Cette petite promenade dans le soir tombant était après tout fort agréable. L'air frais qui dévalait les pentes des Montagnes Blanches éclaboussait le visage de
Mikhaïl qui, nonchalant, avançait à son rythme à la suite de ses nouveaux amis --enfin amis... à vrai dire il ne se souvenait du nom d'aucun-- qui le devançaient déjà d'une dizaine de mètres. Au fur et à mesure de leur ascension, l'écart se creusait, et parfois le petit groupe disparaissait du champ de vision du jeune bambin au coin d'un rue. Bien sûr, il voyait les signes qu'on lui adressait pour lui intimer de se dépêcher. Mais Monsieur n'en avait cure. Il ne voyait aucune raison de se dépêcher. Les morts n'allaient tout de même pas s'envoler. D'une part parce qu'ils étaient justement morts, et d'autre part parce qu'ils étaient emprisonnés sous de lourdes dalles de pierre. Alors celui dont les "doigts de la mort" gardaient ce fameux livre pourrait bien patienter un peu. Il ne devait plus être à quelques minutes près.
Devant, il y eut de l'agitation. "Il pleut des cailloux!" entendit crier le treinard, qui de prime surpris, constata en effet que des projectiles jaillissaient d'un taillis non loin. L'un des apprentis enquêteurs brandit une dague et mit en fuite le perturbateur, sous les réprimandes de la fille au chat ("Pépite" se rappela
Mikhaïl) et de la grande.
Le petit Rhûnien était un peu étonné de leur réaction. Bien sûr, un dague pouvait être très dangereuse. Le garçonnet ne se souvenait que trop de l'épisode où sa mère, l'ayant surpris en train d'examiner le plus long couteau de cuisine de sa collection, lui avait pris des mains l'objet avec des cris de colère (et de peur, pensait l'enfant, bien qu'elle ne l'ai pas montré). Elle l'avait grondé et il avait appris qu'il aurait pu se faire très mal. A cause du ton de sa voie, Makhaïl l'avait cru, sans en comprendre vraiment la raison. Il y avait bien une partie en bois qui ne coupait pas et qui servait à tenir la lame sans se couper, alors où était le danger pour celui qui le tenait? Il s'apprêtait à le lui demander, mais à ce moment son père était arrivé et lui aussi s'était mis à crier, ce qui avait ôté toute envie à leur progéniture de poser sa question.
Donc un couteau pouvait apparemment être dangereux pour celui qui le portait et causer des ennuis d'après la grande. Mais les cailloux n'étaient-ils pas encore plus dangereux? Heureusement, l'inconnu ne savait pas très bien visé et n'avait pas beaucoup de force, mais avec un peu de chance ou de malchance, une des pierre aurait pu toucher un oeil et une tête avec assez de force pour faire du mal. C'est ce qu'avait empêché l'enfant à la dague en intervenant. Alors était-il à blâmer? Après tout, peut-être que celui qui s'était caché ne pensait pas vraiment à mal, et alors il ne méritait pas d'être menacé de la sorte.
Plongé dans ses pensées,
Mikhaïl n'avait pas remarqué qu'il avait rejoint le petit groupe, et même dépassé. Il était à l'entrée du cimeterre. Le crissement qu'il affectionnait tant du gravier sous ses pieds l'avait ramené à la réalité. Il regarda autour de lui. Le lieu était conforme à ses souvenirs : de longues rangées de pierres parfois gravées, parfois décorées, parfois nues, devant lesquelles avaient été déposés des fleurs resplendissantes, ou autrefois resplendissantes et maintenant fanées, ou autrefois fanées et maintenant disparues.
Bon. Et maintenant? Que se passait-il?