Où tout commence...

Ils étaient trois à marcher sur le sentier tortueux qui menait à leur logis, à leur cité, à leurs compatriotes de la ville-forteresse de Tronjheim. Trois frères, trois éclaieurs, trois solides frères d'armes que rien ni personne, semblait-il, ne pourrait séparer.

On les avait envoyé pour une banale mission de reconnaissance non loin des ruines de l'ancienne cité de Belegost, et comme à l'habitude, il n'y avait presque rien à signaler: la routine, la monotonie, le calme. Rien ne semblait troubler ces trois choses, à part peut-être un ou deux Orques entr'aperçus parmis les pierres, tout à l'heure. Car en règle générale, les Gobelins se tenaient tranquilles et ne songeaient guère à chercher les ennuis. En vérité, ils avaient renoncé depuis longtemps à une attaque sur Tronjheim... trop secrète, trop à l'écart, trop inexpugnable: la Cité Naine des montagnes Bleues n'avait rien à craindre.

Or donc ces trois acolytes gravissaient le chemin qui franchissait le dernier col à passer avant de revoir le feu chaleureux des mines des Khazad et de leur Seigneur. L'étroitesse du passage et l'escarpement les avaient obligé à progresser en file indienne; à leur droite, la paroi du rocher était presque à pique, haute, froide, infranchissable. De l'autre côté s'étandaient les plages de l'Ouest et la Grande Mer. A leur gauche, c'était un précipice de plusieurs centaines de pieds, qui ne laissait aucune chance lorsqu'on trébuchait et qui donnait une mauvaise impression dès qu'on regardait en bas.

En premier venait Khîm, le plus impétueux et le plus téméraire des trois. Il portait une solide hache de guerre, bien que la situation ne s'y prêtait pas vraiment. Elle servait plus souvent à couper du bois pour le feu qu'à batailler. Sa démarche ferme et assurée ne laissait aucun doute: il était le chef du trio et le plus âge des trois frères. Sur sa tête ne se voyait ni couvre chef ni capuche; ses habits tournaient tous autour des tons bruns.


Derrière lui marchait Rhîm, un Nain réservé mais fidèle, le plus attaché à l'honneur et au mérite. Il était vêtu d'un capuchon vert et ne portait d'autre arme qu'un arc court de fabrication Naine, attaché dans son dos. Son expression était aussi ferme que celle de son frère, qu'il suivrait sans hésiter jusque dans la mort, s'il le fallait...

Et en dernier venait Grîm, un Nain intelligent et habile qui était aussi doué au combat que connaisseur dans les traditions et les histoires d'autrefois.

Les trois frères arrivèrent après maintes peines en haut du col et dévallèrent les pentes de l'autre côté comme des chiens de chasse sentant le gibier. Ce fut Khîm qui les arrêta:

"Le soleil se couche derrière les montagnes, à l'Ouest. Il ne va pas tarder à faire nuit. Arrêtons-nous et passons la nuit ici, maintenant que le terrain est plus favorable."

Nul autre ne fit d'objection, et tous furent bientôt assis. Mais Rhîm semblait maugréer:

"Il fait frisquet, dit-il, et les flocons de neige tombent, quoique très fins et éparses. Allumons un feu! Les risques sont minimes: nous ne sont tombés que sur deux Orques durant toute la mission, et encore... ils se sont carapatés en nous voyant... Tirons à la courte paille celui qui iront chercher le bois."

#Khîm #Grîm #Rhîm

- Mmmfh Perdu !!! Par la barbe de Dúrin, je déteste ce jeu débile !!! c'est toujours sur le même que ça tombe ...

A peine assis, Grîm venait de se relever, de jeter le fétu de paille plus petit que les ceux que tenaient Khîm et Rhîm et d'empoigner sa hache. Il était temps que cette mission se termine ... ''Rien à signaler'' comme d'habitude mais il s'était légèrement tordu la cheville. Et c'est pas la neige qui commencait à tomber qui allait changer son humeur ...

Il se mit en route mais se ravisa et revint vers ses deux amis ...

- Une bonne bière à la taverne à celui qui prend ma place !

Pas de réaction ...

- Deux ?

Les amis de Grîm semblaient être devenu sourd ...

- Rhîm, tu m'accompagne au moins ?


Pas de réponse ...

- Ouais bon ça va, j'y vais tout seul


marmonnant dans sa barbe, Grîm s'éloigna enfin pour se diriger vers un bosquet d'arbustes situé quelques mètres plus loin. Il s'employa à ramasser les branches mortes qui trainaient par terre ...

Khîm rit sous cape lorsqu'il vit son frère perdre au jeu de la courte paille... Grîm n'avait jamais vraiment de chance dans les parties de hasard et autres jeux aussi simples et idiots que ceux-là, que les Nains pratiques occasionnellement lorsqu'il n'ont pas une hache, un marteau, ou une chope à la main.

Il était assez heureux, il faut le dire, de ne pas devoir rester plus longtemps sur ses jambes, d'autant plus qu'il n'est guère agréable de ramasser ou de couper du bois lorsqu'il est humidifié et rendu visqueux par la neige fondue. Et la tâche n'était pas facilité par la rarification des arbres dans cette partie des montagnes: seuls quelques arbustes rabougris se trouvaient à portée de vue du groupe.

Rien n'y fit, ni les marchandages de Grîm, ni le fait que se soit son frère. Non, le hasard avait décidé, et Khîm avait décidé de suivre l'avis du hasard, puisque ça l'arrageait...

"Mmrr remue-toi un peu Grîm... sans quoi nos bottes et tous nos habits deviendront aussi blancs que ta barbe, et aussi mouillés qu'une chope pleine."

L'autre finit par se diriger vers quelques arbustes insignifiants, et revint un instant plus tard avec quelques branches mortes. Khîm et Rhîm s'affairèrent à allumer le feu... ce n'était pas partie facile, et il y eut plus de fumée que de flamme. Après maints essais peu concluants, de petites flammes jaillirent enfin, et les trois frères purent bientôt se réchauffer autour d'un feu crépitant en dansant dans la nuit maintenant tombée.

Rhîm n'était toujours pas content. Il faisait du coude à Khîm, si bien que ce dernier finit par réagir:

"Quoi?"

Pour toute réponse, Rhîm montra d'un signe de la tête le brasier.

"Quoi?!" répéta Khîm, qui n'y comprenait rien.

"Eh ben regarde!"

"Par le diable, qu'est-ce qu'y a?"

"Mais t'as bu ou quoi? Tu vois pas que les trouvailles de Grîm ne sont que des brindilles? Les flammes commencent à se faire moins vive, et nous n'avons plus de combustibles. Grîm, retourne en chercher, et des grosses!"

L'autre ronchonna.

"Bon! trancha Khîm. Je vais y aller avec toi Grîm. Rhîm restera ici pour surveiller nos affaire... c'est que nous pouvons aller assez loin avant de trouver des arbres dignes de ce nom."

Ils partirent, et Rhîm se retrouva seul.

Grîm et Khîm cheminaient sur un chemin caillouteux depuis un bon moment.
Ils s'éloignaient passablement de leur petit campement mais ils finirent par enfin repérer quelques arbres rabougris.

Grîm s'approcha le premier et éleva sa hache avant de la rabattre sur le maigre tronc d'un arbre. Après quelques coups supplémentaire, celui çi s'écroula aux pieds des deux nains. Il ne restait plus qu'à en découper les branches pour les ramener au campement ...

- Y doit se les geler Rhîm, ça fait un moment qu'on est parti ... Pfffffffh pis c'te neige qu'arrête pas de tomber ... Fin bon, c'est d'saison ...

Les deux nains rassemblèrent les rondins qu'ils avaient préparer et s'en chargèrent avant de faire demi-tour pour rejoindre leur frère ...

- Hé Khîm, attend quoi !! ... Va pas si vite !!! J'ai la cheville en compote !! Elle me fait souffrir quand même ! ... T'as pas de coeur ou quoi ? faudrait qu'on mange un bout, j'ai faim ..; Peut pas me nourrir de flocons de neige moi ...

Les rondins tout juste ramassés feraient durer le feu une bonne partie de la nuit, pour sûr, si tant est qu'il y ait encore des flammes pour les allumer à leur retour. Car les deux frères avaient dû marcher un bon petit moment avant de trouver un arbre bon à abattre.

Grîm et Khîm étaient chargés jusqu'aux oreilles lorsqu'ils commencèrent à revenir sur leurs pas... Grîm ressemblait plutôt à des bûches avec des pattes et des cornes qu'à un véritable Nain. Mais il ne put aller bien plus loin: sa cheville le faisait soufrir et de plus, il avait faim. Quelle idée, aussi, de se fouler une cheville?

Les pleurnicheries de son frère vinrent à bout de Khîm qui, laissant tomber ses grosses branches avec fracas, consentit à faire une petite pause et à avaler quelques victuailles. Il s'assit sur les rondins qui gisaient sur le sol et commença à fouiner dans sa sacoche de cuir.

"Mais pas question de s'éterniser ici, Grîm! Juste un bout et on repart, après c'est Rhîm qui va s'inquiéter. Allons... voyons voir, que me reste-t-il. Pas grand chose, ça sent la fin de l'aventure. Ah si! Quelques fruits secs et la fin d'un saucisson. Oui Grîm, je sais je sais, y en a peu, c'est toujours le même refrain avec toi! Mais si tu t'étais moins groinffré au début, ta sacoche serait pas si vide!"

En dépit de ses paroles, Khîm était généreux. Il appliqua le bout de saucisson sur le tranchant de sa hache et, sciant, il le coupa en deux.

"Ca sert à tout une hache. Tiens prends donc ça!"

Khîm croqua dans son morceau, mais ne l'avala jamais. Il se déséquilibra et roula en arrière sur les rondins, criant des choses incompréhensibles avec la bouche pleine. Qu'était-il arrivé? Le saucisson était empoisonné? Avait-il croqué un rat à la place de sa charcuterie?

Non. La raison de la surprise et de l'alarmement de Khîm était toute autre: derrière les rochers devant eux venaient de briller deux yeux globuleux à la lueur du manteau neigeux. Deux yeux et une barbe blanche...

Pas fâché de faire une pause, Grîm lâcha aussitôt son tas de rondins et s'affala sur une grosse pierre qui trônait au beau milieu du chemin.
Khîm n'avait pas tord, il devait se raisonner ... Il n'avait déjà plus rien dans sa réserve de nourriture mais bon, les dernières mission qu'il avait eut à faire n'étaient pas des plus palpitantes ... Fallait bien compenser ... Et pour tuer l'ennui ben ... Y mangeait !
Il ôta son gros soulier pour se masser la cheville et remarqua qu'elle était légèrement enflées. Il poussa un juron tout en attrapant les victuailles que son frère acceptait gentiment de partager avec lui :

- Même si ta barbe est ''très'' légèrement plus longue que la mienne, je me permet de te signaler, cher Khîm, que lors de notre dernière mission, c'est toi qui était à court et je t'avais passer tout le reste de mon fromage !

Grîm avait avalé la grosse rondelle de saucisson en une seule bouchée et se léchait les doigts en regardant distraitement les flocons de neige tomber lorsque Khîm disparu soudain derrière son tas de rondins de bois ... Pensant à une simple glissade, le nain se mit à rire de bon coeur :

- Ha ha ha ha !!! Khîm !!! Arrête de faire l'orc s'il te plait ... Ha ha ha ha !!! La bûche est glissante par ici !!! Hou hou hou !!! Sacré Khîm, t'en rate pas une ... Allez prend ma main, vé t'aider à te relever ...

Celui qui avait espionné le groupe de derrière un gros rocher - et qui ne s'était montré à Khîm que volontairement, notez - se demandait bien s'il avait eu raison d'approcher pareil groupe pour des raisons aussi importantes: l'un avait basculé de surprise et l'autre riait tout son soûl à côté comme âne. C'était un duo pour le moins étrange. Le nouveau venu imagina même ce qui se serait passé s'il avait été un être poussé par la méchanceté, un Gobelin par exemple: l'être vert n'aurait laissé aucune chance à ces deux drôles d'éclaireurs, et deux têtes se seraient retrouvées détachées de leur cou.

Heureusement, il n'était ni un Gobelin ni un être doué d'une méchanceté particulière, en cet instant tout au moins. Il ne venait pas pour chercher querelle mais pour parler. Il s'approcha donc en silence derrière Grîm qui, tordu en deux par le rire, s'affairait à relever son frère. Khîm, justement, essayait par tout les moyens de lui faire comprendre un mot, déformé par la présence du bout de saucisson...

"Guérère! Regargue guérère!!!"

Rien à faire, c'était du charabia, Grîm n'y comprenait pas plus que si une vache lui avait parlé dans l'étrange language des bovins.

"Guérère! Guérère!"

Le Nain à barbe blanche qui venait d'arriver toqua doucement et à trois reprise sur le casque de Grîm, qui se retourna. "Regargue guérère" devait sans doute signifier "Regarde derrière", intéressant...

Celui qui venait d'arriver paraissait assez sale, comme quelqu'un qui a fait un long voyage sans grand confort. Ses yeux exhorbités faisaitn preque peur. Sa barbe blanche se terminait en deux longues tresses. Il portait un casque de fer et une armure de cuir renforcée de métal aux épaules. Un Nain, mais pas originaire de Tronjheim. Il ne dit rien pendant un bon moment, durant lequel Khîm put se relever, avaler son morceau tout rond, et maudire sa hache qu'il avait laissé auprès de Rhîm. L'autre ne semblait pourtant pas armé, et il les regardait tout deux en silence. Plusieurs dizaines de seconde s'écoulèrent, jusqu'à ce qu'enfin il brise le silence:

- Bonsoir.

Grîm ne riait plus du tout ! Lui, il avait toujours sa hache et la tenait fermement ...

Il cacha sa surprise au nouveau venu mais recula promptement puis planta ses deux pieds dans la neige juste à côté de son frère désarmé, prêt à en découdre et à donner sa vie pour lui si il le fallait ...

Pourtant l'inconnu ne semblait pas armé ni vouloir les attaquer de suite. Il se contentait de rester là, immobile, sans rien dire en les toisant de ses yeux globuleux, jusqu'à ce qu'il se fende d'un simple '' Bonsoir'' ...

- Bonsoir ? Et qu'est ce qu'il a donc de bon ce soir, je vous prie ?? Peut être le fait d'arriver en tapinois pour tenter de surprendre deux voyageurs fatigués ?? Je n'aime pas ces manières et il serait bon pour vous de déclinez votre identité et les raisons qui vous ont poussé à interrompre notre casse-croute !!!

Grîm ne voulait pas s'en laisser compter et pour tout dire, s'en voulait un peu de ne pas avoir été un peu plus vigilant. Rien ne disait que l'inconnu était seul et le nain jetait des coup d'oeil à gauche et à droite, s'attendant à tout moment de voir rappliquer des éventuels amis du nouveau venu.
Il avait aussi une petite pensée pour leur frère Rhîm, laissé seul à quelques encablures de là ... Peut être déjà fait prisonnier voire pire par les copains du globuleux ...
Quoi qu'il en soit, il laissait sa hache bien en évidence sous les yeux de l'inconnu ...

- Allons !! Répondez donc !!! Ou bien ''bonsoir'' est le seul mot que vous soyez capable de prononcer ?

L'inconnu fut certes un peu déçu de l'acceuil, mais il faut bien dire que l'entrée en scène avait peut-être été un peu brusque. Il se contenta de répondre calmement aux paroles de Khîm, le fixant toujours de ses yeux globuleux et qui cachaient une profonde malice...

- Ce soir a de bon que je suis arrivé à la fin d'un long voyage, quoique ce soit sans doute aussi le début d'un autre...

Khîm regarda l'étranger, puis son compère Grîm. Cette dernière phrase énigmatique le laissait plus que dubitatif. L'autre continua sans se soucier de quiconque, ni même du tranchant de hache qui se trouvait, menaçant, juste devant lui.

- Mais ce soir n'est pas si bon que ça, en vérité, car je m'attendais à meilleur acceuil de la part de Nains pour un de leurs semblables, mêmpe si mon aspect peut paraître repoussant. Je croyais les gens de Tronjheim plus aimables, car c'est bien ce que vous êtes, n'est-ce pas, des ressortissant de la grande cité des Ered Luin?

Il n'attendit guère la réponse à cette question-là non plus. De toute façon, c'était juste pour se donner une idée de la réaction de ces deux drôles de bonhommes. Car il connaissait bel et bien l'origine de Khîm et Grîm, même s'il ne connaissait pas leurs noms.

- Pour répondre à votre question, cher voyageur à cornes, je vous dirai qu'il est suffisant que vous connaissiez le sobriquet que m'ont donné beaucoup de personnes à un moment ou à un autre, durant ma vie. Nommez-moi "l'inconnu", Tahar dans notre belle langue. Quant aux raisons qui m'ont poussé à interrompre votre casse-croûte...

Tahar marqua une pause, laissant planer le doute un instant de plus, un instant qui parut durer des siècles pour Khîm. Qu'allait-il dire? Serait-ce de bon augure? On le saurait bientôt...

- Ces raisons sont louables, car j'ai la ferme intention de récupérer l'ancienne cité de Belegost pour le compte de votre Seigneur.

Khîm éclata de rire. *Encore un de ces ivrognes qui souhaitent dormir au chaud* pensa-t-il.

Tout comme son frère, Grîm se mit à rire à la dernière phrase de l'inconnu ... Il restait cependant vigilant et gardait toujours fermement sa hache et répondit à son tour ...

- D'où nous venons ne regarde que nous ainsi que l'endroit où nous nous rendons d'ailleurs ...

Il prit un air plus sévère pour enchainer :

- Il semblerait que votre long voyage vous ait amené aux portes de la folie !! Auriez vous eut l'imprudence de laisser votre tête séjourner trop longtemps sous la chaleur du soleil ??
Nous sommes las et harassé par une longue route ... Allons ! Cessez donc vos balivernes et passez votre chemin !! Nous avons autre chose à faire que de converser avec un pauvre hère ...

Grîm se tourna vers son frère, cherchant un moyen de mettre un terme à cette déplaisante conversation. Il était temps de rejoindre Rhîm ...

- Mon frère, Reprenons nos fardeaux et laissons donc notre ''ami'' continuer sa route et nous la nôtre ...

Il se tourna à nouveau vers le nain qui le fixait de ses yeux globuleux pour dire :

- Maître Tahar ... Quand vous serez à Belegost, n'oubliez surtout pas de remettre notre bonjour ... Ha faites un crochet par la cité de Nogrod et faites de même je vous prie ... Tant que vous y êtes ...

Grîm s'inclina tout en gardant un oeil sur le nain qui lui faisait face ... Visiblement, il attendait que l'inopportun s'éloigne ...

Un sourire jaune déforma le visage de celui qu'on surnommait Tahar. Il s'était, durant tout son long voyage, préparé à ce genre de réaction, sachant que son idée semblait irréalisable... et pourtant, si seulement ces deux éclaireurs lui laissaient révéler son plan. Être pris pour un fou ou un ivrogne, cela ne le gênait guère; la seule chose qui l'embêtait, c'était que ses buts tombent à l'eau.

- Je n'y manquerai pas, dit-il enfin, car c'est bien à cet endroit que j'ai l'intention de me rendre. Mais qui sait si cela plaîra aux nouveaux habitants des lieux? Enfin, peut-être seront-ils plus aimables que les gens de Tronjheim. Sans nul doute même. Il n'auront pas de mal à cela, si le peuple des Nains des Montagnes Bleues se gausse d'un de leur semblable qui souhaite les aider à reprendre la Grande Cité depuis longtemps perdue.

Cette remarque n'avait rien de bien aimable, elle aussi. Khîm grogna de sous sa barbe, et ses poings se serrèrent. Tahar continua

- Mais heureusement, je ne vais point m'allier à ces êtres répugnant pour de telles pacotilles. Si vous ne voulez vraiment pas de moi, eh bien j'accomplirai le long voyage de retour qui me sépare des terres où on me connait pour fidèle à mon honneur et valeureux. Tronjheim n'entendra plus jamais parler de mon nom, et tout le monde sera content. Mais viendra le temps où les murs de votre ville ne pourront plus contenir leur population. Car croyez-vous que je suis ignorant? J'ai bien ouï dire que les habitants de Tronjheim se multipliaient, croissant en nombre de mois en mois, d'année en année. Mais les murs, eux, les limites de la cité, ne croissent pas. Ils restent tels quels siècle après siècle, à l'exeption de quelques petite modification passagère, d'une ou deux galeries creusées et obtenues au prix de gros efforts...

L'espoir que l'inconnu parte sur-le-chanp était un peu revenu dans l'esprit de Khîm au début de la prise de parole, mais il sentait bien, à présent, que l'autre était reparti de plus belle et que cet idiot au visage plein de terre n'était pas près de lâcher le morceau. Il n'avait pas tort, car Tahar continua derechef, et ses yeux brillaient à la lueur de la lune, comme si deux flammes blanches leur faisaient face:

- Savez-vous ce qui arrive lorsque trop de rats sont fourrés dans la même ratière? Les plus forts survivent, mais les plus faibles et les plus ténus trouvent rapidement la mort. La faim ne pardonne pas. Le manque de place est impitoyable. Les discordes éclateront, les anciens frères d'armes en viendront finalement aux mains. Les amis seront aliénés. Toute grandeur sera perdue. Hélas, il y a bien des chances pour que ça finisse comme cela... mais il reste Un espoir: l'ancienne Belegost, située dans cette région. Quiconque la conquière gagne place, richesses, et tout ce qui en découle: les richesses amènent l'opulence, la nourriture nécessaire, la bière, tout ce que vous détestez, je n'en doute pas.

Un petit rire échappa à Tahar. Il avait saisi la lueur qui, l'espace d'un instant, avait brillé dans les yeux de Khîm à la mention de la boisson favorite des Nains. Il venait de faire un beau discours, maintenant était venu le moment d'achever:

- Toutefois, si les forces de Tronjheim n'ont jamais daigné reprendre les possessions de leurs illustres ancêtres, ce n'est pas à cause d'un manque de force, ni même d'un manque de volonté ou d'envie. C'est à cause de votre Seigneur, sans nul doute, et des conseillers frileux qui sussurent à ses oreilles à longueru de journées. Car de froid conseils, des conseils de prudence, semblent sages, mais en réalité ils refroidissent tous les coeurs. Mais moi, moi qui vous ai semblé n'être qu'un mendiant dans la montagne, je connais le moyen de faire pencher le Seigneur du bon côté, du côté des aventureux, du côté de ceux qui n'ont pas froid aux yeux. J'ai un plan pour reprendre Belegost, un plan longtemps fomenté. Votre salut passe par là. Ne voulez-vous pas au moins écouter ce que j'ai à vous dire, l'exposition de ce plan?

Grîm avait froncé ses sourcils broussailleux. Que l'inconnu divague avec ses histoires de conquête et de résurrection de cités oubliées était sommes toutes assez amusant. Il ne pouvait nier que la perspective de voir la grandeur de l'ancienne Belegost restaurée avait quelque peu remué son coeur et, l'espace d'un instant, une flamme s'était allumée dans ses yeux. Il avait cru percevoir comme un lourd nuage de brume qui se dissipait pour laisser place à une ville nouvelle, florissante, aux rues pavées et aux salles de pierres immenses ...
Mais la fin du discours du globuleux était déjà beaucoup moins agréable et plus amusant du tout. Assez furieux, il répondit :

- Il serait prudent de changer la teneur de vos paroles !! Cessez immédiatement vos sous entendu sur le Seigneur de Tronjheim ou la longueur de votre barbe pourrait rapidement en pâtir !! Nous ne tolèrerons pas une seconde de plus vos élucubrations ...

Grîm leva sa hache menaçant :

- Vous êtes en état d'arrestation !!! L'outrage que vous venez de dispenser à l'égard de notre Seigneur et de ses hauts conseillers ne restera pas impuni !!! Veuillez vous approcher lentement en présentant vos mains ...

La situation s'était passablement tendue. Les deux frères s'étaient regardés n'en croyant pas leurs oreilles et Grîm remarqua que Khîm semblait tout aussi indigné...
Le vagabond, devant l'accueil des plus froid des deux frères, semblait avoir joué son va-tout pour avoir une chance de capter leur attention malgré tout ... Mais il avait peut être laissé un peu trop filer sa langue et dévoilé plus de sa pensée qu'il ne l'aurait voulu ...
Il y avait surement un risque à faire du globuleux leur prisonnier ... Mais laisser aller ce nain à la langue bien pendue et lui permettre de continuer à distiller ses paroles fantasques à qui voulait les entendre n'était pas non plus des plus prudent ...

Grîm regarda son frère l'air interrogatif, se demandant si il avait bien fait ... Il surveillait aussi du coin de l'oeil leur prisonnier ...

Cette mission, qui n'avait rien de palpitante jusque là, semblait devoir se terminer de façon plutôt bizarre ...

Tahar ne bougea pas d'un poil... à peine leva-t-il le ragard pour se rendre compte du tranchant de hache menaçant que lui préparait Grîm. Il se mit simplement à maugréer, à peine audiblement:

- Dans ce cas, je suis attristé pour vous, car le geste que vous préparez ne nuira pas qu'à moi, croyez-moi...

Il restait toujours aussi immobile.


Khîm, lui, semblait pour cette fois moins impulsif que son frère cadet. Il était le chef tacitement proclamé du petit groupe d'éclaireur, et savait que les menaces sur un de leur congénères pouvaient mener loin. Surtout que le globuleux ne semblait pas prêt à se rendre. Sincèrement, il n'imaginait pas son frère trancher le cou de l'inconnu désarmé purement et simplement, mais on ne savait jamais. Drôles de situations provoquaient souvent de drôles de fins.

Il est vrai que cet étrange Nain avait la langue bien pendue. Mais il semblait seul et inoffensif.

"Allons frère Grîm, pas de décision hâtive. Il ne nous a pas menacé, n'a pas tenté de nous faire du mal en quelque façon..."

Le visage de l'étranger s'illumina un peu et s'ouvrit: il leva la tête vers Khîm, plein d'espoir. L'aîné des trois frères s'adressa à lui:

"Cela ne veut pas dire que je vous apprécie ou que j'aime vos manière, l'inconnu! Et si je vous laisse vous exprimer, ce ne sera que par pure pitié, mais je vous conseille dans ce cas de surveiller vos paroles!"

Tout sourire disparut du visage de Tahar, mais il parla doucement:

- Voici mon plan. Pour pouvoir récupérer Belegost, il faudrait convaincre votre respectable Seigneur de passer à l'action, tout en tentant de vider Belegost. Et cela, c'est moins qui vais m'en charger. Cette nuit même, je me rendrais auprès des Gobelins, et...

L'exposition de l'étrange stratégie de Tahar dura quelques minutes, jusqu'à ce qu'enfin il conclut:

- C'est pour cela que vous, monsieur...

"Khîm!" répondit le Nain.

- Merci. Monsieur Khîm, vous devrez donc feindre d'avoir été capturé par les troupes de Gorth le Seigneur Orque de Belegost, et ce dès à présent. Et jouer le rôle que je viens de vous faire connaître. Et vous, Grîm, devrez retourner vers votre frère resté près du feu et ne rien lui révéler de ce plan, faire semblant d'avoir perdu a trace de Khîm, je vous fait confiance pour trouver une bonne excuse... Et lorsque vous serez à Tronjheim, Grîm, il vous faudra réaliser cette carte factice de la Cité, comme je vous l'ai enjoint, de sorte que les émissaires Gobelins la trouvent lorsqu'il viendront récupérer la rançon.

#Tahar

Un drôle d'énergumène que ce globuleux ...

A la demande de son frère, Grîm baissa sa hache. Il n'avait nullement l'intention de s'en servir mais il n'y avait rien de mieux que l'acier brillant pour rappeler les bonnes manières ...

Khîm semblait finalement d'assez bonne humeur et enclin à perdre encore quelques minutes pour écouter ce que l'étrange vagabond avait à dire ... soit, autant lui faire plaisir, Khîm avait toujours eut bon coeur ... Grîm prit un air vaguement intéressé et laissa Tahar en terminer avec ses ''propositions'' sans l'interrompre, bien que quelques ''Hmmmpff'' lui échappèrent de temps en temps quand même.
Alors que le globuleux en avait terminer, Grîm se tourna vers son frère mais le rire qui s'amorçait mourut sur ses lèvres en apercevant l'air captiver et concentrer de Khîm ...

Son regard allait de l'un à l'autre :

- Alors là, la barbe m'en tombe ! Je ... Vous n'êtes pas sérieux le glob' heu ... Tahar ?? .......... Khîm ?????

L'étranger semblait avoir beaucoup de surnoms. Ils était déjà Tahar, l'inconnu, mais Grîm lui en avait attribué un autre, moins convenable, de globuleux. Quel était le mot dans la langue secrète des Nains pour globuleux. Mmm... pas facile à trouver...

Mais Tahar ne s'arrêta pas sur la chose... Il était satisfait, une lueur d'espoir s'immisça dans son esprit: son discours avait, semble-t-il, touché le point faible de Khîm. Khîm l'aventureux... Khîm qui n'avait pas froid aux yeux... Khîm que la promesse de voir la grandeur de Belegost restaurée intéressait au plus au point. Une flamme était apparut dans ses yeux, de sous ses sourcils roux et brousailleux, lorsque l'inconnu avait exposé son plan, et Tahar l'avait bien vu.

- Si! Monsieur Grîm, et je m'adresse à vous en toute honnêteté, je suis sérieux dans mon plan. Ce ne sont pas les stratégies qui semblent les moins risquées qui sont les meilleures. Avez-vous entendu parler de la manière dans un puissant Seigneur Noir fut abbatu lors du Troisième Âge du monde? Les livres racontent qu'un petit bonhomme alla par ruse en son Royaume, accompagné de son jardinier, et qu'il réussirent à faire échouer cet émissaire du mal. Si cette manoeuvre n'avait pas été tentée, qui sait quelle serait notre existance aujourd'hui?

Khîm semblait plus que jamais prêt à suivre les dires de Tahar, cela se voyait sur son visage. L'autre dit alors:

- Chers éclaireurs de Tronjheim, je vous laisse donc. Nous nous retrouverons peut-être un jour, lorsque votre confiance en moi aura payée. Mais peut-être pas... La nuit s'avance, je dois y aller, le plan ne peut attendre. Je vous dis au revoir, et non adieu, je l'espère...

Et il s'éclipsa en un éclair derrière les rochers, tout comme il était venu. Les deux frères restaient seuls dans la nuit, la vrai nuit, la nuit noire et sans étoiles, sans lune. Car pendant qu'ils parlaient, de nombreux nuages étaient venus occulter la lumière des astres nocturnes.

Khîm avait froid, il tremblait et pourtant, sans qu'il sache pourquoi, il n'osait bouger d'un pouce.

Les yeux globuleux avaient disparus, laissant les deux nains plongés dans une intense réflexion. Pour sûr que cette mission prenait une tournure des plus étrange et Khîm et Grîm avait de quoi rester ainsi des heures à reflechir sur le pourquoi du comment ... Mais il faisait froid, très froid, Khîm commençait à trembler de tout ses membres et Grîm rompit le silence :

- Ben ça !!!! Nous voilà à rester prostrés comme deux statues de pierres ! Nous ne sommes pourtant point des trolls !! Nous aurait-il jeter un sort de ses yeux bizarre celui là ???

Grîm s'ébroua comme pour être sûr que cela n'était pas le cas avant de reprendre ...

- Mmmmph, une bien drôle d'histoire ... Et un drôle de bonhomme ... Et un drôle de temps ! Par la barbe de Durin, transporter autant de fagots de bois pour finalement mourir de froid, ce serait vraiment stupide ...

Il marqua une pose, regardant son tas de bois qui était déjà partiellement recouvert de neige, puis s' écria :

- Reprendre Belegost, c'est tout aussi stupide m'est avis !!! ... Bien que je mentirais si je disais que le ''globuleux'' à tord sur toute la ligne ...

Mais ses yeux brillaient d'un éclat particulier ...

- ... Et je mentirais tout autant si je disais que ce n'est pas tentant ... Attention, ça ne veut pas dire pour autant que je suis tenté mais, autant pour moi, force est de constaté que toi, tu es tenté Khîm et je suis tenté de dire que je suis un peu autant tenté que toi bien que ma raison tend à teinté mon peu d'optimisme d'autant de prudence Heu ..... Tu me suis là ??

Le visage de Khîm s'éclaira d'un sourire qui contrastait avec le froid environnant, comme si sa figure prenait l'aspect d'une flamme chaleureuse que ni le froid ni la neige, ni le vent soufflant en tempête ne pouvaient éteindre. Quelques dizaines de secondes s'écoulèrent encore, au terme desquelles le plus vieux des frères répondit aux dernières paroles de Grîm:

"Non."

Visiblement, la philosophie sonnait à ses oreilles comme du chin... euh... de l'haradrim.

"Je ne te suis pas tout à fait, mais si j'ai compris un centième de ce que tu as dis, tu pense que le plan de ce globuleux est tentant mais pas raisonnable? Mais il avait raison en un sens... le risque est une chose oubliée de nos jours, mais cela peut s'avérer payant. Je crois... Grîm... que je suis de l'avis de Tahar."

Hein? Quoi? Qu'est-ce que ça voulais dire ça? Grîm n'en croyais sans doute pas ses oreilles: Khîm venait de faire comprendre qu'il acceptait le plan du globuleux! C'était bel et bien cela, en effet.

"Je pense que cela est nécessaire, Grîm, mon frère. Et je vais feindre la capture comme il l'a demandé. Qu'avons-nous à perdre de toute façon? Tous les risques sont pour lui dans son plan, et non pour nous. S'il trouve la mort en tentant de tromper les Gobelins, c'est son affaire, mais s'il réussit son coup, le Seigneur nous en sera reconnaissant, tu crois pas?"

Oui, Khîm était prêt à aller se terrer dans les montagnes et faire semblait d'avoir été capturé. Fou? Courageux? Ou trop facilement influençable?

"Me suivras-tu dans cette stratégie, mon frère?"

Grîm fit signe que non de la tête, attendit quelques instants pour voir la déception s'afficher sur la mine de Khîm avant de se fendre d'un grand sourire et de répondre :

- Mais OUI !! Bien sûr que je te suis mon frère !!! Il faut un cerveau dans cette affaire ...

Il tapa sur l'épaule de Khîm avant d'ajouter :

- Pffffffffffffh, j'ai faim moi ... Mine de rien, on a toujours rien mangé qu'une vulgaire rondelle de saucisson et encore, je l'ai avalée toute ronde à cause du globuleux !! ... C'est quand même léger dans l'estomac pour s'attaquer à Belegost ...

Il rit de bon coeur ... Les considérations plus terre à terre avaient repris le dessus... Le boire et le manger ... Signe que, dorénavant, sa décision était prise et qu'il accompagnerait son frère jusque dans la plus profonde grotte de l'ancienne Belegost si il le lui demandait ...

Il redevint sérieux ...

- M'ennuie un peu de devoir jouer la comédie à Rhîm, pis me demande ce que je vais bien pouvoir lui raconter pour expliquer ta ''disparition'' ... Y va s'inquiéter pour sûr ...
Fin bon ... Un plan c'est un plan et mieux vaut s'y tenir ...
Bon heu ... Tu nous quitte alors ? ...

"Ah sacré Khîm! Tu m'as eu! J'ai bien cru que tu dirais encore et toujours 'non'. Enfin, voilà qui est bien, c'est dommage pour Rhîm, mais quand tout sera terminé et qu'il apprendra que ça vient en partie de nous, il sera bluffé, tu verras!"

Il tapa sur l'épaule de son frère:

"Oui j'y vais, je m'éclipse. Et non! Je te donne pas le reste de mes fruits secs, je mange comment après moi? Demande à Rhîm, je crois qu'il lui en reste, et pense avec espoir aux tables de Tronjheim. Notre cité n'est qu'à quelques milles d'ici, je te rappelle. Allez à un de ces quatres, et souviens-toi bien du plan, c'est pas le moment de tout oublier!"

Et il partit en riant de bon coeur, disparaissant bientôt dans la nuit. Il fallait qu'il s'éloigne des environs de la Cité Naine, sans quoi il se ferait vite retrouver et tout le plan tomverait à l'eau.



"Et un! Et deux! Et trois! Il n'en auront pas!
Et quatre! Et cinq! Et six! C'est un vrai délice!
Et sept! Et huit! Et neuf! Mrr, j'ai plus d'idée là..."

Rhîm ne semblait pas se préoccuper de l'abscence prolongée de ses camarades, ni de la mort du feu: ces petites rigottes pas plus grosses que des noisettes étaient un régale. Rhîm en raffolait.

"Bon, je leur en laisse une chacun quand même?"

Il fit le geste pour les remettre dans sa sacoche, mais d'un coup se ravisa et engloutit les deux à la fois.

"Non, il en ont sûrement!"

Plus de fromage; les autres préoccupations revinrent... Il se demanda où étaient passé Grîm et Khîm mais ne bougea pas. Il connaissait les règles de vie à l'extérieur et savait que partir à leur recherche à tâton n'arrangerait rien.

Khîm regarda tristement son frère s'éloigner et attendit qu'il finisse par disparaitre avant de se mettre lui même en route dans le sens inverse pour retrouver son autre frère ... Il n'aimait pas beaucoup lorsqu'ils étaient séparés et cette histoire ne lui disait rien qui vaille. Encore moins à présent qu'il se retrouvait seul ...

Il lui fallait trouver une histoire à raconter à Rhîm ..; Un truc qui ne l'inquièterait pas trop ... Oui mais quoi ??

La neige tombait toujours alors qu'il arrivait en vue de leur premier campement. Rhîm devait être frigorifié au vu de la flamme minuscule qui restait et tout juste bonne à réchauffer les vers de terre ... Il annonça son arrivée de loin pour ne pas effrayer son frère :

- Holà Rhim !! C'est moi !!! J'suis d' retour ...

Rhîm le regardait d'un air sombre ... Il semblait furieux ...

- Je sais, on a mis un temps fou mais heu ... Pas moyen de trouver du bois sec !!! On a du se séparer avec Khîm et ... heu ... Y m'a dit que c'était trop tard pour faire du feu maintenant ... N'a tiré à la courte paille qui viendrait te rechercher et devine quoi ! J'ai encore perdu !!! Non mais vraiment, c'est un truc auquel je jouerais plus !!! Faut qu'on se mette en route sans attendre ... Il est parti devant, on le retrouvera certainement à Tronjheim ...

Grîm regardait ailleurs en débitant son excuse. Il avait une sainte horreur de mentir et c'était un rôle où il était assez lamentable ... Heureusement qu'il s'adressait à Rhîm. Nul doute que Khîm se serait rendu compte tout de suite que quelque chose n'allait pas dans le ton de sa voix et n'aurais pas marché dans le mensonge ...
Mais enfin, il fît rapidement demi-tour sans laisser parler son frère et se mit en route sur le chemin neigeux sans rien ajouter de plus espérant que Rhîm l'accompagne sans poser trop de questions ...

"Ah oui, vraiment? Hé bien il aurait pu le dire plus tôt! Maintenant on va devoir marcher plusieurs heure dans cette obscurité pour regagner Tronjheim! Et qu'est-ce qu'il a de partir devant sans nous attendre?"

Mais la mauvaise humeur de Rhîm n'atteignait aucune oreille compatissante, hormis peut-être les hiboux et les blaireaux: car, tandis qu'il éteignait le feu, son frère était, lui, déjà en route, et il fallu quelques foulées rapides pour le rattraper.

Rhîm se demandait cependant pourquoi il n'avait pas vu passer Khîm près du feu et pourquoi il ne se serait pas arrêté un instant pour le prévenir, puisque, comme le disait Grîm, il avait fait demi-tour. Un petit doute plana l'ombre d'un instant sur l'esprit du Nain roux...

Mais comme il connaissait bien son frère aîné, aventureux et n'ayant pas froids aux yeux, il se dit finalement que Khîm avait dû emprunter quelque raccourci périlleux pour retourner à leur cité avant les deux autres et rendre des comptes aux supérieurs le plus vite possible. Cela lui arrivait de temps en temps, si impétueux qu'il était, et le bon Rhîm s'accomoda de cette conclusion.

Les deux frères n'avaient que quelques milles à parcourir, mais la neige glissante et la traître obscurité rendaient la progression difficile et lente. Toutefois, mis à part ces risques-là, plus aucun danger ne devait les perturber si près de Tronjheim...

"Grîm... j'ai faim!"

[Suite ici]