Twist courait à en perdre haleine à travers les ruelles étroites du Bas de la Cité Blanche. Comme d’habitude, il avait du retard. Pourtant, il avait pris toutes ses dispositions, ou presque. Il avait quitté plus tôt son groupe d’amis qui se regroupaient sur les toits du Premier Niveau, mais, comme toujours, “il avait été retenu”. Il fallait dire que le jeune garçon avait une attention plutôt volatile, un vieux mendiant avec qui discuter au coin d’un carrefour, un groupe d'illettrés ayant besoin d’aide pour déchiffrer les placards cloués un peu partout sur les murs de la capitale; bref toutes les excuses étaient bonnes pour s’arrêter en chemin.
Sauf que ce soir-là, l’adolescent n’avait pas rendez-vous pour une simple partie de cartes et son retard risquait d’être rédhibitoire aux yeux de l’Arbre Blanc. Il n’avait pas beaucoup de détails ou d’informations sur ce qui pouvait l’attendre mais l’excitation était bien présente. L’Arbre Blanc. Ce nom revêtait une symbolique toute particulière pour tout sujet du Gondor; représentant à la fois le symbole de la royauté trônant fièrement au centre de la Cour de la Fontaine mais aussi le réseau de renseignements du royaume du Gondor. On connaissait bien peu de choses au sujets des agents de l’Arbre Blanc si ce n’est leur illustre réputation et leur présence tentaculaire dans tous les recoins du pays. Il se disait que les Agents de l‘Arbre Blanc se trouvaient partout, menant une vie tout à fait ordinaire pendant de longues années dans l’espoir de récolter la moindre bribe d’informations utile à la patrie. Soldats, cordonniers, universitaires, musiciens, filles de joies; tous pouvaient potentiellement travailler pour le compte de celui que l’on appelait le Directeur.
Twist avait été approché quelques jours plus tôt par un homme érudit muni d’une impressionante moustache. Il s’était présenté comme un écrivain auprès de l’orphelinat où le garçon résidait toujours et avait immédiatement réussi à capter son attention. Il lui avait parlé d’une voix calme et envoûtante sans rien révéler de la raison de sa présence, lui posant de nombreuses questions sur ses activités, ses connaissances et son réseau au sein de Minas Tirith. Ses années passées à vagabonder dans la rue, quand il n’était pas penché sur une table de travail, en avait fait une personnalité incontournable du bas de la Cité. Dans ses quartiers tout le monde était désormais habitué à voir sa petite silhouette chevelue cavaler entre les étals, une pomme volée à la main et un sourire espiègle sur le visage. Cependant, rares étaient ceux qui connaissaient le nom que lui avait donné ses parents à sa naissance. De toute façon celui-ci n’avait que peu d’importance; le garçon lui préférait largement le surnom gagné dans les rues de Minas Tirith: “Twist”.
Il faisait désormais partie du décor de la ville, certains lui faisaient confiance d’autres lui confiaient des petites tâches modestement payés, beaucoup ne prêtaient plus attention à sa présence. Autant d’éléments qui avaient fait de lui une oreille particulièrement attentive à tout ce qui pouvait bien se raconter sous les chaumières. Qui donc pouvait se méfier d’un gamin avec une telle bouille d’ange?
L’inconnu à la moustache l’avait bien compris. Et quand Twist lui avait demandé qui il était réellement, le visiteur s’était contenté de sourire en lui tendant un pendentif dont le médaillon en argent représentait un arbre florissant. Un arbre blanc.
L’homme était alors parti en lui donnant simplement un lieu de rendez-vous pour le prochain vendredi soir s’il désirait en savoir plus. Bien évidemment, Twist n’avait pas vraiment besoin de se faire prier pour se joindre à une telle aventure.
Le souffle court, il s’arrêta devant une bâtisse éclairée et animée malgré l’heure tardive. Une enseigne accroché au mur représentait un étrange animal boussu campé au-dessus d’une chopine surmonté d’un nom aussi étrange qu’évocateur : “Le Chameau qui Tousse”. Il poussa la porte de bois et les effluves de cervoise et de pain chaud titillèrent immédiatement ses narines. A peine eut-il fait quelques pas qu’un large individu, campé derrière le comptoir, le héla.
“Eh oh! Gamin! Il ne se fait pas un peu tard pour faire le tour des tavernes? A ton âge?”
Avec une assurance déconcertante pour un enfant comme lui, Twist s’approcha de l’aubergiste avec un sourire. Il sortit simplement le médaillon que l’inconnu lui avait confié. L’expression de son interlocuteur changea alors soudainement.
“Oh je vois!” Fit-il quelques peu surpris.
Il se pencha alors en avant et murmura:
“Ils sont en haut.” Sans l’ombre d’un remerciement pour son hôte, l’orphelin se dirigea d’un pas léger vers l’escalier en colimaçon et monta les marches quatre à quatre. Il déboucha alors sur une seconde salle, plus calme et bien remplie. Un feu briait dans l’âtre et un groupe hétéroclite de clients étaient regroupés en cercle.
Conscient d’avoir du retard, Twist s’approcha discrètement du groupe qui lui semblait bien étrange. Les personnes qui le constituait semblaient venir de tous les milieux possibles. Des locaux mais aussi des étrangers. Des nobles, des soldats, des roturiers. Il y avait de tout et dans un contexte normal, rien n’aurait pu réunir ces personnes-ci autour d’une même tâble.
Il prit discrètement place dans un coin. Près de lui, un homme à l’embonpoint prononcé et affublé d’étranges rouflaquettes lui adressa un sourire que Twist préféra ignorer.
Deux silhouettes se tenaient prêt du feu, prêtes à prendre la parole. Il y avait un officier de la Garde de la Citadelle dans son armure rutilante mais aussi l’inconnu qui lui avait rendu visite à l’orphelinat. Ce fut ce dernier qui prit d’abord la parole de sa voix grave et captivante:
“Mesdames, Messieurs Bonsoir. Bienvenue au sein de l'Arbre Blanc.”