Un anneau pour les Falathrim

Le murmure de la grande mer et les cris plaintifs des mouettes, bien que lointains, emplissaient le cœur d'Ólfr d'une crainte respectueuse pour cet élément qu'il connaissait si peu. C'était la première fois qu'il voyait la mer, et la contempler depuis l'avant-dernier étage de la haute tour d'Elostirion était une chose qu'il n'aurait jamais cru possible : quelques semaines plus tôt il aurait ri au nez de celui qui lui aurait prédit une telle chose, et pourtant aujourd'hui il était bel et bien en train de l'expérimenter. Nul ne savait ce que la vie lui réservait et chaque jour amenait son lot de surprises. Les deux époux qui étaient assis à la table au centre de la pièce n'allaient pas tarder, eux aussi, à goûter la saveur pétillante de l'inattendu...

Ólfr réprima une soudaine moue dûe au vertige et quitta la fenêtre à laquelle il était accoudé, s'arrachant à la contemplation du soleil couchant pour venir s'installer en face de ses hôtes sur la chaise aux pieds magnifiquement galbés qu'un ébéniste à l'habileté elfique avait dû façonner il y a fort longtemps. Le bois grinça légèrement sous son poids.

- Eh bien, ambassadeur de la Moria, maintenant que vous avez profité de la beauté de Belegaer sous les derniers rayons de la soleil, dit le seigneur elfe, peut-être voudrez-vous bien nous révéler la raison de votre venue... Car je doute qu'un fils d'Aulë ait fait tout le chemin depuis sa lointaine demeure à la seule fin de contempler le royaume d'Ulmo et d'écouter les échos de ses conques ? Silivrien ma chère, je vous sers de l'hydromel comme à notre hôte ?

La dame acquiesça avec un sourire.

- Vous dites vrai seigneur Laurelin, répondit Ólfr, bien que la vue de la mer soit une chose que jamais, au grand jamais je n'oublierai, vous pouvez me croire ! Non, je suis venu pour une raison bien précise. Je suis venu vous restituer un objet vous appartenant...

Posant délicatement le verre en cristal qui contenait la délicieuse liqueur dorée, il plongea les doigts dans la poche de son pourpoint et en sortit un minuscule objet qu'il saisit entre le pouce et l'index, et qu'il déposa avec une délicatesse encore plus grande au centre de la table.


Le Seigneur et la Dame d'Elostirion observèrent longtemps le petit anneau qui se dessinait, couleur or sur le bois clair, incapables de parler ou de détourner le regard de l'objet.

- Cet anneau vous appartient, n'est-ce pas ?

- Il appartient au peuple elfique, répondit l'elfe, mais non point à moi personnellement.

- Vraiment ? Pourtant le marchand gondorien à qui je l'ai acheté, un certain Asthrabal, m'a assuré qu'il s'agissait, et je le cite, de l'Anneau de Laurelin. En toute logique j'ai pensé qu'il vous avait été dérobé par le passé et c'est pourquoi je suis venu vous le rendre, ou bien y a-t-il une autre personne qui porte votre nom ?

Les deux elfes échangèrent un bref regard complice, l'air apparemment amusés.

- Non, je suis bel et bien le seul Laurelin à fouler cette Terre du Milieu. Mais il est un autre être vivant qui a vécu sur Arda au temps jadis et qui portait le nom de Laurelin, et bien d'autres noms. Cela ne m'étonne pas que vous n'en ayez jamais entendu parler, ce n'est pas le genre d'histoire qu'on raconte chez les Nains. Laurelin était l'Arbre d'Or du Valinor, aujourd'hui disparu, et cet anneau a été forgé par les Vanyar en son honneur. Il est incroyablement précieux et je ne sais comment vous remercier de vouloir le restituer aux Elfes. Si j'avais cru les Nains cupides et capables de fondre de tels objets dans leurs fours pour en récupérer l'or, je vois que je me suis trompé du tout au tout.

- Loin de moi l'idée de manquer de respect à de telles œuvres de beauté ! Mais il n'en est pas de même pour les Hommes apparemment, qui n'hésitent pas à s'emparer des artefacts qui ne leur appartiennent pas, tels des pies voleuses, pour répondre à on ne sait quelle mode passagère qui consiste à dénicher tous les objets de nos peuples respectifs dans lesquels ils pensent y découvrir quelque pouvoir. Je suis venu vous tendre la main, seigneur Laurelin, et vous exhorter à associer votre vigilance à la nôtre pour préserver nos créations. Sans quoi la soif de pouvoir des Hommes détruira tout ce que nous avons façonné de beau dans notre Histoire.