment. Tous les hommes en âge de porter les armes ou presque sont enrôlés...

T'agenouillant près du blessé, tu remarques son teint pâle, sa respiration rapide et avises rapidement sa blessure.
Tu n'es pas guérisseur, mais tu as passé plusieurs semaines auprès d'une des meilleures que tu connaisses. Repensant à l'ensemble de ces moments maintenant chargés de souvenirs et d'émotions, tu fais de ton mieux pour imiter les mouvements maintes et maintes fois répétés par Leda lorsqu'elle s'occupait de toi.
Tu déchires les tissus pour mieux apprécier la plaie. Celle-ci est large et béante, mais heureusement, aucun saignement important n'est actif, les principaux vaisseaux ayant du être épargnés. Malheureusement, au sein des chairs tranchées et boursouflées, il est aisé de remarquer une esquille blanchâtre.

"Il faut nettoyer et bander ca de près, je dois avoir de quoi le faire."

Heureusement, tu avais pris dans ton paquetage de quoi refaire tes propres bandages ainsi que quelques onguents. Tu profites de t'éloigner du blessé le temps de récupérer le nécessaire pour glisser à l'un des vieux hommes.

" L'os est touché, il faudrait réduire la fracture, confectionner une attelle et surtout lui prodiguer de vrais soins si on veut pouvoir espérer qu'il remarche ou ne perde sa jambe. Que s'est il donc passé? D'ou venez-vous ainsi et que fuyez-vous?''


Au fond de toi, une petite angoisse jaillit et prend forme.

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Ryad Assad
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Une piste rouge sang EmptyVen 5 Oct 2018 - 15:52
Théomer avait fait s'arrêter le blessé et les quelques membres de sa famille qui l'entouraient, mais les autres habitants de l'Estfolde choisirent de continuer leur chemin comme si de rien n'était. Tête basse, les épaules basses, souffrant sous la chaleur écrasante, ils poursuivaient leur long périple vers un lieu sûr en traînant des pieds. Misérables et démunis, ils fuyaient vers l'ouest, à la recherche d'un refuge, d'un lieu sûr susceptible de les accueillir. Aldburg était la cité fortifiée la plus proche, mais à ce rythme ils n'y seraient pas avant encore de nombreux jours. Leurs rations ne tiendraient probablement pas jusque là, et ils devraient compter sur l'hospitalité et la solidarité des paysans qu'ils croiseraient sur leur route pour ne pas tout simplement mourir de faim. Toutefois, ces exilés effrayés n'étaient pas la principale préoccupation du cavalier, qui devait parer au plus urgent. Ce jeune garçon avait besoin d'assistance.

La réaction rapide de Théomer et la figure d'autorité qu'il incarnait lui permirent d'obtenir immédiatement l'attention de toutes et tous. Les villageois étaient épuisés, effrayés, mais ils savaient que ce homme portant l'armure du Rohan pouvait les aider à sauver leur fils, leur frère, leur neveu… Ils étaient prêts à faire ce qu'il dirait, et lorsqu'il évoqua la nécessité de nettoyer davantage la plaie, un des jeunes s'empressa d'aller chercher son outre d'eau – presque vide – pour la mettre à contribution. Il faudrait en user parcimonieusement, mais cela ferait l'affaire. Ils n'avaient pas de bandages propres hélas, ce qui les avait empêchés de prévenir un début d'infection. Fort heureusement, la situation n'était pas encore trop grave pour le jeune patient.

Cependant que le soldat s'affairaient, il pouvait entendre quelques murmures le concernant. Une femme parlait notamment à son jeune fils, celui qui avait alerté le premier Théomer, et qui l'avait incité à s'arrêter. Il était un peu effrayé par cet homme qui lui paraissait très grand et qui, ainsi armé, parcourait seul les plaines du Riddermark.

- Mère, est-ce qu'il vient pour nous aider ? Avait-il demandé timidement. Tu penses que le roi a envoyé son armée ?

Elle s'était penchée vers lui, et lui avait déposé un baiser affectueux sur le front, sans trouver le courage de rien répondre. Mais ses yeux exprimaient les sentiments contradictoires qui s'amoncelaient derrière ses iris bleutés, comme les nuages dans un ciel de printemps. La crainte, d'abord, de voir cet homme simplement passer son chemin et les abandonner à leur triste sort. L'espoir, aussi, de l'entendre annoncer qu'il n'était que l'avant-garde d'une éored sur le pied de guerre, venue pour prêter assistance au peuple de la Marche. Et derrière tout cela, une forme de lassitude… celle de voir leur quotidien encore une fois bouleversé, alors qu'ils pensaient que tout était terminé. La Guerre des Trois Rois, comme on l'appelait parfois dans les complaintes qu'on chantait au coin du feu, s'était terminée en promettant peut-être enfin au Rohan une ère de paix…

La paix…

Ils ne demandaient rien d'autre qu'un peu de paix.

Mais les puissances moqueuses qui jouaient avec leur destin ne semblaient pas désireuses de les épargner. Il n'était pas difficile de voir dans leur attitude l'affliction, la peine, et la lutte profonde dans leurs cœurs entre un désir de lutter, de résister encore et toujours… et la solution de facilité qui consisterait à arrêter de fuir et de se cacher pour faire face à la mort qui leur tendait les bras. Les femmes étaient résolues, prêtes à se battre pour leurs enfants de toutes leurs forces. Mais chez les deux hommes aux cheveux blanchis par la sagesse, on lisait une forme de résignation profonde.

Ils en avaient vu assez.

Ce fut vers un des patriarches que Théomer se tourna naturellement pour s'enquérir de la situation. L'ancien se désaltéra avec une maigre gorgée d'eau qu'il garda longtemps en bouche, comme pour en savourer le contenu. Il referma son outre, la passa à sa ceinture, et étira son dos fatigué en grognant :

- Nous ferons comme vous dites, merci de votre aide.

Puis, après avoir marqué une pause qu'il mit à profit pour essuyer son front couvert de sueur d'un revers de manche, il enchaîna :

- D'où venez-vous, cavalier ? D'Aldburg ? D'Edoras ? Si vous ignorez ce dont il retourne, c'est que le roi l'ignore aussi, et je ne vous cache pas que c'est bien la dernière chose que j'avais envie d'entendre aujourd'hui.

Il soupira, et accompagna Théomer vers le jeune homme blessé, se baissant pour l'aider à nettoyer la plaie et pour fabriquer une attelle digne de ce nom à partir de trois fois rien. Si ces paysans n'avaient pas eu le temps de s'emparer d'un morceau de bois solide et de quelques cordages ou tissus solides pour enserrer la jambe blessée, cela signifiait qu'ils avaient véritablement été chassés de chez eux dans la plus grande précipitation. Sans paraître se soucier d'évoquer ces sujets devant les jeunes et les femmes, le patriarche reprit :

- On vient d'un petit village, sur les rives de la rivière Mering, pas très loin de l'embouchure de l'Entalluve, un peu au nord d'ici. Vous ne connaissez sans doute pas…

Le cavalier n'était peut-être jamais allé dans ce village spécifiquement, mais il connaissait quelqu'un qui habitait non loin. Sur la rive septentrionale du fleuve. Tout semblait le ramener à Leda d'une manière ou d'une autre, comme si les forces du destin les poussaient l'un vers l'autre en dépit de leurs obligations respectives. Le vieil homme continua, chacun de ses mots venant ajouter une pierre à l'édifice terrifiant que son récit construisait :

- Ils sont apparus tout à coup, sortis de nulle part. Je n'avais jamais rien vu de pareil. Des démons à la peau sombre, de toutes les directions… J'ai déjà vu des gens du sud, ces sauvages « Araderimmes », ou peu importante comment on les appelle. Je sais à quoi ils ressemblent, et je peux vous dire que ceux-là n'en étaient pas… Leur peau avait la couleur du charbon. Des démons, je vous dit…

Son histoire aurait pu sembler farfelue, mais personne autour de Théomer ne pipait mot, et l'autre ancien se permit même de hocher la tête pour appuyer ces propos. De toute évidence, ils avaient tous vu la même chose, et la terreur dans leurs yeux ne laissait pas de place au doute. De sombres choses se passaient. Alors que le cavalier s'appliquait à refermer la blessure et à mettre en place son attelle, le vieil homme ajouta :

- Ils sont arrivés pendant la nuit… Je peux pas vous dire combien ils étaient, mais on aurait dit qu'il y en avait jusqu'à l'horizon. Ils rampaient sur le fleuve, et d'autres allaient à pied en traînant ce qui ressemblait à de grandes bêtes sans visage, et qui ne poussaient pas le moindre cri. Peut-être des dragons, ou des Balrogs… J'ai pas bien vu…

Il s'humecta les lèvres.

- On a vu arriver des gens paniqués… Ils disaient que les Charbonneux ravageaient tout, qu'ils enlevaient hommes, femmes et enfants. Mon petit-fils Eothere, fit-il en désignant le garçon qui serrait toujours les dents sous le coup de la douleur, a pris le cheval pour essayer de prévenir les villages proches pendant qu'on s'enfuyait. Mais il a rencontré l'un d'entre eux.

- Je l'ai blessé aussi, cracha le jeune homme avec une fierté teintée de douleur.

La bravoure des enfants pouvait parfois les pousser à accomplir des actes irréfléchis, à se lancer au devant du danger en méprisant leur devoir et leur raison. Mais ainsi étaient les jeunes esprits, fougueux et inconscients parfois. Le patriarche posa sa main sur celle de son petit-fils, et ses traits s'adoucirent pour un instant. Même dans tout ce chaos, il savait la chance qu'il y avait à être en vie. Ils s'en étaient tous sortis, fort heureusement, et cela n'avait pas de prix… Tant et tant de personnes étaient décédées de manière tragique que, même s'ils abandonnaient derrière eux un foyer, des souvenirs et les tombeaux de leurs ancêtres, ils pouvaient se féliciter d'avoir échappé à ce nouveau danger qui les menaçait. Il se tourna vers Théomer, et reprit :

- Apparemment, on peut les faire saigner… mais pas sûr qu'on puisse les tuer. On n'est pas restés assez longtemps pour vérifier. On a à peine eu le temps de prendre nos bêtes et quelques rations de grain qu'on devait déjà partir. On voyait leurs silhouettes dans la nuit, partout, sur les deux rives de l'Entalluve, comme s'ils couvraient la terre toute entière.

- Des démons… ajouta une des femmes à voix basse.

L'ancien opina du chef, avant de conclure :

- Je sais que ce serait beaucoup demandé, monsieur le cavalier, mais… si vous pouviez nous accompagner jusqu'au prochain village… C'est l'affaire de deux ou trois jours, et après on pourra se débrouiller.

Deux ou trois jours.

Il pouvait se passer tellement de choses en seulement deux ou trois jours. Le temps était soudainement devenu une ressource rare, à attribuer avec la plus grande prudence. Chaque choix impliquait un renoncement, chaque décision aurait ses conséquences.

Chaque piste serait un sacrifice.


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Une piste rouge sang EmptyJeu 14 Nov 2019 - 17:13
Tous autour de toi exprimaient les mêmes sentiments : peur, tristesse, et aussi résignation, et tu les comprenais, alors que tu apprenais l'existence d'une invasion dont nul ne t'avait parlé à Edoras. Pourquoi fallait-il donc que le destin s'acharne ainsi sur les fils d'Eorl, le Rohan n'avait-il donc pas suffisamment souffert ces dernières années ?
Tu avais connu les conflits de l'intérieur et vécu les affres de la vie de soldat. Aujourd'hui, il y avait quelque chose de différent à constater autour de toi : les souffrances d'innocents, de femmes, enfants et vieillards, démunis devant tant de brutalité et d'horreurs.

Ou était l'armée ? Tu entends l'enfant interroger sa mère, et le patriarchee rebondir sur le sujet.
Ou était l'armée du Rohan ? Voilà une question qui pouvait se poser alors que son peuple avait besoin d'aide.
Une question à laquelle tu ne peux apporter réponse, alors que tu fixe l'ancien dans un acquiescement muet, ne voulant pas perturber davantage les jeunes enfants autour de vous.

Vous vous affairez un instant sur le jeune blessé, qui tente de rester stoïque malgré sa douleur et vos manipulations.
Tu écoutes le récit qui t'est fait de leurs malheurs. Un récit narré avec trop de silence respectueux autour de toi que tu ne songes même pas à juger le bien-fondé.

Encore une armée. Encore des souffrances.
Des hommes à la peau couleur de la nuit. Des monstres.
Des cris, du sang.
Le danger est nouveau. Les atrocités de la guerre, hélas, déjà connues.

Mais quelque chose, malgré les horreurs décrites te choque plus. Te heurte personnellement.
L'étrange armée progresse rapidement. Et remonte le long de l'Entalluve.

On vient d'un petit village, sur les rives de la rivière Mering, pas très loin de l'embouchure de l'Entalluve
La ferme de mon père se trouve à quelques lieues des bouches de l'Entévière, sur la rive nord.
On voyait leurs silhouettes dans la nuit, partout, sur les deux rives de l'Entalluve

Tu souris machinalement au jeune héros, bravache malgré son état, qui ne peut résister à l'envie de conter son exploit revanchard, mais ton esprit est déjà bien ailleurs, et ton cœur semble battre le tocsin.

Leda.
Son mariage.
La ferme près des bouches du fleuve.

Est-ce là la cruauté du destin? Mettre en danger celle que tu as déjà perdu?
Ou bien un coup de pouce?
Est-elle en danger? Ou bien a-t-elle réussi à fuir? Fuir avec... avec...
Le mariage n'a probablement pu être déjà célébré...

Ton esprit s'égare et imagine. Mettre de côté la mission, foncer tête baissée, trouver cette ferme, trouver Leda et la tirer des griffes du danger de de son bellâtre. L'emmener loin avec toi, la garder hors du danger. La garder avec toi.
Oh, bien sur il y a la mission. Mortensen, le Gondor, les Caves d'Or.

Mais Leda...
Peux-tu réellement l'abandonner, prendre le risque de non seulement la perdre pour un autre, mais peut-être avoir la hantise pour le reste de tes jours e ne pas l'avoir sauvé de cette horde décrite par les paysans?

L'Ancien alors t'offre un troisième choix.

- Je sais que ce serait beaucoup demandé, monsieur le cavalier, mais… si vous pouviez nous accompagner jusqu'au prochain village… C'est l'affaire de deux ou trois jours, et après on pourra se débrouiller.

Ton visage se crispe douloureusement.
Tu le sais, il va falloir faire un choix.

Tu regardes la famille autour de toi. Tous semblent attendre de ta personne. Espérer quelque chose de toi.  Voient en toi un possible rempart contre le mal qui le a assailli, une sécurité pour le périple qu'il leur reste à venir.
Tu sens contre ta poitrine les lettres de marques du Vice-Roi. Le chemin qui continue à l'horizon, pus à l'est.
Et tu sens encore sur tes lèvres le goût sucré de celle qui fut pendant plusieurs semaines ta soignante, ta confidente, et était sur le point de devenir bien plus que celà, tu jurerai pouvoir sentir l'odeur de sa peau et entendre sa voix et son rire.

Tu partiras pour Edoras, te mettre au service de Mortensen et de notre roi. Mais plus que tout Théomer, tu te mettras au service du Rohan, notre pauvre pays qui en a bien besoin.

Père... Pourquoi faut-il que tu songes à ses derniers mots d'adieux.
Comment juger de l'intérêt du Rohan dans tout cela? Comment mettre de côté ta partialité et tes propres sentiments?

Au fond de toi, tu sais qu'il t'est impossible d'ignorer un certain appel.
Et à quel point il va t'être pénible de l'annoncer à cette famille de pauvres hères.

'' Je ne peux pas vous accompagner, j'en suis navré. Je vais vous donner quelques vivres et de l'eau, mais il me faut continuer.''

Tu as l'impression que ta voix sonne faux.
Et d'abandonner ce misérable groupe à son destin.

Le devoir attendra. Pas Leda.

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Ryad Assad
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Une piste rouge sang EmptyVen 15 Nov 2019 - 11:42
Peut-être plus que jamais, l'armure de Théomer pesait affreusement lourd sur ses épaules qui récupéraient à peine d'une mission désastreuse à l'ouest du royaume. Le poids des responsabilités, le poids du devoir, le poids des serments et des engagements pris au nom du Rohan… Tout cela le ramenait à son propre choix… celui d'abandonner sa mission, confiée par Mortensen en personne, et qui aurait pu assurer son avenir au sein de la garde royale. Celui d'abandonner les malheureux réfugiés à leur triste sort, alors qu'ils avaient désespérément besoin d'aide et d'espoir en ces temps troublés.

Cependant, son choix était fait, et il ne pouvait plus revenir en arrière.

Il avait laissé le patriarche et sa courageuse famille derrière lui après leur avoir prodigué soins et conseils. Il avait vu le regard attristé des femmes, la souffrance des enfants privés de leur protecteur. Seuls les plus anciens lui avaient adressé un regard compatissant et encourageant. Ils savaient qu'un cavalier seul devait être envoyé en mission, et ils comprenaient qu'il ne pouvait pas s'arrêter pour aider une seule famille. Ils ignoraient seulement que Théomer venait de se détourner du chemin tracé par sa hiérarchie militaire dans l'espoir de sauver une femme.

L'auraient-ils pardonné de les laisser ainsi pour tenter de retrouver Leda ?

Ou bien au contraire l'auraient-ils exhorté à poursuivre ce noble combat, celui du cœur triomphant sur la raison ?

Dans le doute, il avait choisi de ne rien leur dire. De garder ses doutes pour lui-même, et de laisser bien rapidement ces pauvres paysans derrière lui. Cette séparation était une déchirure, une souffrance qui ne pouvait pas ne pas tirailler un esprit vaillant et honorable comme celui du cavalier. Ce qu'il ignorait, c'était que la piste qu'il suivait lui promettait encore maintes épreuves avant de retrouver Leda. Peu de temps après avoir abandonné le patriarche et sa famille, il croisa d'autres habitants qui l'appelèrent au secours. Ceux-ci avaient besoin d'aide pour réparer la roue de leur chariot, une entreprise fastidieuse qui pouvait cependant leur faire gagner beaucoup de temps, et leur épargner un accident plus loin sur le chemin. Théomer pouvait-il vraiment ne pas les aider ? Il rencontra par la suite un autre groupe, composé exclusivement de femmes et de filles, qui le supplièrent de retrouver le chef de famille, un ancien du nom de Niels qui avait été capturé par les Charbonneux. Pouvait-il vraiment ne pas promettre de faire tout son possible ?

Théomer remontait péniblement le courant d'une rivière invisible qui charriait avec elle les malheurs de tout le royaume. A chaque mètre gagné, il découvrait de nouvelles horreurs, et de toutes parts on l'abreuvait de récits tous plus effrayants les uns que les autres. Les Charbonneux, des démons immortels qui ne connaissaient pas la pitié, déferlant par centaine de milliers sur les terres du Riddermark. On parlait de créatures ailées, de buveurs de sangs, de mangeurs de chair, de sorciers, de Balrogs, de Dragons, de spectres, et de toutes les choses terrifiantes que l'esprit humain pouvait concevoir quand venait la nuit.

Commencer dissocier le vrai du faux ?

Et surtout, comment ne pas accorder du crédit à ces récits quand tant et tant de gens semblaient avoir vu la même chose ?

La quête désespérée de Théomer pour retrouver Leda semblait de plus en plus difficile, et il apparaissait qu'avec une épée et un cheval, le guerrier ne pourrait rien faire contre une horde malveillante qui semblait déterminée à écraser le Rohan. Le royaume n'était pas protégé, même pas informé. Les hommes étaient encore dispersés, et qui pouvait dire à quelle vitesse progressaient ces envahisseurs ? Atteindraient-ils Edoras, Fort-le-Cor, Aldburg et Isengard avant que les garnisons de ces quatre places-fortes eussent été en mesure de rassembler leurs forces ? Combien d'hommes le roi pouvait-il rassembler pour affronter ces Charbonneux qui semblaient représenter de formidables adversaires ? Tant de questions que l'esprit d'un militaire se posait, et qui le ramenaient en permanence vers son devoir, alors qu'il avait choisi d'écouter son cœur. Le chemin qui menait vers Leda ne serait de toute évidence pas simple.

Théomer avait choisi de bifurquer vers le Nord, pour rejoindre le fleuve, sans trop savoir ce qu'il allait y trouver. Le premier jour fut ponctué par les rencontres tragiques des survivants de l'attaque qui fuyaient de manière désordonnée. Le second, à l'inverse, fut marqué par un silence pesant. Il traversa des villages déserts, que l'on avait évacués dans la plus grande précipitation. Les paysans avaient laissé leurs outils, leurs champs et la plupart de leurs affaires, se contentant seulement de prendre leurs bêtes et leurs maigres richesses pour s'enfuir sans regarder en arrière. Il y avait quelque chose de malsain à voir ces maisons vides, d'où ne se dégageait aucune lumière, aucune fumée chaleureuse. Le vent qui caressait les pousses d'orge et d'avoine jouait la seule musique audible à des lieues à la ronde, et le cavalier se rendit compte rapidement qu'en empruntant seul les principaux chemins de terre, il était particulièrement repérable pour quiconque aurait été à l'affût.

Il ne vit ni n'entendit personne, cependant.

Pas la moindre sentinelle, pas la moindre trace suspecte d'incendie ou quoi que ce soit de cet ordre. Si une armée en campagne était passée par là, c'était de toute évidence une armée disciplinée, qui ne cherchait pas à tout détruire sur son passage. On était bien loin de l'image que l'on pouvait se faire de démons cruels et avides de sang. Alors que la nuit tombait progressivement, Théomer comprit qu'il ne parviendrait pas jusqu'au fleuve avant que l'obscurité ne se fût emparée de ces terres. Il rejoindrait l'Entalluve sans nul doute quelques heures après le lever du soleil, mais pour l'heure lui et sa monture avaient besoin d'un peu de repos. Les paysans ne lui en voudraient sans doute pas d'utiliser leur ferme comme un abri, et il ne mit pas longtemps à trouver un endroit adéquat pour s'installer : une grange où il faisait assez doux, et dans laquelle il trouva un enclos idéal pour installer son cheval. A l'étage, se trouvaient plusieurs sacs de foin qui pouvaient servir d'oreiller ou de couchage, à condition de ne pas être trop difficile.

L'appel du sommeil était le plus fort, et dans le relatif confort de cet abri providentiel, il était difficile d'y résister bien longtemps. Il lui faudrait toute son énergie pour affronter les difficultés du lendemain, et il ne pouvait pas renoncer si facilement à une opportunité de refaire ses forces.


~ ~ ~ ~


Ce fut un léger hennissement qui réveilla d'abord Théomer. Son cheval agité renâclait et tapait du sabot sur le sol, comme si quelque chose le dérangeait. Ce n'était sans doute pas une mouche, ni une souris… les destriers étaient habitués à bien pire. Ce n'était sans doute pas un chien ou un chat, ces animaux étaient trop prudents pour embêter un cheval suffisamment grand pour les blesser sérieusement par inadvertance. Alors quoi ? Un ours ? Un loup ? De tels prédateurs ne se promenaient pas ainsi dans les plaines du Riddermark, et surtout, ils n'ouvraient pas les portes soigneusement fermées.

- Chut… Fit une voix étouffée par la distance.

Une voix qui provenait de l'intérieur de la grange.

Pleinement réveillé cette fois, Théomer pouvait observer le monde extérieur à travers une petite lucarne non loin de sa position. Il ne vit rien, sinon les plaines éclairées faiblement par la lueur des astres. Aucune torche, aucun cheval à l'horizon. Mais à l'intérieur, il acquérait la certitude de plus en plus grande qu'il n'était pas seul, bien qu'il fût incapable de voir où se trouvaient ses visiteurs nocturnes. Des bruits de pas confirmèrent son impression, alors que quelqu'un encourageait à voix très basse son cheval à quitter son enclos. Il ne comprenait pas un traître mot de ce que les voleurs disaient, mais leurs intentions étaient claires. Le bois grinça quand la porte s'ouvrit, et que le cheval fut libéré, pour ensuite être conduit l'extérieur. Une autre voix s'éleva, puis une autre. Une quatrième intervint, immédiatement en-dessous de Théomer, ce qui lui permit d'en comprendre le sens.

- Point de trace par ici non plus… Devrions-nous vérifier la ferme non loin ?

Du Westron, la langue commune… Ils parlaient avec un accent, et des tournures qui semblaient vieillies, mais Théomer pouvait les comprendre sans difficulté. Il n'aurait su dire s'il s'agissait de ces Charbonneux dont on lui avait parlé, ou si c'étaient seulement des brigands qui profitaient de l'absence des habitants pour se livrer à un peu de pillage, mais en tout cas ces voix paraissaient bien humaines. Rien ne lui permettait d'affirmer qu'il s'agissait de démons, ou de créatures monstrueuses. Les quatre hommes se détendirent légèrement après que leur camarade eût annoncé qu'il n'avait rien trouvé. De toute évidence, ils avaient fouillé la grange en cherchant à qui appartenait le cheval, sans trouver personne. Ils n'avaient pas remarqué la petite échelle discrète qui permettait d'accéder à l'étage où étaient stockées des vivres et des foins. Ils se pensaient seuls, et ils se permirent de parler un peu plus fort alors qu'ils se rapprochaient de la porte, et de Théomer qui s'était caché juste au-dessus :

- Il ne s'agit point de notre mission. Pourquoi nous embarrasserions-nous à enquêter, alors que nous pouvons simplement rentrer avec notre prise ? Je gage que Kaara se félicitera que nous ayons trouvé un nouvel étalon, à défaut de vivres. Il ne se soucie guère des traînards qui tardent à fuir…

- Certes, mais que ne ferait-il pas pour mettre la main sur un guérisseur ou un apothicaire ? Tous ceux qu'il trouve, il les fait venir auprès de lui, et leur trouve une utilité… Pense un peu à nos blessés et nos malades… Les Trois Sœurs peuvent beaucoup, mais elles n'ont pas la faculté de soigner tout le monde.

Il y eut un silence pensif. Ces hommes ne semblaient pas être de vulgaires brigands. Ils obéissaient à une autorité supérieure, un certain Kaara. Des voleurs n'auraient pas réfléchi de cette manière, et ils ne se seraient pas soucié de blessés et de malades. C'étaient davantage les préoccupations d'une armée en campagne, ce qui expliquait également pourquoi ils étaient si intéressé par un cheval. Les cavaliers faisaient de telles différences sur le champ de bataille que tout général souhaitait vivement qu'on lui ramenât les chevaux trouvés le long du chemin. Ces hommes constituaient l'avant-garde d'un groupe plus important, et ils étaient envoyés en mission pour piller les environs avant de ramener leur butin auprès du gros des troupes.

Qui étaient-ils ? Combien ? D'où étaient-ils originaires ? Pourquoi parlaient-ils ce Westron curieux ? Autant de questions qui demeuraient sans réponse pour l'heure.

- Je serais fort étonné, reprit une des voix, que le propriétaire de ce beau cheval bien nourri soit ce que vous dites, mais il est vrai que nous nous devons de vérifier. Vous deux, restez ici pour surveiller les environs. Assurez-vous que le propriétaire de l'étalon ne s'efforce pas de récupérer son bien pour mieux s'échapper. Nous allons explorer la ferme, et essayer de voir si nous pouvons dénicher celui qui se tapit dans les parages.

Les hommes se séparèrent, et Théomer put entendre les bruits de pas de ceux qui s'éloignaient vers la ferme située plus loin, juste avant que la porte ne se refermât derrière eux. En observant par la petite lucarne, il vit leurs silhouettes sveltes se déplacer dans la nuit. Les deux portaient des arcs, vraisemblablement des armes de chasse, et à leur côté on pouvait distinguer des lames courtes. Sans doute des poignards ou des coutelas. Ils n'étaient pas armés comme des soldats professionnels, mais leurs arcs demeuraient néanmoins une grande menace pour Théomer. Au corps à corps, cependant, ils n'auraient aucune chance contre un bretteur expérimenté, même si leur nombre leur conférait un avantage non négligeable.

En l'occurrence, ils n'étaient plus que deux dans la grange, mais qui pouvait dire quand les autres reviendraient ? Le cavalier en avait déjà appris beaucoup en les écoutant, et il pouvait peut-être glaner d'autres informations utiles en se montrant patient. Qui pouvait dire qu'ils ne laisseraient pas échapper d'autres détails précieux au détour d'une conversation anodine ? Le positionnement de leur armée, le nombre de troupes, le statut des éventuels prisonniers… Autant d'éléments qui pouvaient aider Théomer dans sa quête totalement folle. Cependant, s'il attendait trop, il risquait de voir son cheval lui être enlevé et de devoir continuer à pied. Dans ces conditions, il perdrait tout avantage sur les hommes qu'il poursuivait, et ses maigres espoirs de retrouver un jour Leda…

Si elle était toujours en vie…


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Une piste rouge sang EmptyJeu 21 Nov 2019 - 19:48
Au désordre de la fuite, tumultueuse et paniquée, succède bientôt le calme plat

Autour de toi, la morne plaine semble draper dans un grand silence, à peine troublé par les bruits des sabots de ta monture ou l'appel discret des trilles d'un oiseau caché quelque part, silence en devenant même oppressant dans ce paysage désolé ou plus aucune âme ne semble vivre. Tu en viendrais presque à regretter, bien qu'empreints de peine et panique, les appels à l'aide et sollicitations de la matinée.
Le calme, néanmoins, te donne le temps de réfléchir. Réfléchir sur les événements d'abord. Tous les récits concordent, y compris dans leurs étrangetés, bien que tu n'ais jamais réellement douté des dires du patriarche rencontrés précédemment, tant ceux-ci étaient accrédités par la simple vision de sa famille fuyant le malheur qui s'était abattu sur eux. Viennent donc des interrogations sur ces mystérieux envahisseurs. Des hommes à peau noire? Tous ont bien parlé d'humains, il semblerait donc que l'hypothèse orcque, qui collait bien aux humanoïdes à peau noirâtre,  ne tienne pas. Pour une fois... Quel peuple mystérieux est-donc là? Tu as bien peu, voire aucune, expérience des peuples lointains. L'ancien avait exclu les Haradrims. Une tribu humaine vivant encore plus loin? Une autre race?
Le calme permet aussi de laisser tes pensées vagabonder, car malgré l'ambiance qui t'entoure et pèse sur toi, tu ne peux t'empêcher de songer à Leda. Pensées mêlant inquiétude bien sûr, au vu des scènes décrites et rapportées par le peuple en exode, l'imaginant peut-être en danger. Mais pensées ne dissimulant pas un certain plaisir, un désir évident. Il y a quelque chose de grisant à se savoir galopant vers elle, la savoir plus proche à chaque foulée, comme libéré, d'un carcan depuis que ta décision est prise. Tu en oublierais, presque -comment l'effacer complètement de ton esprit- l'arrogant prétendant.
Impossible en revanche de complètement effacer ton sentiment de culpabilité envers la mission mise de côté.Oui, mise de côté, c'est ainsi qu'il faut voir les choses, c'est ainsi que TU vois les choses. Serait-ce pour mieux supporter ou atténuer ce sentiment coupable? Après tout, le voyage auquel tu étais destiné prendrait plusieurs semaines. Alors un... 'simple détour'. Non tu en es convaincu, tu t'en convaincs, tu n'as pas trahi le Vice-Roi.

Tout à ces multiples pensées, tu tentes de rester vigilant à ton environnement proche, conscient de ta vulnérabilité ainsi isolé, mais toujours aucun signe de vie, ce qui est presque une bonne nouvelle -temporaire- lorsque l'on pense aller à la rencontre du danger.
La silhouette d'un village se détache au fond d'un vallon dans les premières lueurs plongeantes du soleil couchant. Il va falloir songer à faire halte.


Un bruit dans la nuit.

Lorsque tu réalises pleinement ta situation et l'embarras dans lequel tu es, tu aurais presque envie de jurer, si il n'était évident que c'était bien la dernière chose à faire. Les Valars soient loués, la petite bande d'intrus ne semblait pas avoir remarqué le perchoir ou tu avais fait ton nid. L'instant après le juron étouffé, tu te félicitais d'avoir emporté en hauteur avec toi ton harnois -en fait tu ne l'avais pas quitté- mais surtout tes armes. Seule la selle était restée en bas, jetée dans le râtelier. Toujours en hauteur pour éviter les dégâts des rats, tu devras penser à remercier ton père pour ses conseils.
Mais pour l'instant, autant tenter de tendre l'oreille, ta prochaine rencontre avec ton paternel semblant décidément incertaine.
Si la langue parlée te renseigne peu, et l'absence de lumière t'empêcherait de distinguer clairement la couleur de peau des nouveaux venus, tu ramasses quelques éléments singuliers dans leur discussion. Voilà des drôles qui semblent bien organiser et obéir à une hiérarchie et une organisation bien huilée. Peu ordinaire pour des bandits. Alors des Charbonneux réellement? Tu aimerai bien jeter un œil mais la prudence te retient.
Tous les guérisseurs. Il te faut un certain moment pour réaliser que cela peut concerner une personne bien chère à ton cœur. Garder celà à l'esprit. Et prier que ce ne soit pas le cas.

Le groupe en basse sépare. Voilà une bonne nouvelle. Deux silhouettes qui s'éloignent. Ainsi ils ne seraient "que" quatre. Tu tentes de discerner leur tenue, qui bien que peu informative, n'ait pas réellement celle d'une armée de bon aloi en marche. Qui diantre sont ces gens? En tout cas, ils semblent plus chasseurs-traqueurs que réels guerriers. Espérons que tu ne te trompes point.

Hors de question de rester caché. Perdre ta monture et te retrouver seul en territoire ou apparemment l'ennemi circule maintenant librement, c'est signer ton arrêt de mort. Et la perte de toute chance de retrouver Leda rapidement ou pouvoir fuir avec elle. Ton arme en main, tu rampes sans bruit jusqu'à jeter un œil en bas.
Une silhouette près de ton cheval qui semble vouloir calmer ta monture. L'autre semble rôder dans les stalles, hors de vue dans l'obscurité ambiante.
Impossible d'espérer descendre discrètement par l'échelle. Trop peu discret, et trop bruyant. Tu jauges la hauteur en grimaçant. Il va falloir espérer que tes blessures à peine cicatrisées tiennent le coup.

Tu attends que l'intrus qui tente de flatter ta monture fasse le tour de celle-ci et se retrouve pour ainsi dire juste sous toi.
Une grande inspiration.
Te redressant, tu bascules rapidement ton corps dans le vide.
En bas, quelqu'un va devoir accuser le coup et recevoir ton poids et celui de ton harnachement.
Un craquement. Est-ce lui? Est-ce toi?
Bien entendu, ton cheval rue devant ta brusque apparition. Et hennit.

Tu n'as plus beaucoup de temps. Tu lèves ta hache au dessus de la masse au sol sous toi.
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Ryad Assad
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Une piste rouge sang EmptyLun 25 Nov 2019 - 19:05
La surprise était de taille.

Et d'un certain poids.

Si bien que quand elle s'abattit sur les épaules du jeune soldat, celui-ci se mit à crier de douleur tandis que l'os se brisait net. Une fracture sans le moindre doute, qui l'empêcherait d'utiliser son bras d'épée pendant un long moment. Un coup chanceux de la part de Théomer, qui lui permettait de redistribuer les cartes. Dans tout ce chaos de gémissements et de hennissements, c'était désormais un contre un. Un duel à sa portée, même s'il se remettait péniblement de ses blessures. Il demeurait un cavalier du Rohan, un duelliste talentueux qui pouvait aisément s'en tirer face à un jeune combattant inexpérimenté. Il lui suffisait simplement d'achever la première victime, pour pouvoir passer à la suivante, et la voie serait libre pour s'échapper ou engager la traque des deux autres qui s'étaient éloignés dans la nuit.

Le plan, qui ressemblait davantage à une série de hasards, semblait se dérouler sans difficulté, mais c'était sans compter sur les réflexes prodigieux du second soldat. Au lieu lieu de tenter de bander son arc – ce qui aurait été du suicide à cette distance et dans la nuit –, celui-ci choisit de plonger directement sur le Rohirrim pour l'empêcher de mettre fin aux jours de son ami. Un geste à la fois héroïque et irréfléchi qui montrait que la détermination n'était pas l'apanage du cavalier. Ses adversaires étaient au moins aussi résolus que lui à rentrer en vie. Le choc fut particulièrement rude pour Théomer qui bascula en arrière, et se retrouva coincé entre le sol et la masse de son ennemi. Celui-ci se débattait comme un beau diable, même s'il n'était ni très grand, ni assez costaud pour prendre le dessus aisément. Cependant il était vif comme un serpent, insaisissable comme une anguille, et aussi agaçant qu'un frelon. Il se dégagea rapidement de la prise qu'essayait de réaliser Théomer pour le bloquer, et lança un premier coup de poing qui cueillit le Rohirrim à la tempe. De quoi le sonner pendant une brève seconde, et en profiter pour essayer de saisir son poignard.

Dans ces conditions, tout duel était un duel à mort, et le premier à mettre la main sur une arme tranchante ou perforante se donnait de solides chances de s'en sortir vivant. Il suffisait d'une coupure bien placée, ou d'un assaut d'estoc chanceux pour mettre fin à l'affrontement. Un seul coup au but, et c'était fini. A cette distance, et avec la rage de vivre qui gorgeait leurs veines, leurs protections légères ne serviraient à rien ou presque. Le guerrier, dont le visage était mangé par les ténèbres ambiantes, parvint à mettre la main sur le manche de son arme, mais il n'eut pas le temps de la dégainer que la mêlée reprenait déjà.

Lui et Théomer se battaient sans forme et sans ordre, chacun essayant de prendre le meilleur sur son adversaire avec ses propres qualités. Ils roulaient au sol, dépensant une énergie folle simplement à rester en vie, tandis que leurs tuniques couvertes de poussière et de paille rendaient compte de la férocité de leurs assauts. Dans ce chaos qui aurait pu passer pour une bagarre de taverne, si les intentions des deux protagonistes n'avaient pas été si clairement meurtrières, le pauvre Suli se battait avec l'énergie du désespoir.

La peur se lisait dans son regard écarquillé. Elle s'entendait dans sa respiration sifflante et paniquée. Ce n'était pas un tueur, pas même un guerrier. Il n'avait rien d'un Orc, ou d'une créature maléfique sortie des contes et des légendes. C'était de toute évidence un jeune garçon, qui ne devait pas avoir plus de quinze ou seize ans. A peine un adulte dans son corps, et encore très loin de l'être dans son esprit. Il n'avait ni expérience de la guerre, ni entraînement militaire, et tout ce qu'il faisait consistait à déchaîner toute sa terreur sur cet homme étrange surgi du ciel.

Il était effrayé, comme un petit animal.

Il craignait pour sa vie, et surtout pour celle de son cousin Alant qui gisait sur le sol en gémissant, promis à un sort funeste si le Rohirrim l'emportait. Suli se battait sans forme, mais pas sans efficacité, et à plusieurs reprises il parvint à placer quelques coups vicieux à son adversaire, suffisants pour lui faire mal. Il ne pensait pas vraiment, se contentant de suivre son instinct, et de frapper dès qu'il voyait une ouverture.

Mais la guerre n'était pas une affaire sans risque, et tout bascula très vite.

Théomer avait peut-être essayé de prendre l'avantage subitement, à moins que ce ne fût qu'une glissade involontaire. Avait-il prévu ce qui allait se passer ? Probablement que non. Suli sentit son pied se dérober sous son poids, comme s'il avait marché sur une pierre particulièrement glissante, ou bien sur un peu de foin glissant. Le poids du Rohirrim sur lui était irrésistible, et avant d'avoir compris de quoi il retournait, il sentit la gravité s'emparer de lui et le ramener au sol avec une violence inouïe.

Il y eut un craquement sourd.

Répugnant.

Puis ce fut le noir absolu. Et le silence.

Théomer tenait encore le jeune garçon par le sol, mais Suli ne se débattait plus. Ses yeux grands ouverts étaient figés dans une expression à la fois surprise et choquée. Il n'avait pas eu le temps de souffrir, et c'était peut-être mieux ainsi, à en juger par son crâne déformé par l'impact. Du sang poisseux s'était mis à couler abondamment, avec une texture si épaisse que l'on aurait dit du miel carmin. Il se déversait à un rythme régulier sur le sol, précisément là où le léger rebord de pierre s'était encastré dans la tête du malheureux.

- Suli… Oh Suli…

Les plaintes du blessé ramenèrent le Rohirrim à lui, et à la situation présente. Cette grange enténébrée, ce corps chaud sous ses mains… Et bien sûr Leda, la mission, les créatures de l'ombre et le danger permanent qui semblait rôder dans les provinces orientales du royaume. Le garçon inanimé entre ses doigts était le symbole du basculement. Tout ce qu'il avait accompli jusqu'à présent n'avait été qu'un simple détour, une parenthèse qu'il espérait brève. Désormais, plus rien ne serait comme avant. Il venait d'ôter une vie, un geste qui n'était jamais anodin, et qui était encore plus lourd de conséquences dans ces circonstances bien particulières. En effet, les deux autres éclaireurs avaient été alertés par les bruits du combat, et ils avaient fait demi-tour à toute allure, comprenant que leurs compagnons étaient attaqués. En arrivant, ils avaient découvert le Rohirrim penché sur leur compagnon, et ils étaient restés abasourdis, incapables de parler ou d'agir.

Deux contre un.

Deux et demi, si on comptait le blessé.

Les chances de Théomer étaient bien maigres. Ses perspectives, quant à elles, étaient bien sombres. Tuer ou être tué ? Se constituer prisonnier ? Implorer pour sa vie comme pour oublier qu'il venait de faucher celle d'un enfant ? Ou bien faire face stoïquement à la mort, dignement, comme un cavalier du Rohan se devait de le faire lorsque son heure était venue.

Et Leda ?

A cet instant précis, le cavalier avait toutes les cartes en main. Il pouvait convoquer la furie guerrière qui brûlait dans les veines de son peuple, s'emparer de sa hache et lui faire goûter le sang des envahisseurs. S'il empruntait ce chemin, nul ne pouvait prédire ce qui adviendrait de lui… Et même s'il réchappait miraculeusement de ce combat, qui pourrait dire ce qui adviendrait de son âme ? Mais le plus effrayant était peut-être de songer aux autres options… à ce qu'elles impliquaient.

Avait-il seulement le choix ?

Y avait-il un choix ?

La piste qu'il suivait inlassablement le conduisait invariablement vers Leda, comme un phare l'appelant vers des côtes familières. Pourtant, la terre sous ses pas venait de se colorer de vermillon, et le sang qui avait coulé dans le sillon de ses pas alimentait l'envie de vengeance que l'on voyait poindre dans le regard de ses nouveaux ennemis.

Ces hommes à la peau charbonneuse, et à la mine farouche.

Pas des démons, ça non. Beaucoup plus dangereux.

Des hommes enragés.

#Leda


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