Gurdann avait donné ses directives avec l’aplomb d’un véritable officier malgré son rang officier théoriquement égal à celui de la jeune recrue. Cependant, dans les situations les plus critiques, l’expérience dépassait tous les grades et galons.
Farmli disparut donc dans la pénombre alors que Cœur-de-Chêne prenait position derrière un muret. Quelque seconde plus tard, le jeune Garde réapparut, accompagné d’Oboron. Ce dernier n’avait pas perdu un instant pour se lever et s’armer afin de venir en aide à son ami de toujours. Cependant, nulle trace de l’ingénieur.
“J’ai bien tenté de le réveiller mais il m’a gentiment rétorqué d’aller me faire voir. Il a mentionné une histoire de contrat et d’une exemption de tour de garde passé minuit. Pas très bien compris mais il avait l’air peu enclin à nous épauler et quelque peu irrité d’avoir ainsi été dérangé dans son sommeil.”Les trois soldats échangèrent un regard circonspect; ils allaient devoir faire sans la fameuse arme de Waldrum pour identifier la nature de la menace. Une menace d’ailleurs bien discrète. Depuis les deux bruits entendus par Gurdann, un silence absolu avait régné et dans l’obscurité ambiante il était quasiment impossible de distinguer ce qui pouvait bien se passer en contrebas. Les guerriers nains décidèrent donc de descendre de la tour de guet pour essayer d’y voir d’un petit peu plus près. Gurdann, hache dans une main et torche dans l’autre, prit les devants du petit groupe.
Farmli suivait de près tandis qu’Oboron fermait la marche, le regard tourné vers l’arrière, et se tenant prêt à couvrir ses partenaires.
Ainsi, ils s’engouffrèrent dans les profondeurs du précipice; là où les ténèbres étaient si présentes qu’ils en devenaient presque palpables. Par plusieurs fois, la flamme de la torche vacilla et manqua de s’éteindre, agressée par une obscurité qu’elle ne pouvait percer. La silhouette de la forteresse de Zahar-Bâzan avait presque complètement disparu et ne se résumait qu’à une ombre qui dominait avec splendeur le gouffre béant dans lequel ils se trouvaient à présent. Ils évoluèrent donc dans cet environnement inquiétant pendant de longues minutes, en quêtes d’indices ou d’informations sur un quelconque danger qui pèserait sur le groupe; en vain. Fausse alerte… Sûrement un animal qui s’était perdu dans les galeries souterraines…
“Bon il n’y a rien alors rentrons…” Mais c’est au moment où ils s'apprêtaient tous à rebrousser chemin qu’un nouveau tintement métallique se fit entendre, cette fois plus clair, plus proche. Beaucoup plus proche.
Un sifflement brisa le silence de plomb. Une flèche déchira le voile de ténèbres.
Farmli poussa un cri de douleur et tomba au sol en se tenant l’épaule. Une flèche sombre et courte fichée dans son articulation. Puis il y eut des cris, des glapissements stridents qui se multipliaient autour d’eux sans qu’ils ne puissent voir avec certitude d’où leurs ennemis arrivaient. Mais à en juger par leurs voix criardes, ils étaient nombreux.
En voyant la jeune recrue qui se tordait de douleur au sol, Gurdann Cœur-de-Chêne se précipita pour l’aider à se relever avant qu’il ne soit trop tard mais il fut coupé net dans son élan par une ombre bossue qui se jeta sur lui depuis la paroi. Le Garde de Fer, surpris, chuta et en lâcha sa hache.
Le Nain et le Gobelins roulèrent au sol et un corps-à-corps s’engagea. Véloce et étonnamment puissant au vu de sa modeste taille, la créature saisit Gurdann à la gorge et serra de toutes ses forces. Les griffes acérées s’enfoncèrent dans la chair et bientôt le sang qui s’écoulait donna une teinte ocre à la barbe du guerrier qui avait de plus en plus de mal à respirer. Il pouvait tout tenter mais le gobelin ne lâchait pas prise malgré les innombrables coups reçus. La vision de Gurdann commençait à se troubler et ses muscles à faiblir. Plus loin, Oboron était aux prises avec deux autres ennemis et ne pouvait rien pour son ami.
Il fallait dorénavant un miracle à Cœur-de-Chêne pour se sortir de cette situation.
Un miracle qui prit la forme d’une petite hache comme tombée du ciel de façon providentielle. Elle vint se ficher dans le crâne de la créature avec un craquement sinistre. Après un dernier gargouillis répugnant, le gobelin tomba au sol et lâcha son emprise.
Quelques mètres plus loin se dressait fièrement Boldur, armes en main. L’officier n’avait pas raté sa cible. Il s’approcha de son subordonné en lui tendant la hache qu’il avait lâché un peu plus tôt.
“Des éclaireurs gobelins! Debout soldats! Il nous faut remonter à la forteresse et tenir! Gurdann! Prenez les devants!”
Les trois gobelins qui les avaient agressés avaient été neutralisés mais nul doute que le sentier qui remontait jusqu’à Zahar-Bâzan était rempli de mauvaises surprises. Déjà des ombres menaçants se mouvaient devant eux pour les empêcher de rallier le reste du groupe.
Et il revenait à Gurdann de tracer leur route, à coups de hache s’il le fallait.