Edwÿne fit ralentir le cheval lorsqu'elle arriva en vue de sa cité. Erian. Son absence avait été brève et pourtant les rues de terre lui avaient manqué. Mais elle ne pouvait pas regarder les maisons, les rues et les gens sans penser au Bal et ses événements, la guerre aux portes de l'Ouestfolde, les ennemis au pas de la porte. Edwÿne ferma les yeux en inspirant. Les rumeurs s'ébruitaient et son retour était un signe pour certains que les murmures étaient fondés. Son visage abattu portait la peine de son deuil et la douleur de ce qu'elle avait vu et entendu. Elle avait passé le trajet du retour à penser à Erian en flammes, la peur de retrouver sa demeure réduite à un tas de cendres. Elle avait peur du feu, désormais, peur des incendies. Comment allait-elle annoncer la vérité à ceux qui devaient l'entendre ? Non, elle ne pouvait s'y résoudre.
Elle n'était pas une héroïne. Ni de corps ni de cœur. Elle n'était qu'une guérisseuse. Même si elle se donnait toujours corps et âme à son travail, voyageait dans la province pour administrer l'aide si nécessaire, pas à un seul moment elle ne se voyait comme quoi que ce soit d'autre qu'une ombre passante. Elle vivait dans l'ombre des soldats, à panser leurs blessures et les encourager à retourner protéger femmes, enfants et bêtes, à sacrifier leur vie pour les guerres d'hommes ne songeant jamais aux sillons sanglants qu'ils laissent derrière eux pour le profit et le pouvoir. Elle avait mis au monde et enterré hommes, femmes et enfants parfois de la même famille. Malgré tout cela, malgré ses mains couvertes de sang des innocents et des plantes destinées aux infortunés, personne ne se souviendrait de son nom ni de son identité ou de son passage sur cette terre. Seuls les héros portant les épées et les oriflammes du Rohan avaient leur place dans les livres et les légendes.
Alors pourquoi, pourquoi voulait-elle tant sauver sa ville ? Pourquoi avait-elle cette idée, persistante, qu'elle devait agir ? Elle repensa à la bravoure de la Vice-Reine, la dévotion de sa garde personnelle... Elle repensa à ses protégés et regarda par-dessus son épaule. Elle voulait sauver son pays, apporter son aide dans l'ombre, sauver les terres du Rohan, mais surtout elle ne voulait pas perdre ses deux protégés. Elle y songea un instant alors que les roues de son chariot grinçait sur les rues de terre et poussière. Les jumeaux venaient de l'est et avaient erré, erré pendant des mois, à cause de la folie de Meorden et la colère de Lainndred. Edwÿne les avait trouvés affamés dans une ruelle. Meorden était prostré au sol et Lainndred grognait avec une manche à balais cassé dans les mains, prête à attaquer quiconque ferait du mal à son frère. Edwÿne portait un panier de marguerites, ce jour-là, et avait découvert la fascination étrange du Fol pour ces petites fleurs parmi tant d'autres. Elle lui en avait tendu une et ainsi avait commencé une nouvelle vie pour les jumeaux.
Edwÿne arrêta le chariot, laissant Meorden emmener le cheval dans l'écurie pour le bichonner. Elle ramena les remèdes dans son atelier qui consistait en réalité la majeure partie de la petite demeure. Elle vivait à l'écart, avec juste assez de place pour avoir un petit jardin médicinal et un espace pour conserver et transformer ses plantes et autres remèdes, et même une petite chambre en cas d'urgence. La veuve fit les allers-retours peu à peu. Elle portait une caisse lorsqu'elle se rendit compte qu'elle était bientôt à court d'herbes contre la fièvre et pour désinfecter les plaies, celles qu'elle utilisait le plus. Edwÿne ferma les yeux en serrant les mâchoires. Avec le Rohan attaqué, envahit par l'ouest et l'est à la fois, la tenaille se resserrait. Peu à peu... elle ne pourrait bientôt plus traiter qui que ce soit, par manque de plantes. Cela relevait déjà du miracle qu'elle soit arrivée à Erian sans trop d'encombres, hormis croiser ceux fuyant l'un comme l'autre côté. Edwÿne sentit son cœur se serrer plus encore et regarda vers la ville derrière elle.
Elle dû inspirer pour calmer sa nervosité grandissante. Elle marcha vers les écuries, s'approchant de Meorden.
- Meorden ? Je vais en ville. Ne bouge pas d'ici d'accord ?
Le garçon lâcha un râle pour acquiescer et la veuve s'éloigna. Elle arpenta les ruelles avec la mélancholie de la défaite. Edwÿne était loin, si loin d'avoir cette hargne de combattre. Elle regardait déjà sa cité avec les yeux de ceux qui ont déjà perdu avant que la bataille ne commence. Elle imaginait déjà les murs de flammes, les cris et les corps calcinés, les sauvages de l'est comme de l'ouest piller, tuer, détruire absolument tout sur leur passage, piétiner tout ce qu'ils pourraient. Pourquoi pensait-elle à cela ? Cela ne lui ressemblait pas. Oui, elle était en peine, mais pas défaitiste, pourtant. Elle n'avait perdu ni mari, fils ou frère dans l'est ni l'ouest. Pourtant elle sentait son cœur aussi lourd que si elle était la dernière du Rohan debout, à regarder le rester brûler, comme dans un mauvais rêve. Alors pourquoi ? N'était-ce pas son rôle d'encourager, donner le sourire et l'espoir lorsque les infortunés le perdaient ? Elle dû s'asseoir pour rassembler ses pensées et se ressaisir. Cela ne lui ressemblait pas d'être aussi abattue. Mais le royaume était si sombre, le ciel si teinté de rouge.
Une voix famillière la réveilla de sa transe. Un peu plus loin, elle aperçut Sevat, un marchand venu de Dale. Edwÿne ne le connaissait que professionnellement, ils avaient déjà fait affaire ensemble. Elle se dirigea vers lui et acheta une poignée de plantes. Pas grand-chose avec la guerre et le peu de marchands qui venaient mais Edwÿne était néanmoins ravie. Il partait sous peu et Edwÿne vit une opportunité, telle une lueur perçant son voile sombre de pensées. Elle tourna les talons et retourna chez elle et se plaça dans son atelier. Pendant que Meorden rangeait les plantes et faisait un obsessif inventaire, elle écrivit. Il lui fallut de nombreux essais pour arriver à un résultat. Elle n'était pas politicienne, historienne, érudite ou noble. Elle ne pouvait que faire de son mieux.
Un appel à l'aide du peuple du Rohan...
Citation :
Alliés et Amis du Rohan, Passés et présents,
De nos coeurs, à nos heures si sombres, émerge l'appel du peuple du Rohan. Un étau d'ombre et de flammes compresse nos terres, réduisent nos villages à l'état de cendre, forcent nos pères, frères et époux à rejoindre leurs ancêtres dans une douleur embrasée. Notre ciel s'est teint de rouge et notre horizon perd un peu plus ses allures pastel à chaque aube qui se lève. Les éplorés fuient l'est pour ne trouver que la même désolation à l'ouest, et ceux de l'ouest courent à l'est en espérant trouver un espoir qui s'envole comme la cendre de nos mains.
Nos héros sont tombés et le peuple se sent abandonné par ceux ayant jurés de les protéger. Dans la belle cité d'Erian, ce cœur battant de fierté et de loyauté, nos ressources donnant pain et laine à nos voisins et compatriotes se tarissent peu à peu. Nos murs ne sont pas assez solides et nos hommes pas assez entraînés ou armés pour nous protéger. Nous n'avons que nos récoltes, nos outils et nos bras, mais nul ne peut nier que, contre des armées, cela n'est pas suffisant. Chaque réfugié, chaque bouche supplémentaire, chaque larme que nous ne pouvons essuyer, amincie notre survie. Pourtant nous lutterons mais l'étau se resserre et, bientôt, Erian deviendra à son tour un brasier immense où l'envahisseur plantera son oriflamme et l'utilisera comme bastion pour effacer le Rohan, et s'épandre ensuite de tous côtés de la carte sans que personne ne puisse les arrêter.
Le Rohan ne peut tomber, ne doit tomber, doit se tenir et survivre. Mais nous ne pouvons seuls. L'histoire de la Terre du Milieu, du Rohan comme ailleurs, la seule constante réside dans l'adage "L'union fait la force". Les historiens pourront prouver autrement mais le peuple souffrira toujours, quoi qu'il advienne. Si Erian résiste, le reste du Rohan résistera. Si le peuple parvient à rester debout et garder la tête haute grâce à nos bienfaiteurs hors des frontières, alors l'espoir subsistera, et alors le Rohan survivra. Ce n'est pas le Roi que le peuple vous implore d'aider, mais le peuple. Celui-là même qui saura, à jamais, être dans une reconnaissance éternelle, envers et contre tout.
Amis, alliés du Rohan. Moi, Edwÿne Néogathe, guérisseuse d'Erian, vous implore de venir en aide à ce peuple qui en a besoin. La cité d'Erian sera à jamais en votre dette, quoi qu'en dise quiconque. Si l'espoir demeure au Rohan, l'espoir demeure ailleurs également.
Il ne lui restait désormais plus qu'à remettre la lettre à Sevat. Elle ne perdit aucun instant et dès la lettre terminée, elle marcha rapidement en cherchant Sevat, jusqu'à le trouver, quitte à y passer une partie de la soirée. Elle ne rentra chez elle que lorsque le marchand eut le courrier en main. Elle l'avait supplié de la transmettre à ses bienfaiteurs, ses pairs, les plus riches de Dale. Elle ne put qu'espérer et prier, lorsqu'elle rentra, que le message serait transmis et écouté. Il ne restait qu'à prier...
Ryad Assad Espion de Rhûn - Vicieux à ses heures perdues
Nombre de messages : 2511 Age : 32 Localisation : Pelargir Rôle : Humaniste
La missive qu’il gardait soigneusement contre sa poitrine, dans une poche de son veston, guidait ses pensées troublées par la perspective de la guerre et d’une nouvelle ère de ténèbres. Il avait connu des conflits violents. Il avait entendu parler de la terrible Bataille du Nord, au cours de laquelle nombre de jeunes gens avaient perdu la vie. Il espérait de tout cœur que l’heure n’était pas à un nouveau carnage, pour ce Rohan qu’il avait appris à aimer.
Ce curieux pays, peuplé de gens non moins étranges.
Étranges mais vrais. Honnêtes. Loyaux. Il retrouvait en eux des valeurs qui lui parlaient, des valeurs comme celles des gens du Rhovanion. Il croyait de plus en plus dans cette légende disant que les hommes de Dale et ceux du Riddermak avaient des ancêtres communs, et qu’ils descendaient en réalité de la même lignée originelle. Il se sentait bien, parmi les dresseurs de chevaux, même si le raffinement et la douceur de vivre de son propre royaume lui manquait parfois.
Alors il s’était improvisé émissaire, diplomate, grand servant des peuples opprimés. Il avait laissé de côté son chariot et ses marchandises, et avait pris la route du Nord sans attendre. On disait que les Rohirrim et les Dalites avaient servi ensemble, aux côtés des Nains, dans la guerre contre les sinistres créatures qui vivaient sous la Montagne. Cette alliance pouvait-elle aujourd’hui pousser le grand royaume de Dale à intervenir pour appuyer les cavaliers de la Marche dans leur entreprise ? Sevat n’ignorait pas que la tâche serait ardue. Il n’ignorait pas qu’à l’Est, la poussée des Rhûnedain inquiétait, et que d’étranges rumeurs flottaient sur une mystérieuse créature surgie des tréfonds du Long Lac. Il n’ignorait pas que la victoire contre les Nains avait été acquise au prix fort, et que les armées de Dale devaient d’abord penser à protéger leurs frontières.
Mais il ne désespérait pas.
Il avait galopé jour et nuit, car il croyait dans sa mission.
Il arriva à Dale porteur de la missive d’Edwÿne Néogathe, sous la plume de laquelle s’exprimait en réalité tout un peuple terrifié. La cité d’Erian, tout d’abord, isolée et vulnérable face à la menace venue d’Orient. Et plus largement tous les descendants d’Eorl, qui pleuraient aujourd’hui la mort de leur Vice-Roi… en se demandant combien d’autres braves Rohirrim devraient retourner prématurément à la terre qui avait accueilli leurs premiers souffles, leurs premiers cris, leurs premiers pas.
Sevat avait lu la lettre à haute voix, à tous ceux qui voulaient l’entendre. Il l’avait lue, et relue, autant de fois qu’on le lui demandait, dans les rues, sur les places, aux modestes comme aux puissants, à tous ceux qui voulurent bien lui prêter une oreille attentive. Ces mots, répétés à l’envi, submergèrent d’émotion le peuple de Dale dont la longue mémoire n’oubliait pas facilement l’aide apportée par les Rohirrim lors de la Guerre de l’Anneau, ou lors des guerres contre le Rhûn. Les mots d’Edwÿne résonnaient comme un appel fraternel qui ne pouvait rester sans réponse. L’honneur du Rhovanion en dépendait, à l’heure où les hommes de ces régions reculées devaient choisir s’ils souhaitaient rallier les grands royaumes libres, ou affronter seuls la menace que représentait l’Orient.
« Le Rohan survivra ! », l’exhortation contenue dans la lettre, devint ainsi un cri de ralliement.
Et de toutes parts, on commença à s’organiser. Qui donnant quelques provisions, qui quelques linges propres et bandages qui serviraient aux blessés. Les dons se mirent à affluer. Insuffisants pour renverser le cours de la guerre à eux seuls, certes, mais si précieux pour les malheureux qui en auraient besoin incessamment. Sevat, dont la profession de marchand lui donnait de solides compétences pour organiser le convoi et le départ, fut gonflé de fierté en voyant l’aide que son peuple apportait à ses plus précieux amis. Il sourit, en regardant le Sud.
- « Si Erian résiste, le reste du Rohan résistera », murmura-t-il en citant la lettre. Alors nous ferons tout pour que la ville ne tombe pas.
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Félicitations Lithildren pour cette première quête achevée, avec succès ! Des vivres seront envoyées à la cité, et donneront de meilleures chances aux habitants de survivre à la guerre.