[Chapitre 1] Le destin écrit son appel

Leif ne portait aucune blessure apparente, hormis les cicatrices des nombreuses batailles qu’il avait pu mener. Il réagissait assez peu aux stimulations de la magicienne. Il paraissait complètement engourdi. Sa respiration était régulière mais faible. Quand elle lui demanda de serrer sa main, elle sentit une infime pression. Rien ne le distinguait d’un homme endormi hormis l’étrange grimace qui lui déformait la partie gauche du visage. Un indice suffisant pour la magicienne ?

Alors qu’elle s'apprêtait à expliquer à un soldat qui passait le mal qui semblait affecter le maréchal à la retraite, celui-ci lui coupa la parole brusquement.

“Sauf vot’ respect on s’en fout. On dégage !”

Joignant le geste à la parole, il héla un sien camarade et saisit vivement le maréchal par les pieds. Son compatriote fit de même au niveau de la tête tandis qu’un troisième ramassait à la hâte les quelques effets qui trainaient dans la tente.

Le maréchal fut déposé sans beaucoup de ménagement à l’arrière d’une charrette, sur une matelas improvisé fait de toile de tente. Sighild eut à peine le temps de s’écarter que déjà on abattait la tente de l’officier retraité pour faire place nette.

Un léger bruit en provenance du chariot de Leif attira l’attention de la demi-elfe. Sans que la cause ne soit très clair, Leif avait ouvert les yeux. Il balbutiait quelque chose en tentant de lever maladroitement son bras.

“Lé tment ré..”

Il s’énervait de ne pas parvenir à articuler.

“Il… taré.”

Il pointait du doigt quelque chose dans le dos de Sighild en direction de l'arrière-garde.



Labeth avait donné un coup de talon énergique à sa monture tandis que le petit groupe d’une cinquantaine de cavaliers sous sa direction se mettait en branle. Les ordres de Calion n’étaient pas précis mais le plan d’ensemble était clair. Ils allaient donner la chasse aux éclaireurs dwimmens pour les éloigner du camp.

A leur approche, ceux-ci tentèrent de faire volte face pour s’éloigner. Clairement, les dwimmens n’étaient pas des cavaliers nés. Ils mirent un temps incroyable à faire volte face, certains manquant même de tomber de leurs montures. Celles-ci portaient encore des équipements qui ne laissaient pas de doutes sur leurs premiers maîtres : des rohirrims.

Le groupe de l’aile gauche parvint au sommet de la petite crête que les dwimmens tentaient d’atteindre. De l’autre côté, ils purent distinguer, encore à bonne distance, le gros des troupes ennemies. Ils devaient y avoir entre six-cent et mille cavaliers qui avançaient en ordre dispersé. Un bruit retentit dans son dos et Labeth fit volte face.

L’arrière-garde venait de mettre le feu à la prairie derrière eux. Labeth ne parvenait pas vraiment à comprendre en quoi cela devait permettre de donner l’illusion qu’ils maîtrisaient la situation. Néanmoins, cette interruption provoqua pas mal de remous dans l’armée dwimmen qui s’était soudainement arrêtée. La fumée pourrait peut-être aider à mieux dissimuler leur véritable puissance.

Il fit signe à ses hommes de se mettre en une colonne pour protéger le flanc gauche du gros de la troupe qui s’était mis en marche. Il trouva un jeune cavalier à qui il donna ordre d’aller transmettre les informations au Capitaine Narmacil.

“Dites-lui que les ennemis sont sur notre arrière gauche, dites-lui qu’ils sont plus de six-cent mais moins de mille et que ce ne sont pas de bons cavaliers.”

Le jeune homme hocha la tête et se dirigea vers la tête de la colonne qui se mettait désormais laborieusement en branle.

Leif leva les yeux au ciel. Se trouver ainsi complètement soumis à la bonne volonté des gens le déprimait profondément. La guérisseuse peinait à le comprendre ce qui ne faisait qu’accentuer son sentiment d’impuissance.

Elle commença à lui parler doucement en prenant sa main. Il répondit par de petites pressions. Personne ne mentait, oui il fallait avertir quelqu’un… cela concernait Volkan. Il respira profondément et se concentra intensément.

“Feu…”, réussit-il à articuler péniblement. Il ferma les yeux. “Idiot”, enchaîna-t’il. Puis, il ferma doucement les yeux. Ces efforts l'avaient épuisé et malgré le tumulte général qui régnait dans le camp, il s’endormit, ronflant bruyamment.

Si même Volkan avait eu la capacité d’entendre d’aussi loin les aimables paroles de son détracteur préféré, la situation à l’arrière garde requerrait toute son attention. Tandis que les flammes consumaient les récoltes et qu’un épais nuage de fumée gênait profondément la vue des ennemis, il pût distinguer au loin un groupe d’une centaine d’hommes. Ceux-ci avançaient à pied, paraissant trouver avec une aisance manifeste leur chemin parmi les flammes. Leur nombre ne faisait pas d’eux une menace et l’absence de monture combinée à la complexité de leur progression ne leur permettaient pas de véritablement reprendre du terrain sur l’eored tant qu’elle continuait à avancer.

Néanmoins, le passage de l’Entaluve allait sans doute provoquer un engorgement et un ralentissement qui risquaient de leur donner des opportunités d’attaquer. Un son de cor retentit soudain. Il ne provenait pas des rangs rohirrims mais du groupe qui suivait l’arrière garde. Si le son était proche de celui émis par les cors de la Marche, signe de l’utilisation d’instruments semblables probablement issus de cornes de bovins, la manière d’en jouer paraissait différente.

En observant de plus près, on pouvait distinguer une personne montée qui agitait un grand mât auquel était accroché un morceau de drap clair. Le porteur du drapeau blanc était accompagnée de trois autres cavaliers, une femme au visage couvert de cendres, un homme qui jouait du cor et un troisième homme. Ils avançaient au pas, paraissant se concentrer pour tenir leurs montures.

Si Volkan était en première ligne face à cette potentielle tentative de négociation, Calion de sa position devait avoir entendu le son étrange du cor. Les nouvelles de ses autres lieutenants lui étaient parvenue et rien ne semblait indiquer que l'ennemi soit sur le point de passer à l'attaque. Les dwimmens étaient concentrés sur l'arrière gauche mais demeuraient à bonne distance tandis que rien ne semblait indiquer leur présence sur le flanc droit. Les cavaliers partis en éclaireurs n'étaient pas encore de retour mais cela n'avait rien de particulièrement inquiétant.

Les trois représentants des dwimmens s'étaient avancés à une distance raisonnable de Calion, Volkan et de leur petite escorte.

Leurs armes étaient au fourreau, signe de leur intention manifeste de discuter avant de se battre. Elles paraissaient de bonne facture mais d'origine étrangère. Dans tous les cas il s'agissait d'armes de soldats et non pas de paysans ou de chasseurs. Ils portaient tous des pièces d'armures un peu éparses mais cette diversité semblait davantage liée à des préférences personnelles qu'à un manque d'équipement. Leurs montures par contre étaient clairement issues des écuries du Rohan. La récente défaite de Mortensen paraissait leur avoir fourni de quoi accélérer leurs mouvements.


La femme qui menait le groupe sourit largement en entendant les paroles de Volkan. Elle révélait des dents qui paraissaient étrangement blanches. Ses yeux, d’un gris clair peu commun, contrastaient au milieu des cendres qui maculaient quasiment l’intégralité de sa face. Les hommes qui l’accompagnaient portaient également de tels maquillages étranges. Un bandeau aux motifs familiers retenaient ses cheveux épais et tressé. Clairement, il s'agissait d'un trophée pris sur un fils d'Eorl.

“L'hospitalité de vos terres a bien changé, seigneurs des chevaux.”, fit-elle d'une voix douce, ferme et légèrement moqueuse.

La femme semblait parler le commun et n'avait qu'un très faible accent.

“Mes titres et qualités n’ont aucun sens pour vous, cavalier. Sachez juste que je me nomme Estrella, que je commande cette armée et que je ne réponds à personne d'autre qu’au Chef Alaric.”

Pendant qu'ils parlaient, les flammes avaient progressé autour d'eux.

“Si nous restons à discuter ici, nous risquons d’avoir rapidement très chaud. Accepterez-vous l’hospitalité de notre campement ou nous offrirez-vous celle du vôtre ?”



Labeth avait continué à faire avancer les troupes. Il s’était retrouvé catapulté responsable de l’eored de manière un peu impromptue. Il repensait aux paroles de Malaz : “Ne te fais pas remarquer.” C’était assez mal parti pour le coup.

Cela parlementait à l’arrière et la distance entre les troupes et les émissaires ne faisait qu’augmenter. Cela permettait de gagner du temps mais cela risquait à terme d’isoler complètement Narmacil et Volkan. Il ne se sentait pas à l’aise de prendre une telle décision. Il s’approcha doucement du chariot dans lequel dormait toujours Leif et interpella la femme elfe.

“Si nous continuons à avancer, votre ami et Volkan vont se retrouver très loin de nous. Ce sont de bons cavaliers et ils ont de bonnes montures… néanmoins, le risque n’est pas nul. Pensez-vous que nous devrions faire halte ?”