Quand les ombres bougent

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Douleur sursauta. Régulièrement, elle s’effrayait des visions que lui transmettait l’Orbe d’Omniscience. Combien de fois ne confondit elle pas d’innocents voyageurs de la cité Blanche pour Silence, ou un des autres officiers disparus ? Répétant sans cesse ses erreurs, les autres mercenaires devenaient las de ses ordres qu’ils considéraient comme des caprices de jeune fille.
A l’époque, Douleur avait été promue chef de la ligue car elle était la plus gradée. La hargne qu’elle avait déployée pour traquer les disparus avait convaincu ses camarades qu’elle serait une digne successeuse. Sa politique avait cependant rapidement tourné à l’obsession et la difficulté de la tâche se firent sentir physiquement par la jeune femme qui, plus que jamais, méritait bien son pseudonyme.

L’avait elle de nouveau rêvé ? Le temps rongeait lentement sa foi, celle-ci même qu’elle avait érigée afin de se protéger du chagrin de la perte de ses meilleurs amis. Usée, parfois proche du délire, Douleur cédait de plus en plus souvent à la dépression.
Bien que son grade était respecté, les autres Griffes se démenaient pour gérer au mieux toutes les activités qui occupaient la ligue et la gardait unifiée. Chacun vivait la perte de leur élite du mieux qu’ils le pouvaient, certains essayaient de l’oublier et d’aller de l’avant tandis que d’autres comme Douleur restaient prisonniers du passé.

L’Orbe roula lentement sur le parquet suite à mouvement de rejet par la main tremblante et délicate de la mercenaire. Elle ne désirait plus voir la vision. Elle ne pouvait plus la supporter plus longtemps.
Au même moment, la porte s’ouvra... Le nouvel arrivant stoppa volontairement l'objet de son pied. En voyant l’air misérable de sa capitaine, il pencha sa tête vers le sol et plongea son regard dans les images brumeuses que projetait l'orbe…
Il cligna volontairement des yeux plusieurs fois devant la vision avant que celle-ci ne de dissipe.

- Je… Quand tu auras un moment, je crois qu’il faudrait que nous discutions, Douleur...

Ronfleur ramassa l'orbe et la posa sur le meuble le plus proche avant de fermer la porte derrière lui.

Avec une certaine hâte, deux mercenaires prirent selle et filèrent en direction de la Grande Porte. C’était Douleur et Ronfleur, deux des plus hauts gradés. Une délégation spéciale avait été offerte à Chimère pour prendre le commandement en l’absence de la capitaine, information transmise bien sur à la commanderie du Gondor qui les employaient. Chimère n’était pas très bien gradée ni bien vue par ses paires, mais le fait qu’elle était une des rares femmes de la ligue avec Douleur avait dut grandement jouer pour qu’elle reçoive cette promotion temporaire.

Voilà bien longtemps que Douleur n’avait montrée autant de concentration à l’égard d’une tâche autre que la contemplation de l’Orbe d’Omniscience. Certains d’ailleurs étaient surpris de ne pas la voir partir avec, ou du moins essayer... Les pouvoirs de l’Orbe représentant un atout tactique majeur pour la défense du repaire faisait que nul n’aurait voulu la voir disparaître.
Sans autre explication, le duo était partit de la Veille Bâtisse, feignant de n’avoir de temps à perdre. Nul n’avait osé insister devant le regard sévère et foudroyant de la Capitaine qui semblait en vouloir à tout le monde. En raison de ses récurrents sauts d’humeurs, nul n’avait imaginé que son attitude pouvait avoir un lien avec sa soudaine mission...

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Voilà un bon quart d'heure qu'une silhouette observait de loin la veille Bâtisse. L'Innocent, depuis sa caravane postée juste devant, devait subir cette présence depuis bien trop longtemps à son gout... Pourquoi cette personne ne pouvait elle pas faire quelques pas de plus, histoire qu'il puisse au moins deviner les contour de son visage : ce n'est pas une cape qui l'empêcherait de déchiffrer l'identité de quelqu'un rien qu'à ses yeux, pour peu qu'il la connaissait déjà. Agacé, il commençait à se demander si cette figure espionne ne faisait pas fuir ses clients... Comme s'il en avait souvent...

Il cracha alors un flot d'injures envers l'inconnu, espérant bien voir une réaction... Mais au lieu de générer un départ, il eut droit à un rapprochement intime sans formule de politesse : en quelques instants, la silhouette lui avait foncé dessus, le prenant sous sa garde. Alors qu'il n'avait qu'à peine touché le pommeau de son épée, une paire de griffes de combat était apparu sous son menton et le força à relever la tête. Des gouttes de sueur perlèrent le long de son visage tandis qu'il découvrait le visage de son agresseur qui baissa le voile le masquant.

- Ahhh... Quelle surprise... Héhé... Salut, Venin...Toujours un plaisir de te revoir... Fit l'Innocent tout en se forçant à sourire.


La Moriquendi souria en coin, visiblement satisfaite de sa prestation et d'avoir fermé le clapet à son insolent frère d'arme.

- Me voilà de retour, oui. J'ai pris congé de mes obligations à Umbar pour revenir dire bonjour à la famille. Où est Douleur ?

- Ohh... Et bien... Humm... Tu l'as tout juste ratée, c'est dommage, je t'imaginais bien lui faire un gros calin à ta copine... Par contre, j'espère que tu sauras nous trouver une excuse crédible pour ton absence à Umbar, quand je t'y avais vue l'an dernier tu semblais dépasser par les évènements héhé...

- Très drôle. Les temps ont changés. Et ce sera le cas ici aussi.

Repoussant son camarade mercenaire, Venin entra sans précaution dans la veille Bâtisse. En oubliant de toquer, elle fut intercepté par une recrue qui ne l'avait jamais rencontré dut à ses longues absences et s'embrouilla quelques temps avec elle. Il la menaça d'aller en parler à Chimère qui était au commandement pendant l'absence de Douleur. Cette nouvelle rendue folle de rage l'elfe qui était en de très mauvais termes avec la bretteuse. Elle sortie en vociférant des mots Haradrim, scène qui amusa grandement l'Innocent qui bien sur ne fit rien transparaitre quand à ses émotions : personne n'avait vraiment envie de s'embrouiller avec Venin.

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Venin, en plein débat animé avec l’Innocent, juste devant la Veille Bâtisse, tentaient par la force de leurs arguments à convertir leurs autres camarades à leurs points de vues singuliers. Le sujet de la conversation semblait être particulièrement important et le voisinage s’émerveilla discrètement derrière leurs volets rabattus de voir autant de mercenaires en dehors de leur repaire, à croire qu’il n’y avait plus personne à l’intérieur de celle-ci… La moriquendi semblait néanmoins dominer le débat vu son temps de parole et la confiance qui émanait de sa personne.

- Tu peux tourner cela de n’importe quelle manière, les faits sont ainsi, une délégation ne peut affectée qu’un gradé inférieur. Elle est donc nulle vis en présence de membres plus hauts gradés. Peut être qu’au lieu de ramener des babioles sans intérêt et aurais réellement servis la ligue, aurais tu pu monté en échelon… Notre inimité ne doit pas enfreindre le travail des Griffes, ce n’est qu’un heureux hasard que je sois la plus haut gradée présente…

Devant la Veille Bâtisse, les fidèles descendants des Griffes d’Ammoth étaient rassemblés pour entendre les exhortations de Venin à l’élire comme nouvelle chef temporaire. Quelques torches jetaient leur éclat diffus sur cette étrange cérémonie. L’amalgame de visages impatients et leur brouhaha incessant conférait à la scène un air chaotique qui ne saurait aboutir à une paisible conclusion.

Face à eux, un trio apparu entre les habitations, s’avançant en une silencieuse procession vers la Bâtisse. Quelques uns les aperçus, troublant Venin qui n’appréciait pas de perdre l’attention de ses camarades. Elle fut néanmoins forcée de les imiter quand l’un des mercenaires s’écria :

- Regardez, Douleur et Ronfleur sont de retour… Et… Par Eru, serais-ce Silence ?

- Incroyable, c’est bien lui ! Les années l'ont sévèrement marqués depuis le temps, ses cheveux sont grisonnants…

- Taisez vous, les voilà…



Comme ensorcelé, Venin resta pétrifié. Et, à cet instant, le regard de Silence se porta sur elle. Toute envie de réagir se liquéfia quand ses yeux éclatants comme la lave d’un volcan la pénétrèrent et ses lèvres s’écartèrent à peine, le souffle coupé. Elle ne savait quoi dire et ne l’aurait pu, même si elle le voulait.
La Moriquendi paru damnée et tous s’attendaient à la voir disparaître en fumée tel un mauvais sort que l’on dissiperait. Hésitante, elle prit soudainement conscience de la multitude de regards qui étaient tournés vers elle et comme s’ils étaient une forêt de lances, la firent reculer.

- Tu ferrais bien de disparaître, oui… Conseilla Douleur, qui prit le rôle de juge et bourreau à la fois, déclarant sans détour ses véritables intentions vis-à-vis de sa « camarade ».

Le visage mince et ascétique de Silence resta vide de toute expression. Les yeux sinistres étudiaient le visage de Venin et semblaient fouiller les tréfonds de son âme. Il y détecta toute son ambition, une faiblesse facilement exploitable. Il souri alors finement d’un air de triomphe lorsqu’il capta et retint le regard de l’elfe qui malgré la découverte de son complot se retenait tant bien que mal de fuir, tiraillé par la rage de l’échec et la peur des représailles. Mais au fond, les Griffes d’Ammoth étaient une grande famille et elle pu partir sans craindre d’entendre une corde d’arc vibrer dans son dos.

L’attention de la troupe de mercenaire revint alors vers leur capitaine historique. Pendant un long moment, les yeux sombres de Silence tinrent en respect chaque homme qui n’osèrent prononcer le moindre mot, comme si une simple clignement de sourcil aurait pu briser ce charme étrangement adéquat. Le longtemps disparu capitaine et stratège de l’armée du Gondor brisa néanmoins cette emprise surnaturelle en détachant tout simplement son regard de l'assemblée. Puis, moitié pour lui-même, il parla :

- Me voici de retour, remerciez Douleur de m’avoir trouvé à temps et…

D’un regard étrangement distrait, Silence chercha alors quelque chose aux alentours, pour ne découvrir rien que d’autres spectateurs muets : une multitude de crébains sur les toits.

- Et… Je suis heureux d’être à nouveau chez nous.

Sans un mot de plus, Silence se dirigea vers la Bâtisse, les mercenaires s’écartant instantanément de son chemin, n’osant le féliciter, l’acclamer ou tout simplement l’accueillir, tant sa présence semblait étrange et irréel. Bien consciente de ce gêne, Douleur prit l’initiative de leur expliquer l’état d’amnésie dans lequel ils avaient trouvés leur capitaine, qui n’était d’ailleurs pas entièrement guérit. Des regards inquiets s’échangèrent alors quand ceux qui croyaient enfin voir le soleil apparaître au bout du chemin ne découvrirent qu’un nouveau défi à surmonter. Pour la veille équipe, aider leur ancien capitaine à surmonter son handicap était néanmoins une mission digne d’intérêt, au moins par respect pour l’un des leurs. Pour les nouvelles recrues qui n’avaient jamais rencontre ce personnage, ils restèrent troublés de cette première impression, les critiques de Venin encore trop frais dans leurs esprits semblaient plus réelles et pertinentes que ce sinistre revenant qui n'avait rien de familier…

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Douleur fixa avec insistance les papiers officiels, seuls ses sourcils froncés laissaient présagés l’intense état de réflexion dans lequel elle c’était renfermé.
Un peu plus loin, Ronfleur la fixait, inquiet quand à la suite des évènements : En tant que capitaine, Douleur se devait de mener le gros des Griffes au combat. Silence, bien que de retour, était encore officiellement considéré comme un déserteur, le laisser reprendre le commandement aurait servit d’annonce assez maladroite voir insultante envers l’administration de l’Arbre Blanc…

- Il faudra bien leur annoncer tôt ou tard son retour. Que ce soit ici ou sur le champ de bataille n’y changera pas grande chose. Fit remarquer Ronfleur.

- Annoncer son retour à nos employeurs serait comme promettre à Silence un retour à ses anciennes fonctions… Vis-à-vis de nos hommes, ce ne serait pas correct… Son amnésie disparaît bien trop lentement.

- Invitons alors l’Intendant, afin de lui expliquer la situation et lui présenter Silence en chair et en os. Ils prendront par la suite les décisions de leur choix, je doute qu’ils mettent fin à notre contrat pour ce prétexte. Au pire des cas, ils émettront le désir de l’interroger, ce qui sera forcément vain…

- D’accord, mais j’ai besoin que tu t’en occupes aujourd’hui même. Car tu prends tu seras le chef de la maison en notre absence. Nous partirons avec le reste de l’armée cette après midi. Fait attention à toi…Ne te laisse pas surprendre par nos ennemis dans ce moment de faiblesse. Je te laisserais quelques hommes.

Ronfleur opina sans conviction. Ses nouvelles responsabilités n’allaient pas faciliter ses enquêtes actuelles et surveiller Silence n’y arrangerait rien.

Malheureusement pour eux, ils ne s'attendaient pas à ce que l'Intendant ne revienne pas de cette campagne militaire... Ce qui leur forcerait à garder ce secret encore plus longtemps.

~~~~~~ (Nouvelle scène. An 300) ~~~~~~

- Tu l’as vu ? Demanda Ronfleur d’un ton pressant.

- Oui… C’est étrange, en un an, je ne l’ai jamais vu si alerte, il semble s’être réveillé, d’avoir enfin prit conscience de quelque chose… Tu as essayé de lui parler ? Rétorqua Douleur, visiblement aussi concernée que son frère d’arme.

- Parler ? Ha !... Non… Il n’est pas plus enclin à la discussion que d’habitude, il nous parlera quand cela l’arrangera j’imagine…

Comme pour prouver cette déclaration, Silence s’approcha du duo qui se tut instantanément et qui l’observaient depuis déjà dix minutes d’un regard plein de curiosité.

- Je sors. Déclara sèchement Silence.

- Quelque chose me dit que ce n’est pas pour une visite de courtoisie… Se permis de supposer de Douleur, n’exprimant aucune ironie.

- Je dois m’absenter plusieurs jours.

Ronfleur et Douleur s’échangèrent un regard. Ils ne s’étaient toujours pas fait à l’indépendance que se permettait leur ancien capitaine, bien qu’a cause du respect qu’il inspirait de par son rôle dans le passé, il était rarement contrarié de contre-ordres. Cette fois ci ne ferrait pas exception.

- Seul, j’imagine ? Enquérit Douleur, naturellement suspicieuse.

Silence hocha simplement de la tête en guise de réponse, prouvant à nouveau pourquoi il portait ce pseudonyme. Douleur autorisa son confrère au départ en l’invitant d’un geste ample du bras à prendre le chemin de la sortie de leur repaire. Sans un mot de plus, Silence ramassa un de toile bien remplit qui laissait suggérer qu’il comptait bel et bien voyager et pas simplement vagabonder en ville.



Quand il disparu enfin, Douleur et Ronfleur reprirent leur conversation, sans pour autant changer de sujet, planifiant cette fois ci un moyen de surveiller l’ex-capitaine dans sa mystérieuse expédition...

A l'extérieure, on pouvait attendre la population de crébains, qui occupaient toujours le toit de la bâtisse, croassé bruyamment en l'honneur du départ de Silence.
Cet en ce jour enfin, que les volatiles quittèrent enfin les lieux, accompagnant le ténébreux mercenaire. Ce n'est que plus tard, en remarquant à quel point le quartier était devenu plus calme, que Douleur comprit enfin que ce jour n'était pas anodin...