Hobson Boffine - Une arrivée à Bree

Les lourdes portes de Bree s’étaient ouvertes devant lui il y a déjà quelques heures, mais Hobson Boffine, bien que plus grand que la moyenne des Hobbits, se sentait toujours un peu écrasé par l’envergure de la ville. Pour un habitant de la Comté, habitué à des villages tranquilles et des sentiers sinueux à travers des collines verdoyantes, Bree était un véritable carrefour du monde. Ici, les voix fortes des hommes se mêlaient aux grognements rudes des nains de passage, et parfois, au loin, un elfe élégant se glissait discrètement dans la foule. Hobson sentait son cœur battre plus fort. Il se tenait au seuil de quelque chose d'excitant, mais aussi légèrement terrifiant.

Son regard vagabondait d’une échoppe à l’autre. Des marchands installés le long des rues pavées criaient leurs prix à la ronde. Une vieille femme humaine, au visage ridé comme une vieille pomme, se tenait derrière un étal couvert de légumes étranges, bien différents des carottes et choux habituels de la Comté. "Des racines du Nord, excellentes pour les soupes d’hiver !" annonçait-elle d’une voix cassée, tout en tordant un torchon dans ses mains noueuses. Hobson la salua d'un léger hochement de tête avant de s'éloigner, quelque peu intrigué, mais surtout désireux de ne pas se faire remarquer dans cette foule.

Au loin, il aperçut le toit familier de l’auberge du Poney Fringant, ses planches de bois brun foncé formant un petit îlot de confort dans cet océan de bruit et de vie. "Un endroit sûr pour commencer", pensa Hobson, qui avait entendu des voyageurs de passage dans la Comté parler de cette célèbre taverne. C’était un lieu où se rassemblaient les habitants de Bree, mais aussi les voyageurs venus de toutes les contrées. Une première escale idéale pour un Hobbit désireux de comprendre ce nouveau monde.

Il ajusta son chapeau de feutre vert, la plume chatoyante se soulevant légèrement au gré du vent, et s’approcha de l’entrée de l’auberge. Avant qu’il n’atteigne la porte, une silhouette massive en sortit, forçant Hobson à s’écarter d’un pas précipité. "Eh, fais attention là, mon p'tit gars !" grogna un homme gigantesque, un bûcheron sans doute, à en juger par ses bras aussi larges que des troncs et la hache qui pendait à sa ceinture. Sa barbe épaisse et brune était couverte de sciure, et ses sourcils broussailleux donnaient l'impression qu'il froncait perpétuellement les sourcils. "Pardon, pardon !" répondit Hobson, un sourire forcé sur les lèvres, bien que son cœur batte plus vite à l'idée de la confrontation.

Le bûcheron, après un moment de silence, éclata d’un rire grondant. "T'inquiète pas, hobbit, j’te voyais pas !" Il lui tapota l’épaule, la force du coup faillit faire trébucher Hobson, qui se redressa rapidement et sourit poliment. L’homme s’éloigna, rejoignant deux autres compagnons tout aussi massifs, qui l’attendaient près d’un chariot rempli de bois fraîchement coupé.

Soulagé de ne pas avoir causé de problème, Hobson poussa doucement la porte de l'auberge. À l'intérieur, une chaleur immédiate l'enveloppa, le contraste saisissant avec l'air frais de l'extérieur. Une douce odeur de pain chaud et de ragoût flottait dans l'air, et des rires résonnaient dans tous les coins de la grande salle commune.

Le propriétaire de l’auberge, un homme rondouillard à la chevelure clairsemée, se tenait derrière le comptoir, essuyant des chopes avec une efficacité digne des tavernes les plus réputées. "Bienvenue au Poney Fringant, qu’est-ce que je peux faire pour vous, maître Hobbit ?" lança-t-il en apercevant Hobson. Son sourire amical et ses yeux pétillants inspiraient une certaine confiance. "Un verre de vin de Bree, peut-être ?"

Hobson hocha la tête, se rapprochant du comptoir. "Oui, ce serait parfait, merci." Il retira son chapeau, révélant ses cheveux châtains bouclés encore ébouriffés par le vent. Pendant que l’aubergiste remplissait un verre d’un liquide rubis, Hobson jeta un œil autour de lui.

Dans un coin, un groupe de nains jouait aux cartes, leurs rires graves et rauques se mêlant aux bruits de pièces tintant sur la table. L'un d'eux, plus petit mais plus trapu que les autres, portait une longue tresse grise et discutait d'une voix basse avec un vieil homme humain, vêtu d’un manteau de voyage poussiéreux. L’homme, bien que d’apparence modeste, avait des yeux perçants qui semblaient analyser chaque détail de l’auberge. Hobson ne put s’empêcher de se demander quelles histoires ces deux-là pouvaient bien partager.

Près de la cheminée, une jeune femme à la chevelure rousse, les joues rosies par la chaleur, jouait de la flûte. Sa mélodie douce contrastait avec le brouhaha ambiant. À ses pieds, un chien brun de taille imposante sommeillait paisiblement, ses oreilles se redressant de temps en temps au son des voix les plus fortes.

L’aubergiste revint avec le verre de vin, qu'il tendit à Hobson avec un clin d’œil. "Alors, qu’est-ce qui amène un hobbit aussi loin de la Comté ? Vous avez l’air d’un explorateur, si je puis me permettre."

Hobson prit une gorgée du vin, savourant la chaleur du breuvage qui se répandait dans sa poitrine. "Disons que j’ai toujours eu envie de voir ce qu’il y avait au-delà des collines de la Comté. La nature m’a toujours appelé, et ici, à Bree, il y a tant de choses nouvelles à découvrir." Il posa son sac sur une chaise proche et sortit son carnet de botanique, l’ouvrant machinalement à une page vierge. "Je cherche des plantes, des herbes que je n’ai jamais vues. Et qui sait, peut-être que je trouverai des histoires intéressantes en chemin."

L’aubergiste sourit, amusé par l’enthousiasme du hobbit. "Vous êtes au bon endroit, mon ami. Les terres autour de Bree sont riches de secrets, et les voyageurs en apportent toujours des nouvelles. Prenez votre temps, profitez de la chaleur, et qui sait, peut-être que la prochaine grande découverte n'est qu'à un pas d'ici."

Hobson se sentait étrangement à l'aise, malgré la nouveauté de la situation. Ici, à Bree, il pouvait à la fois goûter à l'aventure et retrouver ce sens de communauté qui lui rappelait la Comté. Tandis que la soirée avançait et que les conversations se poursuivaient autour de lui, il se dit qu’il était prêt pour tout ce que cette nouvelle étape de sa vie pourrait lui offrir.

Au fur et à mesure que la soirée avançait, d'autres clients arrivaient au Poney Fringant, et bientôt plus aucune table n'était libre. Le brouhaha ambiant montait en crescendo, et l'aubergiste n'avait plus le temps de discuter avec les clients; la sueur perlait sur son front alors qu'il s'affairait pour réaliser le flux constant des commandes.

A deux tables de celle où s'était installé Hobson Boffine, deux hommes enveloppés menaient une discussion animée en agitant des grosses chopes de bière. Un d'eux, un barbu souriant, fit un signe de la main amical à l'hobbit:

-Bonsoir Petit Monsieur! Je peux vous déranger un instant? Venez vous joindre à nous!

Il n'y avait pas de moquerie ni de malice dans la voix de l'homme, et il se leva pour apporter une troisième chaise à leur table.
On aurait pu le confondre avec un nain ou bien avec l'être qui apportait des cadeaux dans les contes pour enfants: il était petit, trapu et barbu. Les rides qui recouvraient son front et le coin de ses yeux indiquaient qu'il souriait souvent et en effet - un sourire bienveillant rayonnait sous son impressionnante moustache.



-Excusez-moi de vous importuner ainsi, mais on aimerait vous demander de jouer à l'arbitre! Vous voyez, mon ami Badu ici présent prétend que les hobbits vivent uniquement dans des smials sous terre, alors que d'après moi, certains habitent aussi dans des maisons bâties comme le font les humains. On a parié une bière là-dessus, et on aimerait vous demander de trancher!

Il regarda son compagnon et le hobbit avec un sourire et rajouta:

-Mais pour rendre la chose plus intéressante pour notre maître hobbit, je propose que le perdant offre la bière non pas au vainqueur mais à notre arbitre!  

-Une bière ou un verre de vin - remarqua Badu, un grand homme dont les traits lui donnaient un air un peu naïf - Vous semblez boire du vin, même si je dois vous dire que rien ne vaut mieux qu'une pinte de bière fraîche au Poney Fringant!

-Très bien! -  son compagnon frappa dans les mains - Une bière ou un verre de vin. Alors c'est à vous de jouer maître arbitre!

Bientôt, les trois hommes avaient des boissons à la main, et le barbu s'adressa à leur nouveau compagnon:

-Moi je m'appelle Alf. Mon ami Badu se spécialise dans le commerce de fruits. En particulier, les agrumes venus du Sud, ils sont assez exceptionnels! Montre-lui Badu!

Le grand homme sortit un magnifique citron d'un panier posé sous la table, et le posa devant l'hobbit. Le parfum du fruit frappa  les narines d'Hobson.

-Pas mal non? Et vous? - Il indiqua le carnet du hobbit avec un geste de sa chope. -C'est quoi votre bouquin là?

Pendant ce temps-là, Badu vida sa chope et la posa bruyamment sur la table.

-Est-ce qu'on commanderait pas un casse-croûte?

Hobson, avec un sourire, répondit : « Eh bien, je dois dire que vous avez tous deux raison ! Les Hobbits vivent dans des smials, mais beaucoup d'entre nous aiment aussi construire des maisons à la surface. C’est une belle manière de profiter du jardinage et de la lumière du soleil ! »

Les deux hommes éclatèrent de rire, et Alf leva sa chope. « Bien joué, petit homme ! C'est un match nul alors ! »

« Donc, pas de perdant, pas de bière pour moi, » conclut Hobson en souriant. « Mais j’accepte avec plaisir le récit de vos histoires. »

Badu, un peu déçu, regarda Alf avec un sourire. « Très bien, alors, qu’est-ce qui vous amène ici, Hobson ? Vous avez l’air d’un homme en quête d’aventure. »

« C’est exactement ça ! » répondit Hobson. « Je cherche à explorer, à découvrir des trésors de connaissances et à apprendre des traditions d'autres contrées. Et vous ? »

Alf prit un air pensif. « Nous sommes en route pour un marché au-delà de Bree, à la recherche de fruits rares. Mais, il se murmure qu’il y a des histoires d’un trésor caché dans les collines au sud. »

Hobson, intrigué, s’inclina un peu plus près. « Un trésor, dites-vous ? J’adore les histoires de trésors ! »

« Oh, il y a beaucoup à raconter, » dit Alf avec un sourire malicieux. « Mais d’abord, que diriez-vous d’un casse-croûte pour accompagner notre conversation ? »

À ce moment, Badu se leva et appela l’aubergiste. « Un plateau de spécialités de Bree, s’il vous plaît ! Nous avons un nouvel ami à régaler. »

Hobson sentit son cœur s’emballer. Cette soirée, qui avait commencé timidement, promettait de se transformer en une aventure pleine de nouvelles amitiés et de récits fascinants.

Il y avait du fromage, du saucisson, de la viande froide, du pain, des cornichons, des poivrons marinés, mais aussi des gâteaux salés que Hobson n'avait jamais vu. Alf lui expliqua qu'il s'agissait d'une spécialité du coin appelée Breetzel.

Les deux hommes étaient bienveillants et la conversation coulait aussi librement que la bière. Badu expliqua à Hobson:

-Vous me direz, Petit Monsieur, que les citrons ça pousse aussi en Comté, et que vous en prenez une tranche dans votre thé du dimanche. Et vous aurez raison! Mais il y a citron et citron. C'est comme vos machins là, les smials. D'accord, c'est un trou creusé dans le sol, mais je vais pas le comparer avec un terreau de lapin n'est-ce pas? Un citron ça a besoin de soleil, un soleil du Sud lointain. C'est de là que je fais venir les miens. Avant par la terre via le Rohan, mais ça craint un peu par chez eux ces derniers temps, vous en avez entendu parler? Maintenant je préfère la voie maritime. Vous voyez le citron que je vous ai montré? Dites vous qu'il s'est gorgé de soleil dans les terres tropicales, avant de traverser la mer à bord d'un bateau et enfin atterrir ici. Il aura voyagé plus loin ce citron que moi dans toute ma vie. Et vous savez quoi, ça me dérange pas. Moi je suis pas pressé- vous l'avez? - de prendre un bateau, c'est pas mon truc.

Il but une gorgée avant de reprendre son monologue:

-C'est vous mes clients principaux d'ailleurs, les hobbits de la Comté. Il n'y a pas à dire, vous savez reconnaître les bonnes choses. J'ai connu un Touque qui était prêt à partir en guerre pour ces citrons une fois qu'il a fait une meringue avec.

Alf, le barbu, interrompit son compagnon en lui tendant le plateau de spécialités, et dit avec un petit sourire:

-Badu, tu sais très bien que je peux t'écouter parler des citrons pendant des heures, mais je pense que notre ami Hobson est intéressé par cette histoire de trésor.

Badu, l'homme au visage simple, lui lança un regard interrogateur, comme s'il demandait silencieusement 't'es sûr qu'on peut lui  faire confiance?'. Alf ne semblait pas s'en soucier pour autant. Il se pencha un peu et dit d'une voix moins forte, pour qu'on puisse pas l'entendre des tables voisines:

-On dit qu'il y a des siècles, je sais pas, deux-cent ou trois-cent ans peut-être, cette région entière mais aussi votre Comté à vous étaient sous l'emprise d'un sorcier. Il a fini par être tué, ça devait être même avant que le royaume du Nord ne soit rétabli maintenant que j'y pense...mais avant ça, son armée de sbires a pillé tout ce qu'il y avait à piller. L'or, l'argent, les bijoux de famille, le vin, l'herbe à pipe...Il paraît que lorsque le sorcier est mort, ses brigands voulaient transporter une grande cargaison de ses richesses pillées vers leurs cachettes dans les terres sauvages, mais ils ont été interrompus par les poursuivants. Ils ont enterré leur trésor dans les collines au sud d'ici, et il n'a jamais été retrouvé...du moins pour l'instant.

Il se gratta le menton.

-Vous êtes le premier inconnu à qui on dit ça, Badu aurait probablement préféré que je me taise. Mais je sais pas, vous m'inspirez confiance maître hobbit.

Bientôt, ils entendirent le son d'une cloche. C'était le tavernier qui annonçait que l'heure de passer les dernières commandes était venue, et que l'auberge fermerait sous peu. Les deux hommes se relevèrent. Alf avait les joues et le bout du nez bien roues mais semblait juste un peu plus joyeux encore qu'à son habitude, tandis que le grand Badu vacillait légèrement lorsqu'il se tourna vers le hobbit:

-Merci pour la conversation Ho..Bobson Hoffine! Vous êtes un chouette type. Gar-garrdez le citron. Ssi, ssi, j'insiste!

Mine de rien, le cadeau était généreux: un tel fruit importé de loin était un produit de luxe, et coûtait probablement autant que leur repas de ce soir. Alf se tourna vers le hobbit et s'inclina avant de demander:

-Vous dormez sur place maitre hobbit? Il paraît qu'ils ont des belles chambres au Poney Fringant, adaptés aux voyageurs de toute taille, sauf peut-être celle de Badu. Nous on rentre chez nous, à Combe. Vous connaissez? C'est le petit village juste au Nord-Est de Bree, à une lieue d'ici.

Il hésita, avant de reprendre:

-Si jamais mes histoires de trésor, ou bien celles de Badu sur les citrons vous ont intéressé, et que vous n'avez rien de mieux à faire, passez nous voir à Combe demain. Peut-être que vos talents nous seront utiles si vous cherchez à découvrir les trésors et approfondir vos connaissances...Passez vers midi ; c'est avant ou après le deuxième petit déjeuner par chez vous? Dans tous les cas, en entrant dans Combe, la septième maison sur la droite c'est la notre. Une modeste maison de pierre et de bois avec un petit entrepôt adjacent. Vous la reconnaitrez par l'image d'un citron gravé sur la porte. On est un peu monothématiques par chez nous. Sur ce, bonne nuit maître hobbit et à bientôt j'espère!

Alf paya l'aubergiste pour toutes les consommations de leur table, et les deux hommes sortirent du Poney Fringant avec les derniers clients qui ne restaient pas pour la nuit.


[HRP] Je te laisse décrire ta nuit, les éventuelles actions que tu souhaites faire à Bree, ainsi que ton arrivée à Combe le lendemain [HRP]

Sa sacoche de postier autour de la taille et sa fidèle belette "Loebellia" sur l'épaule Sigismond Ruisseauvert gambadait en chantonnant un vieil air entendu milles fois au Dragon Vert:

Sortant du Trou de la colline,
Ô gai Hobbit aux pieds velus !
Sortant du Trou de la colline,
Petit Hobbit jamais repu !

Malgré son apparente insouciance et sa bonne humeur propre aux petites gens il restait inquiet, c'est la première fois qu'il sortait des limites de la Comté. Il devait se montrer prudent, son père lui avait toujours dit de se tenir éloigné des affaires des grandes gens, elles ne pouvaient apporter que des problèmes. Son métier de postier quoique permettant de parcourir la Comté sans faire jaser les commères Hobbites le contraignait néanmoins à apporter des lettres dans des endroits parfois douteux, en témoignait cette missive qu'il devait remettre à la septième maison à droite en arrivant à Combe, elle était envoyée par un membre des archivistes des mathoms, à Grand'Cave. Qui sait ce qu'elle pouvait contenir ?

Alors qu'il arrivait devant une maison à l'aspect de rénové, Loebellia sautilla avant de se lancer vers la porte.
-Oui ma belle ! Je crois bien que c'est ici.
Le brave postier frappa légèrement la cloche d'entrée. Un barbu au ventre proéminent lui ouvrit avec méfiance, avant de se rassurer:
-Ah ! Maître hobbit, vous êtes venu ! Je crois que je n'ai pas encore tout à fait dessoûlé le nectar divin d'hier soir, mais entrez !
Mais de quoi parlait il ? Il n'avait jamais vu cet homme ! Sigismond tenta de lui expliquer sa méprise:
-Vous devez faire erreur je suis...
-Aaaalors ! Qu'est ce que je vous sert ? Une bière ?
Le barbu ne lui laissa pas le temps de répondre qu'il était déjà en train de prendre une cruche de cervoise de Bree.
-Badu ! Notre ami est arrivé !
-Alors vous avez fini par vous laisser tenter par cette histoire de trésor, hein !
Un trésor ?! Dans quoi c'était il encore fourré ?

La nuit à Bree

Après le départ d'Alf et Badu, Hobson se retrouva seul à sa table, encore empli de l'euphorie de la conversation et des promesses d'aventures à venir. Le Poney Fringant commençait à se vider peu à peu, la chaleur de la cheminée et l'odeur des mets disparaissant derrière la silhouette des derniers clients qui s'en allaient. L'aubergiste, qui semblait lui aussi prêt à fermer pour la nuit, balaya la salle d'un regard fatigué avant de se tourner vers Hobson.

"Vous dormez ici, n'est-ce pas, maître hobbit ?" demanda-t-il d'un ton cordial, un léger sourire sur les lèvres.

Hobson acquiesça, un peu distrait par les pensées qui tourbillonnaient dans sa tête. Il hocha la tête en direction de la cheminée avant de répondre :
"Oui, je vais me retirer pour la nuit. Une chambre pour une personne, s'il vous plaît."

Le tavernier lui désigna l'escalier qui menait à l'étage supérieur, où une porte simple menait à une petite chambre cosy. La pièce était modeste, mais agréable : une fenêtre donnait sur les rues pavées de Bree, éclairées par les dernières lueurs du crépuscule. Un lit de taille humaine – bien plus grand que ce dont un hobbit aurait besoin – trônait contre le mur, recouvert de draps blancs. Une petite bougie vacillait sur la table de chevet, projetant une lueur douce et chaude dans la pièce.

Hobson déposa son sac sur une chaise, et après une brève inspection de la chambre, il se dévêtit et s'installa dans le lit, enveloppé dans la chaleur de la couette. Malgré la fatigue du voyage et l'énervement agréable de la soirée, son esprit ne pouvait s'empêcher de vagabonder. Ce trésor... est-ce réel ? se demanda-t-il, tout en scrutant les ombres de la pièce. Et Alf... Est-ce un homme digne de confiance ? Mais il n'eut pas le temps de méditer plus longtemps. Le voyage, les discussions, les événements de la journée l'avaient bien épuisé, et en quelques minutes, il s'endormit profondément, bercé par le bruit lointain des derniers pas dans la taverne.


Le matin à Bree

Le matin se leva tôt à Bree. Hobson s'éveilla avec le chant des oiseaux qui filtraient par la fenêtre. Le soleil peinait encore à se lever derrière les grandes bâtisses de la ville, mais la lumière douce inondait déjà la chambre. Après avoir étiré ses jambes et frotté ses yeux, Hobson se leva, passa sa main dans ses cheveux bouclés, et se dirigea vers la fenêtre. La ville de Bree se réveillait lentement, les étals des commerçants commençaient à se remplir, et le va-et-vient des habitants reprenait.

Il se vêtit avec soin, ajustant son chapeau de feutre vert. Le souvenir de la conversation d'hier soir, avec les histoires d'Alf et la promesse du trésor caché, le poussa à se préparer un peu plus tôt que d'habitude. Après avoir payé sa chambre à l’aubergiste, il décida de partir de bonne heure.

Avant de quitter le Poney Fringant, il fit un dernier tour dans la salle, cherchant peut-être à apercevoir une connaissance ou un nouveau visage. Mais la taverne était calme à cette heure matinale. Il s'engagea dans les rues de Bree, savourant un petit-déjeuner à emporter : une pomme et quelques morceaux de pain, achetés chez un marchand près du marché.


Le trajet vers Combe

Hobson marcha le long des routes sinueuses qui menaient à l'est de Bree, en direction de Combe. Le chemin était plus calme que les rues agitées de la ville, et bientôt, les habitations de Bree furent remplacées par des champs et des haies verdoyantes. La brise fraîche du matin apportait une sensation de légèreté à ses pas. Un village tranquille, pensa Hobson en voyant les premières maisons de Combe apparaître à l'horizon.

La route menant à Combe était bien entretenue, bordée de haies et de vergers. Les paysages avaient un air familier pour Hobson, même s'il n'était pas dans la Comté. Les collines douces et les champs cultivés semblaient apaiser son esprit. Après une heure de marche tranquille, il aperçut la petite bourgade de Combe, nichée entre deux collines. Les maisons étaient petites, construites en pierres grises et en bois, et chaque toit semblait avoir été recouvert de chaume ou de tuiles rouges. En approchant, il remarqua les détails distinctifs : un petit entrepôt attenant à la maison d'Alf et Badu, ainsi que l’image d’un citron gravée sur la porte.

Voilà, nous y sommes, pensa Hobson, un sourire aux lèvres en repensant à la gentillesse d’Alf et à la générosité de Badu avec le citron. Il s'avança vers la porte de la maison, se préparant à frapper. Ses yeux scrutèrent les environs, et il se dit qu’il pourrait bien avoir découvert ici une toute nouvelle aventure…

Hobson se tenait désormais devant la porte de la maison, son cœur battant légèrement plus fort à l’idée de ce qui l’attendait à l'intérieur. Il hésita un instant, puis frappa doucement à la porte, se demandant si Alf et Badu étaient déjà là, prêts à lui offrir plus que des histoires.

Badu regarda d'abord le postier, puis son compagnon, d'un air incrédule. Il s'exclama:

-Mais c'est pas possible, mon vieux! Non seulement t'as pas dessoûlé, mais en plus t'es aveugle comme une taupe. Tu vois pas que c'est pas Bobs...Hobson? Il a un manteau bleu, pas vert, et des cheveux en queue de cheval, pas bouclés.

Alf posa la cruche de cervoise sur la table et se frotta les yeux:

-Excusez-moi, c'est vrai que mes yeux en sont plus ce qu'ils étaient, et puis bon, vous connaissez le pouvoir de l'autosuggestion? On attend la visite d'un hobbit qu'on a rencontré la veille, et vous débarquez. Je vous ai trouvé un peu différent, mais je me disais que c'est moi qui déconnais...

Il se concentra et se tourna vers le hobbit:

-Mais qui êtes vous du coup, Petit Monsieur? Qu'est-ce que vous venez faire ici?

Lorsque Sigismond eut enfin l'occasion de fournir des explications, le barbu hocha de la tête et prit la lettre, en arrachant le coin de l'enveloppe pour en lire le contenu. Il le parcourut du regard en plissant ses petits yeux, avant de dire à Badu:

-C'est l'autre bonhomme de Grand'Cave, il prépare une grande fête d'anniversaire et souhaite absolument passer commande de nos agrumes pour ses meringues.

Badu sourit en dévoilant ses dents et hocha de la tête. Alf, qui semblait avoir enfin dessoulé, frappa dans ses mains et se tourna vers monsieur Ruisseauvert:

-Je me présente, je m'appelle Alf, et voici Badu, marchand et spécialiste des fruits venus du Sud lointain. Vous êtes venus tout droit de la Comté, ça doit faire une quarantaine de miles! Un sacré voyage. Nous allons bientôt passer à table, on attend un invité, un hobbit comme vous. Restez avec nous pour le deuxième petit-déjeuner, c'est la moindre des choses!

Le postier fut invité à s'asseoir sur une grande chaise à la table de la salle à manger, Badu lui proposa même un coussin.

-Vous venez souvent dans le pays de Bree?

***

Le trajet de Hobson jusqu'à Combe s'était déroulé sans entrave. Le village était calme, un havre de paix dans une vallée sur le côté est de la colline de Bree. A l'entrée, il put apercevoir des restes d'une palissade, abandonnée depuis longtemps et recouverte de lierre. Les habitants devaient se sentir en sécurité sous la protection du Royaume du Nord.

Lorsqu'il frappa à la porte de la septième maison à droite, il fut accueilli par Badu, ainsi que par l'odeur de nourriture en train de cuire.

-Venez, venez! Je suis content que vous ayez trouvé votre chemin. Vous pouvez pendre votre manteau là.

Il le guida dans la salle à manger adjacente à la cuisine. Alf y était, un tablier autour des hanches, en train de préparer un repas. L'élément le plus surprenant était la présence d'un deuxième habitant de la Comté à la table.

Alf s'exclama, pour se faire entendre de la cuisine:

-Messieurs Sigismond et Hobson ! Faites connaissance l'un de l'autre, pendant que je finis de préparer le deuxième petit déjeuner! Comment vous prenez vos oeufs? En omelette, brouillés, au plat, à la coque, durs..?!

Bientôt, la table fut recouverte de mets, il y avait du pain, des tomates, de la charcuterie, du fromage, des oeufs et de la confiture, ainsi que la fameuse cruche de cervoise et une théière accompagnée de quatre tasses usées. Une fois les deux hommes et les deux hobbits réunis, Alf leva sa tasse:

-Bon appétit! Ce repas doit vous paraître bien maigre à côté de ce qu'on peut voir par chez vous, mais je dois dire que c'est un plaisir de vous accueillir, quelle rencontre inattendue!

Badu se servit une portion généreuse et entre deux bouchées de sa tartine demanda:

-Vous êtes du même coin? J'ai entendu dire que la plupart des hobbits partageaient des liens de parenté, c'vrai ça?

Heureux que les choses soient enfin clarifiées, Sigismond Ruisseauvert accepta la proposition généreuse d’un deuxième petit-déjeuner, un répit bienvenu après les tensions précédentes. Il s’installa confortablement à sa table en bois patiné, dont les éraflures témoignaient des nombreux repas partagés et des rires complices. Prêt à attaquer ce festin matinal, il se dit que, même si la Comté en comptait des plus copieux, ce repas restait tout de même conséquent, promettant de satisfaire son appétit.

— Je prendrais mes œufs à la coque, s'il vous plait, déclara-t-il d'un ton affable, le sourire aux lèvres.

Prenant un moment pour observer le nouvel arrivant, il scruta avec curiosité ce semi-homme d'une taille tout à fait incongrue. Son visage, buriné par les vents de l'extérieur et aux traits familiers, provoqua une étincelle d’éveil dans sa mémoire. Il lui rappelait les histoires captivantes que lui contait son père le soir au coin du feu. Plus particulièrement, la silhouette du visiteur lui évoquait étrangement Bandobras Touque, ce fameux hobbit surnommé "Taureau Mugissant," dont les exploits héroïques avaient résonné à travers les âges. Ses récits évoquaient comment Bandobras avait bravé les gobelins, tenant fermement son épieu avec une bravoure inégalée, et comment il avait mené ses semblables vers la victoire au cours de cette bataille mémorable des champs verts.

Intrigué par cette ressemblance troublante, il ne put s’empêcher d’initier la conversation:

— Bonjour, Maître Boffine, je ne crois jamais vous avoir vu auparavant, pourtant j'en ai croisé du monde de par ma profession. Ne seriez-vous pas apparenté aux Touques de Lézeau ? Mon grand-père, Ferdibrand Touque, était l’un d’eux. Enfin, c'est la première fois que je foule le sol du pays de Bree. Peut-être êtes-vous un habitué des lieux et pourriez-vous m'aider à m'orienter.

En attendant sa réponse, le postier se servit quelques tranches de bacon fumé, dont l'arôme savoureux flottait dans l'air ambiant, stimulant ses papilles gustatives. L’odeur riche et réconfortante du bacon, grillé à la perfection, éveilla en lui des souvenirs de repas partagés, de rires et de complicité. Alors qu’il s’en délectait avec reconnaissance, il ne pouvait s’empêcher de penser à la chaleur qui émanait de cette maison, à l’atmosphère enveloppante de convivialité. Bien qu'il fût souvent accoutumé à l’hospitalité joviale des Hobbits, il devait reconnaitre que ces hommes de Bree, bien que d'un autre acabit, n’étaient pas en reste en matière d'hospitalité.

Néanmoins il entendait dans sa tête la voix de sa grand-mère qui lui disait:

-Les grandes-gens sont dangereux, méfie toi d'eux, il te feront passer un mauvais moment ou pire, une aventure...

Mais il chassa vite cette idée; des gens qui font si bien les œufs à la coque ne peuvent pas être completement mauvais.

Hobson, légèrement pris de court par la remarque de Sigismond, se laissa tout de même aller à un sourire chaleureux. Il leva sa choppe et but une gorgée de cervoise, savourant le goût doux et légèrement amer de la boisson. La fraîcheur de la bière se mêlait parfaitement à la chaleur du petit-déjeuner qui se préparait autour de lui.

"Ah, vous avez l’œil, Sigismond," dit-il en hochant la tête. "C’est vrai que j’ai des racines dans la famille des Touques, mais pas celle de Lézeau, je vous rassure. Mon lien avec eux est un peu éloigné, ça remonte à plusieurs générations, je crois. Mon père en parlait de temps en temps, mais c’était toujours un peu flou. On a quelques cousins, mais… disons qu’on ne s’est jamais illustré dans des exploits mémorables. Rien de grandiose, hein " ajouta-t-il avec un sourire en coin". Il prit une autre gorgée de cervoise, en profitant pour faire une pause et apprécier l'ambiance décontractée de la pièce.

Hobson observa les allées et venues d’Alf et de Badu qui s’affairaient autour de la table, ajoutant des plats ici et là, avec une dextérité qui trahissait une grande expérience en cuisine. L’atmosphère était chaleureuse, conviviale, et la présence  des hommes et de Sigismond lui donnaient un sentiment de bien-être qu'il n’avait pas ressenti depuis son départ de la Comté. Quelques éclats de rire et une touche d'humour apportaient un air de légèreté qui le mettait à l’aise.

Il tourna un instant son regard vers les œufs qui frémissaient dans la poêle, puis se tourna à nouveau vers Sigismond, réalisant qu’il n’avait pas encore précisé son choix de repas.

"Quant aux œufs... Je vais les prendre brouillés, si ça ne vous dérange pas. J’aime bien les œufs un peu plus crémeux," dit-il en souriant chaleureusement à Alf, qui s’affairait encore derrière le fourneau. "Et vous, Sigismond, quels sont vos liens avec les Touques ? N’êtes-vous venu à Bree seulement pour le courrier ou avez-vous d’autres projets dans la région ?"

Hobson se posa un instant, pensif. La conversation sur les Touques l’avait fait se rappeler de vieux souvenirs de la Comté, et il se demanda s’il en apprendrait plus sur ce fameux "trésor" dont tout le monde parlait... Mais il chassa vite cette pensée, préférant se concentrer sur l’instant présent et sur la chaleur de l’accueil qu’il recevait.

Une chose était certaine: Badu et Alf étaient des bons vivants. Ca se voyait à leurs ventres proéminents, mais aussi à la variété des plats présentés sur la table et à la manière dont le barbu s'affairait dans la cuisine. Crac, crac, crac. Trois oeufs, expertement cassés à une main avant d'être fouettés à la fourchette avec un nuage de lait et une pincée de sel et pssccht, la mixture froide sifflait déjà sur le gras du bacon dans la poêle comme le souffle d'un dragon enragé, alors que deux autres oeufs sautillaient joyeusement dans une marmite d'eau bouillante, prêts à être repêchés avant que le trésor doré qu'ils cachaient ne durcisse.

Les hommes avaient laissé les deux hobbits faire connaissance et échanger sur ce sujet des plus importants qu'était la généalogie et les liens de parenté. Alf, ayant enfin terminé dans la cuisine, dévora à son tour une belle portion avec un appétit digne des habitants de la Comté. Il avait bien meilleure mine à présent - le repas avait clairement fait passer les derniers restes de sa gueule de bois.

Badu quant à lui débarrassa la table une fois le repas terminé. Ce dernier avait beau être copieux, il n'en restait pas grand chose après le passage des quatre amateurs de la gastronomie locale.

Alf tira une longue pipe de sa poche, et demanda au postier et au botaniste:

-Vous fumez, Petits Messieurs?

Il tira un sachet en tissu rempli de feuilles de  tabac séchées.

-Malheureusement ce n'est pas du Vieux Tobie ni de la Feuille de Longoulet, mais de l'Etoile du Sud. Pas facile d'obtenir les feuilles les plus réputées ici, et puis les prix sont astronomiques!


Il partit vers la cheminée pour allumer sa pipe, et en profita pour prendre un morceau de parchemin enroulé avec lui, avant de le poser sur la table.

-Messieurs, vous avez à présent partagé un repas avec nous sous notre toit, nous sommes donc tous liés par le droit de l'hospitalité selon les coutumes ancestrales de mon peuple. Ce qui sera dit ici, vous ne le trahirez pas à d'autres et vous ne l'utiliserez pas pour nous faire du mal.

Le ton d'Alf était sérieux pour une fois, même s'il restait bienveillant.

-Maître Hobson. Je vous ai révélé hier l'histoire d'un trésor enterré dans les collines du sud par les brigands au service d'un sorcier il y a des centaines d'années...maître postier, vous êtes à présent invités dans un cercle très restreint de gens qui sont au courant de ceci.


Badu leva les yeux au ciel l'air de dire 'tu fais vraiment confiance à tout le monde Alf'.

-Je vous ai dit hier que vos talents de hobbit pourraient être utiles pour découvrir la localisation de ce trésor...en effet, d'après mes informations les brigands avaient emmené avec eux des prisonniers de votre peuple pour enterrer les richesses pillées dans la Comté. J'ai en ma possession un vieux parchemin qui soi-disant donne des indices sur les localisations, mais je ne sais pas le déchiffrer. Nous sommes des simples marchands, et je ne connais pas les alphabets compliqués et anciens, juste les simples lettres utilisées en Commun. Mais vous, vous êtes éduqués, n'est-ce pas? Un postier ça s'y connait en lettres, et monsieur Hobson je l'ai vu aussi avec un livre sous la main. Jetez-y un coup d'oeil!

Alf déroula le parchemin, en posant une tasse sur un coin pour l'empêcher de s'enrouler à nouveau.

Spoiler:

Sigismond se leva avec lenteur, son esprit déjà en ébullition tandis qu'il approchait de la cheminée. Les flammes dansaient, projetant une lumière vacillante contre les murs de la pièce. Il sortit de sa poche sa pipe en ivoire finement ouvragée, une pièce d'artisanat venue de contrées lointaines, dont l'origine lui était inconnue. Chaque détail de cette pipe racontait une histoire, marquée par le passage du temps. Avec soin, il prit une poignée d'herbe à pipe, avant d'allumer la chambre à l'aide d'une alumette, le léger grésillement de la flamme lui apportant un semblant de réconfort.

Il prit le parchemin que lui tendait Alf, Sigismond plongea la main dans la poche de sa veste pour en sortir un monocle délicatement serti, qu'il porta à son œil. Puis il examina patiemment le texte écrit dans une calligraphie raffinée.

— On dirait du Gris-Elfique, murmura t'il, l’excitation palpable dans la voix. J'ai déjà vu cette écriture, principalement dans des courriers de seigneurs elfes, mais ces écrits se font de plus en plus rares de nos jours. Hmm...

Il déchiffra la première phrase inscrite sur le parchemin :

La trimidht colline halimath pied au nord du vieil arbre.

Dans un soupir, il se mit à réfléchir à la signification de ces mots. — Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? La référence aux mois de l'année est évidente, mais pourquoi parler d'un "pied" ? Cela doit avoir une certaine importance.

Son regard s'égara brièvement vers la cuisine, où il aperçut Loebellia, sa Belette aussi espiègle qu'intrépide, tentant de chaparder des cuillères en argent. Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres, mais sa voix prit un ton autoritaire :

— Lâche ça, vilaine fille !

Il devait se reconcentrer sur le texte. Il retourna son attention vers le parchemin, scrutant chaque mot, chaque syllabe, cherchant des indices sur ce mystérieux "pied". Peut-être s'agissait-il d'une ancienne mesure de distance, un vestige de pratiques oubliées. Il se remémora les autres textes qu'il avait lus, la façon dont les elfes avaient leur propre vocabulaire pour décrire des concepts qui lui semblaient étrangement éloignés.
Puis il s'adressa à ses deux hôtes:

-Alf, Badu ! Connaissez vous un vieil arbre dans les hauts du sud en rapport avec les mois de Trimidht et Halimath ?
Et vous mon cher Hobbson ?

Hobson se pencha un peu plus sur le parchemin, les yeux rivés sur les mots « Trimidht » et « Halimath », une idée claire se formant dans son esprit. Il murmura, comme pour lui-même : "Trimidht et Halimath... Ce sont les 5e et 9e mois de l’année, dans le calendrier des hobbits. Cela doit être un indice clé."

Il se redressa, observant les autres, son doigt traçant lentement les lignes du parchemin. "Si on suit cette logique, cela signifie que l’énigme parle de la 5e colline, 9 pieds au nord du vieil arbre." Il marqua une pause. "La colline doit être un repère précis, probablement bien connue dans la région, mais peut-être oubliée avec le temps. Et les 9 pieds, c’est probablement une mesure exacte, une distance à respecter pour trouver le bon endroit."

Hobson se tourna alors vers Alf et Badu, cherchant leurs réactions. "Est-ce que vous connaissez une colline dans la région qui pourrait correspondre à cette description ? Un vieux chêne ou un autre arbre ancien près d’une colline ?" Il se tourna aussi vers Sigismond, l’air interrogatif. "Et vous, Sigismond, vous n’avez jamais entendu parler d’un endroit comme ça, dans les collines du sud ?"

Il attendit, les yeux pétillants de curiosité, espérant que l’un d’eux reconnaîtrait l’endroit.

Les petits nuages de fumée virevoltaient dans l'air alors que les quatre compagnons improbables se penchaient sur le parchemin. Le parfum de tabac, dans lequel les odorats les plus sensibles pouvaient reconnaître des notes boisées et de fruits secs, avait remplacé l'odeur du bacon grillé qui les accompagnait depuis le deuxième petit-déjeuner. Par politesse ou conviction, les hobbits n'avaient pas critiqué le choix d'herbe à pipe d'Alf.

Badu avait sursauté en voyant la belette dans la cuisine; c'était la première fois que les deux hommes voyaient l'animal depuis l'arrivée du postier. Quelque peu rassuré par la réaction de Sigismond, il marmonna néanmoins "j'espère que ça mange pas les agrumes ces trucs là" avant de se rasseoir.

Les deux hommes étaient restés bouche bée pendant un moment face à la facilité avec laquelle l'herboriste et le postier avaient déchiffré le parchemin. Alf les avait encouragé, mais ne s'était clairement pas attendu à une telle efficacité.

-Je le savais! Je savais qu'on tenait quelque chose avec ce bout de parchemin! Bravo, petits messieurs. Les brigands avaient forcément emprunté la route qui descend vers le sud en partant de Bree et qui rejoint, bien plus tard, le Chemin Vert. En prenant cette route, sur le côté droit il y a les maudits galgals, mais personne n'aurait osé s'y aventurer de peur de déranger les esprits qui les hantent. Il y a des trésors là-bas j'en suis certain, bien plus anciens encore, mais ils ne doivent pas être touchés par les mortels. Il reste donc les collines sur le côté gauche de la route. Il y a plusieurs arbres dans le coin, mais si on compte cinq collines à partir de la première qu'on voit en arrivant, on trouvera peut-être le bon.

Ce fut au tour de Badu de prendre la parole:

-Sans vous, on aurait pas déchiffré cette lettre. Et sans nous, vous n'auriez même pas entendu parler de ce trésor. Ensemble, je pense qu'on a des chances de le trouver. Et même s'il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, les bons compte font les bons amis. Vu qu'Alf et moi sommes les initiateurs de cette aventure, nous prendrons chacun trois dixièmes de ce qu'on trouve, si on le trouve tout court. Cela vous laissera deux dixièmes chacun. Assez pour nous tous, j'espère, de ne plus devoir hésiter sur le choix de l'herbe à pipe! Est-ce que cela vous convient?

Badu était avant tout un commercial. Il avait tendu la main aux deux hobbits, en attendant leur réponse.
Une fois les négociations conclues, Alf s'adressa à la compagnie:

-Il doit être environ quatorze heures...il nous reste encore un peu de jour. Si on prend le chariot, on devrait pouvoir arriver jusqu'aux collines avant la tombée de la nuit, ce n'est pas si loin que ça. Si on campe là-bas, on pourra commencer les recherches dès l'aube - qui sait combien de temps ça va nous prendre, il vaut mieux avoir la journée entière de prévue.


Il grimaça, gêné:

--Par contre, je pense qu'il va falloir être discrets...ça me peine de dire ça des habitants de Combe, mais notre prospérité relative liée au commerce d'agrumes a rendu certains d'entre eux envieux... et il n'y a pas que des fermiers qui habitent ici. Quelques-uns de nos voisins sont des caractères peu recommandables, voire dangereux. Et je n'ai peut-être pas été assez prudent dans le passé en parlant de cette histoire de trésor.

Badu leva les yeux au ciel mais ne dit rien. Alf continua:

-Tout ça pour dire que si on nous voit tous les quatre prendre la route directement vers le Sud, via Staddle, on risque d'être suivis. Je propose donc qu'on parte au début vers l'ouest, en direction de Bree, comme si on allait au marché ou à l'auberge. Dès qu'on sera à l'abri des regards indiscrets, on tournera vers le sud. Quant à vous, petits messieurs, est-ce que vous saurez vous rendre discrets? Vous cacher comme votre belette, parmi les sacs et les caisses à l'arrière du chariot pour éviter d'être vus? Comme ça, nos chers voisins verront juste ces bons vieux Badu et Alf en route pour boire une bière, pas quatre aventuriers à la recherche d'un trésor!

L'homme rondouillet s'était levé. Il était clairement excité à l'idée de cette chasse au trésor, même si son existence même était loin d'être une certitude.

Hobson sourit en entendant la proposition d'Alf. Le partage semblait raisonnable, et même s'il n'était pas particulièrement enclin à se lancer dans une chasse au trésor, l'idée de découvrir quelque chose de mystérieux, caché dans les collines du sud, piquait sa curiosité. Il observa un instant la pièce, avant de hocher la tête avec un air déterminé.

Discrets, vous dites ? Eh bien, j'ai vu assez de choses, dans ma vie de hobbit, pour savoir comment se fondre dans le décor. Un peu de patience et de discrétion, et on peut faire beaucoup.

Il prit un instant pour réfléchir à la situation, son regard se posant sur le vieux parchemin qui était toujours posé sur la table.

Vous avez raison, il vaut mieux être prudent. Les gens curieux, ça peut poser problème. Mais tant que nos intentions restent cachées, je pense qu'on pourra éviter les ennuis. Quant au partage, c’est tout à fait juste. Si on doit se lancer dans une telle aventure, autant que ce soit équitable, n’est-ce pas ?

Il se leva, ramassa son sac en toile qui traînait à côté de la porte, puis s’approcha du chariot avec un air de détermination.

Je suis prêt. Si nous devons partir dans l'après-midi pour éviter d'attirer l'attention, je vous suis. Le plus tôt sera le mieux, avant que la nuit tombe et que nous ne puissions plus avancer. Et si le trésor est vraiment là, on le trouvera. Ensemble.

Il se tourna alors vers Alf et Badu, un sourire confiant aux lèvres, prêt à se lancer dans cette quête un peu folle. Cependant, un détail le préoccupait encore. Il prit une grande inspiration avant de poser une question importante.

Une dernière chose avant de partir… Nous ne savons pas ce qu'on pourrait rencontrer sur notre chemin. Est-ce que l'un de vous a des armes ? Je ne sais pas trop me défendre mais… on ne sait jamais, n'est-ce pas ? Il vaut mieux être préparé à tout, et il se pourrait qu’on doive se protéger.

Il attendit, scrutant leurs visages, prêt à prendre la route, mais s'assurant d'abord qu'ils étaient tous sur la même longueur d’onde quant à leur sécurité.

Sigismond savoura une bouffée de fumée en levant le front, une herbe de qualité moyenne mais qui avait l'avantage de ne pas trop embrumer l'esprit. Alf et Badu avaient l'air de s'être fait une solide réputation de baroudeurs. A peine avait il pensé cela qu'il admit l'inconcevable, il était entrainé dans une aventure. Que dirait son vieux en le voyant...

Alors que la fumée se dissipait il revint à la réalité, il fallait donc se méfier des habitants de la région.

-Ne vous inquiétez pas, chez les hobbits nous savons nous prémunir contre nos voisins, il sont tendance à vous chaparder quelque chose, je serais discret comme une hyène. Rétorqua t-il

Il était tout de même moins partisan de l'idée de se cacher dans d'inconfortables sacs, c'est très mauvais pour le dos et puis Loebellia est souffrante lorsque elle est trop secouée. Mais il n'en dit rien:

-Quand au partage, il n'est pas dans mes habitudes de négocier, le voyage est déjà une sorte de récompense en soi.

La belette se dressa comme si elle avait compris ce qu'ils allaient entreprendre, les hauts du sud étaient sans doute pleins de délicieux mulots.

-Il faudrait tout de même penser à amener des vivres en quantité suffisante. Conclu le Postier

Alf frappa dans les mains.

-C'est donc décidé! Préparons les affaires et partons pour profiter du jour, comme vous dites maître Hobson.

Il se gratta la barbe, pensif, avant de répondre à la question du botaniste:

-Des armes...hmm...nous sommes des simples marchands et les routes sont généralement bien gardées par les soldats de l'Arnor, donc ne vous attendez pas à un arsenal. Mais vous avez peut-être raison, il vaut mieux être prudent. Venez avec moi.

Alf invita monsieur Boffine à le suivre vers l'entrée. Il descendit un objet enroulé dans une toile huilée du haut d'une étagère. Il l'ouvrit, en dévoilant du bois, de la corde, et un mécanisme métallique.

-C'est une vieille arbalète, on l'a depuis plusieurs années et on n'a pas souvent eu besoin de s'en servir mais rien de mieux pour dissuader un brigand. Je l'emmènerai, je sais m'en servir même si la précision de mon tir laisse à désirer. Badu quant à lui a un gourdin sur le chariot. Rien de particulièrement raffiné ni qualitatif, mais si la situation devient dramatique et on se retrouve au corps à corps avec quelqu'un ça servira.

Il soupira:

-Malheureusement je n'ai pas grand chose à vous prêter. Juste ces deux bâtons de marche en noyer blanc. Ils sont très solides.

Le petit barbu tendit deux bâtons à Hobson. Ils arrivaient en-dessous de la poitrine des hommes, mais au-dessus de la tête des hobbits.

***

Pendant ce temps-là, Badu et Sigismond s'occupaient de la question primordiale des vivres. Ils s'étaient levés pour aller vers la cuisine, et Badu se retourna vers le postier en fronçant les sourcils:

-Dites, c'est quoi une hyène?

Une fois dans la cuisine, Badu sortit un grand sac de toile et commença à le charger avec du pain, du fromage, du saucisson fumé, des fruits et autres. Il indiqua le foyer du doigt et dit au hobbit:

-Vous pouvez prendre la bouilloire en métal? Elle va sans doute nous servir là-bas, les soirs sont froids.

***

Ils partirent alors que le soleil était encore haut dans le ciel. Des yeux invisibles semblaient observer leur départ par les fentes laissées par les volets à moitié fermés des maisons voisines, mais Sigismond et Hobson étaient bien cachés à l'arrière du chariot tiré par deux chevaux calmes.

Comme convenu, ils continuèrent le chemin vers Bree pendant un certain temps, jusqu'à ce que le village de Combe disparaisse totalement de leur vue, puis ils tournèrent vers le Sud. Les deux hobbits purent alors sortir de leur cachette et profiter des paysages dans des conditions plus confortables.

L'atmosphère était bonne, mais elle devint plus pesante lorsqu'ils virent sur leur droite les maudits galgals se dressant au loin. Le soleil brillait encore donnant un air innocent aux collines recouvertes d'herbe, mais plus d'un resserra sa veste, comme s'il faisait bien plus froid ici. Badu fit un geste superstitieux de la main, pour éloigner les mauvais esprits. Heureusement, les arbres vinrent bientôt cacher la vue de cet endroit omineux, et Alf sourit en voyant d'autres collines plus hautes se dessiner au loin, cette fois-ci sur leur côté gauche.

Ils comptèrent les collines ensemble au fur et à mesure qu'elles se rapprochaient. Une! Deux! Trois!

Malgré leur excitation, les aventuriers durent s'arrêter au bout de la quatrième, car la nuit était sur le point de tomber et il valait mieux ne pas perdre le compte ni s'arrêter dans un lieu inhospitalier.

Badu avait fait tourner le chariot vers un pré un peu éloigné de la route, à l'abri des regards indiscrets. Une fois à l'arrêt, il avait demandé de l'aide aux deux hobbits pour monter la bâche du chariot, qui pourrait servir d'abri en cas de pluie. Pendant ce temps-là, Alf avait allumé un petit feu, autour duquel ils avaient installé des couvertures usées.

Il se redressa et grogna, sentant la douleur dans son dos après le long trajet sur le banc du chariot.

-Préparez un casse-croûte, je vais aller récolter plus de bois sec pour le feu.

Ce n'était pas de refus. La nuit était tombée et avec elle, l'humidité et le froid étaient arrivés. Un vent désagréable sifflait dans les collines, et les aventuriers fatigués commençaient à en ressentir les effets. Badu indiqua le sac en toile aux hobbits afin qu'ils puissent sortir de quoi manger. De son côté, il versa de l'eau des gourdes dans la bouilloire en métal et la pendit au-dessus du feu sur un trépied simple qu'il avait sorti du chariot. Quelques minutes plus tard, il jeta quelques feuilles de thé dans la bouilloire, avant de verser le liquide ambré dans des tasses rudimentaires en terre cuite.

Lorsque Hobson approcha la tasse chaude de son visage, les narines sensible de botaniste remarquèrent une odeur amère étrange mais subtile. Sigismond quant à lui ne remarqua rien.

Hobson hocha la tête avec un sourire, prenant les bâtons avec gratitude.

  "Merci, Alf. Ces bâtons feront parfaitement l'affaire. Il observa les bâtons avec attention, les passant entre ses mains expertes pour en tester la solidité. "Le noyer blanc est un bois robuste. Bien choisi."

Lorsqu'Alf sortit l'arbalète et expliqua sa fonction, Hobson n'ajouta rien, se contentant de hocher la tête. Il était content que la prudence était de mise.
En quittant le village et en se dirigeant vers le Sud, Hobson laissa le vent frais de la campagne caresser ses cheveux bouclés, tandis qu'il observait avec intérêt les paysages qui se dévoilaient devant lui. Mais lorsqu’ils approchèrent des galgals, il sentit un frisson désagréable parcourir son échine.

  "Ces collines... Elles sont un peu trop silencieuses, n’est-ce pas ?" murmura-t-il, baissant la tête pour mieux scruter les ombres grandissantes. "Il vaut mieux avancer prudemment."

Quand ils s'arrêtèrent pour la nuit, Hobson se contenta de s'installer autour du feu qu'Alf avait allumé, admirant la lueur réconfortante des flammes. Le vent sifflait dans les collines, et la température chutait rapidement. Alors qu'ils se préparaient à manger, Hobson se tourna vers le thé que Badu avait préparé.
   "Hmm... Il y a quelque chose d'étrange dans cette odeur... Il approcha délicatement la tasse de son nez, ses yeux pétillant de curiosité. "Une odeur amère, mais pas dans un sens désagréable, plus... intrigante." Il laissa son regard glisser sur le feu, comme s’il cherchait à en savoir plus sur ce phénomène. "Cela me rappelle certaines plantes, des herbes sauvages que j'ai croisées par le passé, mais je ne saurais dire lesquelles. Une sorte de parfum de sous-bois."

Il porta la tasse à ses lèvres et goûta une gorgée, ses yeux se fermant légèrement à cause de la chaleur.

   "Oui, il y a bien quelque chose. Un goût... un peu plus terreux que ce à quoi je m'attendais. Ce n'est pas mauvais, mais assez particulier. Peut-être un mélange de feuilles plus vieilles que d'habitude." Il leva la tête, comme s’il attendait un signe des autres pour confirmer ses impressions. "Il me semble que ce n'est pas du thé ordinaire... Peut-être une variété moins commune ou bien... une herbe ajoutée pour en renforcer le goût ?"

Ses yeux brillèrent d'une étincelle de passion botanique alors qu'il se penchait légèrement vers le feu.

   "Il faudrait que je voie d’où vient cette herbe. Peut-être que je pourrais en faire une note dans mon carnet. Qui sait, si elle a des propriétés médicinales ou curatives... Oui, il y a quelque chose de fascinant là-dedans."

Sigismond accompagna Alf dans la réserve pour préparer les provisions.

-Une hyène est une sorte d'énorme Warg plutôt discret, je n'en ai jamais vu mais il parait qu'il y en a beaucoup dans le sud lointain.

Il prit la bouilloire en fonte qui traînait sur une étagère, un accessoire de grande qualité que nombre de hobbits voudraient voir dans leur cuisine. Il ramassa également du fromage et du saucisson sec.

-Vous avez une Tomme d'Archet ?! C'est mon fromage préféré, on en trouve presque pas dans la Comté.

Il se prépara avec précaution, c'est la première fois qu'il allait autant au sud.

***************

C'est avec soulagement que le Postier sorti de sous les grandes fourrures qui les cachaient, lui et son camarade Hobson Boffine.
Alors que ses compagnons faisaient des commentaires inquiétants sur les Hauts des Galgals, Sigismond se dit que c'était sans doute rempli de loups. À cette seule pensée, sa cicatrice au tibia le fit souffrir, il ne s'était jamais vraiment remis de son aventure de jeunesse.

La nuit tombait et la compagnie monta un campement. L'idée de dormir par terre entouré de la nature sauvage n'était pas vraiment du goût de Sigismond mais si c'était le prix d'un trésor...

Badu regarda Hobson d'un air étonné et presque un peu offensé, avant de se servir une tasse aussi et la renifler:

-J'sens rien moi, il est pas bon mon thé?

Le botaniste gouta, et l'étincelle dans ses yeux confirma qu'il ne s'agissait pas d'une critique. Les derniers mots de Hobson semblaient un peu ralentis et mal articulés, mais Badu et Sigismond n'y prêtaient aucune attention. Quant à Alf, cela faisait un bon moment qu'il était parti chercher du bois.

Le postier sentit ses paupières s'alourdir alors qu'il regardait les flammes dévorer le bois de leur petit feu de camp. L'idée de dormir par terre ne lui paraissait plus aussi désagréable que tout à l'heure. Il ferma les yeux, et ne vit pas la tasse en terre cuite de Hobson glisser de ses doigts et tomber par terre.


***

Ils furent tirés de leur sommeil par une secousse violente, celle d'une roue de chariot percutant un nid de poule. Ils avaient tous les deux la gorge desséchée, et se sentaient déboussolés. Avaient-ils repris la route? Quelques étoiles scintillaient encore dans le ciel au-dessus de leurs têtes, les nuages ayant été balayés par le vent froid. A leur gauche, le noir commençait lentement à être remplacé par le bleu sombre annonçant l'arrivée imminente de l'aube. Ils avaient du dormir au moins huit ou neuf heures.

Autour du chariot, ils voyaient au moins quatre hommes sur des chevaux ou des poneys; aucun d'eux n'était Badu ni Alf. Deux autres, assis sur le banc à l'avant du chariot ne ressemblaient pas aux marchands bienveillants non plus, même vus de dos. Au fur et à mesure qu'ils se réveillaient, les deux hobbits commençaient à discerner de plus en plus de détails. Le chariot à l'arrière duquel ils étaient couchés n'était pas celui d'Alf et Badu; ils avaient eu l'occasion d'observer ce dernier de près lors de leur départ discret de Combe. Deux des hommes parlaient entre eux, dans un dialecte que Sigismond et Hobson ne reconnaissaient pas.

Mais le détail le plus problématique était de nature pratique plutôt que linguistique. Les mains des deux habitants de la Comté étaient liées dans leurs dos avec une corde fine mais solide.

Pour l'instant, personne ne semblait avoir remarqué leur réveil. Les hommes avaient remonté leurs capuches pour se protéger du froid ce qui limitait un peu leur champ de vision, et il faisait encore très sombre. Le froid était d'ailleurs mordant, surtout pour les deux semi-hommes restés immobiles pendant des heures, ayant comme seule protection une grande couverture assez fine qui grattait et sentait le cheval. Le vent sifflait dans les arbres autour d'eux, et le grincement des roues sur la route inégale ainsi que le martèlement des sabots noyaient les conversations et autres petits bruits.

Hobson cligna des yeux, encore un peu déconcerté par la violence du réveil.
Il sentit la corde qui serrait ses poignets et fit un léger mouvement pour tester sa liberté. Mais la réalité le frappa vite : ils étaient capturés. Le regard de Hobson se tourna lentement vers Sigismond, les yeux un peu embués par la confusion et la fatigue, et il chuchota, tout en essayant de garder son calme :

"Sigismond je commence à me demander si Alf et Badu ne nous ont pas doublés." Il baissa encore la tête, comme pour vérifier qu'aucun des hommes ne les observait. "Cela me semble trop étrange, tout ça. Nous partons discrètement, et voilà qu'on se retrouve entre les mains de ces types. Et avec cette histoire de thé... je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a quelque chose de louche. Peut-être que ces deux-là ne sont pas ce qu'ils prétendaient être."

Il marqua une pause, l'air songeur.
"Je n'aime vraiment pas ce que ça signifie... mais il est possible que nos soi-disant 'compagnons' aient des liens avec ces hommes. On pourrait être dans un sacré pétrin, et ils y sont peut-être pour quelque chose."

Son regard se posa sur les hommes, analysant leurs mouvements, leurs gestes.
"Pour l'instant, restons discrets. Si nous devons jouer notre dernier atout, autant attendre le bon moment."

"Est ce que Lobellia est avec vous? peut-elle être utile?"

Le brave postier se morfondait, comment avait il pu croire qu'une aventure était une expérience agréable. Il aurait dû écouter sa famille et se tenir éloigné des problèmes. Pourtant il ne pouvait croire ce que lui disait son compagnon d'infortune:

-Alf et Badu ? Nous trahir ? Il ne peut s'agir que d'un malentendu... N'est ce pas ?!

Son premier réflexe fut de vérifier où était Loebellia, heureusement elle gisait assoupie non loin de lui.

-Je crains qu'elle ne nous soit d'aucune utilité mon cher Hobson, savez vous où nous sommes ?

Puis il prit son courage à deux mains et décida d'interpeler les hommes encapuchonnés:

-Messieurs, je crains ne pas savoir où nous sommes et pourquoi je suis ici, pourriez vous m'éclaircir sur le sujet ? Dit il sans vraiment espérer de réponse.

Il observa l’intérieur exigu de la charrette; une caisse fermée et une corde enroulée. Rien de très utile à court terme.
La situation se faisait de plus en plus obscure pour nos deux hobbits.