Les Chiens d'Al'Tyr

Un message m'était parvenu. Un simple morceaux d'étoffe tachée, sur lequel été écrit, en caractères manifestement tracés à la hâte :

Citation :

Rendez-vous à l'auberge de Khali, à Dur'Zork, dans deux jours. Il y a beaucoup d'argent en jeu.

Je m'étais donc rendu sur place, accompagné de mon fidèle compagnon d'arme, Ezhel. Un homme m'y attendais, et, sitôt que j'entrais dans l'établissement peu fréquentable, il se leva et m'entraîna dehors, dans la rue noire de monde. Les pauvres de la cité rentraient de leur travail, et se tassaient dans des ruelles boueuses. Leur odeur de sueur rance me révulsa, mais de telles créatures n'avaient qu'à peine les moyens d'acheter de quoi boire et manger, l'eau restant la seule véritable richesse des villes du Désert.
L'inconnu était petit, et son visage était caché par un turban usé et poussiéreux. Il me fit signe, et je le suivit jusque sous un porche crasseux, suivi par Ezhel, qui restait quelques mètres derrière moi. L'homme donna un coup de pied à un mendiant qui s'abritait sous le porche, le forçant à déguerpir, puis, d'un air de conspirateur, me murmura :
« -Mon patron a besoin d'hommes bien entraînés, au moins cinquante. C'est bien payé : vous aurez 500£ par mercenaire encore en vie après la mission, plus 2500£ pour vous. Par contre, pour être payés, il vous faudra attendre de rencontrer en personne mon patron... Acceptez-vous ?
-Où dois-je le rencontrer ? demandais-je au petit homme.
-Rendez-vous à Al'Tyr. Il vous trouvera. Et n'oubliez pas vos cinquante hommes avec vous... » Sur ce, il disparut dans la foule, se perdant au sein de la multitude de corps.
Ezhel me rejoignit, et, de sa voix grave, me demanda ce que voulait cet homme qui, bien que souhaitant la discrétion, s'était montré tellement furtif qu'on ne remarquait plus que cette volonté. Je lui répondit de se rendre le plus vite possible au Bureau, et de rassembler ses hommes ainsi que ceux de Khalid. Les Chiens repartaient de Dur'Zork, après seulement une semaine de repos.


Cinquante cavaliers traversaient le désert. Les chevaux comme les hommes souffraient de la chaleur, mais ils avaient appris à ne pas le montrer, de sorte que tout voyageur les aurait trouvé étonnamment frais et dispos.
La longue colonne de cinquante mercenaires avançait vite, n'ayant pas de train de ravitaillement à attendre et à escorter. Chacun portait l'eau et les vivres suffisant à un voyage de deux semaines en plein désert, et ils disposaient de nombreux chevaux de rechange.


L'arrivée dans la cité portuaire fit impression. Cinquante guerriers arrivant ensemble n'est pas une chose courante, même au Harad, où les rivalités et conflits abreuvent le désert du sang de dizaines de braves. Les gardes en faction aux portes de la cité marchande n'osèrent pas accomplir leur devoir sur cette bande de vétérans aux nombreuses cicatrices. Les habitants de la cité s'égaillaient au passage des mercenaires, se réfugiant dans des ruelles proches et regardant passer l'étrange procession.
Puis un groupe d'une vingtaine de gardes se mit en travers de la rue, bloquant le passage aux Chiens. Un homme, visiblement un officier, s'avança, l'air peu assuré, et demanda, d'une voix tremblante :
« Qui est votre chef ? »
Je souris. Cet homme ne manquait pas de courage : il osait se dresser seul face à une des compagnies de mercenaires les plus connues du Sud. Mais l'étendard n'était pas déployé, il fallait donc bien lui accorder une excuse.
J'avançais, traversant les rangs de Chiens qui attendaient, calmes, l'ordre qui aurait déclenché un bain de sang. Mais nous n'étions pas là pour ça. Les Chiens ne meurent pas pour rien ! me dis-je. Il aurait été inutile de lancer la charge, et surtout cela aurait été suicidaire. Qui sait combien d'hommes attendaient, cachés derrière la foule apeurée ? Surement une centaine de gardes nous seraient tombés dessus en peu de temps.
« Je commande ces hommes ! lançais-je d'une voix claire. Nous n'avons pas d'intentions agressives. Nous devons nous rendre au port.
-A quelle compagnie appartenez-vous ? Et que faites vous à Al'Tyr ?
-Nous devons prendre un navire en direction du Nord. Et notre nom importe peu. » Je ne souhaitais pas annoncer clairement notre identité. Sinon les autorités se seraient douté de quelque chose, et je ne savais pas si notre commanditaire aurait apprécié que la ville entière sache que les redoutables Chiens du Désert patientaient dans le port. Des gens se seraient inquiétés, sans doute pour rien, mais qui sait ? Je ne voulais en aucun cas risquer de compromettre notre mission, quelle qu'elle soit.


Nous étions installé dans diverses auberges du port, par groupes de quatre ou cinq. Mais les aubergistes s'étaient montrés compréhensifs, et ils avaient de leur plein gré accepté de baisser leurs prix pour mes hommes. Les repas valaient deux fois moins cher, et les dortoirs, bien que crasseux, ne coutaient presque rien. De plus, la plupart des voyageurs, désormais, préféraient louer une chambre plutôt que de dormir en compagnie de féroces mercenaires. Peut-être craignaient-ils pour leur vie, mais je pense que leur bourse leur était plus précieuse, et tout le monde connait la réputation dont sont (souvent à tort) affublés ceux qui louent leurs lames.
J'étais assis en compagnie d'Ezhel, de Khalid et de deux autres Chiens dont je ne me rappelais plus le nom. Nous discutions innocemment des difficultés de trouver un bon travail, pour des mercenaires aussi endurci que nous, quand un homme entra dans l'auberge d'un pas assuré...

L'homme qui entra n'était pas n'importe qui. On le connaissait bien dans ce quartier d'Al-Tyr, c'était son quartier si l'on veut. On le nommait de différente manière, mais personne ne savait son véritable nom. Il passa rapidement devant les tables occupées par des ivrognes, et filles de joie. Il salua de la tête plusieurs personnes qu'il connaissait.
Un sourire s'ouvrit sur ses dents parfaitement blanche. Ses mercenaires étaient bien là. Il avait douté qu'il viendrait durant un petit moment, mais là il ne doutait pas. Il dut pousser un clochard pour passer.
Il s'assit directement sur une chaise libre à la table des quatre mercenaires comme si on l'y avait invité. Il héla une belle serveuse par son nom et commanda une bière. Il regarda alors ses futurs employés. Il sourit une nouvelle fois avant de se lâcher:

-Je pense que vous êtes les Chiens du désert?....Ne me demandez pas comment je le sais, je le sais c'est tout.

Il les avait repéré grâce à quelques "amis", et surtout c'était les seuls hommes capables d'être des mercenaires endurcit dans cette taverne qui renfermait de tout, mais pas de vrais vétérans, que des clochards, ivrognes, catins et pseudo mercenaires.

-On me nomme le Bâtard....Je suis...comment dire ça....une sorte de mercenaire comme vous....Mais contrairement à vous je suis à la retraite technique....Ayant amassé bien assez d'argent pour mener une vie douce et tranquille....J'aime courir après les femmes, surtout celle dont c'est interdit de toucher.....Vous voyiez ce que je veux dire?....Non....Oui....Enfin bref, dernièrement, j'ai vu une nouvelle cible, un gibier très alléchant...Mais malheureusement, malgré ma fortune, son maître refuse de me la vendre....Et donc j'ai décidé de me l'approprier moi-même par un moyen aussi efficace que la diplomatie, mais radicalement différent.

Sa bière fut apportée, et il en but plusieurs gorgé d'un trait.

-Mais, je ne peux m'attaquer comme ça à ce maudit maître....Il est trop puissant pour une homme,...même pour moi....J'aurais bien fait appel à mes amis....mais aucun n'est formé pour ce genre d'opération....Vous vous l'êtes d'après ce que l'on dit de vous....Mais je veux en être sûr....Pensez-vous pouvoir pénétrer dans une propriété à l'extérieure de cette ville de nuit qui plus est, maîtrisé sans tuer des gardes, empêcher les chiens d'aboyer, et bien sûr me faire atteindre ma chaire, et la faire sortie, avec moi bien entendu, dehors de ce foutoir?....Je vous le dit ce ne sera pas du gâteau....Donc en êtes-vous capable? Vos hommes sont-ils formés pour ce genre d'opération?...Si ce n'est le cas, dites-le tout de suite.....Je tiens pas à moisir dans un cachot par la faute de mercenaires imbu d'eux-même.

L'homme s'assit sans aucune gêne devant nous, et se présenta comme notre employeur. Il nous informa des raisons pour lesquelles il nous avait fait venir, et, lorsqu'il eut fini, je lui annonçai :

« Nous ne sommes pas des spécialistes de l'infiltration, monsieur. Nous serions plus à notre aise sur un champ de bataille. Néanmoins, nous sommes tout à fait capable d'effectuer ce pour quoi vous nous avez mander, monsieur : en tant que Chiens, nous pouvons -nous devons ! devrais-je dire- être capable de réaliser tout ce que veulent nos employeurs. »

Le Bâtard -comment pouvait-on fièrement arborer un pareil surnom ?- me regarda plus attentivement. Il restait impassible, me jaugeait du regard. On pouvait discerner les muscles sous l'étoffe légère dont il était vêtu : il ne nous avait sans doute pas menti en se disant ancien mercenaire.

« Cependant, monsieur, continuais-je, vous nous demandez de ne pas tuer les gardes. Ceci risque de nous compliquer considérablement la tâche. Et sachez que leur vie passe après la notre, bien sûr... J'espère par contre que votre attention ne se porte pas jusqu'aux chiens. Les tuer serait tellement plus simple ! De plus, la villa se situe hors de la ville... Comment pouvons-nous y accéder ? Y-a-t-il des jardins ? Les murs sont-ils hauts ? Bref, il me faudrait plus de précisions afin d'élaborer un plan d'attaque... Dernièrement : pourquoi avoir demander cinquante hommes pour une telle mission, qui aurait nécessité seulement qu'une dizaine de combattants ? »

Le Bâtard sourit devant les interrogations du mercenaire, mais cela le rassurait un peu. Au moins ce chien avait un certain savoir faire dans ce qui était de la préparation. Au niveau physique Taorin semblait être de bonne morphologie. Un grand atout pour un mercenaire. Approchant sa tête pour ne pas être entendu. Ce geste était plus pour donner de l’importance à ce qu’il allait dire que pour protéger ses paroles des oreilles indiscrètes car dans l’auberge régnait un brouhaha infernal et même un elfe ne pourrait y voler la moindre phrase.

-Vos questions sont justifiées, et sachez que dés j’y aurais répondu votre participation à l’opération sera obliger, à vous et vos hommes. Est-ce clair ?

Voyant aucun signe de désaccord, il continua :

-Les tuer serait certes plus simple, mais par expérience, la facilité ne mène pas toujours à bon port….Hors ici chaque mort pourra donner une raison, plus que raisonnable, de vouloir me tuer pour rendre hommage aux morts. Ce que je ne désire sous aucun prétexte….J’en ai déjà assez (un éclat de fierté passa dans ses yeux)…Vous ferrez au mieux j’en suis persuadé. Pour l’accès, c’est assez simple, il y a un grand jardin, aucun chien d’après ce que je sais. Les murs entourant la propriété sont relativement bas, un mètre cinquante. Ils sont plus là pour faire jolie que par réelle protection. Il doit y avoir quelques gardes qui patrouillent. Ce sera votre seul problème jusqu’à entrer dans la maison…Ou là je n’ai aucune information si ce n’est que les serviteurs dorment dedans, dans une aile de la battisse….Et qu’ils sont très bien payés…..Bref….Pour votre dernière question, c’est assez basique. Je préfère payer trop d’homme que de devoir me retrouver entre quatre murs, si j’y survis…..Une partie de vos chiens seront au abord de la propriété prêt à intervenir et à nous sortir de la maison coûte que coûte.

Lorsque le Bâtard rapprocha sa tête, je pus sentir l'odeur de la sueur rance qui s'échappait de son col ouvert. Je ne discernais que la moitié de son visage, mon œil borgne m'empêchant malheureusement de distinguer toutes ses expressions faciales. Mais le peu que je voyais suffisait à me faire comprendre que le plus grand sérieux était nécessaire. Je bougeais discrètement de la main, de façon à ce que mes hommes présents s'éloignent un peu, puis j'écoutais avec attention ce qu'il avait à me dire : toute erreur d'inattention pourrait nous coûter cher !

L'homme était assez bien renseigné, même si je fus un peu déçu de son manque de connaissances concernant l'intérieur de la villa. Savoir précisément où dormait la jeune dame aurait été fort pratique, nous n'aurions pas eu à chercher à travers toute la maison. Aussi demandais-je à l'ancien mercenaire quelques informations supplémentaires à e sujet. A quoi ressemblait la jeune dame ? Etait-elle une des femmes du propriétaire, ou bien tout simplement une esclave ?

De plus, les commentaires concernant les domestiques m'inquiétèrent.

« Les domestiques sont-ils nombreux ? Car je n'aimerais pas avoir à tuer des serviteurs trop zélés... Ils pourraient se montrer gênants... »

Puis vint la question primordiale, qu'aucun de nous deux n'avait pour l'instant abordé.

« Monsieur, vous savez fort bien les raisons qui nous poussent à accomplir vos désirs. Aussi, avant que l'opération ne soit lancée et que l'action ne nous emporte, j'aimerais que nous discutions du paiement. Je vous demande 500£ par homme engagé, plus une prime de 2500£ pour moi-même. Bien sûr, vous payez à la fin de la mission, et les morts, s'il y en a, ce que je ne souhaite pas, ne seront pas payés, cela va de soi... Que dîtes-vous de ce prix ? L'acceptez-vous ? Sachez que je ne descendrais pas plus bas : nous ne pourrons pas piller les lieux, et le fait que nous n'ayons pas le droit de tuer pourrait nous être fatal. Je vous laisse réfléchir à ce sujet, en attendant votre réponse, parlons de l'affaire qui vous intéresse, et organisons un plan d'attaque. Me permettez-vous d'appeler mes lieutenants afin de discuter de cette affaire ? »

Sans lui laisser le temps de répondre, je fis signe à Ezhel et à Khalid de venir. Je leur résumais brièvement la situation, installant les chopes de bière vides de façon à former ce qui, avec énormément d'imagination, pourrait passer pour une maison.

« Monsieur, voici le plan que j'ai imaginé. Dix hommes pénétreront dans les jardins à proximité de l'aile des domestiques, avec pour but de les immobiliser dans leur sommeil. Une dague sur la gorge devrait faire l'affaire, puis ils les ligoteront et les baillonneront. Ceci devrait neutraliser une source d'ennuis futurs. Une fois leur mission accomplie, ils tâcheront d'établir une issue de secours pour les autres groupes.

Le second groupe de combattants s'introduira dans la propriété et, le plus vite possible, pénétrera dans la maison proprement dites. Ils auront pour but de localiser la dame de votre cœur, et, étant donné que vous seul pourrez la reconnaître, vous les accompagnerez. Je viendrais aussi avec vous, comme ça, vous n'aurez pas à craindre pour votre vie.

Les hommes restants resteront prêts à intervenir si la situation se dégrade. Ils se cacheront derrière les murets d'enceinte, par groupes de cinq, tout autour de la propriété.

Que pensez-vous de ce plan d'action ? Etez-vous d'accord ? »

Le bâtard eut un sourire forcé devant la somme que demandait Toarin, mais d’un autre côté il savait qu’il devait avoir à faire aux meilleurs. Il ne voulait qu’eux, pas d’autre. Ce chef l’avait convaincu sur les compétences de ses hommes. Ils semblaient fiable et loyale. Deux qualités que peu de mercenaires avait. Le noble, car on peut considérer le Bâtard comme une sorte de noble, vu la fortune qu’il pouvait se permettre de miser pour une simple fille. D’un geste de la main, il chassa ces questions et dit :

-Votre prix me semble correct….N’ayez crainte je vois bien que vous faites quelques exceptions pour moi. Sa me touche beaucoup que vous renonciez à piller cette demeure, qui, je ne vous le cacherais pas, est très bien meublée….faites donc, j’aime parler avec les gens qui me seconderont dans le feu de l’action.

Le Bâtard semblait s’être approprié le titre de chef de la mission. Pour lui c’était logique, c’était lui qui guiderait ces mercenaires dans la maison qu’il avait déjà visité une fois pour un dîner. Taorin allait-il réagir devant cela ?
En tout cas, le noble se ne sembla pas s’en faire, continuant :

-Je pense que le premier groupe pourra se composer de quinze mercenaires, mieux vaut prévenir que guérir comme on dit, non ?....Le deuxième groupe, me semble bon, il devrait être relativement petit, je pense à une dizaine moi et vous compris dedans. Les autres devront être prêt à intervenir le plus vite possible…C’est très important, il se peut qu’il y aille quelques gardes armés dedans, il m’a semblé en voir une fois….Mais je ne suis sûr….Mais vous connaissez les nobles, toujours à se protéger, surtout celui à qui nous allons dérober ma fille, ma demoiselle…..Et sachez que je n’ai nul besoin de défense, je me débrouille très bien de ma lame…

Il avait parlé avec fierté, se redressant pour se donner de la hauteur. Il semblait donner une grande importance sur ses capacités d’escrimeur. Une chose à ne pas toucher…..Retrouvant sa posture initiale il ajouta :

-J’ajouterai le point suivant, il faudrait que vos hommes se séparent en partant de la propriété pour, ainsi, éviter, s’il y a poursuite, que les poursuivants ne me suivent, moi et ma bien-aimée….Que vos chiens se séparent par groupe partant chacun dans une direction différente, moi je vous suivrais….Cet ajout vous va-t-il ?

La somme demandée ne semblait pas réellement plaire à notre employeur, mais il s'abstint de le mentionner. De lui même, il prit la direction des opérations, et organisa l'opération. Cela ne me dérangeait pas trop : il avait été mercenaire auparavant, il savait donc sans aucun doute comment s'y prendre. De plus, il s'était déjà rendu dans la villa, son avis était donc primordial.

Lorsqu'il demanda à ce que nous nous séparions après l'opération, je ne pus qu'acquiescer. Toute poursuite superflue était bonne à prendre : il fallait absolument que tous les Chiens survivent.

« Je pense que nous devrions nous séparer en cinq groupes de dix, une fois l'opération finie. Ainsi, ils ne sauront pas quel groupe poursuivre : tous serons de même taille. Nous partirons tout d'abord dans une mauvaise direction. Non pas celle opposée à la ville, mais une autre. Nous galoperons deux heures ainsi, puis nous rejoindrons la cité à l'aube, lorsque les portes s'ouvriront. Ainsi, votre homme ne nous retrouvera pas. Etes-vous d'accord ? »

Puis, d'un air discret, j'ajoutais, sans qu'Ezhel ou Khalid ne puisse entendre :

« Surtout, une fois l'opération terminée, n'en parlez pas autour de vous avant quelques mois, histoire de laisser le temps au noble de se calmer. Je ne veux pas qu'on nous interdise l'accès à la Cité, ni qu'on engage des poursuites à notre encontre. De notre côté, nous garantirons votre anonymat. »

Le Bâtard dévoila une rangé de dents blanches, légèrement brunâtre sur les côtés. Ses yeux jetèrent un regard entendu avant de conclure :

-Il va de soit que nous ne nous sommes jamais rencontré. Pour moi c’était un fait acquis depuis le début….Maintenant il est vraiment.

Il avait parlé de façon à ce que les lieutenants de Taorin n’entendent rien, ayant remarqué que ce dernier avait prit le soin de leur caché ces derniers mots. Le Dom Juan se posa plusieurs questions sur cette petite cachotterie, mais au final ce n’était pas ses oignions. Pourquoi ce chef cachait des choses à ses hommes ne le regardait en aucun cas. Il avait déjà bien assez de problème comme ça sans se préoccuper de ceux des autres.
Il finit sa bière d’une traite, se levant il sentit les légers effets de l’alcool. Les pommettes un peu rouges il dit :

-Briffez vous hommes, nous agirons demain, les serviteurs seront réduits au stricte minimum à cause d’une fête religieuse. Nous en profiterons. Retrouvons nous demain au crépuscule vers la porte. Je serais posté à cent mètres de celle-ci, vous ne pourrez pas me louper….Soyez discrets…je tiens à garder le plus possible mon nom propre et traitez avec des mercenaires, aussi bon soient-ils, n’est jamais bien vu….Sur ce je vous quitte. Bonne fin de soirée cher ami…Nous nous reverrons bien assez.

Il s’éloigna alors comme il était venu, se fondant dans la foule de la taverne. Si Taorin avait encore des questions, il devra courir pour rattraper leur mystérieux employeur qui semblait cacher son véritable nom derrière un surnom peu glorieux.
Le Bâtard souriait tout en avançant. Son plan pouvait marcher. Sa bien aimée ne tiendra pas bien longtemps devant son charme….

Le Bâtard sortit de l’auberge, nous laissant seuls au milieu d’une foule d’habitués. L’alcool coulait à flots, et bien que la nuit ne soit tombée que depuis une heure ou deux, plusieurs ivrognes avaient du être jetés dehors, voire balancés dans l’eau froide du port pour les dessoûler. Les Chiens ne buvaient pas beaucoup : se retrouver ivre au mauvais moment pouvait coûter la vie, et aucun mercenaire n’est jamais en sécurité dans une ville étrangère. Nul doute que de nombreux clients étaient chargés d’espionner les faits et gestes d’autres espions, pour la solde des maîtres de la pègre de la cité portuaire. Je fis un signe à Ezhel, lui indiquant de monter dans la chambre. Puis je demandais à Khalid de rester dans la salle commune encore quelques heures, afin de voir venir toute bagarre et de les empêcher : l’aubergiste s’était montré compréhensif, et avait accepté de nous « offrir » des chambres individuelles.

Les escaliers grinçaient. Plusieurs marches étaient d’ailleurs branlantes, le tenancier n’ayant sans aucun doute jamais eu le temps ou l’argent de les réparer. Ezhel montait à côté de moi, la main sur la garde de son coutelas. Arrivé au sommet des escaliers, il prit de l’avance, puis, arrivé à la porte de notre chambre, l’ouvrit d’un coup sec et entra brusquement dans la petite pièce en dégainant sa lame. Personne ne s’y était caché. Le lieutenant des Chiens rangea donc son arme, puis, une fois que je fus rentré, referma la porte et la verrouilla.

« Pourquoi ne vouliez-vous pas qu’on vous entende, cap’taine ? Vous doutez d’nous ?

-On ne sait jamais, Ezhel… On ne sait jamais… Mais l’affaire semble être plus que ce qu’elle ne paraît être… Notre employeur dépense son argent sans compter pour une seule femme. C’est pas normal. Je pense qu’il se trame quelque chose, et j’ai préféré lui faire croire qu’il existait des tensions entre nous. Si jamais il cherche à nous trahir, il verra que nous ne sommes pas aussi désunis que ce qu’il croît… »

Ezhel acquiesça. Toute cette stratégie semi-politique lui passait au-dessus de la tête : il ne comprenait pas l’intérêt de mentir, préférant de loin un combat à la loyale où les différentes parties étaient informées de tous les détails. Il faisait un excellent lieutenant, c’était d’ailleurs une des raisons pour laquelle je l’avais choisi, mais jamais il ne ferait un bon capitaine pour les Chiens.

« Demain à l’aube, tu iras prévenir tes hommes : vous devrez être prêts à partir dès midi par petits groupes, pas plus de quatre ou cinq à la fois. Vous ne devrez pas vous faire remarquer. Si jamais on vous interroge, dites que vous devez rejoindre une caravane hors de la cité. Enfin débrouillez-vous pour pouvoir quitter les murs d’Al’Tyr sans attirer les regards. Vous m’attendrez à trois lieues de la ville, à l’est, dans le désert. Dissimulez-vous, et ne vous montrez qu’à d’autres Chiens. Personne ne doit savoir ce que nous faisons. Compris ?

-Oui chef. » répondit-il.


Le soir de notre second jour à Al'Tyr, je sortis de la cité en compagnie de deux autres Chiens. Nous avions cachés nos armes sous nos capes brunes, et nos visages restaient dissimulés derrière des turbans. Nous avions presque atteint la porte de la ville lorsqu'un gamin me bouscula. Il tentait de fuir d'autres gosses des rues, qui devaient le poursuivre pour un quelconque règlement de comptes. Je l'envoyais à terre, jurant dans ma barbe. Cependant, lorsqu'il partit, je remarquais un petit morceau de papier dépassant de ma poche gauche. Je le sortis, et j'y lus :

Citation :

Deux lieues à l'est, puis deux au nord. Je vous attendrai là dans une heure.

Je roulais le papier en boule, et le remettait dans ma poche. Nous avions passé la porte, de sorte que nous pûmes monter à cheval, et nous nous éloignâmes en direction de nos frères d'armes...