Vers de lointains horizons...

Comme la plupart des villes, villages, et bourgades, Fondcombe possédait sa boutique "généraliste", et en plus des fournitures classiques habituelles, on pouvait y trouver certaines des plus belles productions de l’artisanat Elfique. Silivrien venait d’en franchir la porte, les bras chargés de quelques achats. Elle avait soigneusement préparé son voyage, et s’était donc pourvu de tout ce qui lui était nécessaire. De solides bottes en cuir de cheval, une gourde en fer, un sac de voyage en tissu de 20 litres, un ensemble de vivres constitué de Lembas et d’eau de voyage pour une semaine, et surtout une cape Elfique, capable dans certaines circonstances d’assurer une quasi-invisibilité à son porteur…un large sourire barrait à juste titre le visage du marchand, puisqu’elle lui avait laissé en échange de tout ceci la coquette somme de 3700£. La jeune Rôdeuse avait fixé elle-même la date de son départ au lendemain. Il ne lui restait donc plus qu’à regagner sa demeure, et à faire ses derniers préparatifs…
Lorsqu’elle eut rejoint la modeste habitation familiale, la surprise faillit lui faire lâcher tout ce qu’elle transportait dans ses bras. Sa mère aussi était en train de faire des préparatifs, et rangeait dans un sac quelques effets personnels. Silivrien déposa son fardeau sur une table, avant de prendre la parole d’une voix hésitante…

-Mère...que…que fais-tu ?

-Tu vois ma fille…je fais mes bagages…je pars moi-aussi…

-Mais…je ne comprends pas…où allez-vous ?

Nerdanel Elemmirë interrompit sa tâche, et invita son enfant à s’asseoir d’un geste gracieux de la main…

-Je pars pour l’ouest Silivrien…voici trois siècles, j’ai perdu ton père,…il y a peu ton frère,…il ne reste que toi, et je ne peux me résoudre à attendre chaque jour l’annonce de ta mort. Je dois trouver la paix, et cette paix je ne l’aurai qu’à Valinor…Mais ne t’inquiète de rien, nos biens étaient modestes, mais tout ici te reviendra. J’ai fait prévenir ton capitaine…mais je dois te remettre quelque chose en mains propres…

Elle sortit d’un coffret un anneau d’argent très pur, fait de branches et de feuilles entrelacées, sur lequel était enchâssé un étrange cristal poli de couleur noire, et vaguement translucide. Elle le tendit à sa fille, qui peinait à articuler le moindre mot tant l’émotion lui nouait la gorge…

-Tu vois, cet anneau vient de Valinor. Sa pierre fut prise sur un énorme rocher tombé du ciel…un morceau d’étoile en quelque sorte. Elemmirë est le nom d’une étoile, et cette bague symbolise ta lignée. Ton frère la détenait jusqu’ici, et maintenant elle te revient. C’est surtout un symbole et j’ignore si elle recèle le moindre pouvoir, mais porte-là fièrement et sois digne de ce qu’elle représente…

Nerdanel remit la bague à sa fille qui la passa à son index gauche d’une main tremblante. Elle déposa ensuite sur son front un tendre baiser, avant de poursuivre d’une voix légèrement traînante…

-Allons…il faut nous reposer maintenant, une longue route nous attend...toi comme moi…

Elle se leva et se dirigea vers sa chambre, laissant Silivrien perdue dans ses pensées…

Le lendemain, les deux Elfes équipées de pied en cap rejoignirent un petit groupe de leurs frères à l’entrée de Fondcombe. Après un dernier regard vers le sanctuaire d’Elrond, elles prirent à gauche vers la sortie de la vallée et le gué de Bruinen. Elles savaient toutes deux que la rivière du même nom qui symbolisait la frontière de cette terre Elfique, sonnerait aussi le glas de la vie qu’elles avaient connu jusqu’ici. Et malgré leurs efforts pour retarder l’échéance, le moment de la séparation se présenta inévitablement. Aucune parole superflue ne fut prononcée, et elles se quittèrent sur une dernière étreinte, doublée d’une union spirituelle sincère et profonde. Nerdanel franchit la rivière, accompagnée de quelques compagnons ayant décidé comme elle de rejoindre les Valars. Silivrien la regarda s’éloigner, avant de commencer à suivre la rive gauche du fleuve vers le sud. Ses dernières paroles furent portées par le vent…

-Adieu Mère…nous nous reverrons à Valinor…

Les premiers jours du voyage de Silivrien se passèrent bien. Le fait de longer le fleuve Bruinen la mettait à l’abri du manque d’eau potable, et la région était suffisamment giboyeuse pour lui éviter de perdre trop de temps à chasser. Elle progressa donc rapidement, et sans entamer ses réserves. Pourtant, au fur et à mesure de son avancée vers le sud, elle sentit le danger s’intensifier autour d’elle, comme une menace sourde prenant de plus en plus d’ampleur à chaque pas. Ce danger finit par se concrétiser sous la forme de groupes d’éclaireurs Gobelins qu’elle se mit à croiser régulièrement. La haine viscérale de Silivrien pour ses créatures était immense, mais elle n’était pas pour autant suicidaire, d’autant que la présence de ces petits contingents pouvait impliquer celle bien plus dangereuse de fortes unités à proximité. Ainsi donc, chacun des soirs qui suivit, une patrouille de six à dix éléments vint longer un moment la rive du fleuve, et remplir d’eau de grandes outres en peau de bête. La Rôdeuse les contemplait avec une lueur de meurtre dans le regard, mais elle parvint à chaque fois, bien que difficilement, à privilégier les qualités de sa cape Elfique qui lui permirent d’échapper à la vigilance de ces créatures maudites. Pourtant au crépuscule de la journée suivante, le destin tissa ses fils insondables, aussi sûrement qu’une araignée le fait avec sa toile. Au détour d’un coude de la rivière, Silivrien entendit des bruits de combat. Elle approcha discrètement sous le couvert des roseaux, et aperçut non loin de là un farouche guerrier Nain, aux prises avec deux Gobelins qui lui tournaient autour. Son corps était couvert de son propre sang et de celui de ses ennemis, dont cinq cadavres gisaient étendus à ses pieds. Visiblement affaibli, le valeureux combattant faisait de grands moulinets avec sa hache. Malheureusement, ses gestes étaient de plus en plus maladroits, et ses adversaires n’avaient plus aucun mal à esquiver ses coups. Un instant déséquilibré, le Nain tomba sur un genou, et prit appui sur le manche de sa hache pour tenter de se relever. Pensant le moment de la curée venu, les deux Gobelins voulurent se jeter sur lui. Ils s’avancèrent la bave aux lèvres, avec une lueur assassine dans le regard. Soudain, l’un d’entre eux se figea sur place, et émit une sorte de râle qui se termina en un horrible gargouillis. Son compagnon, surpris, se tourna vers lui, et eut juste le temps de le voir s’écrouler un trait planté en travers de la gorge. Il se mit à regarder tout autour de lui dans un mouvement de panique, en tentant vainement de déterminer le point d’origine de la flèche. Silivrien, encore masquée par sa cape Elfique, tenait son arc dans la main gauche. De la droite, elle dégaina son long poignard dentelé, et sortit des roseaux en hurlant. En quelques pas, elle fut sur le Gobelin, qui dans sa précipitation donna tête baissée dans la feinte de la Rôdeuse et se prépara à une parade haute, ce qui permit à l’Elfe de l’éventrer proprement d’un somptueux coup latéral. Ce fut ensuite une simple formalité de l’égorger d’un geste vif, pendant qu’il était plié en deux sur les genoux. Entre temps, le Nain avait basculé sur le côté, et gisait à terre dans un véritable bain de sang. Silivrien le tira doucement à l’écart, et l’aida à s’étendre un peu mieux sur le sol. Un rapide coup d’œil aux blessures lui permit de voir que l’issue ne faisait aucun doute. Les yeux vitreux et le souffle court, le guerrier tenta toutefois une ultime bravade…

-Fallait pas te déranger l’Elfe…j’étais sur le point de les achever…foi de Borin Tranche-fer, ça n’aurait pas fait un pli…aaarrrghhh !!!

Le Nain se raidit et toussa deux ou trois fois. Silivrien posa sur son front une main qui se voulait apaisante…

-Economise ton souffle…tu te fatigues inutilement…

-Bah…ça…ça ne sert à rien…je vais bientôt rejoindre mes ancêtres…et dans le déshonneur car ma mission a échoué…

-Ta mission…quelle mission ?

La voix du Nain devenait faible, et un mince filet de sang apparut à la commissure de ses lèvres…

-Je viens de la Moria, et je devais remettre d’importantes dépêches à notre général en chef, Horgeon Gemvior. Elles sont dans un étui…là…dans mon sac…

Il désigna son sac d’un geste las, et sa main retomba lourdement sur le sol, alors qu’il agitait vainement les doigts pour empoigner le manche de sa hache. Silivrien s’en empara et le fourra dans sa paume. Le guerrier déglutit avec difficultés, avant de poursuivre…

-Je…je sais que tu ne me dois rien, mais…pourrais-tu te charger de transmettre ces dépêches à mon général ?…Il est à Edoras, au Rohan, avec l’armée de Nains qui combat les Ourouk…il y a des Elfes aussi je crois…

La Rôdeuse haussa les sourcils, avant de détourner le regard. Elle semblait en proie à d’intenses réflexions, voire même un réel dilemme…

-C’est que…j’avais d’autres engagements…

Elle pouvait sentir le regard suppliant du Nain, alors qu’elle faisait le point sur ses différentes options…Finalement, elle prit la décision en un éclair…

-Soit…je me rendrai à Edoras…ainsi ta mission sera remplie et tu pourras te présenter la tête haute devant tes ancêtres…

Borin lui sourit, et ramena le manche de sa hache contre sa poitrine. Silivrien posa sa main sur les siennes…

-Je te remercie...mais...pourquoi ai-je voulu à tout prix suivre les routes en passant par Tharbad ? Pourquoi ces Gobelins m'ont-ils poursuivi aussi loin ? Pourquoi n'ai-je pas quitté la Moria par le versant est ?...Que d'erreurs impardonnables...

-C'était ton destin mon ami...mais n'aie crainte, ton dernier combat sera chanté par les bardes…

Le corps du Nain s’arqua subitement dans un spasme de douleur, et le brave guerrier rendit son dernier soupir sur un ultime regard plein de reconnaissance. Silivrien essuya une larme sur sa joue, avant de fermer les yeux de Borin en lui glissant dans un souffle…

-Repose en paix, fils de Durin…

Elle le veilla toute la nuit. A l’aube, elle nettoya l’armure et le visage de Borin pour lui rendre un aspect présentable, et l’enveloppa avec ses armes dans sa propre couverture. De grosses pierres trouvées aux alentours lui permirent de faire une sépulture improvisée. Quand son travail fut terminé, Silivrien prit le temps de se recueillir et de réciter la prière des morts, en hommage au guerrier Nain. Elle entassa ensuite les cadavres des Gobelins près du fleuve et les fit brûler, après avoir planté à proximité une des têtes au bout d'une de leurs propres lances, fichée dans le sol. Pour finir, elle rassembla ses affaires, prit le sac du Nain, et poursuivit sa route le long du fleuve Bruinen. Dans les jours qui suivirent, après qu'elle eut passé Tharbad et prit la route du sud, la trouée du Rohan se présenta vers le levant, ainsi que l’heure du choix pour Silivrien. Au loin droit devant elle s’étendait le long ruban argenté de l’Isen. Elle revit en pensée le visage de Borin et dit à voix basse pour le rassurer au cas où il serait capable de l’entendre…

-N’aie crainte mon ami…je respecterai ma promesse…

Sur ces mots, elle obliqua vers le soleil levant et les vastes prairies des maîtres des chevaux…