Un cavalier solitaire

Au fur et à mesure que l'ambassadeur avançait vers l'Est, le payasage se faisait de plus en plus monotone, ainsi que le ciel se dégageait de plus en plus, le dévoilant, éclatant de blancheur* dans le ciel d'encre : la lune. L'herbe rase était foulée au rythme du martèlement des sabots de la jument. Jamais une irrégularité sur l'horizon, si bien qu'il eut été facile de dévier dans la mauvaise direction si les étoiles étaient cachées.

A vrai dire, Sombre-chêne n'avait aucune idée de ce qui l'attendait. Le Rhûn restait pour lui une contrée mysterieuse et il n'avait qu'une vague idée de l'attitude à adopter. Quoi qu'il en soit, il devrait s'adapter pour que les souverains acceptent d'aider les elfes, ou du moins de ne pas les attaquer. Mais si l'enjeu était si important aux yeus du général, il devait l'être pour d'autres, et la concurrence était sans doute déjà existante? Il faudrait être fin pour convaincre le roi de Rhûn, et l'ambassadeur espérait l'être.

Au bout de plusieurs heures de chevauchée, Sombre-chêne accorda une pauseà sa jument, ce qui fut également une occasion pour lui de prendre un peu de repos et de se restaurer. Hautes dans le ciel, les étaoiles brillaient.

Deux autres journées de voyage se succédèrent ainsi, monotnes. Le seul changement visible à l'horizon fut une barre noire à l'Est qui grossissait sans cesse : Les Montagnes de Rhûn où devait se trouver Blankânimad, destination finale de l'ambassadeur. Derrière s'étendait la Mer de Rhûn, la plus grande des deux mers interieures de la terre du Milieu.

Le sol, durci par le frois, rendait inéagréable la chevauchée. Mais si cela pourvait déranger Niphredil, c'était bien le plus mineur des soucis de son cavalier. En fait, ce n'était pas exactement vrai, car Sombre-chêne laissait vagabonder, comme à son habitude, ses pensées. Et le temps passa.

La dernière journée de voyage se profilait. Il faudrait encore compter la nuit d'après avant d'arriver à destination, puis le soleil se leverait sur un jour décisif.

Le voyage de retour... vers où? Sombre-chêne devait-il aller vers la Forêt Noire pour voir ce qui s'y passait depuis son départ? Idée alléchante, mais seulement d'un point de vue d'intérêt propre. Sa tâche désormais, était de transmettre les informations qu'il avait obtenues aux personnes qui sauraient le utiliser au mieux. Les seigneurs de la Terre du Milieu, et principalement celui des elfes, le prince Erumelgos. Mais où était-il? Il était parti à Minas Tirith se souvenait l'ambassadeur. La destination semblait toute désignée, et même si Ristor était déjà reparti, ce serait l'occasion de parler avec le Roy Méphisto ou son intendant Radamanthe.

Quelle route suivre? La plus directe passait par l'Ithilien du Nord pour ensuite traverser l'Anduin à Osgiliath. La veille, Sombre-chêne aurait emprunté cette route sans hésiter, mais après ce qu'il avait entendu... Il se rapprochait énormément du Mordor, et il ne pouvait savoir jusqu'où le mal s'était déjà répandu. Morgoth était-il réellement de retour? l'ambassadeur se prit à imaginer des scénarios catastrophes : Minas Morgul reconstruite, la cité Blanche en feu...

L'elfe secoua la tête. Il n'avait pas le choix, il fallait couper au plus court. Et peut-être aurait-il la chance de rencontrer quelque uns des elfes amenés dans le Sud par Legolas?

Le Soleil baissait déjà à l'horizon. le temps avait bien plus long qu'il ne l'avait imaginé dans le palais. Mais il n'était pas fatigué, et Niphredil avait pu se reposer durant sa "visite". Il voyagerai de nuit, utilisant les étoiles pour se guider, seul repère dans cette immense plaine vide de toute vie. heureusement, les nuages qui voilaient le soleil tantôt n'étaient que bloqués par les Montagnes, poussés par un vent d'Ouest. Le ciel vers le Sud était donc clair.

La chevauchée débuta, rapide, sans aucun obstacle.

Deux jours passèrent, exactement identiques à ceux du voyage aller de l'ambassadeur. Même décor, mêmes conditions météorologiques, mêmes heures de chevauchée, même vitesse. Sombre-chêne se nourrissait du produit de sa chasse et buvait le reste d'eau que contenait sa gourde : il n'avait de réserve que pour deux paires de jour encore. Juste le temps d'arriver en Ithilien pour refaire ses réserves.

Le seul détail qui nuançait avec le voyage aller était la barre sombre au sud qui ne cessait de grandir : les contreforts du Mordor, murailles naturelles infranchissables que les Seigneurs Noires avaient su utiliser à leurs obscurs desseins. Les Monts Cendrés. Etrange nom quand on s'y attardait, presque poétique. Cette appellation, qui faisait invariablement penser l'elfe au héron cendré, était-elle due aux résidus de pierres expulsées haut dans les airs par Ordoruin et venue se déposer sur les montagnes? Après tout, c'était possible, quand on considérait que la partie sur de la chaîne s'appelait les Monts de l'Hombre et qu'ils étaient trop éloignés de la montagne de feu pour voir leurs sommets couverts des même roches. C'était peut-être pour cela qu'ils portaient un nom différent...

On aurait pu longtemps philosopher sur les nombreux noms donnés à des lieux, des villes ou des personnes, et l'ambassadeur, sans qutre occupation s'y perdit.

Après encore deux jours interminables, le Dargolas apparut.

Le Dargolad, cette plaine où toute dissimulation était impossible, même avec des capes elfiques. Juché sur sa jument noire, l'ambassadeur devait être visible à plusieurs lieues à la ronde. D'un autre côté, il en était de même pour tout observateur, et les yeux perçants de Sombre-chêne ne voyaient que la monotonie de se gravier. Au Sud Est, les vestiges de l'antique Porte Noire. Des tours en ruine, des murailles effondrées, seul vestige de l'unique entrée en Mordor à l'Ouest, au Sud et au Nord. Plus loin encore, une petite colline de pierre : Barad-Dur. Mais seulement un amas de pierre? A cette distance on pouvait croire voir de murs qui s'élançaient vers le ciel... ou peut-être le voyait-on parce que, mûri par les information apprises en Rhûn, on voyait certaines choses naquies de la peur. Et finalement, au fond, une montagne éventrée. Orodurin, voilé par de lourd nuages sombres... trop sombres.

Par l'étroitesse de l'ouverture, le spectacle ne dura pas longtemps, même si l'elfe, qui désormais longeait les Montagnes de Mordor, ne pouvait su'être oppressé. A sa droite, les Marais des Morts et derrière, l'inquiétant Emyn Muil, dernier refuge sûr des elfes.

Mais une vue réconforta l'elfe : les forêts accueillantes de l'Ithilien, domainede elfes et des descendants de Faramir. Les feuilles jonchaient le sol, les arbres étaient à nu. Et pourtant, même cette vision plut à Sombre-chêne. Il s'arrêta près d'un ruisseau dont les bords étaient gelés. Il remplit sa gourde de l'eau glacée qui ruisselait joyeusement dans la petite pente pendant que Niphredil lapait l'eau goulument.

Et la route reprit. A son grand dam, l'ambassadeur ne rencontra personne. Seulement quelques rares oiseaux assez braves pour combattre le froid et briser le silence de leur chants. Un renard également, qui le museau collé contre le sol avançait à la recherche d'un repas.

l'avancée était rapide, en effet, après la chute de Sauron, les nombreuses routes qui parcouraient la terre du Milieu avaient été réaménagées, et y circuler y était devenu facile, si bien qu'il suffit d'une seule rude journée de voyage à l'ambassadeur pour arriver à Osgiliath.

Les rues animées, les cris des marchands qui s'élevaient au-dessus d'un brouhaha incessant. La vie en plein essor par cette matinée d'hiver. L'elfe, pour éviter la marée humaine qui se grouillait dans Osgiliath, avait été tenté de la contourner, mais n'avait pu résister à la tentation d'y pénétrer, et ce pour la première fois. Sombre-chêne avait beau s'en être approché lorsqu'il était parti sur Le Villageois pour rejoindre Gar Thulion, son état de semi-conscience ne lui avait pas permis de la contempler à sa juste valeur. La seconde ville du Gondor, détronnée par Minas Tirith. Ses dômes, ses maisons, ses ponts avaient été reconstruits, pour qu'elle puisse brûler d'un éclat nouveau. Pari réussi.

Les yeux de l'ambassadeur voyageaient d'une boutique à une autre, d'une maison à une taverne, pour ne jamais s'arrêter. Il avançait lentement, noyé dans le flot du peuple. Quelques paires d'yeux se levaient parfois sur lui, intrigués par cet elfe inconnu. Si certains le reconnurent pour avoir combattu aux champs du Pelennor contre l'attaque mystérieuse des Haradrims, ils n'en montrèrent rien.

Une fois sorti de la cité, Sombre-chêne reprit de la vitesse et atteint sans encombre les champs du Pelennor après avoir franchi le mur qui les protégeaient. La plaine portait encore les séquelles du combat qui avait eu lieu : l'herbe foulées, la terre salie et les traces des brasiers qui avaient consumés les corps des envahisseurs.

Le voyage s'acheva là, aux portes de la Cité Blanche. Un nouveau chapitre allait s'ouvrir devant celles du palais.