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Taorin
Emir du Harondor Libre
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Taorin

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Départ nocturne EmptyMar 2 Mar 2021 - 18:23
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La foule commençait à se disperser, et l’on pouvait désormais discerner le bout de la ruelle entre les étoffes multicolores que portaient les marchands et badauds. Des montagnes d’épices se côtoyaient en cette zone du Grand Bazar : sel, poivre, cannelle, clous de girofles, gingembre, curcuma, cumin, et safran. Ici, les marchands étaient parmi les plus riches de la Cité, et ils le montraient : de lourds bijoux d’or et d’argent, incrustés de pierres précieuses ; les soies les plus finement tissées, aux motifs les plus travaillés ; des barbes huilées, taillées, encadrant des visages aimables mais sous lesquels on pouvait deviner la férocité nécessaire à leur fortune. Et, par endroits, on apercevait des gardes aux regards inquisiteurs, la main posée sur la janbiya à leur ceinture, prêt à intercepter le fou qui aurait tenté de dérober une bourse. Tous, dans la Cité, respectaient et craignaient les marchands d’épices. Moins, certes, que les Pirates et leurs Seigneurs. Mais même ces derniers n’auraient pas déchaîné leur ire sur ces riches marchands sans avoir longuement pesé le pour et le contre.

Traversant ce quartier du Grand Bazar, un vieil homme au turban enrichi de chaînes d’or avançait calmement, deux serviteurs quelques pas derrière lui. Il n’avait que peu d’intérêt pour les montagnes colorées exposées sur les étals, mais saluait chaleureusement les marchands qui, tout sourires, inclinaient leurs turbans sur son passage. C’était un homme riche, un homme puissant, mais un homme dépendant de ses protecteurs et patrons : il était le contact privilégié de plusieurs pirates renommés, qui lui confiaient le soin de revendre à bon prix leur butin et de leur procurer tout ce qui leur semblait nécessaire pour leurs futures expéditions. Il avait ainsi accès à des marchandises venant de toutes les côtes de Belfalas, qui approvisionnaient les marchés d’Umbar, et notamment le Grand Bazar. Et, oreille toujours attentive, il informait ses clients des innombrables intrigues de la Cité du Destin, des arrangements discrets en vue de maximiser les profits des hommes et femmes suffisamment riches pour jouer à ce jeu mortel.

Mais aujourd’hui, il n’avait pas à faire dans le Quartier aux Epices. Aujourd’hui, il devait traverser le Grand Bazar pour se rendre auprès des marchands d’esclaves. En cette fin de journée, après tant d’heures sous un soleil de plomb, il ne restait plus que les esclaves les moins chers, des femmes qui iraient peupler les bordels des taudis et des hommes qui finiraient enchaînés au fond des galères pour remplacer la chiourme perdue en mer.

Le Grand Bazar si situait au pied de la colline du Palais, séparant ces quartiers réservés aux puissants des Havres du port et du fourmillement attenant. Au sud-ouest, non loin des quartiers de la Garde du Port, se trouvaient les quartiers aux esclaves. Entourés de hauts murs et patrouillés nuits et jours par la soldatesque engagée par les marchands d’esclaves, ce quartier rassemblait les nouveaux arrivages pour des ventes en gros. Une arène y avait été aménagée pour que les enchérisseurs observent la marchandise humaine abrités du soleil, des rafraichissements apportés par des serviteurs obséquieux.

En cette fin de journée, les gradins étaient désertés : à peine deux ou trois potentiels acheteurs patientaient tranquillement en attendant le début des dernières ventes de la journée. L’homme au turban reconnut plusieurs de ses collègues, l’un étant même connu pour travailler pour l’un des Seigneurs Pirates. Il lui adressa un léger hochement de tête, et s’assit lourdement sur les coussins disposés à son attention. Peu après, les gardes s’activèrent dans le sable de l’arène : ils ouvrirent une porte, et, criant, firent entrer le premier lot. Une dizaine de femmes, visiblement malades et mal nourries, avancèrent en faisant cliqueter leurs chaînes. Elles titubaient. L’homme au turban les regarda avec dégoût, pendant qu’un de ses confrères faisait signe au clerc qu’il les achetait. Il n’y avait généralement que peu de concurrence pour de tels lots : l’offre dépassait régulièrement la demande, même s’il était vrai que suite à la guerre contre le Harondor et avec les multiples raids contre les côtes du Nord, il fallait régulièrement renforcer les chiourmes des fines galères noires.

Plusieurs lots défilèrent, et furent rapidement achetés, avant que l’homme au turban n’ait son intérêt piqué. Une douzaine d’hommes pâles, sans doute des Gondoriens, furent aiguillés par les lances des gardes jusqu’au milieu de l’arène. Ils semblaient visiblement rétifs à l’esclavage, encore fougueux et peu accoutumés aux contraintes de cette vie de servitude. Ils seraient vendus à bas prix, pour peupler les bancs des navires noirs ou trimer au fond de mines, enchaînés les uns aux autres, entourés de gardes lourdement armés. En l’état, jamais ils ne seraient admis à rester dans la Cité : ils risquaient de poser bien trop de problèmes. Il fallait les briser, et tant pis si la moitié en mourait. L’homme au turban jeta un discret coup d’œil à ses concurrents : l’un était déjà parti, l’un semblait inintéressé. Il fit une offre. Et le dernier des hommes présents enchérit par-dessus.

Il claqua la langue : son employeur avait été très insistant sur l’achat de suffisamment de bras pour repartir en mer dès que possible. Aric, ce fou mégalomane qui voulait mettre le Gondor à feu et à sang, avait eu pour mérite de bloquer de nombreux navires de guerre gondoriens dans leurs ports, laissant le champ libre aux pirates pour remplir leurs soutes de richesses innombrables. Mais, pour cela, il fallait attraper les proies les plus rapides, et il fallait donc les bras pour manier les lourds avirons embarqués dans les fines galères et les lourdes galéasses du Sud. Il lui fallait acquérir ce lot. Et même avec celui-là, rien ne garantissait qu’il parviendrait à trouver suffisamment de bras robustes pour honorer la commande de son employeur. Il enchérit de nouveau : il ne pouvait pas laisser passer ces hommes, même s’il risquait d’énerver un rival important. Dans le jeu des affaires, il fallait savoir prendre des risques, et son employeur ne craignait pas les querelles, même avec les Neufs.

Ils enchérirent ainsi tour à tour, jusqu’à ce que son rival cède. Le marchand d’esclaves jubilait : il allait gagner plus d’argent que prévu avec ce ramassis de barbares nordiques querelleurs. Le marchand rival, après avoir jeté un regard noir chargé de menaces à l’homme au turban, quitta l’arène.

L’homme au turban, jetant de temps en temps des coups d’œil aux derniers lots présentés, guère intéressants, finalisa les détails de la vente, et, les remerciements échangés, le thé bu et les pièces passées d’une bourse à une autre, il partit.

*** *** *** *** ***


Il y avait tout d’abord eu les cris et la peur. Puis les coups et la douleur. Puis le froid de l’eau, et l’obscurité de la cale. Puis le roulis, la puanteur des corps entassés les uns sur les autres, du vomi mélangé à la pisse et à la merde. Les bols à moitiés vides de reliquats de nourriture. Les coups des hommes qui, parfois, descendaient s’amuser avec l’une des quelques femmes embarquées. Pendant une éternité.

Et puis l’éternité avait pris fin. Le roulis avait cessé. De nombreux de ses amis étaient morts, sous les coups, de faim, ou de désespoir. Ils ne savaient pas où ils étaient emmenés. Ils ne comprenaient pas les paroles des brutes qui peuplaient ce monstre de bois et de cordes. De temps en temps, ils croyaient déceler quelques mots de Westron dans leur charabia, mais tellement déformé qu’ils ne pouvaient en être sûrs.

Certains, dans la cale, au cœur de la nuit, chuchotaient qu’ils étaient emmenés loin dans le Sud, dans les terribles terres d’Umbar, où vivaient des monstres mangeurs d’hommes et des maisons grises capables de se déplacer seules. Là d’où était venue la terrible armée qui avait, parait-il, ravagé les terres du Sud. D’autres, au contraire, arguaient qu’ils étaient emmenés loin à l’Ouest, au-delà de la mer, pour quelque obscur dessein.

On les fit sortir de ce qu’ils pensaient être leur tombeau. Et la lumière brûla les yeux du jeune Sam. L’éblouit, alors qu’il était poussé en avant. Il se débattit un peu, et la douleur répondit : on lui avait asséné un violent coup de gourdin dans le dos. Il put, après de longues minutes, discerner ce qui l’entourait : il était sur le pont d’un navire noir, amarré dans un immense port, dans une ville si grande que toutes les créatures d’Arda devaient y vivre. Même Minas Tirith, la légendaire capitale, ne pouvait pas être aussi immense, aussi grouillante de monde, d’activité. Il vit, en ces quelques instants, plus d’êtres humains qu’il n’en avait vu au cours de ses seize années.

La chaleur était étouffante. Le bruit assourdissant. Autour de lui, des hommes aux visages durs, à la peau mate, de longs sabres à la ceinture, s’affairaient. On les poussa sans ménagement vers une planche qui descendait sur le quai, et, de là, escortés par ces soldats barbus, ils furent conduits en Enfer.

On les jeta dans une grande cage aux barreaux faits de bois rugueux. Entassés, à quinze ou seize, dans ce minuscule espace ouvert aux éléments. La chaleur le jour, et le froid de la nuit. D’autres cages étaient alignées dans cet endroit, la plupart pleines de pauvres hères qui, comme eux, avaient été arrachés à leurs familles, à leurs maisons, et amenés ici, dans cet enfer sur terre.

Plusieurs jours durant, ils attendirent, entassés. Plusieurs personnes ne supportèrent pas ces conditions, et décédèrent rapidement. Mais Sam s’accrochait, sans savoir comment, à la vie. Eawyn était morte en mer, sous les coups d’un de ses ravisseurs. Plus rien ne le retenait. Même l’envie de se venger l’avait abandonnée : à quoi bon, que pouvait-il faire contre tant d’hommes si forts ? Mais la mort ne voulait pas de lui. Il ne parvenait pas à mourir, et n’avait pas la force de précipiter les choses.

Puis, un jour, ils furent sortis de leur cage, et menés à une grande arène. Là, sous le soleil, ils durent attendre au milieu du sable que des hommes et des femmes plus richement vêtus que les plus riches seigneurs n’emportent leurs nouveaux esclaves, les uns après les autres. Ceux qui n’avaient pas la force de tenir sur leurs jambes étaient battus, et, s’ils ne parvenaient pas à se relever, étaient emmenés ailleurs et plus jamais revus.

Sam resta debout longtemps, passa de nombreuses fois au milieu de l’arène. Mais jamais il ne fut choisi. Finalement, avec une douzaine d’autres hommes, certains particulièrement musclés, qui avaient l’air particulièrement féroces, il fut de nouveau amené au centre de l’arène. Le soleil était plus bas, la fraicheur du soir commençait à se faire sentir. Il n’y avait plus grand monde dans les gradins, par rapport à l’affluence du matin.

Il ne comprit guère ce qui se tramait en haut, mais, il sentit que quelque chose avait changé. Et, lorsque les gardes vinrent les chercher pour les escorter vers leur nouveau maître, il suivit sans résistance…

*** *** *** *** ***


Les torches éclairaient les longs cheveux noirs parsemés de gris, y faisant danser leurs reflets, pendant que Lamia al-Mansûr supervisait le chargement de son navire. La galère, taillée pour la vitesse, embarquait une chiourme de quatre-vingt esclaves enchaînés à leurs bancs, et un équipage d'autant de corsaires des plus aguerris. Ils avaient participé aux pillages du Harondor lors de l’invasion initiée par Taorin, le Chien Borgne. Ils avaient mis-à-sac Methir avec les capitaines Reznor et Yse. Et, désormais, ils pillaient les lourds navires de commerce gondoriens qui osaient s’aventurer en haute mer.

Les derniers raids avaient été fructueux, mais une de leur proie était armée d’une baliste, qui, d’un coup bien ajusté, avait percé la coque et tué plusieurs rameurs à leur banc. Les réparations étaient désormais terminées ; la chiourme, remplacée ; les hommes, remotivés. Et prêts à repartir en chasse.

L’homme au turban arriva enfin, suivi par ses serviteurs, ses gardes et les esclaves. D’un discret signe de tête, elle le fit monter à bord, et, après qu’il eut donné ses instructions à ses hommes, il franchit précautionneusement la passerelle qui reliait le navire à la terre ferme. Il inclina son turban en arrivant près de la capitaine, et prit la parole :
« Capitaine, voici les esclaves que vous avez réclamé. Ils sont, pour la plupart, forts mais encore rétifs aux chaînes. La discipline de la mer les dressera rapidement. Il y a parmi eux un ou deux plus frêles, mais moins récalcitrants : ils pourront vous être utiles pour d’autres tâches.
- Bien.
- Cependant, pour les obtenir, j’ai dû enchérir devant al-Multawia. Mes informateurs m’ont dit qu’il travaillait pour le compte de Sardanapale. Nombreux sont les capitaines qui cherchent à renforcer leurs équipages en vue des péripéties à venir, capitaine al-Mansûr. Et peu aiment voir ce qu’ils considèrent comme leur dû leur être enlevé…
- Peu importe. Il me fallait ces hommes, et tu as bien fait. Et pour le reste ?
- Ce que vous m’aviez demandé... »
Il tendit une liasse de parchemins, que prit Lamia sans regarder le sceau.
« Parfait. Ton serviteur peut aller chercher ce qui était convenu auprès de mon second. Prend garde, et reste les yeux ouverts : j’aurais besoin de toutes les informations possibles lorsque je reviendrais »

L’homme au turban s’inclina, et regagna le quai. Les esclaves avaient été installés à leurs nouvelles places, qu’ils occuperaient pendant les prochains mois. Et, pendant que les derniers préparatifs du départ se terminaient, il jeta un dernier regard vers la capitaine qui, décidément, ne manquait pas de courage…


Dernière édition par Taorin le Mer 3 Mar 2021 - 17:32, édité 3 fois
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Départ nocturne EmptyMer 3 Mar 2021 - 17:24

Voilà plusieurs jours qu’ils étaient en mer, ballotés par les flots sous un soleil de plomb. Pendant que ses compatriotes étaient enchaînés sur les bancs de rames de l’entrepont, le jeune Sam avait échappé à ce calvaire en devenant le serviteur de tout l’équipage, et plus particulièrement du cuistot de bord. Traité avec mépris par tout l’équipage, même par les quelques mousses à bord, et rejeté par les rameurs qui le voyaient comme un traître vendu à leurs nouveaux maîtres, il passait l’essentiel de son temps à récurer d’antiques casseroles et à nettoyer les bancs de rames sous le regard hargneux de la chiourme. Et, lorsque, brisé par le travail, il s’effondrait dans le minuscule cagibi qui lui servait de paillasse, il rêvait à sa vie passée, à sa bien-aimée qui, au moins, ne souffrait plus.

Avant même le lever du soleil, le cuistot le réveillait d’un coup de pied et il se remettait à la tâche, préparant les ustensiles pour la cuisine, nettoyant le sol de bois vermoulu. Il y avait toujours quelque chose à faire en mer, toujours une nouvelle tâche à accomplir. Quelque soit l’heure du jour ou de la nuit, des hommes parcouraient le pont, montaient aux mats, descendait dans la cale. Il y avait tout le temps de l’activité, ce navire était comme une ruche humaine toujours affamée, toujours active. Il ne comprenait guère ce que racontaient ces Mauvais Hommes, ces Suderons à la peau mate et burinée par le soleil. Parfois, ils s’adressaient à lui dans un westron détestable, qu’il comprenait à grand peine. Mais, peu à peu, il assimilait quelques mots de cette langue barbare qui était la leur. Et, en observant les vas-et-viens de l’équipage, il se faisait une idée du fonctionnement à bord du navire. Il avait repéré quelques pirates qui semblaient plus importants que les autres, qui donnaient des ordres et étaient écoutés : l’un était vraisemblablement le forgeron, avec son lourd tablier de cuir épais ; le cuistot, qui régnait en tyran sur sa petite cuisine ; un autre, avec ses bijoux, devait être un officier, peut-être même le second. Et enfin, il y avait cette femme richement vêtue, qui l’avait toisé lorsqu’il était monté à bord en cette nuit tragique. Celle qui semblait commander à tous, et qu’il n’entr’apercevait que rarement.

Dans son univers réduit, sans pouvoir monter sur le pont sous peine d’être violemment battu, limité à la petite cuisine, aux bancs de rame et à son cagibi, le jeune gondorien ne pouvait imaginer ce qu’était ce navire, ce qu’étaient ces hommes armés, durs, violents, qui le peuplaient. Mais il sentait, au fond de lui, qu’il courait au-devant du danger, et que seule la Chance lui permettrait de survivre…
*** *** *** *** ***

Long d’une quarantaine de mètres, le navire fendait les flots. Les voiles latines de ses trois mâts étaient gonflées. Des hommes grimpaient en haut de ses mâts obliques pour manœuvrer cet animal de cordes et de bois. Il fallait un équipage expérimenté pour manier avec adresse un tel ouvrage, des gabiers habitués à grimper à ces mâts inclinés de 45°. Mais, en contrepartie, il s’agissait sans doute d’un des navires les plus agiles des mers du Sud, capable de virer de bord en un éclair, pouvant ainsi semer la plupart de ses prédateurs. Et, même par calme plat, ses rameurs pouvaient maintenir suffisamment de vitesse pour pouvoir rattraper la plupart des gros navires de commerce aux cales chargées de richesses. Bref, s’il y avait bien un navire taillé pour la course et la piraterie, il s’agissait bien des chébecs de ce genre.

Lorsqu’en plus, il était dirigé par un capitaine de talent et un équipage aguerri, il était capable de terroriser les mers et les armateurs murmuraient son nom avec frayeur, priant pour ne pas croiser sa route. Seuls de lourds navires, embarquant d’importantes troupes, pouvaient espérer repousser l’assaut d’un tel navire, qui souffrait alors de son faible équipage et de son faible tonnage.

Ce n’était pas le cas de ce monstre ventru qui était pris en chasse : il ne disposait ni de la vitesse, ni de la soldatesque nécessaire pour le protéger de la faim de ce tigre des mers.

*** *** *** *** ***


Lamia al-Mansûr, capitaine redoutée de l’Aigle Noir, était assise derrière le petit bureau dans sa cabine étroite. De nombreuses cartes y étaient étalées, parfois les unes sur les autres. D’autres parchemins, parfois encore roulés, encombraient le reste de l’espace. Rares étaient les lettrés à bord, et la capitaine avait toute confiance envers ces quelques hommes et femmes qui auraient pu déchiffrer les pattes de mouches tapissant ces papiers. Rares étaient les femmes pirates, et plus encore les femmes capitaines : pour atteindre ce statut, elle avait dû batailler et prouver sa valeur à de nombreuses reprises. Et, ce faisant, elle avait réussi à inspirer d’indéfectibles loyautés parmi ses officiers, des loyautés qui ne se forgeaient qu’en risquant sa vie côte à côte, qu’en se sauvant mutuellement à de nombreuses reprises. Et, même si certains de ses marins n’appréciaient guère être dirigés par une femme, il s’agissait le plus souvent de nouveaux venus attirés par l’appât du gain, et, vite, ils appréciaient à leur tour leur nouvelle capitaine et faisaient confiance en ses talents pour la course.

On toqua à la porte de sa cabine. D’un grognement, elle fit signe d’entrer, et son second pénétra dans la petite pièce éclairée par une étroite fenêtre. C’était un umbarite à la peau mate, de grande taille et aux larges épaules. Une balafre qui courait de son oreille gauche au sommet de ses lèvres lui donnait un air de brute, qui renforçait la cassure de son nez. Néanmoins, on devinait l’intelligence dans ses yeux sombres, agiles, qui ne cessaient de s’agiter. Après plus de vingt années en mer, c’était un marin expérimenté, plus confortable sur le pont agité d’un navire en pleine tempête que sur la terre ferme. L’un de ces marins de talent qui, par chance, avait survécu suffisamment longtemps à cette vie dangereuse pour monter en grade et acquérir la confiance d’un capitaine talentueux. Il était vêtu d’une armure de cuir, et un long coutelas dans son fourreau était attaché à sa ceinture. L’une de ses mains calleuses y était appuyées. Il dût se baisser pour entrer dans la cabine, et annonça :

« On a repéré une proie à vingt degrés babord. La vigie dit qu’elle est basse sur l’eau, comme une vache prête à mettre bas. On pourrait la rattraper avant la nuit, si on se met en chasse. »

Il scruta sa capitaine, en l’attente d’une réponse. A plus de quarante ans, les cheveux de Lamia commençaient déjà à être parsemés de gris. Son visage était taillé à la serpe, son nez busqué. Elle n’était pas particulièrement belle, notamment avec la cicatrice qu’on devinait vers le bas de sa mâchoire, mais il se dégageait une intensité fascinante de ses yeux noirs qui foudroyaient quiconque subissait son courroux. Sans sa traditionnelle armure ouvragée, elle n’était vêtue que de vêtements simples mais de bonne facture. Les manches courtes laissaient voir des bras musclés et parsemés de cicatrices claires sur la peau olivâtre. Elle se pencha en arrière, contre le dossier de sa chaise.

« Parfait. Les informations que j’ai reçues à Umbar étaient juste. Je veux ce navire, et je veux ce qu’il transporte, vite. Nous ne sommes pas loin des côtes du Gondor, et les navires de guerre de Dol Amroth peuvent être dans les environs. Préparez la chiourme, il faudra peut-être sortir les avirons. Et que les hommes fourbissent leurs armes. Nous devrons sans doute faire couler le sang ce soir. »
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Départ nocturne EmptySam 9 Déc 2023 - 18:09

Les embruns lui frappaient le visage. Le lourd navire, les cales chargées de richesses futures, fendait les vagues toutes voiles dehors. Les cris de la vigie, signalant des voiles blanches à l’horizon, avaient agité la fourmilière que pouvait être un navire de commerce. Mais malgré les matelots courant en tout sens, les cris du capitaine et de son second, le passager restait immobile près de la proue, les yeux mi-clos. Depuis qu’ils avaient perdu de vue les côtes, il ne descendait sous le pont que pour ses courtes nuits. Les marins le regardaient bizarrement, ne sachant que penser de cet homme à la barbe hirsute, aux yeux caves, aux mains parfois tremblantes, qui, chaque jour, restait à regarder l’horizon sans un mot. Qui était-il ? Il ne ressemblait pas à ces riches nobles prêts à débourser des fortunes pour traverser les mers, ni à ces riches bourgeois à l’honnêteté douteuse qui faisaient souvent appel à leur capitaine pour fuir rapidement une justice royale un peu trop intéressée par leurs agissements. Mais, bien qu’il ressemble plus à un vagabond sans le sou qu’à un riche marchand, le passager devait disposer de richesses insoupçonnées pour que le capitaine le laisse monter à bord, lui fournissant même une étroite cabine dans le gaillard d’arrière.

Mais l’heure n’était plus aux suppositions sur l’identité de leur passager. Les voiles aperçues à l’horizon se rapprochaient, et le cap du nouveau navire ne laissait guère de doutes quant à ses intentions. Ils étaient encore proches des côtes du Gondor et de la relative protection de la flotte de Pelargir, mais certains capitaines pirates des plus audacieux osaient se faufiler entre les patrouilles pour s’attaquer aux navires ventrus débordant de richesses. Une prise réussie leur apporterait gloire et richesse sur les marchés d’Umbar, permettant à l’équipage de vivre des mois dans un luxe que peu de monde pouvait connaître au nord de l’Harnen. Aussi fuyaient-ils le plus vite possible, changeant de cap pour se rapprocher de la sécurité relative des côtes. Mais, voyant la mine sombre du capitaine, il n’y avait que peu d’espoir d’échapper à une galère taillée pour la course. Déjà, la vigie discernait les avirons qui s’abattaient régulièrement sans éclaboussures, propulsant les pirates et réduisant toujours plus la distance.

N'ayant d’autre possibilité, et voulant épargner à ses hommes les horreurs d’un combat face à un équipage armé jusqu’aux dents, le capitaine fit réduire la voilure, et fit signe de reddition. Aucune frégate gondorienne n’était en vue, la côte était encore à une nuit de navigation, ils ne parviendraient pas à distancer la nef noire. Mieux valait garder le navire, et les hommes à bord en vie.

Le passager se retourna en entendant l’ordre d’abattre les voiles, le regard inquiet. Il quitta le bastingage, et se dirigea vers le capitaine près de la barre.

« Vous vous rendez. »
Ce n’était pas une question. « Je dois me cacher : il me faudrait les vêtements de l’un de vos hommes. »

Le capitaine acquiesça et fit signe à un matelot. Ce dernier disparu sous le pont, et revint rapidement avec du change. Le passager fit un bref signe de tête de remerciement, puis changea rapidement d’habit.

*** *** *** *** ***

L’équipage était rassemblé sur le pont, nerveux. Les pirates les encadraient, sabres dégainés, les regardant d’un air mauvais pendant que leur capitaine (une femme ?!) discutait avec son homologue. Le passager, mêlé à la petite foule des marins, n’entendait pas ce qu’ils se disaient. Sans doute se mettaient-ils d’accord pour ne pas endommager le navire ou prendre comme esclaves les marins, en échange de l’entière coopération de l’équipage pour rapidement transférer les marchandises dans la galère pirate ? Le capitaine du navire était visiblement nerveux. Il suait, ne restait pas en place. Face à lui, la capitaine pirate semblait être une statue, parfaitement maître de la situation. Son sabre était resté dans son fourreau, mais il se dégageait d’elle une aura de puissance qui suffisait à faire taire les protestations de son homologue avant même qu’elles ne soient formulées.

Ils discutaient encore quand un pirate sortit du gaillard d’arrière, s’approcha de la capitaine, et lui souffla quelques mots. Elle se tut, acquiesça d’un signe de tête, et se retourna vers le capitaine, le regard dur.

« Qui est le passager qui se cache parmi vous ? » demanda-t-elle d’une voix suffisamment forte pour que tous l’entendent.
Le capitaine suait désormais à grosses gouttes, lui assurant que non, ils ne transportaient que des marchandises et aucun passager. L’équipage restait muet, nerveux. Les matelots auraient facilement dénoncé leur passager, mais ils savaient qu’ils risquaient gros de la part de leur capitaine si ce dernier estimait qu’il fallait protéger l’homme. Ils attendaient donc un signe, bougeant légèrement, pendant que le capitaine essayait de dissuader les pirates de pousser le sujet. Mais la capitaine semblait décidée, et ordonna à ses hommes de fouiller les membres d’équipage, de les inspecter, pour repérer celui qui essayait de se faire passer pour un marin. Sans doute espéraient-ils pouvoir en tirer une bonne rançon, se dit le passager, nerveux. Il savait qu’il ne ferait guère illusion, avec son allure chétive, sa barbe hirsute, ses cicatrices et son œil manquant. Mais il n’osait se dénoncer.

Les pirates commencèrent à séparer les marins, à les inspecter et à les fouiller, pendant que la capitaine se montrait de plus en plus insistante auprès de son homologue. Finalement, un pirate attrapa le passager, et le tira en avant après l’avoir dévisagé.

« Capitaine, il y en a un bizarre ! »

Le passager se fit traîner sans ménagements devant la capitaine pirate. Elle se retourna vers lui, et, après plusieurs secondes, il vit ses pupilles s’écarquiller, puis un sourire se dessiner.

« Bienvenue, capitaine Taorin. »
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