- La glorieuse cité de Blankânimad, souffla Khalmeh non sans une certaine fierté.
Au cours de son long périple, Learamn avait bien entendu parler de la grande capitale des Orientaux, mais c'était une chose bien différente de se retrouver face à ce qui semblait être une fourmilière géante. Ils se trouvaient encore assez loin des remparts, mais ils pouvaient déjà voir l'activité débordante d'une population nombreuse et diverse venue se rassembler ici, là où se trouvait le siège des institutions royales du Rhûn. Blankânimad, que les gens de l'Ouest décrivaient comme une ville sombre et austère, semblait bien différente du récit qu'en faisaient les livres de géographie, et plus proche des dires de voyageurs qui en détaillaient les merveilles. Des milliers de marchands se trouvaient là, venus d'horizons aussi divers que variés. On y voyait des hommes dont le teint et l'habillement rappelait sans le moindre doute les sables chauds du Harad, tandis que des cavaliers au regard froid semblaient tout droit sortis des steppes du Khand. La plupart étaient étrangers au natif du Rohan, qui découvrait probablement pour la première fois certains de ces peuples qui vivaient de l'autre côté de l'Anduin, loin des frontières des Peuples Libres. D'autres, en revanche, étaient plus familiers. Il y avait effectivement des gens qui ressemblaient beaucoup plus à des Occidentaux, mais vêtus à la mode orientale. Ils s'engouffraient dans les portes immenses de la cité, laquelle était surplombée par un immense palais.
Le palais des rois.
Bien que la cité fût loin d'égaler la majesté et la splendeur de Minas Tirith, elle dégageait sa propre aura de grandeur. Une grandeur du passé, qui se mêlait avec les difficultés du présent, et les aspirations d'un peuple longtemps soumis, et qui cherchait encore quoi faire de sa liberté retrouvée. Le palais en était le symbole. Le gigantisme des lieux témoignait d'une volonté de puissance et de rayonnement, mais la décrépitude du bâti par endroits montrait l'incapacité des souverains à se montrer à la hauteur de leurs rêves. Une impression de force et de vulnérabilité se dégageait de Blankânimad, comme un prédateur blessé, grognant face aux inconnus pour cacher ses plaies qui ne cessaient de saigner.
Blankânimad, la cité paradoxale.
Le point final de leur voyage interminable. La fin, et le commencement.
Il y avait si longtemps qu'ils arpentaient ces terres que les circonstances tragiques de la rencontre entre Learamn et l'esclavagiste ne semblaient être qu'un rêve, à peine plus qu'un lointain souvenir dont les contours étaient rendus flous par la découverte quotidienne de nouveautés toutes plus étourdissantes les unes que les autres. La mort d'Iran avait pourtant été un choc, aussi bien pour le Rohirrim que pour ses compagnons de route, qui avaient mis leurs compétences au service de cette guerrière qu'ils ne connaissaient pas. L'embaumement était fort heureusement une technique que ces hommes maîtrisaient assez bien, la force de l'habitude. Ils avaient soigné le corps de la jeune femme avec une délicatesse bien incongrue compte tenu de leur profession, et s'étaient arrangés pour qu'on pût la transporter dans les meilleures conditions jusqu'à la ville de Vieille-Tombe.
Cette cité, Learamn ne la connaissait que trop bien. La première et la dernière fois qu'il s'y était rendu, il avait fait le chemin dans des circonstances fort différentes, mû par une mission qui le dépassait et qu'il ne cherchait pas à questionner. Il y était arrivé cette fois l'esprit plein de doutes quant à l'avenir, incertain sur ce qu'il allait advenir de lui. La première étape, et la plus importante de toutes, avait été d'accompagner Iran dans l'après vie. Ils ignoraient tout des rites funéraires de la guerrière, ils ne savaient pas comment sa tribu honorait la mémoire de ses plus valeureux héros, mais ils ne pouvaient pas simplement la confier aux habitants, qui l'auraient mise dans une fosse commune à peu de frais pour s'épargner le tracas de devoir organiser une cérémonie à laquelle personne n'aurait assisté de toute manière. Khalmeh avait donné ses conseils d'érudit, mais c'était bien Learamn qui avait pris les décisions, et qui avait eu le dernier mot au sujet du moindre détail concernant des funérailles. Les adieux avaient été pour le moins déchirants, et Khalmeh se souviendrait longtemps de cette séparation douloureuse, qui le renvoyait à son propre passé. Il espérait seulement que le Rohirrim mettrait moins longtemps que lui à digérer cette perte, sans quoi il risquait d'être rongé durant les années à venir, incapable de s'affranchir de cette souffrance qui finissait par devenir une compagne de voyage.
Iran partie, Learamn avait été contraint de s'habituer à sa nouvelle vie, et aux dures réalités de celle-ci. Vivre avec une compagnie d'esclavagistes pouvait avoir ses avantages, notamment les histoires au coin du feu, et la présence rassurante d'hommes armés et expérimentés qui pouvaient dissuader les malfrats d'approcher, sur ces terres étrangères. Pourtant, le cœur de leur activité demeurait perturbant pour un homme de l'Ouest dont les valeurs ne se mariaient pas bien avec la proximité de la servitude. Le moment phare avait sans nul doute été la vente des esclaves qu'ils avaient ramenés de si loin. Assigné à leur surveillance comme un gardien de troupeau, Learamn avait pu constater que le marché de Vieille-Tombe était florissant, alors que les acheteurs passaient devant leur étal improvisé en jetant un œil expert vers les biens qu'ils vendaient. Des négociants venaient de loin pour amener leurs marchandises, et les clients se rassemblaient en quête de la perle rare, discutant comme ils l'auraient fait d'une génisse ou d'un taureau. Si le Rohirrim avait cru que la cargaison de son compagnon était unique et rare, il se trompait. Il y avait ici des individus d'horizons divers, qui rendaient leur prise bien terne en comparaison. On trouvait des hommes qui avaient vraisemblablement un passé guerrier, et qui feraient de merveilleux gardes du corps quand on les aurait vendu à un riche bourgeois qui leur proposerait une vie luxueuse en échange de leurs services. Certaines des femmes qui étaient vendues ici étaient tout bonnement exceptionnelles, à la fois par leur beauté et leur grâce. Quelques unes se distinguaient par la qualité de leur éducation, ou des talents rares. Il y avait des chanteuses, des danseuses, des femmes de compagnie qui pouvaient aussi bien instruire les enfants que les adultes. Certaines, assez rares en comparaison, étaient dotées d'une solide musculature et elles appartenaient peut-être à des castes guerrières comme on n'en trouvait pas à l'Ouest. Les clients les plus riches, que l'on reconnaissait à leurs atours chatoyants pourpres et dorés, s'emparaient évidemment des marchandises les plus précieuses, tandis que les autres, plus modestes, venaient se fournir chez des vendeurs plus simples comme Khalmeh et ses hommes. Il n'était pas besoin de comprendre le rhûnien pour deviner la nature des tractations. On parlait prix, on parlait fiabilité des esclaves, on parlait ristournes et réductions. Le tout se concluait souvent par une poignée de mains et un échanges de pièces, suivi du départ d'un esclave.
Quelques personnes jetèrent un regard suspicieux à Learamn, mêlant surprise et méfiance, mais la plupart ne s'étonnèrent pas de sa présence dans le groupe. Les gens de l'Ouest étaient rares au Rhûn, mais dans une cité marchande comme Vieille-Tombe leur présence ne détonait pas, et on supposait qu'il était simplement un homme en quête d'opportunités économiques. Les allégeances allaient là où était l'argent, et personne ne questionnait son choix, car le commerce servile était fort lucratif, et la ville s'était depuis longtemps accommodée des différences tant que l'or continuait à couler à flots. Vieille-Tombe était en cela le miroir de Dale, cité où les étrangers étaient généralement bien accueillis tant qu'ils respectaient les lois commerciales et qu'ils ne déstabilisaient pas les échanges. La situation leur était moins favorable au Gondor, en Arnor ou encore au Rohan, comme en témoignait l'accueil difficile d'Iran. Cela étant, Learamn ne pouvait pas considérer qu'il était le bienvenu ici, et sans la présence de Khalmeh et de ses hommes pour le protéger, il aurait certainement eu affaire aux hommes du gouverneur, qui patrouillaient un peu partout sur les marchés pour s'assurer de la bonne tenue des négociations. Même si la vie était rythmée par le commerce, les militaires étaient partout.
Après avoir passé trois jours à Vieille-Tombe, dont un consacré au repos et à l'achat de matériel pour la suite de leur voyage, ils firent leurs adieux à une partie de la compagnie. Beaucoup des esclavagistes avaient gagné assez pour vivre quelques mois avec leurs familles, et ils resteraient là jusqu'à leur prochaine mission ou, si le voyage jusqu'à la capitale était un succès, jusqu'au retour d'un juteux bénéfice qui changerait profondément leurs vies. Seuls Khalmeh, Lakhsha et un autre du nom de Zark'ân avaient décidé de poursuivre l'aventure jusqu'à Blankânimad.
Khalmeh ignorait si Learamn avait déjà navigué par le passé, mais il s'était amusé des réactions de son jeune compagnon lorsqu'ils avaient embarqué sur la Mer du Rhûn, l'immense mer intérieure qui servait d'axe de communication pour traverser le royaume. Blankânimad ne se trouvait pas sur ses rives, enfoncée dans les terres encore plus à l'est, mais cela leur faciliterait grandement la tâche en leur épargnant de contourner à pied sur des miles et des miles. Ils avaient vogué sur un navire de transport avec d'autres voyageurs, ce qui avait permis au Rohirrim d'en apprendre davantage sur la culture locale. La plupart étaient des commerçants au long cours, qui transportaient dans les cales des marchandises diverses : des épices, du sel, mais aussi des denrées plus précieuses comme des vins fins du Dorwinion. Ces derniers, avait-on dit à Learamn, étaient renommés jusque dans les terres elfiques. Difficile de savoir s'il s'agissait de la vérité ou d'un embellissement de celle-ci justifié par la fierté des gens d'ici. Cette fierté était d'ailleurs un trait commun des Rhûnedain, qui mettaient un point d'honneur à lui montrer les aspects les plus nobles de leur culture. Prenant garde de ne pas lui apprendre leur langue – sans doute afin de le maintenir dans une situation d'infériorité – quelques érudits qui faisaient le trajet avec eux s'arrangèrent pour montrer à Learamn la qualité de la calligraphie rhûnienne, et la délicatesse des illustrations réalisées de main de maître. Les hommes se moquèrent gentiment de l'ancien capitaine alors qu'il découvrait certaines des spécialités culinaires locales, qui avaient la particularité d'être parfois très épicées. Khalmeh ne l'admit jamais, mais en secret ils s'arrangeaient pour rendre le plat de leur compagnon immangeable, afin d'avoir le plaisir de le voir quémander de l'eau ici ou là à partir des bribes de rhûnien qu'il commençait à maîtriser.
Malgré leur austérité et leur froideur, ils ne manquaient jamais de rire de lui.
Paradoxalement, en traitant Learamn comme un étranger, ils l'intégraient à leur quotidien et acceptaient sa présence. Khalmeh exerçait une présence protectrice, lui apprenant ce qu'il devait savoir pour survivre ici, et lui expliquant ce que ses yeux ne pouvaient deviner. Il lui montra les villages, les gens, les merveilles de la Mer de Rhûn, les navires, les petites îles, les oiseaux étonnants et les poissons qu'ils pouvaient pêcher parfois. Il lui raconta les légendes de la région, celles qui parlaient de créatures habitant les profondeurs, celles que les marins murmuraient à voix basse pour ne pas attirer les mauvais esprits. A l'instar du Rohan, chaque geste, chaque parole, chaque endroit était lié à une histoire particulière, et donnait sa richesse à ces terres qui perdaient peu à peu leur mystère pour révéler la profondeur de leur exotisme. Jamais Khalmeh ne demanda à son jeune compagnon ce qu'il pensait du Rhûn. La question était à la fois déplacée et précoce. Toutefois, l'esclavagiste se surprit à vouloir que son compagnon appréciât son royaume. Il aurait voulu lui montrer que ces terres étaient belles, que les habitants pouvaient être bons, nobles et droits. Il savait également que de sombres choses se tramaient, et pour cette raison il garda le silence sur les agissements des Melkorites, sur l'omniprésence de l'armée, sur les contestations du pouvoir royal et sur tout ce qui pouvait donner de près ou de loin l'image d'un royaume instable.
Learamn découvrirait tout cela bien assez tôt. Il aurait toutes les réponses à la capitale.
A Blankânimad, qui se dressait désormais devant lui.
Ils étaient fourbus, épuisés d'avoir chevauché de nouveau après avoir quitté le confort de leur navire, mais rassérénés d'être fin arrivés à destination. La ville leur promettait enfin de pouvoir déposer leurs lourds sacs de voyage, et de pouvoir enfin concrétiser leur ambitions. Pour Learamn, cela signifiait également davantage de questions, car son avenir n'en était pas plus clair pour autant. Ils s'intégrèrent au flot de personnes qui convergeaient vers la cité royale, sans se préoccuper des regards nettement plus surpris à l'endroit de Learamn. Ici, les étrangers étaient beaucoup plus rares, et il y eut quelques mines franchement hostiles. Fort heureusement, Khalmeh et ses compagnons étaient là pour s'assurer que tout se passait bien. Leur mine renfrognée, leur épaisse barbe de voyage et leurs gourdins bien en évidence ne laissaient pas de doute quant à ce qu'ils feraient d'une bouche trop grande ouverte. Ils négocièrent l'entrée auprès des gardes, justifiant à la fois la présence d'un étranger et d'une marchandise suspecte, pendant que Learamn pouvait contempler l'architecture incroyable de la grande porte ouest de Blankânimad.
- Nous l'appelons la Porte de Toutes les Tribus, fit Khalmeh après avoir achevé de discuter avec le garde. Elle date du temps du grand roi Sharaman, et c'est un des endroits les plus fréquentés de la cité.
Ce dernier commentaire n'était pas nécessaire, tant l'activité était intense ici. Les lieux n'avaient rien d'une porte au sens conventionnel du terme, même si effectivement les grandes murailles s'ouvraient en une gigantesque brèche d'une dizaine de mètres de haut qui avait le don d'écraser les visiteurs. Cependant, la Porte de Toutes les Tribus ressemblait davantage à un quartier couvert, sous le toit duquel se négociaient des marchandises diverses et variées à perte de vue. Les étals se succédaient, ici des boulangers, là de petits artisans, des tisserands, des potiers, des verriers, des orfèvres, et partout des milliers de clients qui parlaient fort, riaient, se disputaient, s'arrêtaient au milieu de la route au grand dam des voyageurs. Lakhsha fut plusieurs fois obligé de jouer des coudes pour passer, mais leur cargaison avait l'avantage de prendre assez d'espace pour pousser les négociants de côté et leur ménager un passage sûr à défaut d'être discret.
Ils quittèrent la Porte sans s'y arrêter vraiment, et bifurquèrent vers le palais, passant dans une succession de quartiers plus calmes et moins fréquentés. Quelques gardes rencontrés en chemin les escortèrent prudemment jusqu'au pied du bastion, où ils furent pris en charge immédiatement par des gardes du palais qui semblaient pour le moins patibulaires. C'était la première fois que Learamn pouvait voir des hommes qui étaient susceptibles de connaître Iran, des gens avec qui elle avait peut-être pris des repas, partagé une conversation ou échangé quelques passes d'armes en guise d'entraînement. Ces hommes auraient d'ailleurs tout aussi bien pu être des femmes, puisque pour la plupart ils ne parlaient pas, et il n'était pas possible de juger de leur sexe à leur seul aspect extérieur. Leur visage masqué et casqué ne donnait aucune information sur leur identité, ce qui avait quelque chose de dérangeant. Khalmeh lui-même n'était pas très à l'aise en leur compagnie, même s'il essayait de le cacher. Il donnait davantage d'explications que d'habitude à Learamn, comme pour le rassurer :
- Tout va bien, j'ai expliqué que nous venions pour des affaires urgentes, et que nous avions besoin de nous entretenir avec Sa Majesté en personne. J'espère que ce document que vous avez nous permettra d'entrer rapidement.
Ils attendirent un moment avant d'être autorisés à pénétrer dans l'enceinte de la forteresse, mais ils furent contraints de laisser leurs armes à l'entrée par mesure de sécurité. Une douzaine de soldats – ce qui représentait un fort contingent compte-tenu de leur nombre – les escortèrent à travers une cour extérieure où se trouvaient d'autres gardes en faction. L'omniprésence de l'armée atteignait son paroxysme ici, et où qu'il regardât Learamn pouvait voir les uniformes rouge et or de l'armée royale. Sur les remparts, à certaines fenêtres, dans la cour, aux portes, dans les écuries. Ils étaient partout, et du fait de l'absence de visiteurs, leurs regards étaient braqués vers les quatre nouveaux arrivants qui focalisaient l'attention. Le militarisme du Rhûn s'exprimait ainsi, par la démesure des effectifs, et le sentiment désagréable de ne pas pouvoir faire un pas sans être surveillé. L'officier qui avait pris en charge leur compagnie les invita à laisser leur cargaison à l'extérieur, mais Khalmeh protesta, se disputa avec un des militaires, puis finalement convint de suivre ce dernier afin de ne pas laisser sa marchandise sans surveillance. De toute évidence les tracas administratifs n'étaient pas l'apanage des royaumes de l'Ouest.
- Restez avec les autres Learamn, je vais régler ça.
Sans rien ajouter, il s'éloigna en continuant à grommeler contre l'officier, qui semblait ne pas vouloir changer d'avis. Le désaccord semblait profond. Pour la première fois depuis qu'il avait posé un pied au Rhûn, Learamn se retrouva donc seul, sans l'assistance de quelqu'un qui pouvait lui traduire les tenants et les aboutissants de ce qui se tramait. Sans son bâton de marche, son précieux guide, l'ancien capitaine était contraint de suivre le mouvement, et c'est ainsi qu'il fut avalé par le palais de Blankânimad, à la suite de ses compagnons. L'expérience n'avait rien de plaisant, et s'ils n'avaient pas été conduits par un page du palais, ils se seraient très certainement perdus dans cette construction sombre et labyrinthique qui n'avait rien de la chaleur de Méduseld ou de la splendeur du palais de Minas Tirith. Ce château était sombre, angoissant, glauque… il n'y faisait pas bon vivre, et rien n'était fait pour accommoder les visiteurs, bien au contraire. A l'instar des Rhûnedain qui prenaient un malin plaisir à faire comprendre à Learamn qu'il n'était pas des leurs, les murs du palais de Blankânimad semblaient désireux de le repousser, de le chasser, et la pierre elle-même semblait murmurer des malédictions à ceux qui bravaient son autorité.
Le page, qui devait avoir environ douze ou treize ans, et qui se montrait extrêmement à l'aise dans ces corridors, finit par s'arrêter devant des portes qui ressemblaient à toutes les autres, et sur lesquelles il n'y avait aucun marquage particulier. Il déverrouilla la première, et fit entrer Lakhsha et Zark'ân en leur donnant quelques consignes en rhûnien. Il déverrouilla la seconde, et proposa à Learamn d'entrer en lui donnant les mêmes instructions. Constatant que le guerrier ne comprenait pas un traître mot, il reprit dans un Commun impeccable, quoique très scolaire :
- Pardonnez-moi, sire, je pensais que vous maîtrisiez au moins quelques rudiments de notre langue.
Le reproche était à peine voilé, et d'autant plus acide qu'il était prononcé par un garçon qui avait la moitié de l'âge de Learamn, et qui semblait pourtant déjà maîtriser deux voire trois langues à la perfection.
- Voici vos appartements, vous êtes convié à y rester tant que vous serez l'invité de Sa Majesté. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je vous en prie n'hésitez pas à m'en faire part.
Il inclina la tête avec diligence. Les lieux étaient confortables à défaut d'être spacieux, et si l'on exceptait l'absence de fenêtre et la pénombre qui régnait dans la pièce, la chambre aurait pu être confortable. Il y avait deux lits, probablement un pour Khalmeh lorsqu'il aurait fini de régler son affaire. Une bougie solitaire, qui ne demandait qu'à être allumée, trônait sur la table basse. Les draps étaient propres, le sol de pierre était immaculé, et on avait même pris soin d'installer des oreillers confortables comme on n'en voyait que dans les maisons des bourgeois. C'était bien plus de luxe que Learamn n'en avait connu durant ces derniers mois.
- J'ai cru comprendre, ajouta le page, que vous aviez en votre possession un document à remettre à Sa Majesté : auriez-vous l'obligeance de me le remettre, afin qu'elle puisse en prendre connaissance ?
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Learamn s’installa aussi confortablement qu’il le pouvait dans un coin du pont du bateau, non loin de la poupe. Il avait trouvé un coussin à la propreté douteuse qui lui épargnerait d’avoir à s’asseoir à même le sol dur. En cette heure tardive, le pont était plutôt silencieux et un vent marin frais caressait le visage du jeune homme de manière agréable. Jamais il n’avait navigué en haute mer auparavant. Il avait bien embarqué sur des petits navires pour de courts trajets de patrouille le long de l’Isen ou de l’Anduin quand il était un soldat du Rohan mais jamais encore il n’avait ressenti cette sensation de liberté teintée d’appréhension qui gagnait le coeur des hommes quand toute terre disparaissait et que seule l’immensité de l’océan s’étendait à l’horizon. Cette première expérience avait bien sûr ses côtés négatifs à commencer par les nausées incessantes provoquées par les remous marins et les séries de vomissements qui en résultaient. Il s’était aussi demandé quels genre de créatures pouvaient se cacher dans les abymes qu’ils traversaient et ce qui pouvait se produire si l’une d’entre elles, qu’il s’imaginait particulièrement monstrueuses, décidait de se mettre en travers de leur chemin. Bien heureusement, les seuls animaux qu’ils n’aient jamais croisés jusque là se résumaient à d’immenses bancs de poissons rouge à la chair savoureuse que les voyageurs pêchait parfois par dizaines avant de les faire griller au feu. Le Rohir sortit un carnet en cuir de son sac de voyage; le journal offert par son père qu’il transportait depuis des années. Un autre passager lui avait vendu une plume et un peu d’encre pour quelques pièces d’or; l’ancien capitaine avait le sentiment de s’être bien fait avoir mais avait évité de faire tout scandale. Malgré le traitement très correct que les locaux lui réservaient la plupart du temps, Learamn avait bien conscience de n’être qu’un étranger parmi eux et que la grande majorité d’entre eux ne le voyaient pas comme un égal- ils ne manquaient d’ailleurs pas de souligner ses différences de manière moqueuse. Ce n’était rien de bien méchant de leur part mais une manière de souligner leur supériorité et de faire comprendre au jeune homme qu’il n’était pas chez lui.
Il ouvrit son calepin et entreprit de poursuivre ses mémoires là où il les avait laissé. “Iran est morte.
Au moment où j’écris ses mots cela fait déjà de longues semaines, mais la peine est aussi forte qu’au premier jour. Il m’a toujours été difficile d’expliquer précisément ce que je peux ressentir lors de pareils évènements, mettre des mots sur de telles émotions relève de l’impossible. Elle était ma confidente, mon amie. Une étrangère certes, mais une étrangère prête à donner sa vie pour la mienne et mon entreprise folle. Qu’est ce qui donc l’a motivé à faire cela? Je ne saurais le dire et ses nombreux mystères s’en sont allés avec elle. Depuis mon départ d’Edoras il ya de cela plusieurs mois, elle était ma raison de vivre. J’ai abandonné le peu que je n’avais pas perdu pour Iran et maintenant j’ai comme l’impression que tout ce que je fais à présent est vide de sens. J’irai jusqu’au bout de mon marché contracté avec les esclavagistes et nous voguons en ce moment en direction de Blankanimad. Mais à quoi bon? Honorer ma parole ? Peut-être, mais alors après ? Que suis-je donc supposé faire? Rentrer seul au Rohan pour travailler à la ferme n’est pas une option; ce n’est pas ce que je suis. Mais alors quel but poursuivre? En quittant le Rohan j’espérais qu’Iran soit celle capable de me guider dans les ténèbres de l’inconnu, me permettant de trouver un nouveau but, une nouvelle place dans ce monde. A présent je suis seul devant ce choix, et comment puis-je savoir quel est le bon? Iran est morte, Mortensen m’a rejeté et ma mère se meurt sous les yeux de mon père, impuissant comme toujours.
Nous l’avons enterré non loin de Vieille-Tombe près d’un arbre touffu aux feuilles rouges. Sur les conseils de Khalmeh, elle fut enterrée selon les rites les plus communs du Rhûn bien qu’il nous fut impossible de connaîtres les coutumes spécifiques au clan auquel elle appartenait. Nous y avons également déposé une stèle sur laquelle j’ai grossièrement gravé le poème qu’elle portait tatoué sur son bras, j’ignore si ce type d’hommage est approprié mais c’est ce qu’il me semblait être le plus juste à faire. J’ai consacré la nuit suivante au recueillement en guise de dernier adieu mais depuis ce jour le souvenir de son visage et de son regard profond ne cesse de me hanter. Dans mes rêves nocturnes comme dans mes pensées diurnes. Je suis tantôt envahi de tristesse, tantôt de colère. Une rage pour le moment contenue, mais qui gronde dangereusement en mon coeur.
Nous avons continué notre route vers la capitale après une halte de quelques jours à Vielle-Tombe, une ville qui me rappelle de bien trop nombreux sombres souvenirs. La majorité du groupe nous a quitté après avoir touché leur part de la vente d’esclave, un épisode d’échange de marchandises humaine dont la pratique visiblement institutionnalisée par des hommes cultivés et respectables dépasse ma compréhension. C’est donc à quatre que nous avons embarqué sur un navire de transport. Contrairement à mes craintes, les conditions, sans y être luxueuses, sont plutôt corrects. Le voyage en haute mer est une nouvelle chose pour moi et je suis à la fois émerveillé par ce qui nous entoure et effrayer par ce que cela implique.
Je passe de longues heures sur le pont à écouter Khalmeh. Il me présente les merveilles de son royaume et me conte ses plus belles histoires. Je ne connais encore que très peu de la culture du Rhûn mais tout ce que je vois ici me semble si éloigné de ce que l’on en dit au Rohan. Les gens ne sont pas les barbares cruels habituellement décrit mais plutôt des citoyens fiers de leurs origines, certes méfiants d’un étranger comme moi mais néanmoins plutôt amicaux dans l’ensemble. J’ai conscience que la présence de Khalmeh facilite beaucoup de choses et pas seulement au niveau de la langue, s’ils me traitent ainsi c’est sûrement car ils ont confiance en mon compagnon. D’ailleurs la forte proportion d’érudits et d’homme de lettres parmi les passagers et l’équipage m’a hautement surpris. Les gens d’ici ont développé un goût particulier pour l’art, la musique ou la poésie. Leur langue est d’ailleurs loin d’être ce dialecte guerrier dur et cassant que j’imaginais; leurs chants sont d’une grande beauté. Ces personnes sont plus raffinées et intelligentes que nous le pensons au Rohan. Un peuple de formidables guerriers couplés d’hommes éduqués et gouvernés par une femme , ce pays regorge de bien de surprises. J’en viens même à croire que c’est pour le mieux qu’ils soient aussi éloignés des Peuples Libres: les Rhûniens feraient sans nul doute des ennemis puissants et pleins de ressources. Bien entendu, nombres de leurs pratiques trahissent le retard de leur société sur celles du Rohan ou du Gondor, l’esclavage et la superstition en premier lieu. La traite d’humains fait partie de leur quotidien et sa pratique accepté par tous. Pire, ils ne semblent pas même comprendre où est le mal là-dedans ? Leurs constantes références aux être supérieurs ou à l’au-delà supposé ont parfois le don d’agacer l’homme de l’Ouest que je suis.
Le chemin jusqu’à la capitale est encore long et j’ai bien conscience que les hommes de la Reine ne m’accueilleront pas avec les bras ouverts. D’autant plus que la nouvelle de la mort d’Iran fera sans doute lever les suspicions à mon égard. Mais je me sens prêt à affronter tout cela. C’est ce qui viendra après qui me fait le plus peur.
Tout ce serait pourtant si simple si elle était là, à mes côtés. “
Au moment même où il apposa son point final, le marin posté sur le nid-de-pie s’époumonna. “Terre! Terre en vue!”
Cœur vivant de ce royaume mystérieux et craint. Ils y étaient entrés à travers d’immenses portes gardées ouvertes dont l’intérieur ressemblait à un gigantesque bazar où des dizaines de commerçants tentaient d’annoncer leurs derniers produits en criant plus fort que leur voisin. Learamn et ses trois compagnons pénétrèrent dans la cité après un bref échange avec les gardes; le jeune homme sentait les nombreux regard suspicieux qui se portait sur sa silhouette. Ici, les Occidentaux étaient bien moins nombreux que dans la cité marchande de Vieille-Tombe et la présence d’un homme comme lui au centre du Rhûn pouvait être mal perçue par les habitants, très mal perçue même pour certains. Fort heureusement la simple présence de Khalmeh et de ses deux acolytes: le vieux Lakhsha et le taiseux Zark’â, préservait le Rohir de tout souci avec la population urbaine.
Ils arrivèrent finalement, après quelques minutes de marche, en face de l’imposant palais royal. Une immense et majestueuse bâtisse sombre qui couvrait la ville de son ombre intimidante. Comme un symbole; les citoyens étaient ici constamment écrasés par le pouvoir autoritaire de la Reine. Des gardes en lourde armure et aux visages cachés derrières d’imposants casques de métal entreprirent de les fouiller après avoir saisi leurs armes. A contrecoeur, Learamn avait cédé sa lame sans qui il se sentait toujours si vulnérable, à la merci des oiseaux de mauvaise augure qui planaient sans cesse au dessus de son destin. Khalmeh s’éloigna alors avec le chef des gardes pour discuter à propos d’un souci concernant la garde de la marchandise, laissant l’ancien capitaine plus que jamais livré à lui-même au sein de ce qui ressemblait fortement à la gueule du loup. Et elle était énorme. Si l’extérieur du palais était déjà imposant, l’intérieur dépassait toutes les attentes. Il y régnait une atmosphère froide et austère, loin de la chaleur des murs chatoyants de Meduseld ou du luxe grandiose de la Cité Blanche. Les visiteurs se sentaient si petits et si perdus devant le dédale de couloirs sombres et faiblement éclairés qui s’étendait devant eux. Et à mesure qu’ils avançaient, ce sentiment se renforçait. Learamn avait la sensation d’être au milieu d’un obscur labyrinthe qui s’enfonçaient toujours plus loin dans les ténèbres et que jamais il ne serait en mesure de retrouver seul la lumière du soleil. Malgré la propreté et la richesse de lieux, tout dans ce palais semblait indiquer qu’ils n’étaient pas les bienvenus.
On les conduisit finalement jusque dans leurs quartiers, aux standards plus que convenables, où il pourrait se reposer légèrement du long voyage entrepris depuis de long mois. Il avait, des semaines durant, fait taire la douleur qui tiraillait ses muscles éprouvés pour continuer à avancer vers son objectif mais son corps épuisé n’aurait certainement pas pu continuer comme cela sans prendre de repos. De plus, son pied blessé se rappelait de plus en plus souvent à ses bons souvenirs; la plaie bien que cicatrisée n’était pas complètement guérie. Il n’était d’ailleurs pas certain qu’elle guérisse totalement un jour.
Un page s'adressa alors à lui en Rhûnien puis repris dans un Commun particulièrement académique en voyant la mine incompréhensive de “l’invité” de la Reine. Les employés du palais étaient donc, eux aussi, des individus particulièrement éduqués.
Learamn s’excusa d’abord de son incapacité à comprendre la langue locale. Il avait bien appris quelques termes auprès de la compagnie durant le voyage mais rien qui ne lui permette d’avoir une réelle conversation.
Comme demandé le Rohir lui tendit le document rédigé en Rhûnien. Il ignorait ce que ce bout de parchemin pouvait exactement leur faire gagner mais c’était bien le seul atout qu’il avait en sa possession.
Une fois le page disparu dans les couloirs du palais, Learamn déposa ses bagages auprès du lit. Il ouvrit alors le sac d’Iran pour la première fois depuis son décès, il ne s’était jamais résolu à se débarrasser des effets personnels de la jeune femme comme pour garder une attache irrationnelle à la guerrière orientale. Il y avait bien évidemment la boîte contenant les plantes qu’elle utilisait pour réaliser sa “poudre magique”, quelques bijoux ou ornements à la signification mystérieuse, un pendentif qu’elle avait parfois porté ainsi que quelques vêtements qui dégageait encore son odeur envoûtante; comme si elle se tenait là, près de lui.
Une larme coula le long de la joue de Learamn, puis une deuxième....
The Young Cop
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L'agacement de Khalmeh ne retombait pas. Depuis qu'il était entré dans la pièce, il ne cessait de pester après les gardes du palais, qui ne s'étaient pas montrés très coopératifs avec lui et la marchandise qu'il souhaitait présenter à la reine. Il avait raconté en détail à Learamn de quelle manière ils avaient refusé de le laisser obtenir une audience, et qu'il avait dû négocier pendant près de deux heures avec trois officiers différents pour enfin obtenir le droit d'être reçu. Un droit qui ne lui garantissait en aucun cas que la souveraine de l'Est accepterait de le recevoir.
Pour la première fois depuis le début de son périple en compagnie de l'esclavagiste, Learamn put trouver son compagnon de route nerveux, agité. Il triturait tout ce qui lui tombait sous la main avant de s'en lasser et de passer à autre chose. Incapable de tenir en place, il s'asseyait par moments, avant de se lever et de retourner à faire les cents pas dans la pièce. Était-ce la perspective de rencontrer la reine qui le mettait dans cet état, ou bien au contraire le risque de ne pas être reçu ? Difficile à dire, mais en tout cas il revenait toujours à la même conclusion qu'il exprimait systématiquement dans les mêmes termes :
- Heureusement que vous avez la lettre.
Le terme « heureusement » était curieusement choisi quand on savait ce que le document impliquait. La mort d'Iran était une tragédie personnelle pour l'ancien capitaine de la garde, mais elle était surtout une tragédie politique. Tant qu'elle avait été en vie, Iran avait été la garantie que le Rhûn et le Rohan n'entreraient pas en guerre, et que la mort de Rokh serait réglée par le Vice-Roi Mortensen. Dans un sens, c'était ce qu'il s'était passé, car désormais Sellig était mort, et la mémoire du défunt guerrier avait été vengé. Pourtant, il ne restait plus personne pour en témoigner, sinon Learamn qui devrait convaincre une souveraine tempétueuse que tout avait été fait pour respecter la parole donnée.
Même si le cavalier connaissait la force de son royaume, et la qualité des soldats du Rohan, il ne pouvait pas se bercer d'illusions. Le militarisme exacerbé du Rhûn en faisait une puissance à ne certainement pas sous-estimer, et si guerre il devait y avoir, le Riddermark seul ne résisterait pas face à ces milliers d'Orientaux féroces. Il faudrait, comme aux temps de jadis, une coalition de tous les Peuples Libres pour venir à bout d'un tel adversaire. Mais qui viendrait aujourd'hui au secours des Rohirrim ? Le Gondor semblait replié sur lui-même, au moins autant que les Elfes et les Nains, qui se terraient ici dans leurs forêts, là dans leurs profondes cavernes. Les alliances de jadis ne tenaient plus qu'à un fil, et menaçaient de s'effondrer au moindre souffle de vent. Learamn l'avait vu à Minas Tirith, il l'avait vu à Pelargir, il l'avait vu encore à Edoras… Méfiance, trahison, intérêt… autant de dangers pour le monde de l'Ouest.
Alors oui, heureusement qu'il avait cette lettre pour au moins se présenter comme un ami et un allié d'Iran. Mais la présence de la jeune femme à ses côtés aurait changé tellement de choses.
Tellement.
- Ne vous inquiétez pas Learamn, fit Khalmeh en projetant ses propres émotions sur son compagnon de route, si vous dites la vérité à la reine, je suis persuadé qu'elle vous croira. On dit qu'elle est douée pour lire le cœur des hommes, et qu'elle tient en grande estime ceux qui se montrent honorables et justes. Vous n'aurez aucun mal à la convaincre.
C'était un conseil à la fois précieux et creux. Être soi-même, pour affronter une telle responsabilité ? Comment faire ? Learamn passa la nuit entière absorbé dans ses pensées, essayant de répondre à cette question et à mille autres qui naviguaient dans son esprit. Leurs appartements étaient confortables, et malgré leur trouble respectif ils savourèrent une bonne nuit de sommeil bien mérité qui eut au moins le don de reposer leurs corps las et douloureux.
Le lendemain matin, dès l'aurore, ils furent réveillés par la venue d'un page qui tapa à la porte. Le jeune garçon était le même que celui de la veille, et de toute évidence il était spécifiquement affecté à l'accommodement des visiteurs. C'était une attention délicate de la part de la reine que de toujours offrir le même serviteur à ses hôtes, mais cela participait aussi d'une forme subtile d'espionnage : en apprenant à connaître ces jeunes garçons de bonne famille, les invités pouvaient se relâcher, se détendre, et laisser échapper devant eux des informations compromettantes. Il fallait dire que ces pages étaient d'une discrétion et d'une efficacité telle que l'on pouvait facilement oublier leur présence.
Vêtus sobrement, silencieux sauf quand il leur était nécessaire de parler, ils s'affairaient sans un bruit à préparer un baquet d'eau chaude pour la toilette des invités, à faire les lits pour garantir la propreté de la pièce, à trouver des vêtements propres pour que personne ne se présentât devant la reine en guenilles… Ils veillaient sur Learamn et Khalmeh comme personne n'avait veillé sur eux, ce qui était presque dérangeant d'un certain point de vue. Le jeune garçon mit à la disposition des deux voyageurs des savons parfumés avec lesquels ils pouvaient se frotter vigoureusement, mais aussi des ciseaux et des rasoirs pour leur permettre de tailler leur épaisse barbe s'ils le souhaitaient.
- Messires, fit le garçon en Westron, puis-je vous proposer ces tenues ?
- Pourquoi ? Répondit Khalmeh, les cheveux encore mouillés après son bain.
- Pour rencontrer Sa Majesté, sire. Elle vous attend dès que vous serez prêt.
Les deux hommes se regardèrent. Pas plus tard que la veille, l'esclavagiste avait déclaré avec une certitude absolue qu'ils ne seraient pas reçus immédiatement, et qu'ils pouvaient s'installer confortablement pour plusieurs jours, voire semaines selon la disponibilité de leur hôte. Il avait pensé que la lettre de Learamn accélérerait le processus de quelques jours, mais une entrevue le lendemain ? C'était à la fois inespéré et inquiétant, car cela signifiait que la reine avait annulé ce qu'elle avait déjà prévu pour les recevoir.
Cela ne pouvait pas être bon signe.
Khalmeh pâlit à vue d'œil, et se pencha vers les tenues qui lui étaient présentées. Des tuniques à la mode orientale, à la fois légères et amples, qui tombaient jusqu'au genou, et qui étaient serrées à la taille par une large ceinture de tissu. Par-dessous, un pantalon coloré plus épais, sur lequel étaient brodés des motifs très élégants. Pour Learamn, tout ceci était fort nouveau, mais il avait l'opportunité de quitter le cuir bouilli usé de sa tenue de voyage pour la douceur soyeuse d'un vêtement coloré qui aurait parfaitement convenu à un aristocrate excentrique du Rohan. On lui laissa évidemment le choix entre plusieurs tons, qui allaient d'un bleu profond rehaussé d'argent, à un carmin vif souligné d'or. Khalmeh choisit quand à lui une tenue tricolore, verte, brune et dorée, dont le haut col soigneusement dessiné lui donnait un air noble. Il y associa une paire de bottes montantes confortables, et s'observa dans le miroir que le page avait fait venir :
- Cela me rappelle un autre temps, mon ami. Je croirais presque être revenu à l'époque où ma main ignorait ce qu'était un vil gourdin.
Il lissa les plis de sa tenue, tira sur ses manches, remonta son col convenablement, et ajouta pour lui-même :
- Les cols sont plus hauts que dans mes souvenirs. La mode a encore changé à Blankânimad.
Une observation qui montrait que même si la guerre semblait couler dans les veines des Orientaux, ils avaient comme les hommes de l'Ouest des préoccupations bien moins belliqueuses. Learamn ayant un peu de mal à s'habiller seul – il fallait dire que ces tuniques avaient une forme bien singulière –, le page l'aida avec diligence. Il s'arrangea pour fermer convenablement la tunique, nouer la ceinture fermement, et lisser les plis avec soin. Puis il présenta le miroir au Rohirrim, le laissant admirer l'ampleur du changement, et tout ce que cette tenue impliquait.
Habillés, coiffés et apprêtés, les deux hommes n'eurent plus qu'à suivre le jeune garçon à travers les couloirs de Blankânimad. De nouveau, la cité sembla agresser leurs sens en leur imposant un silence oppressant, rompu seulement par des sons indéfinissables qui semblaient jaillir des entrailles de la pierre. On aurait dit des cris, des suppliques, des plaintes, à moins que ce ne fût leur esprit qui leur jouait des tours en cherchant à les effrayer. Ils n'échangèrent que quelques mots sur la route, se mettant au diapason du palais qui leur imposait presque de ne pas parler, et de respecter la quiétude des lieux. Ils finirent néanmoins par s'arrêter devant une épaisse porte gardée par des hommes en armure d'apparat. L'un deux, en les voyant arriver, ouvrit grand les portes, et s'avança de quelques pas avant d'annoncer d'une voix forte :
- Sâhib Learamn az Rohan ! Âghâ Khalmeh Elkessir az Blankânimad !
Il s'inclina, et s'effaça devant les deux visiteurs qui purent pénétrer dans la grande salle du trône. Si le palais donnait l'impression d'être écrasant, la sensation était encore décuplée dans cette pièce particulière. Gigantesque, colossale, elle semblait avoir été construite à la mesure de la démesure des rois de jadis. Le plafond, si haut que l'œil humain ne pouvait pas le voir, était soutenu par d'immenses colonnes sculptées derrière lesquelles veillaient des gardes à l'air patibulaire. La pièce était dominée par le trône de la reine, surélevé de sorte à surplomber quiconque s'adressait à elle. Mais la véritable ombre qui planait sur eux était la statue de Melkor qui se trouvait derrière la souveraine. C'était la plus grande statue que les deux hommes avaient jamais vue, et elle était figurée de telle sorte que le regard du Noir Ennemi semblait les suivre partout où ils se trouvaient. Le Vala déchu les surveillait, et leur promettait mille tourments s'ils osaient défier son autorité en ces lieux. Cependant, même si la pièce était angoissante et conçue pour humilier les visiteurs et leur rappeler leur insignifiance face à la puissance royale, on ne pouvait pas négliger l'aura de la souveraine en personne.
Learamn avait déjà eu l'occasion de l'apercevoir lors du mariage royal, entourée de sa garde personnelle. Il n'avait jamais eu le privilège de se tenir ainsi en sa présence, encore moins au sein de son propre palais, en qualité d'invité. Elle était assise confortablement, impériale malgré la jeunesse de ses traits. Comme dans les souvenirs des deux hommes, elle avait la peau pâle, probablement fardée, ce qui offrait un contraste saisissant avec la pénombre des lieux. Mais plus sombre que la pièce étaient ses yeux qui semblaient ne pas ciller, et qui étaient braqués sur les deux arrivants.
Khalmeh s'arrêta à la distance requise par le protocole – qu'il paraissait connaître – et s'inclina profondément devant la souveraine de l'Est. Toute cette mise en scène servait à rehausser son prestige, à souligner l'importance de sa personne, autant d'éléments qui étaient connus à l'ouest de l'Anduin, mais qui semblaient démultipliés ici, au point d'en donner la nausée. Comme l'exigeait la coutume, ce fut la reine qui prit la parole en premier, dans un Westron impeccable qui permettait au Rohirrim de suivre la conversation.
- Sire Learamn du Rohan, sire Khalmeh Elkessir de Blankânimad. Bienvenue.
L'accueil était froid. Pour ne pas dire glacial. Khalmeh, qui avait l'habitude du protocole royal, savait que ce « bienvenue » prononcé du bout des lèvres n'était pas à la hauteur de la réputation d'hospitalité que les rois de Blankânimad entretenaient depuis des générations. Elle était en colère, et le leur faisait savoir derrière le masque diaphane d'une politesse de circonstance. Il répondit avec emphase, afin de conforter la monarque toute puissante et s'attirer ses bonnes grâces :
- Votre Altesse, déclara-t-il avec une révérence bien inhabituelle chez lui, permettez-moi de vous remercier de votre accueil et de votre bienveillance à notre égard. Nous avons fait le trajet jusqu'à Blankânimad afin de…
- Je connais les raisons de votre présence ici, trancha-t-elle avec la douceur d'une hache déchiquetant un arbre.
Elle tourna son regard vers Learamn, et se focalisa sur lui au point que l'ancien capitaine semblait absorbé tout entier par la furie de cette femme, et du terrible Melkor qui l'appuyait. D'une voix où perçaient des accents de rage, elle siffla :
- Vous êtes venus m'expliquer pourquoi vous revenez du Rohan sans ma cousine.
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Cela faisait bien longtemps que Learamn n’avait pas profité du confort d’un matelas moelleux et du luxe de draps propres. Pourtant, malgré son état de fatigue extrême, la nuit du voyageur fut bien agitée. Les murs de ce palais austères oppressaient le rohir qui se laissait peu à peu gagner par une certaine forme d’anxiété. Malgré l’accueil plutôt généreux qui leur avait été réservé, il sentait bien qu’il n’était pas le bienvenu; au même titre qu’Iran rejetée par les habitants de Meduseld. Il avait toujours été un enfant du pays au Rohan dont les exploits le couvraient de gloire et l’emplissaient de fierté voire d’orgueil. Ici, il n’était rien. Pire, il était un ennemi potentiel. Un étranger en terre étrangère.
Il avait finalement atteint la capitale du Rhûn après un voyage de plusieurs mois durant lequel il avait perdu son amie et la raison de son périple. Durant toutes ces harassantes semaines, le jeune homme avait continué à avancer, motivé par son objectif final. Mais maintenant qu’il était à Blankânimad, la question de l’après se posait inévitablement et le flou qui l’entourait effrayait bien l’ancien capitaine qui se sentait bien désemparé. Devait-il retourner au Rohan après cela? L’idée d’un nouveau trajet aussi long et dur, cette fois sûrement seul ne l’enchantait guère. De plus, que ferait-il une fois revenu? Banni de l’armée et exilé par les instances du Château d’Or, son avenir dans le Riddermark ne semblait pas glorieux. Sa seule alternative crédible là-bas était de travailler dans la ferme de ses parents, une vie pauvre et ingrate qu’il avait fui des années auparavant. Devait-il rester ici au Rhûn pour un temps? Il ne parlait pas la langue locale et la maîtrise du Commun semblait réserver aux élites ici, une caste dont il ne ferait très certainement pas partie s’il faisait le choix de s’éterniser ici. L’hostilité et la méfiance compréhensible des locaux envers les Occidentaux compliquaient aussi les choses pour lui. Avait-il seulement un quelconque avenir dans ces terres lointaines d’Orient? Où pouvait-il bien aller sinon? Le Khand voisin semblait être une destination encore plus hasardeuse que le Rhûn. Les cités de Dale et Esgaroth présentaient l’avantage d’être de culture occidentale, et Learamn y serait sans doute mieux accueilli mais il n’était ni un marchand ni un artiste. Que pouvait donc faire un ancien officier de l’armée du Rohan dans ces cités commerçantes? Pour le moment, il n’avait aucune idée de la marche à suivre; la seule certitude qu’il avait était la fin du temps des honneurs et du faste. Était-il condamné à devenir un paria réduit à plonger dans des sombres et basses oeuvres comme Khalmeh l’avait fait avant lui?
Après de longues minutes de réflexion angoissantes, Learamn finit par être gagné par un sommeil bien troublé.
La chaleur suffocante des flammes était insoutenable et la fumée sombre qui s’en échappait l’étouffait. Le cavalier du Rohan se tenait au milieu d’une large salle dont les tapisseries poussiéreuses et les meubles moisis indiquaient une richesse passée et une gloire perdue. Learamn portait son armure de Capitaine de la Garde et sa cape d’officier était attachée à son col. Au fond de la pièce, il remarqua la présence d’un homme aux cheveux longs paisiblement assis sur un trône massif. Le trône du Château d’Or. Il était à Meduseld en proie aux flammes. Le jeune homme plissa les yeux pour essayer de distinguer ses traits mais l’incendie qui emplissait la pièce d’une sombre nuée noire l’en empêchait. Une voix familière qui s’éleva dans son dos détourna subitement son attention. “Capitaine; Capitaine."
Celui-ci se retourna et se retrouva face à Iran. La guerrière Orientale se tenait là à quelques mètres de lui. Debout et bien vivante. Répétant sans cesse son nom comme un appel à l’aide. Face à la vision de ce fantôme, il resta un moment interdit avant de se précipiter à sa rencontre. “Oh Iran! J’ai cru t’avoir perdu!” s’exclama-t-il en s’approchant.
Mais alors qu’il était tout proche et qu’il s’apprêtait à la prendre dans ses bras, il remarqua que quelque chose n’allait pas. Une dague était plantée dans la poitrine de la jeune femme, à l’emplacement du coeur. Et elle continuait à répéter inlassablement son nom. “Non non non!” hurla Learamn.
La Rhûnienne tomba alors à genoux au moment où le rohir arriva à sa hauteur, cherchant à la sauver encore une fois d’une mort certaine. D’une voix faible, elle lui demanda alors: “Rokh? Rokh a-t-il été vengé?”
Incapable de prononcer le moindre mot, Learamn acquiesca d’un mouvement de tête. Visiblement apaisée par cette nouvelle, Iran lui sourit et essuya tendrement la larme qui coulait le long de la joue de l’officier. “Alors ma mission est terminée Capitaine. -Non Iran. Ne pars pas. Pas encore, j’ai besoin de toi.”
Comme elle l’avait fait avant l’assaut contre les hommes de l’Ordre, l’Orientale posa un doigt sur la bouche de son allié. Autour d’eux, le feu commençait à gagner la charpente et des pans entiers du château s’écroulaient. “Tout ira bien Learamn. Tout ira bien.”
Elle s’effondra alors dans ses bras, inondant l’armure du jeune homme de son sang vermeil alors que les flammes agressaient son visage.
Le feu et le sang.
Impuissant à nouveau, Learamn se retourna en direction de l’homme installé sur le trône. “Elle se meurt! Aidez-la! Nous avions promis de la protéger! S’il vous plaît !”
L’homme, pas le moins du monde inquiété par l’effondrement du bâtiment, se leva sereinement et descendit les marches de l’estrade, révélant ainsi son imposante sa carrure. En guise de réponses aux implorations de Learamn, il sortit un objet circulaire de sa cape et le lança vers lui. La boule roula jusqu’à lui. L’officier découvrit alors la tête décapitée de Sellig, les traits figés dans une expression haineuse. L’homme continua à s’avancer, et le feu révéla bientôt son identité. Le Vice-Roi Mortensen observait froidement la scène qui se déroulait sous ses yeux. “Tu m’as déçu Learamn. L’insubordination ne peut rester impunie. -Qu..Quoi? - Tu seras exilé du Rohan. À jamais.”
Un sentiment de révolte gagna alors le jeune homme. Il aurait voulu se lever et étrangler ce pseudo-monarque arrogant et manipulateur, mais sa blessure au pied qui l’immobilisa soudainement et la présence du corps d’Iran dans ses bras qu’il ne voulait laisser choir sur le sol brûlant le força à rester sur place. Il laissa alors sa colère s’exprimer par les mots. “Je vous voyais comme un père Mortensen! Vous m’avez trahi! Vous avez trahi Iran! Vous avez trahi votre parole encore une fois! Le parjure est une de vos habitudes après tout non!?”
Le Vice-Roi n’eut pas la moindre réaction, comme s’il ne l’entendait pas bien au milieu de ce vacarme ambiant. Alors, Learamn s’époumona encore plus vigoureusement. “Vous m’avez utilisé! Comme un objet! À Aldburg, à Vieille-Tombe ou à Pelargir! Au charbon vous m’avez envoyé pour vous couvrir de gloire! Vous m’avez brisé et rejeté après avoir constaté mon inutilité!”
À mesure que Learamn incriminait son supérieur hiérarchique, ses effets de Capitaine disparaissaient. La cape se volatilisa et l’armure s’envola en cendres. Bientôt la silhouette de Mortensen disparut à son tour alors que le jeune homme continuait à crier. “Je te hais!”
Au-dessus de lui et de la dépouille d’Iran, le plafond céda et les décombres s’abattirent à tout vitesse vers sa direction.
Learamn se réveilla en sursaut. Il avait le souffle coupé et transpirait abondamment. Dans le lit voisin, Khalmeh dormait paisiblement. Secoué par ce cauchemar, il se leva et tâcha de se rincer quelque peu le visage pour reprendre ses esprits qui sombraient lentement.
Le page vint les réveiller à une heure très matinale; il avait amené avec lui plusieurs tenues élégantes et divers produits de toilettes. Face à l’interrogation de l’esclavagiste, le garçon les informa que la Reine les attendait aussi vite qu’ils seraient présentables. La veille, Khalmeh avait annoncé qu’il n’était même pas certain qu’elle accepte de les voir et qu’une éventuelle audience n’interviendrait pas avant plusieurs jours. Visiblement le document remis par Learamn avait fait son effet. Était-ce pour autant un signe positif? Rien n’était moins sûr.
Le Rohir se lava énergiquement, tout heureux de se débarrasser de la couche de crasse qui l’avait accompagné durant tout son trajet. Il se tailla ensuite la barbe sans toutefois la raser complètement comme il le faisait au Rohan. Il opta pour une large et confortable tunique vermeille décorée de motifs en or, ce genre de vêtement luxueux n’avait jamais fait partie de sa garde-robe qui se limitait à ses effets militaires de parade ou d’autres tenues plus simples. Mais être ainsi vêtu comme un noble ou un riche bourgeois avait quelque chose d’étrange mais était loin d’être déplaisant. En se regardant dans la glace, Learamn pouvait même constater qu’il avait fière allure. Le long voyage l’avait bien sûr marqué et il apparaissait toujours amaigri mais ces atours lui plaisaient fortement.
La remarque de Khalmeh arracha un sourire au Rohir qui put constater que ces hommes de l’Est avaient des préoccupations bien terre-à-terre comme à l’Ouest. Au fond, il y avait beaucoup de points qui rapprochaient les deux cultures malgré les différences importantes. “Je n’ai jamais été un grand spécialiste en matière de mode mais je dois avouer que j'y prend vite goût.”
Ils suivirent alors le page pour une longue marche silencieuse, durant laquelle la tension monta progressivement dans l’âme de Learamn. Il allait enfin rencontrer la Reine Lyra, une souveraine à la poigne de fer dont on disait beaucoup de choses dans les couloirs du Château d’Or à partir du peu d’informations que l’on avait à son sujet. Elle était à la fois crainte et admirée et certains la croyaient même dotée de pouvoirs magiques lui permettant d'assujettir son peuple belliqueux. Le jeune homme se doutait bien que la vérité était sûrement bien éloignée de ces rumeurs mais il n’y avait jamais de fumée sans feu et la réputation de Lyra n’était très certainement pas volée.
Un garde ouvrit les gigantesques portes de la salle du trône et annonça leur arrivée en Rhûnien. Ils pénétrèrent alors dans le repaire de Lyra. Gigantesque et Oppressant. Tels étaient les mots les plus adéquats pour désigner cet endroit. Tout ce qui se dégageait des couloirs du palais de Blankânimad était ici exacerbé de manière exponentielle. Une énorme statue couvraient les visiteurs de son ombre menaçante et aux pieds de ce géants de pierre se tenait le trône sombre. Lyra les observait d’un regard sévère.
Ce qui se dégageait de cette femme de pouvoir était particulier et dans ses souvenirs Learamn ne se rappelait pas avoir vu des dirigeants dégageait ce qu’elle pouvait dégager. Les Rois de l’Ouest comme Mephisto ou Aldarion était caractérisé par leur noblesse d’esprit, leur courage et leur sagesse. Ils étaient des hommes craints et respectés auprès desquels on se sentait en sécurité. Lyra ne faisait pas partie de cette catégorie là. Son teint albâtre rehaussé par ses lèvres d’un rouge profond renforçait sa beauté glaciale qui déstabilisait ses interlocuteurs. Peut-être était-ce le fait que ce soit une femme si jeune et si séduisante qui soit assise sur ce trône, forte d’un pouvoir incommensurable et d’une intelligence politique hors normes, rendait Learamn plus mal à l’aise. On n’avait pas l’habitude de croiser de telles personnes au Rohan.
Le Rohir imita son compagnon de voyage lorsque celui-ci s’inclina respectueusement devant sa souveraine. Khalmeh commença alors à parler mais fut sèchement coupé par Lyra. Alors elle porta son regard sur Learamn, un regard furieux qui laissait présager du courroux royal prêt à s’abattre sur cet étranger. Ce dernier tressaillit, la colère de cette femme n’annonçait rien de bon.
-Vous êtes venus m'expliquer pourquoi vous revenez du Rohan sans ma cousine.
Il n’y avait pas besoin de beaucoup de temps pour le rapprochement, mais un peu plus était sûrement nécessaire pour digérer l’information lâchée par la monarque. Interloqué, le jeune homme resta d’abord muet et se contenta d’échanger un regard surpris avec Khalmeh. Ainsi, Iran était un membre de la famille royale, cousine de la Reine. Jamais il ne s’en serait douté tant la guerrière orientale avait agi avec une humilité et un sens du devoir lors de son séjour à Edoras. Le genre de comportement qu’il ne s’attendait pas à voir au sein d’une famille royale élevée dans le luxe et le pouvoir. Il portait à présent un regard nouveau sur son amie décédée, encore plus admiratif qu’il ne l’était déjà.
D’une voix hésitante, l’ancien capitaine se décida alors à répondre à Lyra.
“Votre Majesté, Iran est morte en se battant valeureusement contre ceux qu’elle s’était jurée d’exterminer. Il se trouve que les assassins de Rokh se terraient au Rohan et n’étaient autre que des membres de l’Ordre de la Couronne de Fer. Votre cousine et moi-même avons ensemble mené l’enquête pour les trouver et les abattre afin de mettre fin à leurs méfaits. La tâche ne fut pas aisée, ces chiens étaient parvenus à infiltrer les sphères de Meduseld et tentèrent à plusieurs reprises de nous mettre hors course. Mais Iran n’a jamais baissé les bras, alors même que tout semblait perdu pour nous elle a décidé de l'accompagner contre toute logique dans une charge suicidaire contre l’Ordre. Si je me tiens devant vous aujourd’hui ce n’est que grâce à Iran, qui a risqué sa vie pour sauver la mienne. Elle fut malheureusement mortellement blessée par Sellig, Canthui de l’Ordre. Nos efforts pour la soigner se révélèrent vains et le mal qui l’habitait nous demeurait inconnus. J’ai donc pris la décision de la ramener ici, dans sa terre natale, pour y être soigné ou y vivre ses derniers jours. Mais malgré les soins prodigués par Khalmeh et moi-même, elle nous a quittés avant d’atteindre destination; nous avons enterré son corps dans les environs de Vieille-Tombe.”
Il marqua une pause et baissa la tête, à la fois en signe de respect mais aussi pour éviter le regard perçant de son interlocutrice. “Je suis sincèrement désolé votre Altesse.”
Alors, soudainement, la réponse aux questions qui tourmentaient Learamn depuis son arrivée le frappa d’un coup comme une évidence. Pour lui il n’y avait plus de retour possible, il avait décidé de quitter le Rohan; il devait donc aller jusqu’au bout de son projet. “Je sais ce que vous pensez. Vous me voyez comme une marionnette envoyée dans la gueule du loup par le Vice-Roi afin d’éviter les prémices d’une guerre entre nos deux royaumes. Vous vous dîtes aussi que je serai bien incapable d’apaiser votre rage et là-dessus vous auriez sans doute raison. Mais je ne suis pas là pour ça. Si je suis venu jusqu’à Blankânimad c’est pour vous dire la vérité, et rien que la vérité.”
La respiration du Rohir se fit de plus en plus haletant à mesure qu’il comprenait l’ampleur des mots qu’ils s’apprêtaient à prononcer. “L’Ordre a tué Iran mais n’en est pas le seul responsable. Dès son arrivée à Edoras, elle fut harcelée et victime de tentatives de meurtres. Elle fut traitée injustement par mes pairs et jetée en prison pour des crimes qu’elle n’a pas commis.”
Learamn avança encore de plusieurs pas, veillant toutefois à rester à une distance respectueuse du trône. “Mortensen n’a pas tenu sa promesse. Mortensen ne l’a pas protégée et ne s’est jamais préoccupé de trouver les meurtriers. Il s’est juste contenté de s’attribuer la gloire de leur chute.”
Sous le coup de l’émotion, l’ancien Capitaine du Rohan tremblait désormais de tous les membres de son corps. “Si je reviens du Rohan sans votre cousine, c’est à cause de Gallen Mortensen, Vice-Roi du Rohan.”
The Young Cop
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Son regard qui semblait ne pas ciller, à la manière d'un de ces grands serpents venimeux du désert, ne lâchait pas l'Occidental. Elle était dressée sur son trône, prête à frapper s'il commettait le moindre impair, la moindre bévue, la moindre petite incartade. En réalité, elle ne demandait que ça : elle n'attendait qu'une raison de sauter à la gorge de cet impudent, et de verser le sang du Rohan devant Melkor lui-même. Elle devait contenir son instinct premier, la soif de sang qui lui frappait dans les tempes et semblait oblitérer toute autre pensée. Venger Iran. Venger sa cousine. Venger l'affront fait au grand royaume de l'Est par les misérables dresseurs de chevaux.
Vengeance.
Vengeance.
Le mot semblait graviter dans son esprit, affiché en lettres de feu devant ses yeux pourtant grands ouverts. Et derrière elle, figé dans une expression de rage et de puissance à peine contenues par la pierre, le Noir Ennemi du monde l'encourageait dans cette voie. Elle n'avait qu'à dégainer son épée, et à trancher la gorge de cet ambassadeur. Elle n'avait qu'à se pencher pour ramasser sa tête, et la renvoyer au palais de ses maîtres pour que le message fût clair. Les tambours de la guerre résonnaient déjà dans son cœur, dans son âme.
Elle n'avait qu'une seule envie.
Se déchaîner.
Pourtant, elle écoutait. Toujours concentrée. Sans rien manquer. Et ce fut sans doute cela qui permit à Learamn de conserver la vie sauve. Lyra sentit sa détermination faillir quand il évoqua le fait qu'Iran avait risqué sa vie pour lui. Pour un homme de l'Ouest. Elle aurait souhaité l'interroger, le questionner, connaître en détail la nature de ce combat épique qu'il lui décrivait. Elle aurait voulu savoir quand, et comment sa cousine avait perdu la vie. Au nom de quoi elle avait laissé son âme s'envoler à Melkor, plutôt que de lui revenir… Mais au fond, Lyra savait que Learamn ne mentait pas. Elle avait toujours eu cette noblesse d'âme, ce courage, cette abnégation. C'était la raison pour laquelle, lorsque la princesse de ceux que l'on appelait les Balchoth était devenue la souveraine des Orientaux, elle avait requis la présence de cette guerrière à ses côtés. Iran avait été sa protectrice, sa gardienne, son bâton de marche. Aujourd'hui, elle n'était plus, et le monde semblait à la fois vide et effrayant.
Le second assaut contre sa résolution vint quand Learamn évoqua tous les efforts qu'il avait entrepris pour ramener Iran au Rhûn. Ce périple, elle l'avait fait à l'occasion du mariage royal, et elle savait quels étaient les dangers qui attendaient les voyageurs qui prenaient la longue route vers Blankânimad. Malgré elle, elle éprouva une pointe de sympathie pour cet homme qui avait voulu payer sa dette en ramenant une femme qu'il connaissait à peine jusqu'à son peuple. C'était la marque des âmes nobles, et un tel sens du devoir ne pouvait pas être balayé d'un revers de la main. Il avait pris la peine d'enterrer la guerrière autour de Vieille-Tombe, et Lyra se tourna alors vers Khalmeh pour s'assurer qu'il disait bien la vérité. L'esclavagiste, comprenant que les mots étaient inutiles, se contenta de hocher la tête. La reine en fut satisfaite.
Le coup de grâce vint avec ces quelques paroles de… compassion ? D'empathie ? Learamn ne pouvait évidemment pas comprendre le sentiment de Lyra, mais elle-même décelait dans ses mots davantage que des condoléances de circonstance. De toute évidence, il s'était attaché à Iran, il s'était rapproché de la guerrière comme seuls deux âmes nobles et pures le pouvaient. Et à travers ces mots, il exprimait un sentiment qu'aucun autre Occidental n'aurait pu éprouver.
Une larme solitaire coula sur la joue de la grande reine de l'Est.
Elle suffit à apaiser l'incendie, et le feu vengeur qui brûlait dans son cœur. Elle ne fit pas un geste pour la chasser de son beau visage de marbre, et se mura au contraire dans un silence pensif. Il n'était pas courant pour elle de chercher ainsi ses mots, et il n'était pas non plus courant de sa part de se laisser aller à de telles démonstrations d'humanité. Mais aujourd'hui, la nouvelle était si terrible et la touchait si personnellement qu'elle ne pouvait pas contenir parfaitement la souffrance qu'elle ressentait. Elle finit par déclarer, d'une voix plus calme :
- Iran est morte loin de sa tribu, loin de sa terre. Dites-moi qu'elle a vécu ses derniers instants en présence d'un ami.
C'était une requête curieuse, presque déplacée. Pourtant, cela en disait long sur le sentiment de la reine. Pendant l'espace d'un instant, elle avait laissé de côté la politique, les alliances, les complots… elle n'était qu'une femme attristée, cherchant un maigre réconfort chez un étranger.
Le naturel revint bientôt au galop, cependant, à mesure que Learamn poursuivait son récit. Lyra se demanda brièvement si l'homme n'était pas devenu fou, ou s'il ne cherchait pas subitement à la piéger. Contrairement aux ambassadeurs aguerris, qui maniaient le verbe avec aisance et qui savaient parfaitement dissimuler leur pensée, l'ancien capitaine lui parlait avec une franchise tout à fait désarmante. Elle ignorait s'il était le meilleur ou le pire des rhéteurs, mais quoi qu'il en fût, il parvenait à la rendre perplexe. Un petit exploit, quand on connaissait la réputation d'intelligence et de finesse politique que la jeune femme n'avait pas usurpée.
Plus les mots s'écoulaient, plus Lyra fronçait les sourcils, et plus sa colère remontait. Elle ne comprenait pas où il voulait en venir, et à quoi rimait sa manœuvre. Homme du Rohan, Learamn ne semblait lié par aucune allégeance… ou plutôt, il s'en affranchissait sous ses yeux, déliant sa langue pour lui raconter une vérité qui donnait une vision bien sinistre de son peuple. Au lieu d'évoquer l'hospitalité des siens, et la bienveillance de son peuple, il évoqua leur méchanceté et leur bassesse. Au lieu de louer la grandeur d'âme de son suzerain, d'exalter sa figure, il en peignait un portrait pitoyable, mesquin et lâche. Il blâmait ce Gallen Mortensen, cet homme que Lyra avait déjà pu rencontrer, celui qui lui avait promis qu'il rendrait justice à Rokh Visuni après sa mort tragique à Minas Tirith.
De toute évidence, il n'avait pas tenu parole.
Pire, il avait coûté la vie d'Iran.
Alors que plus tôt, Learamn avait réussi à apaiser la reine par des paroles compatissantes, il venait d'enflammer de nouveau le brasier de son esprit. Elle se leva brusquement, impériale, et tonna d'une voix déformée par la rage :
- Assez ! Assez !
Les torches qui dispensaient une lueur faiblarde dans la pièce semblèrent vaciller à cette injonction. Un frémissement sembla s'emparer des ombres de la pièce, comme si les gardes qui posaient sur les deux visiteur un œil suspicieux se préparaient à quitter leurs alcôves pour faire payer à Learamn son outrecuidance.
- Êtes-vous venu de si loin pour me défier ? Reprit la jeune femme. Êtes-vous venu pour me provoquer, et mesurer la puissance du grand royaume de l'Est ? Pourquoi accabler ainsi votre peuple ? Qu'avez-vous à y gagner ?
Elle était sincèrement perplexe, mais aussi furieuse. Elle croyait qu'il s'agissait d'une stratégie pour éprouver sa force, pour voir si la mort d'Iran pouvait la pousser à une action militaire irréfléchie contre l'Ouest. Même si elle avait confiance dans la puissance de ses armées, Lyra savait qu'elle ne pouvait pas véritablement marcher tête baissée dans une guerre longue et interminable. Ses généraux y étaient favorables, de même qu'une partie non-négligeable de la noblesse, mais elle avait fait passer la raison avant les sentiments pour les tenir tranquilles. Elle n'allait pas céder maintenant, simplement du fait de la mort d'une seule personne. Les paroles de Learamn lui donnaient le sentiment qu'il la poussait à attaquer, comme s'il voulait pousser la souveraine à reculer, et à s'incliner devant lui. Un tel affront ne pouvait être laissé impuni, et même si elle n'entendait pas mobiliser ses troupes immédiatement, elle pouvait toujours condamner à mort cet ambassadeur suicidaire, et s'épargner le souci qu'il représentait.
Elle était à deux doigts de donner l'ordre à sa garde personnelle de procéder à son arrestation, quand soudainement elle réalisa qu'il n'était pas suicidaire, et qu'il était encore moins ici pour la défier. Elle avait si peu l'habitude de la franchise qu'elle peinait aujourd'hui à la reconnaître quand elle y était confrontée, mais quand elle comprit qu'il n'était pas l'ennemi qu'elle voyait en lui, elle ravala son commandement, et demeura un instant immobile, réfléchissant.
- Qu'a bien pu faire Gallen Mortensen pour que vous lui en vouliez à ce point ?
Sa question était une flèche d'une précision mortelle qui fila droit vers le cœur du Rohirrim, et se ficha dans sa poitrine en transperçant ses maigres défenses. Lyra était loin d'être une idiote, et elle le prouvait encore aujourd'hui. Pour la seconde fois, sa colère sembla retomber, et elle laissa l'espace à Learamn de lui raconter la vérité. Toute la vérité. Tout ce qu'il avait sur le cœur et qu'il avait choisi d'emporter avec lui jusqu'ici. Quand il eut terminé, elle resta un instant à méditer, avant de lui poser une ultime question :
- Maintenant que vous m'avez dit la vérité, Learamn du Rohan… que voulez-vous de moi ?
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
La reine Lyra était une personne bien particulière. Elle semblait forte et implacable mais également profondément humaine comme en attestait la tristesse dans sa voix lorsqu’elle évoquait sa cousine. La perte d’Iran, dont elle était apparemment très proche, la peinait profondément; une peine qu’elle exprimait parfois par le biais de la colère, parfois par celui du chagrin. Learamn fut surpris de voir une larme couler le long de la joue de la souveraine. Voir une Reine pleurait ainsi devant un étranger, en plein audience, était plutôt inhabituel; qui plus est lorsque la monarque en question était celle que certains appelaient au Rohan la “terrible Dame d’Orient”. Ce moment, presque irréel, permit d’établir un rapprochement silencieux entre le Rohir et la Rhûnienne, tous deux plongés dans un deuil commun. Si le contexte et les rôles avaient été différents, peut-être lui aurait-il posé une main sur l’épaule comme pour se consoler mutuellement, ajoutant une dimension physique au lien qui les unissait à Iran. Cependant, pour des raisons évidentes, leur connexion naissante demeura purement immatérialisée.
La demande de la Reine surpris Learamn par sa dimension personnelle et complètement informelle. Mais le Rohir répondit sans trembler. “Je vous assure votre Majesté, qu’Iran est morte dans les bras d’un ami mais aussi et surtout d’un frère d’armes.”
Néanmoins l’apaisement teintée de tristesse partagée qu’avait provoqué l’évocation de la mort de la guerrière s’effaça progressivement à mesure que Learamn exposait son récit et ses accusations à l’encontre de l’homme à qui il avait jadis prêté allégeance. L’ambivalence de Lyra apparut alors de manière évidente, passant d’une tristesse voire d’une douceure sincère à une colère noire qui fit tressaillir le jeune homme de peur. Son ton devint menaçant et sa position plus dominatrice que jamais; derrière elle l’immense statue de Morgoth semblait prête à s’animer pour fondre sur cet imprudent cavalier et le plonger dans les abîmes. Le courroux royal s’était très certainement révélé fatal pour de nombreuses personnes entre ces murs dont l’existence même était alors tombé dans l’oubli. Etait-ce ainsi que le destin de l’enfant du Rohan prendrait fin? Visiblement non, car malgré son regard inquisiteur, la belle et terrifiante monarque le laissa vivre, pour le moment.
Lyra avait fini par comprendre que les propos du jeune homme n’étaient pas animé par une envie de provocation mais bien par une franchise, certe suspicieuse à première vue mais pourtant bien réel. Comme le lui avait dit Khalmeh un peu plus tôt, la dirigeante du Rhûn avait le don de sonder les âmes et les esprits des hommes et reconnaître ceux qui étaient droits et nobles.
Mais ce qu’elle savait aussi faire, c’était viser juste. La question qu’elle lui posa à propos de son grief contre Gallen Mortensen n’aurait pas pu être plus pertinente. Pourtant elle ne savait rien de l’ancien capitaine et de son parcours mais en quelques secondes elle avait réussi à pointer le doigt sur ce qui le tourmentait.
Learamn prit quelques secondes à réfléchir à sa réponse. La rage de Lyra était encore perceptible et ses menaces n’était clairement pas faites en l’air. Un mot de travers pouvait lui valoir une mise à mort immédiate, alors mieux valait-il bien les choisir. “Excellence, en venant jusqu’ici de mon propre chef je n’ai nullement eu l’intention de vous provoquer ou mesurer la puissance et le grandeur de votre royaume que j’ai pu partiellement admirer durant mon périple au côté de Khalmeh. Je suis venu pour Iran qui mérite que le récit de ses derniers jours où elle a fait preuve de tant de bravoure et de noblesse, soit narré jusque dans ses moindres détails. Tant pis si certains sont peu glorieux pour mon peuple. Iran mérite la vérité et rien d’autre.”
La question de Lyra était pourtant pertinente. Qu’avait-il y a gagner dans cette histoire en blâmant les siens devant une souveraine déjà hostile à son égard? Que cherchait-il à prouver? Peut-être était-ce là un moyen de défendre sa vision devant un auditoire prestigieux ; une version où il avait toujours eu raison et où il était victime d’un traitement injuste mais qui avait été officiellement désavouée au Rohan par le régent lui-même.
Learamn reprit, cette fois d’une voix plus déterminée. “Ce n’est pas ce que j’ai à gagner qui importe. Mais le seul fait que je n’ai désormais plus rien à perdre.”
Il avait perdu son lien familial il y a bien longtemps en quittant la ferme pour rejoindre l’armée. Il avait perdu Iran et Ouragan. Il avait perdu la confiance de Mortensen et le respect de ses hommes. Il avait perdu la foi en ce Rohan là et sa destinée glorieuse. Il avait perdu le droit de défendre sa nation, lui l’homme de guerre qui ne savait que faire cela. Il avait perdu sa raison d’être.
Et au milieu de ce brouillard d’incertitude, la blanche souveraine encadrée de sa sombre divinité représentait la seule porte de sortie possible pour lui.
“J’ai longtemps méprisé mon père. Pourtant il n’était pas un mauvais parent; il m’aimait et s’efforçait de transmettre le peu qu’il connaissait sur le monde. Je le trouvais affreusement banal, un paysan de plus sans noblesse ni courage. Un père auprès duquel je ne pouvais ni prétendre à la gloire ni aspirer à la richesse. Je l’ai donc quitté jeune pour rejoindre l’armée, en quête d’une réussite que je ne pourrai trouver dans les champs de blé de mon village. C’est à ce moment que j’ai connu Mortensen. Maréchal de la Marche et Champions du Rohan, l’homme était une légende vivante pour tout homme de la troupe. Il m’a repéré et m’a pris sous son aile. Au fil des batailles et des campagnes, il a fait de moi quelqu’un; d’abord un officier puis le Capitaine de la Garde Royale. Je le considérais comme le père que j’avais toujours voulu, comme un modèle infaillible à suivre. Je l’ai servi avec une loyauté aveugle, partant pour des missions suicidaires dont je ne savais rien, pour des campagnes lointaines dont il connaissait seul les enjeux. J’étais Capitaine de la Garde Royale du Rohan, mon rôle était de protéger la lignée d’Eorl mais il m’envoyait toujours loin de nos terres pour des combats qu’il craignait de mener lui-même. Mortensen m’a utilisé à ses fins personnels et comme un objet défectueux, il m’a laissé tombé le jour où je n’étais plus en mesure de servir ses intérêts, brisé par ses impossibles requêtes. Mon admiration pour lui et ses prouesses m’a longtemps empêché de voir ses parts d’ombres qui se manifestaient pourtant régulièrement. Sa violence exacerbée, son orgueil démesuré. Il a profité d’une guerre fratricide pour étendre son pouvoir et prendre le contrôle du royaume alors que pas une goutte de sang royal ne coule dans ses veines, contraignant par le même occasion certains héritiers légitimes et anciens alliés à un exil déguisé. Il s’est parjuré devant l’Usurpateur Hogorwen pour préserver son influence et préserver ses privilèges.”
A mesure qu’il parlait, la colère dans la voix du Rohir se faisait de plus en plus ressentir. Comme si ses paroles ne visaient pas simplement à convaincre son interlocutrice, mais aussi à se persuader lui-même de leur bien-fondé. Transférer la cause de tous ces malheurs sur un seul homme était commode et parvenait magiquement à métamorphoser la tristesse en haine. “Je n’ai pas vu tout cela, je croyais avoir sa confiance et il avait la mienne. Je lui étais totalement dévoué. Mais le jour où j’étais à terre, incapable de marcher seul où de me battre; il m’a délaissé, écarté de mes fonctions et exilé de ses terres. Je lui étais devenu inutile et toute volonté de ma part de continuer le combat contre les ennemis du Rohan perçue comme une atteinte à son autorité. Désavoué par le Vice-Roi, j’ai rapidement perdu le respect des miens. J’étais à terre dans mon royaume et la seule personne qui m’a tendu la main était une étrangère: Iran. Votre parente m’a vu pour ce que j’étais et non ce que je pouvais lui apporter.”
Il marqua une pause, laissant à la Reine Lyra le temps d’assimiler les informations comprises dans son réquisitoire. La souveraine lui demanda alors ce qu’il attendait d’elle. “J’ai échoué à protéger la vie d’Iran mais je peux toujours honorer sa mémoire et achever ce qu'elle a commencé. Je suis un homme d’armes ne sachant manier que l’épée, un guerrier ne sachant que combattre. Mais mon royaume rejette désormais mes services.”
Learamn posa alors un genou à terre et inclina la tête, comme s’il se soumettait à la Reine du Rhûn et à sa divinité démoniaque. “Votre Majesté, je vous en prie veuillez acceptez ma lame. Pour Iran”
La jeune femme semblait inquiète. Presque perdue, sous ces vastes arches qui semblaient se pencher vers elle pour l'ensevelir sous des tonnes de roc. Leur ombre épaisse dansait sur ses épaules, seulement chassée par la lueur fébrile de quelques bougies. Elle était si frêle, si pâle, chétive pour ne pas dire maladive. Son teint blême n'était pas seulement la conséquence de son sang, mais bien du souci qu'elle se faisait en cet instant précis. Un homme de haute stature, qui se tenait légèrement en retrait, s'approcha et congédia les servantes d'un geste de la main.
- Tout ira bien, rassure-toi.
Il s'approcha dans son dos avec la souplesse d'un serpent, et prit doucement ses cheveux entre ses mains épaisses et calleuses, avant de se mettre à les coiffer. Ils étaient si doux et si lisses que le peigne semblait y glisser comme s'il brossait une rivière d'encre. Ils contrastaient de manière saisissante avec le teint d'albâtre de sa peau, comme si les fines plumes d'un corbeau s'étaient posées sur la face de la lune. Son maquillage rehaussait la profondeur et l'intelligence de son regard alerte, où brillait une lueur effrayée.
- Mais c'est une possibilité. Que dois-je faire s'il ne m'aime pas ?
L'homme déposa délicatement le peigne sur une petite table, et aida la jeune femme à nouer les lacets d'une tunique qui lui serrait la taille. Elle en eut le souffle coupé, mais elle avait déjà vu bien pire. Il lissa les plis de sa parure de soie cousue de fils d'or, et lui fit passer un manteau brodé qui figurait des motifs floraux d'un réalisme saisissant. On aurait dit qu'une main habile avait piqué des milliers de petits hibiscus dorés dans sa tenue d'un rouge éclatant. Les mains de l'homme semblaient assurées, et il vérifiait le moindre détail avec plus de minutie que la plus perfectionniste des servantes.
- Tu sais quoi faire, répondit-il. Mais je suis persuadé qu'il t'aimera quoi qu'il arrive.
Elle baissa la tête, et demanda timidement :
- Tu penses ?
- Mais oui. Tu es la plus belle princesse à avoir jamais foulé le sol de Blankânimad. Tu es la perle des Balchoth, et je suis certain qu'il tombera à tes pieds dès qu'il te verra.
Elle inspira profondément, comme pour se donner du courage. L'heure était proche où elle devrait rencontrer son futur mari, qui l'attendait ainsi que toute la cour du palais royal pour célébrer leurs épousailles. Tout avait été arrangé à l'avance, sans lui demander son consentement bien entendu. Elle n'avait même jamais eu l'occasion de voir son visage, sinon sur des portraits qui le figuraient comme beau et noble, mais austère. Lui-même avait dû voir des peintures similaires, qui savaient rehausser la beauté des modèles, corriger leurs défauts, effacer leurs imperfections. La réalité était rarement à la hauteur.
- Toutes les plus belles femmes du royaume sont déjà prosternées à ses pieds… Et s'il était déçu ?
L'homme acheva d'attacher une superbe broche qui figurait un soleil stylisé sur le col de la jeune femme, et s'accroupit devant elle pour lui prendre les mains. Elle plongea son regard dans le sien, et se laissa envelopper par ses paroles réconfortantes.
- Les plus belles, peut-être. Mais il n'a pas encore croisé la route de Lyra Armadin, la jeune fille la plus intelligente de tout le royaume. L'esprit le plus vif et le plus acéré qu'il m'ait été donné de rencontrer. S'il y a bien une femme qui sait lire dans le cœur des hommes, et qui sait exploiter leurs passions, c'est bien toi. C'est la raison pour laquelle tu es là, aujourd'hui. Et c'est la raison pour laquelle notre père a placé sa confiance absolue en toi.
Elle hocha la tête fermement, et lorsque la porte de son immense boudoir s'ouvrit pour lui permettre de gagner le grand salon où devait se dérouler le mariage, son regard avait retrouvé toute sa détermination. Elle était jeune, elle était désirable, elle appartenait à une puissante tribu, mais surtout elle était d'une intelligence et d'une perspicacité redoutables.
Aucun homme, fût-il roi, ne lui résisterait jamais.
Depuis les premiers jours de son mariage, et plus généralement depuis qu'elle avait pris l'habitude de vivre à Blankânimad, le talent de Lyra n'avait pas cessé de croître. Plongée perpétuellement au milieu d'intrigues politiques allant du puéril au très sérieux, elle avait affûté sa capacité à lire les individus, et s'était fait une spécialité de déceler les signes d'une trahison future chez ceux qui complotaient contre elle. On la disait parfois paranoïaque, perpétuellement sur la défensive, mais jusqu'à présent elle avait réussi à se maintenir au pouvoir contre vents et marées, ce qui prouvait que sa méthode n'était probablement pas mauvaise. Elle avait déjoué habilement plusieurs tentatives de subversion, et les rares opposants à son régime étaient persécutés comme les traîtres qu'ils étaient, toujours plus loin à l'Est. Leur petite rébellion ne les mènerait nulle part. Elle tenait un royaume entier dans la paume de sa main, et savait parfaitement sur quel fil tirer pour provoquer la réaction attendue.
Learamn, le jeune officier du Rohan qui se tenait devant elle, ne présentait donc aucune difficulté.
C'était du moins ce qu'elle avait supposé, jusqu'à ce qu'elle comprît qu'à force de chercher le mal chez tous ceux qui venaient lui demander audience, elle pouvait être induite en erreur face à la candeur d'un homme qui semblait au moins aussi meurtri qu'elle pouvait l'être. Consciente qu'elle avait fait fausse route le concernant, elle lui offrit l'opportunité rare de s'expliquer, et donc de la faire changer d'avis à son sujet. L'ancien ennemi, devenu soudainement ambassadeur malgré lui, s'empara de cette chance et en profita pour lui faire le récit de son extraordinaire aventure.
A dire vrai, elle attendait une réponse banale, l'histoire sans saveur d'un homme rejeté par la société qui l'avait vu naître, et qui cherchait un nouveau départ dans la vie. Pourtant, chez ce Learamn, il y avait bien davantage que cela. Il y avait la recherche de la vérité, nue, pure et tranchante, même si elle devait pour cela se révéler blessante voire insoutenable. Il y avait cette noblesse d'âme, ce courage foulé aux pieds, et ce désir permanent de se racheter, de faire ce qui était juste. C'était un ressort puissant, mais aussi une profonde faiblesse de l'âme humaine. Lyra n'était pas certaine que son interlocuteur en était conscient, mais elle ne serait pas celle qui pointerait du doigt cette faille de son caractère. Non.
Elle avait d'autres projets pour lui.
Alors qu'il parlait, elle ne fit aucun commentaire, se contentant d'écouter cet homme qui semblait enfin vider son sac après l'avoir tenu à bouts de bras pendant trop longtemps. Même son compagnon semblait découvrir des éléments de sa vie, et à plusieurs reprises il montra une franche surprise, comme s'il apprenait à connaître véritablement un homme qu'il côtoyait depuis fort longtemps. Learamn parla de son père, de sa vie simple, de ses rêves brisés, et de cette figure qui semblait le hanter.
Gallen Mortensen.
Lyra avait eu l'occasion de le croiser, lors du mariage du roi d'Arnor et de la princesse de Dale, à l'occasion de la mort tragique de Rokh Visuni. Cette affaire avait été le point de départ de la dernière aventure d'Iran, et c'était la dernière fois que Lyra avait vu sa cousine. Alors, la souveraine avait noté chez le preux représentant du peuple du Rohan la même faiblesse que Learamn lui indiquait : une noblesse de façade qui cachait en réalité une face obscure. Elle avait bien senti que son apparence vertueuse dissimulait un certain nombre de vices, et l'exilé ne faisait que confirmer son impression d'alors. Violence et orgueil, voilà les termes qu'utilisait l'ancien capitaine pour parler du Vice-Roi. Deux traits que Lyra avait décelés quand il avait osé la provoquer devant ses hommes, qu'il avait osé la menacer de mort alors qu'elle cherchait à éviter une guerre meurtrière entre leurs deux royaumes. La violence de ses propos, de sa réaction, c'était la seule manière qu'il avait de communiquer avec quelqu'un qui lui tenait tête. Et l'orgueil… cette vanité toute occidentale qui le poussait à défier militairement un royaume qui avait érigé la guerre en art, et la discipline en mode de vie. Si les armées du Rhûn décidaient de déferler sur le Rohan, le royaume des dresseurs de chevaux serait mis à feu et à sang en une poignée de semaines.
Et lui, inconscient de cette réalité, avait jugé utile de la provoquer ouvertement.
Lyra comprenait parfaitement la réaction de Learamn, un homme trahi qui souhaitait dénoncer l'abus qu'il avait vécu et dont il souffrait encore. Un abus de confiance, de la part de son mentor et de son modèle. Un abus de pouvoir, de la part de son supérieur hiérarchique qui l'avait envoyé maintes fois défier la mort. Sans repère, sans foyer, Learamn était égaré dans le vaste monde, et la souveraine de l'Est ne fut pas véritablement surprise lorsqu'il posa un genou à terre.
Ce jeune guerrier souhaitait uniquement mettre sa lame au service d'une personne qui lui accorderait sa confiance et, accessoirement, une personne qui le récompenserait à la hauteur de ses efforts. Il se parjurait en prêtant allégeance à celle qu'il avait appris à détester, mais c'était pour lui la seule manière de donner un sens à sa vie. Il avait perdu sa famille, ses titres, ses privilèges, et il venait de perdre Iran…
Il ne lui restait plus que le Rhûn, ou la mort.
La reine inspira profondément, considérant la situation. Elle ne connaissait rien de cet homme, de ses compétences, ou de ses véritables allégeances. Elle avait déjà vu des espions habiles se montrer particulièrement convaincants, à défaut d'être discrets. Certains parvenaient à se hisser dans le conseil des souverains ou des seigneurs pirates, simplement car ils savaient mettre en valeur leur noblesse d'âme, tout en cachant leurs véritables affiliations. Learamn était-il de ceux-là ? Ou bien était-il possible de lui faire confiance, et d'exploiter au profit du Rhûn tout ce qu'il savait sur le royaume du Rohan ?
A travers lui, elle voyait une opportunité unique de découvrir tous les rouages du pouvoir, tous les complots en cours et à venir, de comprendre qui étaient les acteurs majeurs de la politique royale non pas d'un point de vue officiel, mais d'un point de vue interne et mieux informé. Learamn pouvait être un informateur extrêmement utile, et tout ce qu'il demandait en échange, elle savait pouvoir le lui offrir. La perspective de porter un coup fatal à Gallen Mortensen les animait tous les deux autour de la mémoire d'Iran, et elle était persuadée que si Learamn n'était pas un menteur, il pouvait devenir un de ses plus grands alliés. Restait à trouver comment exploiter au mieux sa colère…
- Learamn du Rohan, finit-elle par répondre après un long moment.
Elle marqua une pause théâtrale, satisfaite de sentir son impatience, de percevoir son désir de lever les yeux vers elle qu'il ne pouvait assouvir au risque de commettre un impair.
- Je perçois la pureté de votre cœur. Vous avez ramené Iran jusque dans ses terres, et vous êtes venu à moi pour me parler avec des mots de vérité. Honneur, courage, loyauté, voilà ce qui vous caractérise. Voilà ce qui vous distingue. Pourtant…
Nouvelle pause. Plus longue encore, cette fois, comme pour le laisser tressaillir d'effroi. Elle poursuivit :
- Nos deux peuples sont étrangers l'un à l'autre. A mon service, vous trouverez peut-être que ce royaume est trop différent du vôtre. On dit des Occidentaux que l'esclavage les rebute, que la foi de Melkor les dégoûte, que la domination d'une femme les amuse… Votre loyauté, si vous me la confiez, sera mise à rude épreuve. Votre courage sera testé. Votre honneur… il sera confronté à l'honneur des gens d'ici. Et qui peut affirmer aujourd'hui que vous demeurerez parfaitement fidèle à ma parole ? Qui peut dire que vous servirez sans faillir la reine du Rhûn, comme Iran la servait ?
La question était rhétorique. Aujourd'hui, Learamn était un inconnu dans un royaume étranger, et sa parole ne valait plus rien. Comme Iran au Rhûn, il devait de nouveau prouver qui il était, ce qu'il était, et il ne pouvait pas compter sur sa seule réputation pour lui ouvrir les portes qu'il estimait mériter de franchir. Lyra percevait bien cela, et contrairement à Gallen, elle avait suffisamment d'expérience politique pour savoir comment manipuler les sentiments des hommes et les tourner à son avantage. Lui faisant miroiter tout ce qu'il pouvait gagner à la servir, elle souffla :
- Pourtant, le royaume du Rhûn a tant à vous offrir, Learamn. La justice de ce pays est impitoyable, mais équitable. Le traître est châtié, le juste récompensé. Votre compagnon, Khalmeh Elkessir, peut sans doute vous en dire énormément à ce sujet.
Khalmeh était demeuré en retrait de la conversation, à la fois surpris du tour qu'elle venait de prendre, et patient car il espérait bien pouvoir exploiter la moindre opportunité qui lui serait donnée de présenter sa magnifique marchandise. Être ainsi ramené de force au centre du propos avait de quoi le désorienter, car cela prouvait à la fois que la reine savait parfaitement à qui elle avait affaire, et qu'elle n'avait pas perdu de vue son intérêt à lui qui différait de celui de Learamn. Il ne put s'empêcher de balbutier quelque chose auquel Lyra ne prêta pas la moindre attention. Elle n'était pas là pour recueillir son avis, mais bien pour faire une démonstration. Si elle connaissait l'histoire de Khalmeh, elle savait qu'il avait goûté de manière douloureuse à la justice du Rhûn, et si elle acceptait de le recevoir en audience, c'était parce qu'elle était prête à le récompenser s'il lui prouvait qu'il en valait la peine.
L'argument était parfait et tout trouvé.
Reprenant, Lyra ajouta :
- Notre médecine est mystérieuse, mais fort efficace. Nous pourrions réparer votre corps, et renforcer votre esprit. Il y a ici mille secrets qui pourraient nourrir votre curiosité, et susciter votre intérêt. Que vous soyez homme de lettres ou homme de guerre, vous trouverez ici de quoi apprendre et progresser. Que vous serviez comme esclave ou noble, vous serez récompensé à la la mesure de votre dévotion. Les soieries qui vous habillent présentement ne sont qu'un maigre avant goût des richesses que l'homme faible ne fait que désirer, et que l'homme noble ne sait qu'accepter.
Parler de richesses n'était pas ce qui ferait basculer Learamn. Cela serait revenu à essayer d'attirer un chien avec un brin d'herbe. Les hommes de valeur ne fonctionnaient pas ainsi, et ce qu'ils recherchaient était moins matériel. Cependant, elle savait aussi que même le guerrier le plus désintéressé appréciait de pouvoir se délasser dans un lit confortable, et de ne pas avoir à se soucier des problèmes des gens du commun. Lyra avait en outre bien compris, en fréquentant des soldats, que tous ceux qui sacrifiaient leur vie sur l'autel de la guerre souhaitaient offrir à leur épouse et leurs enfants une vie éloignée de tous ces soucis. Les hommes prêts à ramper dans la boue et le sang le faisaient car ils savaient leur famille à l'abri du besoin. Learamn n'avait pas fait mention d'une femme ou d'un enfant, mais Lyra était persuadée que lorsque la question s'imposerait à lui, il serait heureux de pouvoir offrir à sa progéniture un toit, et une éducation.
Les hommes, qu'ils fussent nés à l'est ou à l'ouest dans l'Anduin, au nord ou au sud de l'Harnen avaient tous les mêmes préoccupations.
Après lui avoir étalé tous les bienfaits qu'il pourrait tirer de son allégeance au Rhûn, à la manière d'une marchande habile disposant ses produits sur un étal chatoyant, elle en arriva à la question du paiement. Leur relation était transactionnelle, fondée sur l'intérêt réciproque qu'ils pouvaient tirer de cette alliance, mais Lyra était en position de force. Elle avait tout à offrir, et en échange elle pouvait tout exiger ou presque. Même la vie de Learamn, s'il lui plaisait. Forte de cet avantage, elle glissa une main sous le menton du jeune homme, et l'invita à lever les yeux vers elle.
Elle était splendide et majestueuse, encore davantage sous cet angle. Ses cheveux de jais se confondaient avec les ombres du plafond, si bien qu'elle ressemblait à une apparition cauchemardesque surgie des ténèbres. Une apparition au visage d'une grande beauté, mais aussi d'une grande froideur.
- Learamn du Rohan. Je ressens au fond de votre cœur le désir ardent de servir une noble cause, d'offrir votre vie au Rhûn pour compenser celle de ma cousine. Iran… était une âme unique. Irremplaçable. Prouvez-moi que vous êtes à la hauteur de sa mémoire, et je vous offrirai une vie digne de votre engagement. Que Melkor en soit témoin.
- Loué soit son nom, marmonna Khalmeh.
La reine laissa cette proposition infuser dans l'esprit de l'Occidental, avant de se tourner vers l'Oriental. Khalmeh semblait réellement perplexe face à cette situation incongrue. Il était venu à Blankânimad animé d'une mission qui lui tenait particulièrement à cœur, et jusqu'à présent Learamn n'avait représenté qu'un moyen commode d'entrer en contact avec la souveraine de son royaume. Aujourd'hui, il voyait son compagnon de route sous un jour nouveau, et c'était tout à coup lui qui semblait prendre toute l'importance dans cette conversation. L'esclavagiste se sentait étrangement timide à l'idée de passer après Learamn, un homme qui venait de s'engager au service de la reine et de faire la démonstration de sa détermination. Il fallait se montrer à la hauteur de ce modèle pour ne pas décevoir la grande reine de l'Est.
- Et vous, Sire Khalmeh ? Vous avez demandé une audience à votre souveraine pour, si je ne m'abuse, me montrer votre dernière acquisition ?
- Euh… oui, votre majesté, c'est tout à fait exact. On m'a dit que l'on s'arrangerait pour faire parvenir ma créature jusqu'à vous.
A ces mots, surgissant de nulle part comme par enchantement, une douzaine de serviteurs s'avancèrent en traînant la cage de Khalmeh qui avait été montée sur roulettes pour l'occasion. Les hommes avaient de toute évidence reçu des consignes, car ils semblaient ne pas savoir ce qu'elle contenait. Ils s'écartèrent prudemment, et disparurent dans l'ombre tandis que Khalmeh s'avançait fièrement.
- Votre majesté, avant toute chose, laissez-moi vous entretenir de ce qu'il m'a été donné de voir au Harad pendant que j'y séjournais. L'armée des Seigneurs Pirates qui s'est emparée du Harondor, forte de plusieurs milliers d'hommes du désert, était certes impressionnante et terrifiante. Les grandes bêtes du Sud ont fait des ravages durant la campagne militaire, notamment durant la bataille de Dur'Zork. Cependant, j'ai la conviction que les hommes du Harad n'auraient jamais remporté la victoire s'ils n'avaient pas disposé dans leurs rangs d'une arme secrète d'une grande puissance.
Ayant vraisemblablement travaillé ses effets, il retira le tissu qui dissimulait la cage, et révéla aux yeux de Learamn comme de Lyra la fameuse « créature » qui se trouvait à l'intérieur. Et la surprise était de taille. La reine eut même un léger mouvement de recul, lâchant un juron étouffé dans sa langue natale avant de s'approcher doucement, sincèrement intriguée.
- C'est…
- Oui, votre altesse. Ce superbe spécimen d'Uruk mâle vient tout droit du Harad, et malgré les difficultés du voyage, vous pouvez voir qu'il est toujours dans une forme exceptionnelle.
Khalmeh disait vrai. La créature était un Uruk de haute stature, comme on en trouvait que rarement. Un monstre de plus de six pieds de haut, au torse large et à la musculature dessinée. Sa gueule légèrement entrouverte dévoilait des crocs presque aussi grands que ceux d'un sanglier, et dans son visage buriné étaient enfoncés deux yeux jaunis et étrécis, comme ceux d'un sournois prédateur. Sa respiration profonde soulevait légèrement sa poitrine couturée de cicatrices, alors que son regard se portait d'un bout à l'autre de la pièce, comme s'il évaluait ses options de sortie.
- En effet, fit la reine. Quand je le vois ainsi, j'ai peine à croire que vous l'ayez ramené péniblement du Sud lointain. Vous dites que les Haradrim auraient gagné la guerre en employant de telles créatures ?
- Des centaines, votre altesse. Ces esclaves ont été dressés spécialement pour obéir aux ordres. Ils sont dociles, disciplinés, et terriblement efficaces au combat. Ils instillent la peur dans le cœur des Hommes, et nul n'a à se soucier de les payer ou de les voir se révolter. Aujourd'hui encore, ils contribuent au maintien de l'ordre dans les cités conquises par les pirates.
Lyra s'approcha de la cage, de plus en plus curieuse. Son regard plongea dans celui de la bête, où on lisait une haine à peine contenue. Elle aurait voulu tendre la main à travers les barreaux pour toucher la peau parcheminée de ce monstre, mais elle se retint. L'idée de perdre un bras bêtement ne lui disait rien. Son intérêt avait été piqué au vif, même si bien entendu elle n'aurait jamais l'idée de remplacer ses précieux soldats sur-entraînés par des créatures aussi peu fiables que les Orcs, fussent-ils plus proches des Uruk-Hai comme celui-ci. Cependant, elle devait bien admettre qu'il y avait un bénéfice certain à comprendre cette nouvelle arme, et le procédé par lequel on pouvait les créer. De telles troupes pouvaient remplir bien des missions à moindre coût, et épargner la vie de nombreux soldats sur le champ de bataille. En outre, nul ne pouvait affirmer qu'un jour elle n'étendrait pas ses prétentions si loin au sud qu'elle rencontrerait la résistance des gens du Harad. Elle serait alors heureuse de connaître l'arme soi-disant secrète de ces barbares.
- Des centaines, vous dites. Comment sont-ils dressés ?
- Un conditionnement extrême, et un simple bâton de commandement, votre altesse. Quiconque le tient devient le maître de ces choses. J'ai moi-même été dubitatif, mais pour avoir vu ces créatures obéir au doigt et à l'œil à leur maître, je peux vous assurer que ce conditionnement fonctionne.
Khalmeh ne cachait pas sa fierté. Il avait ramené à sa souveraine un présent à la fois étonnant et utile, qui ne pouvait qu'attiser la curiosité d'une monarque qui n'avait jamais tourné le dos à la nouveauté. Il pensait la convaincre à l'aide d'une petite démonstration, un tour qu'il aurait pu faire faire à son Uruk pour montrer à Lyra que cette créature était totalement soumise. Il avait vu des maîtres les faire se rouler en boule, les humilier publiquement, voire même leur demander de se scarifier. Les acheteurs ne reculaient devant rien pour éprouver la fiabilité de leur marchandise, et certains tiraient un plaisir pervers à abuser de leur pouvoir. La reine du Rhûn n'était peut-être pas innocente, mais elle ne trouvait aucune joie dans le fait d'infliger des souffrances inutiles à une telle créature. Au lieu de quoi, son esprit raisonnait en termes d'utilité. Elle ne voulait pas poudre aux yeux, elle voulait des accomplissements concrets.
- Votre Uruk est très impressionnant, sire Khalmeh. Et l'idée de faire face à une armée de ces choses est pour le moins troublante. Vous comprenez, cependant, que je puisse douter de vos affirmations concernant leur fiabilité. Qui me dit que cette créature peut être contrôlée dans la fureur de la bataille ? Qui me dit qu'elle n'échappera pas à votre empire à la moindre occasion. Le risque est immense, vous en conviendrez.
- Votre majesté, vos doutes sont bien naturels. Cependant je puis vous garantir que…
- Me garantir ? Trancha Lyra. Il n'y a rien que vous puissiez me garantir en l'état. Cependant, je sais comment vous pourriez faire vos preuves. J'attends une cargaison très spéciale, qui doit arriver à Albyor à la prochaine lune complète, avant de m'être livrée à Blankânimad. J'ai des raisons de croire que des individus mal intentionnés pourraient vouloir s'emparer de cette cargaison, et la détourner à leur profit. Votre Uruk peut certainement assurer une mission de protection discrète, et garantir un transport sans encombres. N'est-ce pas ?
L'esclavagiste n'avait pas le choix. Il devait accepter le marché, sans quoi la reine supposerait qu'il n'avait lui-même pas confiance dans sa marchandise. En outre, pour pouvoir payer sa dette auprès de ses compagnons, il était contraint de faire les quatre volontés de sa suzeraine, quitte à prendre des risques pour cela. Seule Lyra pouvait décider de le récompenser pour son effort, et de lui rendre ses titres et honneurs. Il jouait son avenir sur cette affaire, et il ne pouvait évidemment pas reculer. D'une voix ferme il répondit :
- Bien entendu, votre altesse. Cette créature est tout à fait capable d'accomplir une telle mission, et je suis persuadé que sa seule présence saura dissuader d'éventuels voleurs. Vous pouvez compter sur moi.
- Très bien, c'est entendu. Je vous ferai parvenir les détails plus tard. Learamn, vous l'accompagnerez.
Les deux hommes se jetèrent un regard perplexe, mais Lyra n'était pas le genre de femme à aimer se répéter. Ce n'était pas une demande, mais bien un ordre. Le premier qu'elle lui donnait officiellement.
- Vous souhaitez faire vos preuves, voici votre chance. J'aurais confié une telle mission à Iran sans hésiter… à vous de me montrer que vous pouvez faire aussi bien qu'elle. Prenez quelques jours de repos à Blankânimad, et pendant ce temps vous apprendrez à faire connaissance avec vos futurs compagnons de route.
Le sourire de la reine s'étira perceptiblement, à l'idée qu'un esclavagiste, un Rohirrim et un Uruk devraient s'associer pour lui ramener sa cargaison. L'ironie de la situation était irrésistible. Pendant l'espace d'un instant, on aurait dit qu'elle avait tout organisé depuis fort longtemps, et qu'elle se délectait simplement de les voir tomber des nues en découvrant le sort qu'elle leur réservait : une mission toute trouvée, des compagnons qui seraient autant là pour les aider que pour les surveiller et les évaluer… Rien ne paraissait avoir été laissé au hasard. A moins qu'elle ne fut seulement dotée d'une intelligence vive et qu'elle eût été capable de s'adapter rapidement à l'opportunité qui se présentait à elle. Deux hommes désespérés mais compétents qui venaient à Blankânimad pour espérer gagner ses faveurs, deux hommes qui pouvaient se révéler fort utiles et qu'elle s'empressait de mettre à contribution pour réaliser une mission en son nom.
Visionnaire ou ingénieuse, futée ou prévoyante… il n'était pas facile de cerner la reine. Dans un cas comme dans l'autre, Lyra était d'une agilité surprenante, et elle leur prouvait à tous les deux qu'elle n'avait pas usurpé sa réputation. Elle les dévisagea tour à tour, attendant d'éventuelles questions de leur part. Khalmeh n'osait pas en poser, décontenancé par le tour que venait de prendre cette affaire. Il ne restait plus que Learamn, qui semblait se remettre un peu mieux de la surprise et du choc.
Il avait une opportunité unique d'essayer de découvrir tout ce que Lyra ne leur disait pas au sujet de cette mission.
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Le contact glacé des doigts filiformes et gracieux de la Reine fit frissonner Learamn qui leva lentement les yeux pour dévisager Lyra qui le dominait de tout son être. Le jeune homme avait croisé plusieurs monarques au cours de sa carrière: Mephisto et Mortensen se distinguaient par leur aura de noblesse et d’héroïsme, la Rhûnienne quant à elle dégageait un magnétisme envoûtant et exotique qui lui était propre. Il y avait en cette femme quelque chose qui fascinait le rohir, il avait pu ressentir un sentiment similaire auprès d’Iran à la différence près que la présence de cette dernière avait eu le don de le rassurer quand celle de sa cousine ne faisait que l’intimider. Elle s’épancha longuement sur les vertus de son royaume, ce qu’elle avait à lui offrir mais aussi sur les difficultés auxquels il ferait inévitablement face en tant qu’étranger. L’évocation de la médecine locale et ses capacités alluma une étincelle d’espoir dans l’esprit du jeune homme, meurtris depuis si longtemps pas les stigmates d’une guerre qui n’était pas la sienne. Mais de ce discours il n’y avait qu’une seule chose à retenir: elle avait acceptée sa requête.
Tout n’était pas encore gagné et Learamn devait encore prouver sa valeur et sa loyauté mais l’essentiel était là, sans aucun retour possible: il était désormais au service du royaume du Rhûn.
La monarque détourna alors l’attention de son nouveau vassal pour se concentrer sur son compagnon de voyage et ce qu’il était venu lui offrir. L’ancien capitaine en profita pour reprendre lentement ses esprits et se redresser.
Si Khalmeh avait fait tout ce chemin jusqu’à la capitale pour obtenir une audience avec la Reine, c’était avant tout pour parler affaires. Il ne s’en était jamais caché, cependant la nature exacte de sa marchandise était restée inconnue à Learamn et l’esclavagiste avait soigneusement évité le sujet durant les longs mois de voyage. Des pages apportèrent alors la fameuse cage à l’odeur pestilentielle et Khalmeh révéla théâtralement son contenu: un Uruk.
La créature était d’une taille imposante et sa carrure massive en faisait une véritable force de la nature. Ses yeux noirs et mauvais étaient fixés sur la Reine Lyra alors que son souffle putride et rocailleux résonnait contre les murs de pierre de la salle du trône. Le marchand faisait preuve d’une sacrée audace, transporter un tel monstre sur des lieux n’avait rien d’une tâche aisée mais l’introduire dans le palais royal de Blankânimad avait tout d’un pari hasardeux. Le voyage avait sûrement pu être maîtrisé en employant divers drogues et produits visant à garder le captif calme, Khalmeh était rompu à ce genre de pratiques mais i lui était bien impossible de prédire les réactions de la Reine Mais après tout , l’adage disait bien que la fortune sourit aux audacieux. Lyra, d’abord surprise, reprit vite ses esprits et se montra très intéressé par la perspective de pouvoir compter sur une telle bête de combat dans ses rangs. L’esprit de la reine orientale était vif et ingénieux et lui permettait toujours de prendre un temps d’avance sur ses interlocuteurs pour mieux les décontenancer; car elle avait déjà des plans pour eux trois.
La souveraine évoqua alors une mission de la plus haute importance et qui ressemblait au test parfait pour ses nouvelles recrues: l’érudit exilé, le chevalier étranger et la bête sanguinaire. Elle venait d’élargir l’éventail de pièces de jeu à sa disposition et comptait bien en profiter pour varier ses stratégies de jeu.
Learamn ne s’était pas vraiment attendu à partir en première mission pour sa nouvelle suzeraine avec un Uruk et à vrai dire cela ne l’enchantait guère. Malgré sa longue carrière il n’avait jamais croisé la route d’un tel spécimen aussi colossal et c’était sûrement pour le mieux tant il lui semblait que l’Orc ne ferait qu’une bouchée de lui. Il avait pourtant croisé le fer avec de nombreux guerriers d’élites et mêmes plusieurs elfes et s’était maintes fois distingué comme l’un des meilleurs bretteurs du Rohan mais face à la force brute de ce monstre que pouvait bien faire une malheureuse lame? Tout compte fait mieux valait-il avoir cet Uruk dans son camp et dressé comme il se doit - si il était toutefois possible de dresser correctement ce genre de créature. De plus cette première mission était une occasion en or de prouver à Lyra qu’il était prêt à la servir et de montrer l’étendue de ses capacités.
Il se contenta donc de répondre sobrement en inclinant la tête.
“A vos ordres, votre Majesté.”
The Young Cop
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L'entrevue avec la reine s'était achevée sur une note étrange pour les deux hommes, contraints de se retirer respectueusement sans avoir tout à fait compris les implications de ce qu'elle leur demandait à tous les deux. Learamn, désireux de faire ses preuves, se voyait confier une mission de la plus haute importance sans laquelle il ne pourrait jamais entrer pleinement au service de cette souveraine orientale qui lui promettait monts et merveilles en échange de sa plus totale loyauté. Khalmeh, quant à lui, était contraint de mettre sa propre marchandise à l'épreuve, sans bien savoir s'il serait en mesure de contrôler l'Uruk jusqu'à l'accomplissement de sa quête. Il avait secrètement espéré que Lyra ne poserait pas trop de questions en ce sens, et il comptait sur sa verve pour la convaincre de le prendre à son service, ou d'en faire son animal de compagnie. Il s'était bien trompé au sujet de sa suzeraine, et il commençait à regretter d'avoir voulu lui tenir la dragée haute. Fort heureusement, il avait encore le bâton de commandement, mais il savait très bien que sans cet objet dérisoire, la créature se vengerait de tous les sévices infligés en lui déchirant la gorge à l'aide de ses crocs proéminents. Une armée entraînée disposant d'une logistique efficace pouvait sans peine gérer un tel monstre, mais que pouvait-il accomplir avec à sa disposition une équipe réduite d'hommes courageux, certes, mais qui manquaient cruellement de finesse et d'expérience.
Il se sentait affreusement seul face à cette tâche impossible.
Alors qu'il traversait les couloirs de Blankânimad, toujours guidé par le page qui les avait conduit à l'entretien, son regard se posa sur le jeune occidental, qui ne disait pas grand-chose. Non, il n'était pas seul dans cette aventure… Cependant, il était flanqué d'un acolyte si particulier et si imprévisible qu'il ne savait pas s'il devait se réjouir ou se lamenter. Learamn était un guerrier, à n'en pas douter, mais ses blessures avaient affaibli son corps autant que son esprit. Son poignet n'avait sans doute pas oublié comment manier une lame, et il était évident qu'il avait vu la guerre et ses horreurs. Néanmoins, avait-il encore les épaules assez solides pour affronter les inévitables dangers auxquels ils feraient face ? Il avait souffert dans sa chair et dans son âme, tant et si bien que son récit auprès de Lyra avait bouleversé Khalmeh, qui pourtant n'était pas prompt à s'émouvoir. Il y avait de la peine chez ce jeune homme, prêt à se parjurer pour sauver ce qui restait de son âme, et se convaincre qu'il faisait le bon choix.
Au service de Lyra, il apprendrait péniblement qu'il n'y avait jamais de bon choix…
Les deux hommes arrivèrent finalement devant leurs appartements, dans un silence de mort seulement rompu par le claquement de leurs pas repris en échos effrayants par les couloirs de la forteresse. Le page, dont l'élégance le disputait à la jeunesse, leur ouvrit la porte et leur permit de pénétrer dans le réduit de leur chambre où ils se changèrent, abandonnant à regret les vêtements qui leur avaient été prêtés pour l'occasion. Ils passèrent de nouveau leurs tuniques de voyage, rêches et inconfortables en comparaison des habits soyeux qu'ils avaient pu essayer. La poussière collait encore à leurs bottes, et d'invités royaux ils devinrent de nouveau de simples voyageurs pleins d'espoir et de crainte.
- Je dois parler à Lakhsha et Zark'ân pour faire le point, lança Khalmeh autant pour lui-même que pour Learamn. Même s'ils sont braves, ils ne nous accompagneront pas à Albyor… Je ne veux pas les mettre en danger outre mesure, surtout pas après tout ce qu'ils ont traversé pour en arriver là. Ils méritent un peu de repos, et j'ai le sentiment que la reine ne nous a pas tout dit de cette mission…
Son commentaire plana dans l'air un moment. Il était évident que Lyra avait retenu des informations. Albyor, la Cité Noire… Learamn n'en avait entendu que des bribes durant son voyage, mais il était évident que la compagnie de Khalmeh n'appréciait pas beaucoup l'endroit. D'après ce qu'il avait pu glaner, c'était un grand centre de l'esclavage au Rhûn, mais aussi un lieu mystérieux où se réunissaient les prêtres de Melkor. Même si les gens d'ici révéraient le Noir Ennemi du Monde, ils semblaient particulièrement mal à l'aise avec les pratiques des gens d'Albyor, et se méfiaient de ces lieux comme de la peste. L'idée même de devoir s'en approcher rendait Khalmeh nerveux, et il faisait une véritable faveur à ses hommes en les tenant éloignés de cet endroit maudit.
L'esclavagiste acheva de boucler sa ceinture, et abandonna Learamn quelques instants pour accomplir son devoir de chef. Il n'était pas facile de convaincre des hommes qui vous avaient suivi jusqu'au bout du monde de soudainement demeurer passifs, mais Khalmeh savait ce qu'il faisait. Il avait affronté les routes, les brigands et les dangers du quotidien qui rôdaient sur les chemins sinueux qu'empruntaient les voyageurs. Il connaissait le monde et ses vices, ceux que des hommes de bien pouvaient affronter froidement. Albyor était autre chose. Une noirceur profonde qui semblait coller aux remparts de cette cité honnie, une méchanceté ancrée dans la pierre et l'air, pesante comme la mort. Même s'il avait toute confiance dans ses compagnons, il savait qu'ils ne seraient pas en sécurité là-bas. S'il avait pu, il aurait même laissé Learamn à Blankânimad, mais puisque la reine avait exigé qu'il fît partie de la mission… Ils étaient tous deux embarqués dans une affaire qui les dépassait, et qui risquait de fort mal tourner.
Khalmeh demeura absent un long moment. Il parla beaucoup à Lakhsha le vénérable, qui refusa encore et encore de rester en arrière tandis que celui qu'il appelait affectueusement son fils partait dans une aventure fort dangereuse. Il fallut tous les talents de négociateurs du plus jeune pour convaincre son aîné de se montrer raisonnable. Si l'affaire réussissait, il obtiendrait sa part des gains et il n'aurait plus à se soucier du quotidien. Si les choses tournaient mal, alors ils pourraient au moins rentrer chez eux en vie. La mort n'était pas un salaire digne du courage de ces hommes.
Lorsque l'esclavagiste revint dans la chambre où l'attendait Learamn, il trouva le jeune cavalier dans ses pensées. Pendant un instant, l'Oriental se demanda à quoi il pouvait bien penser. Regrettait-il sa décision ? Songeait-il à tout ce qu'elle impliquait pour lui, pour les siens, pour tous les gens qu'il avait connus ? Il était devenu un parjure, un traître à sa patrie… il n'y avait pas de retour en arrière. Cela lui faisait-il peur ? Ou au contraire se sentait-il tout à coup pousser des ailes, désormais qu'il avait lié son destin à celui de la plus grande souveraine du Rhûn ? Lyra était à la fois terrifiante et inspirante, raison pour laquelle elle se maintenait si habilement sur le trône. Elle savait galvaniser les hommes à son service, et elle n'hésitait pas à récompenser ceux qui lui étaient fidèles. Learamn trouvait-il en elle ce qu'il avait cherché toute sa vie durant ?
Khalmeh l'espérait.
Sortant doucement le guerrier occidental de ses pensées, l'esclavagiste lui lança :
- Venez donc, Learamn. Ne restons pas enfermés ici au risque de devenir fous. La reine nous a octroyé quelques jours de repos, et je suis certain que vous êtes curieux de découvrir les merveilles de Blankânimad de vos propres yeux.
L'offre était difficile à refuser. La curiosité d'un voyageur ne pouvait pas être satisfaite par quatre murs et une bougie, et il fallait dire que l'atmosphère du palais était oppressante. Il ne fallut pas longtemps pour convaincre l'ancien officier de sortir voir le soleil, et prendre une bouffée d'air frais. Le page qui les accompagnait, toujours le même depuis leur arrivée, les attendait devant leur porte. Il se leva en les entendant arriver, et lissa les plis de sa tunique.
- Sommes-nous autorisés à profiter de la ville ? Demanda Khalmeh en westron pour permettre à Learamn de suivre la conversation.
Le garçon répondit dans le même idiome :
- Naturellement, sire. Les portes du grand Palais vous demeureront ouvertes, et vous pouvez séjourner ici tant que je n'aurai pas reçu de directive contraire. Souhaitez-vous que je vous conduise à l'extérieur ?
- S'il-vous-plaît, oui. Conduisez-nous.
De nouveau, ils empruntèrent les corridors sombres, mais cette fois avec l'espoir de revoir le jour, ce qui changeait totalement leur perspective sur le palais. La forteresse était un ogre ténébreux qui engloutissait tous ceux qui osaient s'engouffrer dans ses entrailles de pierre, mais sortir dans la cour pavée de la cité des rois du Rhûn leur procura un sentiment de bien-être absolu, comme s'ils voyaient le soleil pour la première fois de leur vie. Ils restèrent un instant à profiter de la caresse des rayons, de la légère brise qui faisait flotter leurs cheveux. Un soupir de soulagement s'échappa de la poitrine de Khalmeh, alors qu'il descendait les quelques marches qui les conduisirent jusqu'aux portes du palais à proprement parler. On leur rendit leurs armes qui avaient été soigneusement consignées, et on les autorisa sans difficulté à quitter les lieux.
Ils repartaient à l'aventure, cette fois dans une ville qui fourmillait d'activité.
Le palais surplombait la cité, et en descendant la longue avenue vers la ville, ils pouvaient voir les innombrables maisons, les étals colorés des marchands, et au loin l'immense Porte de Toutes les Tribus qui accueillait les visiteurs. Les gens d'ici n'étaient pas très différents des gens d'ailleurs, assurément. Learamn avait déjà visité un certain nombre de grandes cités des Hommes, et il pouvait reconnaître la plupart des activités auxquelles s'adonnaient les locaux. Il y avait des marchands, des négociants, des bourgeois et des nobles qui déambulaient dans les quartiers, pressés d'aller à leurs affaires. On achetait, on vendait, on discutait des prix, on se serrait la main chaleureusement en échangeant de précieuses marchandises contre quelques piécettes de métal. Les drapiers et les tailleurs se disputaient les faveurs des plus riches clients, pour leur offrir les tissus et les tuniques les plus à la mode. Les apothicaires, dont les plantes odorantes attiraient le chaland, concoctaient des remèdes supposés tout guérir au profit d'acheteurs parfois désespérés. Rien de nouveau sous le soleil de plomb de l'Est lointain. Certains individus étaient plus difficiles à identifier, et Khalmeh offrit quelques explications à Learamn alors qu'ils croisaient un groupe d'hommes et de femmes qui faisaient des courses d'agrément, achetant des parfums et des savons, alors qu'ils étaient vêtus avec simplicité.
- Ce sont des esclaves domestiques, mon ami. Ils servent probablement un quelconque marchand trop occupé pour faire ses propres emplettes. Comme vous le voyez, ils n'ont ni chaînes, ni entraves. Ici à Blankânimad, il y a fort peu d'esclaves affectés aux travaux de force. On en retrouve dans la construction, mais ceux-là sont souvent très qualifiés, et traités avec soin. Il y a bien ceux des champs environnants, dont le sort n'est pas toujours plaisant, mais y a-t-il en ce monde un fermier qui n'ait point le dos voûté ?
Cette observation lui tira un sourire, comme s'il trouvait la comparaison amusante. Il n'ajouta rien, se contentant de guider Learamn à travers les rues de plus en plus étroites. Le jeune cavalier aurait tôt fait de voir les esclaves les plus miséreux du Rhûn lorsqu'ils atteindraient Albyor, et il comprendrait à quel point les gens de cette cité morbide différaient des habitants de la capitale du grand royaume de l'Est.
En se promenant dans les rues, ils se reconnectaient avec la société, ce qui était à la fois surprenant et perturbant après avoir passé tant de temps sur les routes. Ici comme ailleurs, on lançait quelques regards surpris à l'occidental, mais la présence de Khalmeh tenait à l'écart ceux qui faisaient montre d'une certaine hostilité. Les gens de Blankânimad n'étaient guère habitués à voir des gens de l'Ouest, qu'ils avaient soigneusement appris à détester, et certains se demandaient pour quelle raison un étranger arpentait leurs rues, alors que les lois de la Reine interdisaient théoriquement tout contact avec l'Ouest. Paradoxalement, c'était la cité la plus éloignée de la frontière qui se montrait la plus rétive à accueillir un étranger, alors que ceux de Vieille-Tombe pensaient commerce de manière plus pragmatique. Il y avait dans l'ignorance le terreau de la haine, que seule l'éducation et les bonnes mœurs pouvaient tenir en cage.
Leur visite de la capitale était un bref moment de répit dans leur aventure, mais une occasion rêvée de se détendre tout en découvrant les spécificités locales. Khalmeh semblait être comme un poisson dans l'eau, et il évoluait dans ces rues sans paraître hésiter le moins du monde quant à la direction à prendre. Il faisait un guide merveilleux, introduisant Learamn à toutes les nouveautés qu'il découvrait, tout en lui laissant le temps et l'espace de toucher, de sentir et de goûter les saveurs locales :
- On ne découvre jamais mieux un royaume que par sa cuisine ! Lança-t-il en souriant.
Fort de cette conviction, il les conduisit vers une adresse qu'il appréciait tout particulièrement, un chef local assez renommé au visage bonhomme qui s'avéra particulièrement flatté de recevoir un invité étranger, hôte de Lyra de surcroît. Les plats étaient à la fois copieux et savoureux, composés principalement de riz, de légumes et d'un nombre impressionnant de fruits. Il y avait notamment des raisins, des prunes, mais aussi des cerises qui venaient agrémenter la table et flatter le palais. Les épices étaient partout, relevant les plats parfois au point où manger des braises aurait paru plus agréable. On ne pouvait pas accuser la nourriture locale d'être fade, c'était bien certain. De toute évidence, les gens de l'Est appréciaient le goût sucré, et ils se délectaient de desserts délicieux qui ravissaient leurs sens. Il y avait chez les Orientaux une forme de raffinement dans les plaisirs qui tranchait avec la simplicité parfois austère de la cuisine occidentale. On savait préparer des mets excellents à l'ouest de l'Anduin, mais les grands seigneurs ne se seraient jamais embarrassés à amener à leur table mille épices et mille gâteaux fins. Un bon gigot et quelques bières suffisaient souvent à contenter même les rois. Ici, Learamn n'était qu'un simple invité dans ce qui pouvait passer pour une taverne miteuse, pourtant il goûtait à une multitude de plats qui auraient facilement pu trouver leur place sur la table d'un puissant monarque. Il lui fallut un moment pour comprendre que le chef attendait son avis sur tous les plats qu'il lui faisait goûter, comme s'il cherchait à tester sa cuisine envers un étranger pour l'améliorer. En fin de repas, le cuisinier lui fit venir une série de petits gâteaux sucrés pour avoir son avis sur lequel était le meilleur à des fins tout à fait politiques :
- Il espère pouvoir présenter ses délices à la reine, fit Khalmeh, c'est la raison pour laquelle il vous utilise comme goûteur. Il croit sans doute que nous pourrons l'introduire auprès de Lyra, ce qui lui garantirait un avenir doré.
L'esclavagiste sourit à cette pensée, s'amusant de la situation et de la méprise terrible. Il n'aurait pas été capable de conseiller Lyra sur les latrines à utiliser, alors encore moins sur la nourriture à ingérer. On disait la reine paranoïaque à ce niveau, et sa crainte de l'empoisonnement était de notoriété publique à Blankânimad. Bientôt, les efforts déployés par le cuisinier finirent par attirer l'attention, et quelques femmes vêtues de soieries précieuses vinrent participer à leur petit jeu. Elles étaient souriantes et charmantes, bien qu'elles ne fussent pas en mesure de parler la langue commune, et Khalmeh les présenta comme étant les « femmes de la reine », sans autre précision. De toute évidence il en savait beaucoup à leur sujet, mais préférait ne rien dire et laisser Learamn se faire sa propre opinion. Ces femmes étaient loin d'être déplaisantes, et malgré la barrière de la langue elles se montraient curieuses et ouvertes. Leur rire était communicatif, et bientôt ils formèrent une joyeuse troupe au milieu de laquelle se tenait Learamn, contraint de mimer de manière exagérée ses réactions à chaque nouveau gâteau. Elles semblaient essayer de deviner ses réactions, et elles se taquinaient réciproquement quand il accordait involontairement ses faveurs à l'une ou l'autre.
Khalmeh rit beaucoup à cette occasion, se tenant les côtes car il était un des rares à comprendre à la fois Learamn et les autres convives dont les commentaires devaient être particulièrement hilarants. Le cuisinier ne s'offusquait pas de cette ambiance festive, qui au contraire lui permettait d'attirer de nouveaux clients. Quand il se retrouva à court de bouchées à faire essayer à son noble invité, il s'inclina respectueusement devant l'ancien officier, et lui serra la main de manière énergique. Le jeune homme ne comprenait pas un traître mot, mais il y avait de la sympathie chez ce personnage haut en couleurs. Les femmes vinrent chacune à leur tour serrer la main de Learamn, en lui adressant des commentaires ravis que Khalmeh traduisait du mieux possible :
- Elle dit que vous avez des sourcils comme elle n'en avait jamais vus, lança-t-il après qu'une femme très élégante lui eût touché le visage du bout du doigt. Je crois qu'elle essaie de vous flatter, mon ami.
Khalmeh semblait apprécier cette ambiance tranquille et détendue, comme s'il retrouvait un endroit qu'il connaissait bien. C'était d'ailleurs probablement le cas, et il n'avait pas mené Learamn ici par hasard. La légèreté d'esprit des convives tranchait avec le caractère réservé et froid des autres habitants de la capitale, qui se muraient dans un silence sinistre quand l'ancien capitaine faisait son apparition. Cependant, toute bonne chose avait une fin, et l'attitude de l'esclavagiste changea du tout au tout quand un nouvel arrivant fit son apparition.
Longue barbe, la carrure impressionnante, il aurait pu appartenir à l'armée de Lyra, mais il n'en portait pas l'uniforme distinctif que Learamn avait appris à connaître. Au lieu de quoi, il arborait une solide tunique de cuir renforcée aux épaules, du genre de celles que les miliciens portaient parfois. C'était rassurant, dans le sens où cela signifiait que la reine n'avait pas décidé de changer d'avis à leur sujet et de les faire ramener dans les cachots de sa forteresse, mais demeurait à expliquer pourquoi il les regardait avec une telle intensité. Il dit quelque chose dans sa langue natale, d'une voix grave et tranchante qui n'inspirait pas la sympathie. Khalmeh répondit immédiatement en se levant, tendant une main devant Learamn pour lui intimer de rester calme. La tension était montée d'un cran, même si personne ne semblait prêt à se battre.
- Cet homme nous cherche, souffla l'esclavagiste entre ses dents. Ne craignez rien, je vais tirer cette histoire au clair.
Il n'en eut pas l'occasion. Alors qu'il était sur le point de revenir à son dialogue avec le colosse, il fallut l'intervention d'une femme pour désamorcer la situation, dans un westron teinté d'un accent local :
- Sire Khalmeh, vous n'avez rien à craindre de nous.
Elle se glissa dans la pièce à la suite du guerrier, rejetant le manteau qui couvrait ses fines épaules, dévoilant un visage fin mais teinté d'une noble gravité. Learamn ne savait peut-être pas grand-chose du Rhûn, mais il ne put manquer de remarquer qu'elle ressemblait à s'y méprendre à une de ces « femmes de la reine ». La même tunique ample et légère, dans les tons pourpres. Le même voile diaphane déposé sur les cheveux, et surtout la même attitude relâchée et confiante, qui semblait venir d'une conscience profonde qu'elle était parfaitement en sécurité. Elle siffla quelque chose en rhûnien, qui n'était pas adressé à Learamn et Khalmeh. Les autres « femmes de la reine » se levèrent comme un seul homme répondant à l'ordre d'un officier supérieur, puis elles s'inclinèrent doucement, avant de quitter précipitamment la pièce pour s'en retourner à leurs affaires. La nouvelle venue n'avait même pas eu à hausser le ton, et elle vint s'asseoir en face des deux hommes sans paraître nullement émue d'avoir ainsi bouleversé l'atmosphère de la petite taverne :
- Homme du Rohan… Vous n'êtes pas facile à trouver. A croire que vous vouliez éviter d'être suivi.
Son mince sourire s'étira légèrement. Le guerrier derrière elle posa une main protectrice sur le dossier de sa chaise, conservant l'autre sur la garde de son épée. Le message était parfaitement clair. Dans cette cité, Learamn ne pouvait pas se cacher.
- Comme je l'ai dit, vous ne devez pas nous craindre. C'est Son Altesse en personne qui m'envoie à votre service. Je pensais vous retrouver dans vos appartements pour me présenter, mais vous aviez déjà quitté le palais de Son Altesse. Je m'appelle Ava, enchantée.
Elle tendit une main menue et délicate à Learamn. Une main qui n'avait jamais connu l'épée, ni la houe, ni le râteau. Une main immaculée, celle d'une femme d'un certain statut qui semblait tout ignorer des travaux des champs, des difficultés de la vie. Le visage qui était attaché dégageait une autre impression, qu'il était difficile de confirmer. Ava, puisque c'était son nom, avait le regard d'une femme en mission, et ses interlocuteurs comprirent bientôt que c'était précisément le cas.
- J'ai été mandatée par Son Altesse, fit-elle, pour vous accompagner dans votre entreprise. Je dois vous suivre, vous et vos compagnons, pour vous apporter toute l'aide que je pourrai. Et d'après ce que j'ai pu comprendre, je pense que je vous serai très utile.
Elle marqua une brève pause, avant d'ajouter :
- Je peux guérir votre blessure, homme du Rohan… si tant est que vous écoutiez mes conseils et que vous soyez prudent. Il n'y a aucun mal que je ne puisse apaiser, et par Melkor je vous rendrai toutes vos forces pour peu que le temps m'en soit donné.
Un bref silence s'installa. Khalmeh comprenait de mieux en mieux les rouages complexes de l'esprit de la reine, et s'il l'avait pu il aurait applaudi chaleureusement ce coup brillant, car il était évident qu'elle ne faisait pas cela par charité. Elle offrait à Learamn un avant-goût de ce qui pouvait l'attendre, et en s'efforçant de lui rendre la santé elle travaillait dur à s'attacher ses services. Elle achetait sa loyauté, certes, mais pas avec de l'or ou des pierres précieuses… avec quelque chose de bien plus rare, que le Rohan n'avait pas pu lui apporter. Il aurait pu se tourner vers les Eldar, et il n'aurait pas été le premier homme à faire ce long périple pour rencontrer le peuple immortel. Sauf que le peuple immortel n'était plus l'ami des Edain depuis longtemps, et que malgré son éloignement, il lui était plus facile d'arriver brisé et sans le sou au fin fond du Rhûn, que de pénétrer dans une des forêts interdites des Elfes.
Lyra tenait désormais entre ses griffes un allié au potentiel gigantesque, et elle avait l'intention de le rendre fidèle pour exploiter au mieux toutes ses capacités. Pourtant, le joli minois de la « femme de la reine » n'était qu'une façade destinée à lui cacher la véritable nature de sa présence à ses côtés. Elle n'était pas simplement là pour le soigner, mais aussi pour le surveiller et s'assurer qu'il ne ferait rien allant contre les intérêts de la toute puissante reine du Rhûn. Cette réalité était matérialisée par le guerrier qui demeurait silencieux et debout, les dominant de toute sa taille. Voyant que les deux hommes regardaient le vétéran à la longue barbe brune, elle lança à Khalmeh et Learamn :
- Voici Thrakan, dit le Fléau de l'Ouest. Il a tué beaucoup des vôtres.
Une précision qui n'était pas nécessaire, tant l'animosité qui brûlait dans le regard du guerrier était palpable.
Un esclavagiste et sa créature, une guérisseuse et son Fléau… A l'instar des cinq doigts de la main, ils étaient tous prodigieusement différents, mais ils devraient apprendre à coopérer les uns avec les autres car ils dansaient tous dans la paume de l'inquiétante souveraine du Rhûn…
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
À la fin de leur entrevue avec la Reine, le jeune homme s’était silencieusement retranché dans ses quartiers alors que son compagnon partit à la rencontre du reste du groupe. Il s’assit sur son lit et se prit la tête entre les mains, réalisant lentement ce que les événements de la matinée impliquait pour le futur. L’ancien officier avait obtenu gain de cause auprès de la souveraine et pouvait à présenter se féliciter de ne plus être qu’un vulgaire vagabond mais bien un soldat au service du pouvoir. Pourtant, en ayant prêté serment à Lyra de la sorte, toute possibilité de faire marche arrière s’était envolée. Il avait donné son allégeance à un royaume étranger, voire ennemi au sien. Il venait de trahir son peuple. Le guerrier pouvait bien tenter de se consoler en rejetant la responsabilité sur Mortensen et son exil forcé de l’Eohëre mais la vérité était que c’était bien lui qui avait fait le choix de proposer sa lame à la monarque Orientale, que c’était bien lui qui serait sûrement amené à œuvrer à l’encontre des intérêts du Rohan, que c’était bien lui et non Mortensen qui serait considéré comme un traître à sa nation. Depuis toujours, son rêve était qu’un jour les bardes rohirrim chanteraient à la gloire de son héroïsme à travers les villages du Riddermark. Aujourd’hui tout cela s’envolait, son nom serait sûrement jeté aux oubliettes, ou pire, présenté au côté de ceux des ennemis du peuple des Dresseurs de Chevaux. Ce nouveau destin vers lequel il se dirigeait était bien éloigné de celui qu’il avait longtemps espéré; cependant il lui était nécessaire de l’embrasser. Les doutes et le chagrin étaient certes présents mais de regrets il n’avait pas vraiment. Victime d’injustice et d’un manque de reconnaissance en son royaume, son cœur lui avait dicté la juste voie pour la suite. Learamn était un soldat et rien d’autre, en lui retirant le droit de servir son pays de cette manière le Vice-Roi ne lui avait laissé d’autre choix que de se tourner vers un nouveau suzerain. La guerre ou la mort, tel était le choix des hommes de sa trempe. Aurait-il eu une vie plus simple à cet égard s’il avait appris autre chose que l’art du combat? Peut-être. Mais cela faisait aussi partie de son identité, ou plutôt était son identité et il n’avait jamais envisagé renier cette dernière.
Khalmeh interrompit les réflexions amères de son ami, en lui proposant de prendre un peu d’air en visitant la ville. Learamn acquiesça avec joie; malgré le confort de leurs quartiers, il mourrait d’envie de quitter les entrailles monstrueuses et oppressantes de ce palais pour rejoindre la lumière. “Avec plaisir mon ami, et je ne peux rêver d’un meilleur guide pour découvrir la capitale. De plus, peut-être ai-je encore assez dans ma bourse pour acheter de nouveaux vêtements. Je commençais à me sentir si à l’aise dans ceux que le page nous a remis pour l’audition.”
Ils traversèrent à nouveau les entrailles du palais pour en sortir et retrouver les rayons du soleil. Une fois arrivé sur le parvis, le Rohir prit une grande inspiration; désormais libéré du fardeau avec lequel il avait franchi cet portes pour la première fois. Il suivit son guide du jour à travers la cité de Blankânimad. Une grande ville animée dont l’activité fourmillante et la taille qui contrastait avec la paisible et plus modeste Edoras. Certains aspects lui rappelaient parfois ce qu’il avait pu voir lors de son voyage à Minas Tirith: le gigantisme de certains monuments bien sûr mais aussi la multitude de commerces qu’ils croisaient. Ces similitudes n’étaient cependant pas parfaites et si on y prêtait attention, plusieurs éléments révélait l’atmosphère différente et particulière de cet endroit. Les étals des marchands présentaient des produits inconnus au jeune homme et ne ressemblaient pas aux articles vendus dans la Cité Blanche. Ici, la nourriture en vente était abondante et étonnement très variée. Les hommes de l’Ouest se contentaient souvent de préparations assez simple autour d’un nombre limité de produit. A l’exception de quelques riches familles bourgeoises se vautrant dans l'oisiveté, il n’y avait pas vraiment de culture culinaire élaborée et la nourriture était perçue comme un moyen de tirer l’énergie avant et après une journée de labeur. Ici par contre elle occupait une place centrale : fruits et légumes de toutes formes et couleurs se succédaient, les odeurs d’épices, pour la plupart inconnues en Occident, venait chatouiller les narines du jeune homme qui ne savaient plus où donner de la tête. Certaines autres découvertes étaient par contre moins réjouissantes; les grands monuments qu’il avait d’abord trouvé ressemblant à ceux de Minas Tirith étaient, comme on pouvait le constater en s’y approchant, porteurs d’une imagerie étrange et indéchiffrable pour un homme de l’Ouest tel que lui mais qui le mettait profondément mal à lui sans qu’il ne sache précisément pourquoi. La vision d’esclave et de leur mise en vente n’était pas vraiment une surprise, après tout il avait passé des semaines au sein d’une caravane entière, mais faire ainsi face à la traite humain ne lui plaisait guère non plus. Pourtant tous ici ne semblaient pas voir ce qu’il y avait de mal dans telle pratique et la considérait comme toute aussi normale que toute autre forme de commerce. Khalmeh avait beau lui expliquer que pour la plupart d’entre eux, leur sort n’était pas si terrible; Learamn avait toujours du mal à comprendre comment nul n’éprouvait un sentiment de révolte en voyant cela. Sûrement était-ce là sa vision étrangère d’une culture éloignée de la sienne; les Occidentaux ayant de plus la fâcheuse manie d’appliquer leur système de valeurs qu’il considérait supérieur au monde entier. Un Rhûnien se rendant au Rohan aurait-il fait des remarques concernant le traitement peu enviable qui y était réservé aux femmes, et leur modèle patriarcal ?
Malgré ces quelques éléments dérangeants et les regards méfiants des habitants locaux, le rohir se sentait plutôt à l’aise ici. La ville était agréable et son immensité n’avait rien d’oppressante comme c’était le cas à Minas Tirith. La présence de Khalmeh à ses côtés lui évitait d’avoir des ennuis ou les mauvaises rencontres. Il n’était clairement pas vu d’un très bon œil par beaucoup ici mais il ne se sentait pas menacé pour autant. La plupart gens étaient méfiants à son égard: comment leur en vouloir quand on savait ce que les hommes de l’Ouest avaient fait subir à leur peuple. D’autres , plus rares et qui avaient sûrement voyagé par le passé, se montraient indifférents et enfin certains étaient même curieux. Mais nul ne semblait avoir peur de lui. Cela lui faisait penser à la manière dont Iran avait été accueilli au Rohan, où elle avait réveillé chez bon nombre d’habitants cette peur irrationnelle de la sorcière maléfique venue de l’Est lointain; peur qui avait généré des comportements violents qui aurait pu mener à sa mort. A Blankânimad, et alors même que l’on décrivait les Rhûniens comme un peuple mystique et religieux, les gens avaient curieusement un comportement plus rationnel: l’’Occidental était un étranger pas toujours bienvenue, voire un potentiel ennemi mais pas grand chose de plus.
Khalmeh dut alors entendre les plaintes bruyantes qui s’échappaient du ventre de son ami et le conduisit dans un restaurant qu’il connaissait bien. L’endroit et son propriétaire était chaleureux et la nourriture excellente, pouvant sans mal rivaliser avec la cuisine du Château d’Or. Learamn avait toujours autant de mal avec certaines épices qui se dissimulait insidieusement dans des plats d’apparence anodine et il gardait précautionneusement son pichet d’eau et sa miche de pain à proximité pour calmer l’incendie sur sa langue. Les desserts étaient par contre exquis et encore une fois plus variés qu’il n’aurait pu l’imaginer. Les mets sucrés étaient très peu consommés au Rohan et relevaient du produit de luxe mais même à Meduseld les desserts se limitaient à quelques pâtisseries, fruits et gâteaux au miel. Le fait qu’une simple adresse qui ne semblait pas particulièrement fréquenté par les plus fortunés, avait quelque chose de fascinant. Si la classe moyenne festoyait ainsi, Learamn avait du mal à imaginer comment les nobles le faisaient.
Le chef, un petit bonhomme replet au sourire communicatif, vint plusieurs fois à leur rencontre pour s’enquérir de leur avis. Learamn, sont le Rhûnien était rudimentaire, lui répondait à l’affirmative avec des vigoureux mouvement de têtes et signes de la main tout en espérant que leur signification étaient la même d’Est en Ouest. Après quelques coupes de vin, il se risqua même à prononcer quelques mots dans l’idiome local: principalement des “Bon, très bon” prononcés avec un accent approximatif. Ce que lui dit Khalmeh d’un ton anodin sur les perspectives de carrière du cuisiner était plus intéressant que cela en avait l’air. Learamn avait repéré une constante depuis qu’il était arrivé ici: tout semblait tourner autour de Lyra; la Reine était centrale et toute perspective de succès semblait passer par elle. Elle avait le pays, et sa société entière, à ses pieds et elle en contrôlait chaque aspect. Une souveraine incontestée et incontestable.
Pour la première fois depuis longtemps, Learamn passait une soirée des plus agréables. Entre les mets raffinés, l’atmosphère joyeuse et les récits de son ami; il se surprit même à sourire de manière continu ( le vin et l’hydromel y étaient sûrement pour quelque chose). Des femmes vinrent rapidement compléter le tableau de ce dîner presque parfait. Ces “femmes de la reine” comme les présenta Khalmeh, formèrent rapidement un cercle des plus agréables autour de l’ancien capitaine. Elles étaient richement vêtues, distinguées et séduisantes et Learamn se laissa rapidement prendre au jeu malgré la barrière de la langue. Elles se montraient curieuses à son égard, guettant la moindre de ses réactions et s’amusant de ses réactions d’étranger devant les coutumes et plats locaux. L’une d’entre elles se risqua même à toucher brièvement son visage, une proximité bien inhabituelle au sein de la société rohirrim, parfois austère au niveau des mœurs, mais qui ne déplut pas à un Learamn sevré de contact féminin depuis de long mois. La remarque qu’elle fit sur ses sourcils lui les fit hausser avant de se mettre à rire. Il ne s’attendait pas un compliment sur ses sourcils en guise de flatterie.
“Eh bien alors, vous pourrez lui dire que son élégance n’a d’égal que la douceur de ses mains.”
En temps normal, lui-même aurait trouvé cette tentative de séduction absolument ridicule mais dans cet atmosphère détendue, il s’était plus que pris en jeu.
Mais les trouble-fêtes ne tardèrent pas à faire leur apparition.
Ce fut d’abord le changement d’expression de Khalmeh qui alerta le Rohir, son ami regardait en direction du nouvel arrivant. Un colosse barbu et armé, il ne portait pas d’armure et ne paraissait pas être un des soldats de l’armée de la Reine mais il était sans nul doute un combattant accompli; Learamn le comprit instantanément, les guerriers savaient mutuellement se reconnaître. L’esclavagiste rassura son compagnon et s’approcha du nouveau venu pour clarifier la situation; c’est alors qu’une autre silhouette, plus frêle et délicate fit son irruption dans la taverne. Elle portait la même tunique élégante que les femmes venues à sa rencontre un peu plus tôt, un intrigant diadème trônait aussi sur son front. Elle dégageait une assurance certaine, comme beaucoup des femmes d’ici et fit sortir toutes les “dames de la reine” sur un simple ordre. Il n’y avait pas beaucoup de doute concernant l’identité de la personne l’ayant envoyée ici.
Elle se présenta comme Ava et lui tendit sa main délicate d’un geste gracieux. Learamn s’approcha et plongea son regard dans ses yeux ambrés. Il y avait décidément quelque chose de particulier à propos des femmes de ce pays, une sorte d’aura mystérieuse et complexe et un charisme déstabilisante. Iran avait été la première à lui faire cet effet avec la noblesse et le courage pur qui émanait de sa personne et qui l’avaient poussé à lui accorder sa totale confiance. Chez Lyra, ce sentiment qu’elle faisait ressentir était parfois similaire mais teinté d’une beauté froide absente chez sa cousine qui inspirait la crainte face à cette femme de pouvoir total. Ce qui entourait Ava était encore compliqué à voir mais il y avait quelque chose dans son regard, son sourire et sa voix quelque chose de très envoûtant, de presque magique. Et l’offre qu’elle lui présentait ne faisait que renforcer cette impression; comment cette femme pouvait-elle apaiser les maux qui accablaient le cavalier si ce n’était par le biais de la magie. Aelyn et Rihils, meilleurs guérisseurs du Rohan voire des Peuples Libres, avaient échoué à les effacer complètement. Depuis toujours, on lui avait appris à se méfier de tout ce qui était surnaturel et c’était pour cette raison qu’il ne portait pas dans son cœur les elfes et leur enchantements qui se croyaient supérieur au monde ou toute autres manifestations magiques. Mais une magie réparatrice se présentant sous des atours aussi séduisants ne pouvait être maléfique. Learamn prêta à peine attention au “Fléau de l’Ouest” et à son air menaçant, son esprit était complètement obnubilé par la promesse de la guérisseuse. Il n’en avait que faire que le protecteur de cette femme aie tué beaucoup des siens, lui aussi avaient répandu la mort dans les rangs de l’Est et même aussi au sein de son propre peuple. Tel était le destin des soldats.
L’homme du Rohan s’approche de l’enchanteresse, prit sa main entre les siennes et l’implora: “Montrez-moi!”
The Young Cop
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- Je vous en prie, votre Altesse… J'implore votre clémence…
Lyra jouait négligemment avec un grain de raisin, qui finit entre ses lèvres charnues. Ses dents réduisirent le pépin en miettes, symbolisant ce qui risquait d'advenir à son interlocutrice si elle n'exécutait pas ses ordres à la lettre. Tous ceux qui connaissaient la reine du Rhûn de près savaient qu'elle faisait preuve d'une grande maîtrise d'elle-même, mais qu'elle était aussi sujette à de violentes et soudaines colères. Il valait mieux éviter de l'agacer outre mesure, alors qu'elle était encore assez calme. La voix de la suzeraine orientale s'éleva :
- Votre désobéissance implique la peine de mort, vous le savez.
- Votre Altesse…
Elle était sincèrement choquée, comme si la perspective de perdre soudainement la vie la clouait sur place. Son action avait été irréfléchie, pour ne pas dire stupide, mais elle avait cru que la reine comprendrait… qu'elle pardonnerait. De toute évidence, elle s'était trompée sur Lyra, qui n'avait jamais aimé que l'on contestât son pouvoir. Était-ce donc terminé ? Arrivait-elle au bout du chemin ?
- Votre Altesse, je vous en supplie. J'ai mal agi, mais mes intentions n'ont jamais été de vous nuire… Je vous implore de m'accorder une chance de me rattraper. J'ai toujours été la plus fidèle et la plus talentueuse de vos femmes… Je peux me rendre utile, je n'ai pas perdu mes talents et vous savez que…
- Silence ! Tonna Lyra d'une voix si tranchante que l'air sembla se déchirer. Ne me dis pas ce que je sais ou ne sais pas ! Tu étais la plus fidèle, et c'est pourtant toi qui a trahi ton serment. Tout ce qui t'a été offert, tu l'as rejeté. Qui n'a point de talent, dans cette cité ? La loyauté, en revanche… que voilà une denrée rare.
De grosses larmes s'étaient mises à couler sur les joues de l'infortunée condamnée, qui s'abaissa sur ses genoux. La jeunesse de ses traits transparaissait pleinement en cet instant, et si Lyra avait eu la réputation d'avoir un cœur, cela aurait pu expliquer pourquoi elle changea subitement d'attitude. Fièrement dressée comme un aigle prêt à fondre sur sa proie, elle se rassit brusquement et reprit d'une voix rauque :
- Je devrais vous tuer tous les deux, pour l'exemple… Pourtant, je sais que tu as encore un rôle à jouer à mon service. Lorsque viendra l'heure, lorsque viendra l'opportunité, tu me serviras fidèlement jusqu'à la mort. Si tu survis, alors tu seras pardonnée. Si tu échoues…
Un silence pesant s'installa entre les deux femmes.
Il était inutile d'en dire davantage. Celle qui venait miraculeusement de sauver sa tête, sans vraiment comprendre pourquoi ou comment, comprit que l'entrevue était terminée et qu'il était préférable de battre prudemment en retraite. Elle se redressa en séchant ses larmes, et fit quelques pas en arrière sur la pointe des pieds. Lyra semblait prête à la laisser partir, mais elle sembla se souvenir de quelque chose :
- Ava ?
- Oui, votre Altesse ?
- Je détesterais avoir à m'entretenir de nouveau avec vos parents. Pensez-y.
L'intéressée devint livide, toute vie semblant quitter son visage. Pendant un bref instant, ses yeux exprimèrent un sentiment de pure terreur, et demeura là. Figée. Pétrifiée. Puis elle se reprit rapidement, et hocha la tête sans rien pouvoir répondre.
Lyra perçut ses pas précipités dans le couloir, alors qu'elle s'enfuyait à grandes enjambées.
Ava dévisageait Learamn avec un mélange de curiosité et de méfiance. Elle n'avait pas reçu beaucoup d'informations à son sujet, mais elle avait un sens de l'observation affûté, et elle était capable de deviner la moitié de sa vie rien qu'en le regardant. Sous sa tunique de voyage usée qui semblait un peu grande pour lui, signe qu'il avait perdu du poids après un long périple, elle percevait des muscles soigneusement entretenus qui ne pouvaient pas être ceux d'un fermier. Il avait le bras trop fin, le poignet trop souple… Il était davantage habitué à manier l'épée, ce que confirmait sa réaction à la fois rapide et alerte quand Thrakan s'était approché de lui.
Elle voyait en outre quelques petites cicatrices sur ses mains, fruit d'un entraînement rigoureux qui avait laissé des traces, ou de quelques combats particulièrement âpres qui s'étaient soldés par des échanges de coups de poings. Elle ne l'imaginait pas particulièrement bagarreur, mais son regard farouche en disait long et elle préférait ne pas trop s'avancer. On disait les hommes de l'Ouest rustres et brutaux, souvent avinés et prompts à partir en guerre. Celui-ci semblait un peu mieux dégrossi que ses congénères, mais cela ne changeait rien au fait qu'il ressemblait à un paysan hirsute.
Elle sourit pour elle-même, tandis qu'elle achevait son examen mental.
Ses déductions étaient bonnes, car elle vit immédiatement l'étincelle d'intérêt s'allumer dans le regard du guerrier quand elle évoqua les miracles de la médecine du Rhûn. Elle connaissait en effet de nombreux remèdes, mais aussi des techniques qui faisaient miracle là d'où elle venait. Des savoirs transmis de génération en génération, qu'elle avait appris au contact de sa famille, et qu'elle avait perfectionnés par la suite auprès de maîtres expérimentés. Elle était considérée comme une experte dans sa branche, à tel point que Lyra avait souvent fait appel à ses services personnellement ou pour des proches.
Learamn, cependant, semblait dubitatif, ou du moins il voulait des preuves concrètes de ce qu'elle était capable de faire.
- Vous doutez de mes capacités, homme de l'Ouest ?
La confiance qui transparaissait derrière son sourire était sans faille. Elle se moquait de lui, comme si le cavalier était censé la connaître. Elle oubliait sans doute un peu vite qu'il venait à peine d'arriver à Blankânimad, et qu'il découvrait totalement le monde qui l'entourait. Ce fut Khalmeh qui intervint pour fournir quelques explications :
- Il y a des savoirs ici qui dépassent ce que vos guérisseurs peuvent comprendre. Il est fort dommage que nos peuples ne mettent pas en commun leurs précieuses connaissances médicinales pour s'entraider.
La confiance d'Ava venait de sa position. Guérisseuse renommée à Blankânimad, elle méprisait largement les savoirs venus de l'Ouest, et considérait que la seule médecine digne de ce nom était celle forgée par ses ancêtres. Khameh avait comme souvent une position plus médiane, lui qui avait beaucoup voyagé, mis un pied dans chaque monde, et vu que les Hommes avaient davantage à gagner à échanger qu'à se battre. Learamn ne put que constater à quel point la position de son compagnon de route était minoritaire, de la même manière que rares au Rohan étaient ceux à prôner une ouverture vers l'Est.
La femme inclina légèrement la tête, et reprit d'une voix douce :
- Je préférerais vous montrer mes talents dans un endroit plus… privé…
Son sourire enjôleur et malicieux était parfaitement calculé. Elle savait l'effet qu'elle faisait aux hommes, et elle en jouait sans limite. C'était probablement dû à la présence du géant à ses côtés, qui lui assurait une protection sans faille. Peut-être aussi croyait-elle dur comme fer à son statut de « femme de la reine » qui lui garantissait que personne ne viendrait s'en prendre à elle. Khalmeh voulut faire un commentaire, mais il se ravisa. Le regard de Thrakan l'incitait à garder sa langue dans sa poche pour le moment.
De toute façon, Ava n'avait pas terminé, et elle reprit :
- Pour l'heure, je dois évaluer votre état physique. Vous êtes un peu maigre, mais globalement vous avez l'air en bonne santé. Faites quelques pas, je vous prie.
Khalmeh regarda Learamn en haussant les épaules, comme pour lui dire : « ce sont les ordres de la dame ». Les guérisseurs, peu importe leur origine, se comportaient tous de la même manière. Quand il s'agissait de la santé de leurs patients, ils ne toléraient aucune contestation, et donnaient des ordres en s'attendant à être obéis par tous. Soldats ou officiers, nobles ou roturiers, même les princes et les rois se pliaient à leurs directives. Ava ne faisait pas exception, et elle observa le Rohirrim alors qu'il marchait, étudiant soigneusement sa posture et sa démarche.
- Vous ne dansez pas souvent, fit-elle sur un ton moqueur.
Il était difficile de lui donner un âge, car elle alliait une assurance que l'on acquérait qu'avec l'expérience, une forme de fraîcheur et de simplicité qui étaient celles d'une très jeune femme. Espiègle une seconde, et mortellement sérieuse la suivante, elle dégageait une forme de dualité perturbante. Et derrière cette ambivalence, on décelait encore une facette cachée, plus sombre et plus triste, qu'elle s'efforçait de ne pas révéler.
- Votre posture est voûtée, vous avez de toute évidence un grand poids sur les épaules… Et puis il y a votre blessure. Vous boitez encore un peu, même si vous compensez suffisamment pour tenir debout, marcher, et peut-être même vous battre. Le problème, c'est que vous n'êtes pas équilibré.
Ses capacités d'analyse étaient prodigieuses, Learamn n'ayant même pas fait le tour de la pièce. Elle picora une pâtisserie au miel qui était restée sur la table, et pointa un doigt vers les jambes du Rohirrim.
- Je vous apprendrai donc à danser, homme de l'Ouest. C'est décidé.
Khalmeh eut un sourire amusé, mais encore une fois il préféra garder son opinion pour lui-même. Il y avait autre chose de beaucoup plus intéressant sur lequel il voulait revenir, et il jugea bon de poser la question directement pendant que Learamn revenait s'asseoir à la table :
- Par Melkor, pourquoi la reine a-t-elle décidé de vous associer à notre petite compagnie ? Ne vous méprenez pas, je ne doute pas de vos talents, mais il y a ici un certain nombre de guérisseurs plus expérimentés, qui ont déjà affronté les routes et les horreurs d'Albyor. En tant que femme de la reine, la pire vision que vous ayez eue est sans doute une tulipe fanée. Excusez-moi de formuler les choses ainsi, mais vous risquez de nous ralentir, et cette mission s'annonce déjà assez compliquée comme ça.
Même s'il paraissait parfois fantasque et détaché, Khalmeh n'était pas un homme frivole qui était prêt à sacrifier tous ses rêves et toutes ses ambitions pour le joli sourire d'une femme. Pas une seconde fois. Il avait conscience que Lyra ne leur avait pas confié cette mission sans raison, elle qui aurait simplement pu faire appel aux troupes de sa garde rapprochée pour récupérer le chargement. Il leur faudrait de la discrétion, et peut-être une dose de muscle si quelqu'un essayait de se dresser sur leur route. Dans tous les cas, ce n'était pas la place d'une femme du monde, éduquée et raffinée, mais sans aucune expérience de la guerre et de ses dangers. Ava était demeurée impassible en l'écoutant, se contentant d'un petit sourire en coin. Elle répondit simplement :
- La reine a ses raisons, et je ne me risque pas à essayer de deviner ce qu'elle pense. Sachez seulement que je ne vous ralentirai pas.
En la regardant, il était difficile d'y croire. Ses mains impeccables, sa silhouette fine et gracile… elle ne ressemblait pas à une aventurière, et pourtant elle dégageait une confiance en elle si grande qu'il était difficile de ne pas lui accorder du crédit. Khalmeh, n'ayant aucun autre argument – après tout, il ne pouvait pas s'opposer directement aux directives royales –, haussa les épaules et se résigna à accepter la présence de cette femme dans leur compagnie. Ava inclina doucement la tête, comme pour le remercier, puis revint à Learamn :
- C'est plutôt vous qui risquez de ne pas aller bien loin dans cet état. Vous devez prendre des forces, et vous reposer. Trois jours devraient suffire pour commencer, puis nous prendrons la route à une allure modérée afin que votre corps ne soit pas soumis à trop rude épreuve. Pensez-vous que cela sera suffisant ?
Elle parlait avec l'assurance d'un chef de guerre, prenant ouvertement de haut Learamn qui pourtant avait beaucoup plus d'expérience en la matière, lui qui avait arpenté une bonne partie de la Terre du Milieu ces dernières années. Cependant, il fallait bien admettre qu'elle le défiait. Trois jours de repos après avoir chevauché pendant si longtemps… c'était peu, même pour un homme en forme. Voulait-elle le pousser à réclamer un sursis, ce qui aurait pu passer pour une marque de faiblesse, ou bien n'était-elle simplement pas au fait de la fatigue engendrée par un tel périple ? Dans les deux cas, Learamn devait se positionner, tout en sachant qu'en ne faisant rien il se laisserait mener par le bout du nez par une jeune femme dont il ne savait rien et vis-à-vis de qui il pouvait avoir des doutes raisonnables.
- Cela vaut aussi pour vous, sire Khalmeh. Vous avez fait un long voyage, m'a-t-on dit, pour aller chercher quelque animal exotique du Sud. Trois jours seront-ils suffisants pour vous permettre de vous reposer ?
- Je pourrais repartir sur-le-champ, madame, mentit-il.
Point de « mon ami », cette fois, comme s'il tenait à mettre une distance soigneusement définie entre lui et Ava. De toute évidence, il se méfiait d'elle, ce qui n'échappa guère à Learamn. Celle-ci se contenta de répondre un « oh » légèrement surpris, comme si elle considérait sincèrement l'option. Elle semblait pressée de se mettre en route, pour des raisons qui n'étaient pas immédiatement évidentes, et trépignait d'impatience malgré sa posture parfaitement contenue.
A chaque seconde, de nouvelles questions. De nouveaux secrets.
Et un seul horizon pour le Rohirrim.
La guérison.
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
La manière dont Ava avait réussi à décrypter le jeune homme et ce qu’il avait traversé en l’espace de quelque secondes était plutôt impressionnantes. Toutes les femmes de ce pays avaient-elle donc cette capacité à lire les coeurs, corps et esprits des hommes? Etait-ce pour cette raison qu’elles étaient présentes en si grand nombres dans les arcanes du pouvoir? Dans tous les cas, ce talent d’analyse n’était pas réciproque. Learamn avait toutes les peines du monde à cerner son interlocutrice qui prenait à malin plaisir à entretenir le voile de mystère dont elle se drapait. Son attitude était tantôt douce, tantôt autoritaires; les changements de ton s’opérant d’une phrase à l’autre. La guérisseuse était en position de force et elle le savait: son statut de “femme de la reine” la plaçait au-dessus des deux voyageurs mais c’était surtout la présence taiseuse et intimidante de Thrakan qui lui conférait un avantage physique renforçant sa confiance. Il n’y avait aucun doute que colosse pouvait aisément contrôler le Rohir et l’esclavagiste si ceux-ci se montraient trop peu coopératifs.
La remarque que fit la jeune femme à son “invité” sur ses piètres talents de danseur arracha un sourire à ce dernier. Elle avait de la répartie, de l’humour aussi, humiliant certes mais de l’humour cela restait. Essayant de ne pas trop perdre la face face à Ava, l’ancien officier répliqua: “Vous avez raison. Pardonnez mon incapacité à danser, mais d’où je viens les hommes, quand ils ne guerroient pas, se contentent de chanter et chevaucher. Mais je serais assurément ravie d’apprendre en votre compagnie.”
Il avait bien du mal à la comprendre et avait également bien conscience qu’elle était une envoyée de Lyra venue aussi bien pour les aider que pour les surveiller. Pourtant il se réjouissait de sa présence qui rendait celle de Thrakan plus supportable. Il fallait dire que malgré son arrogance qui confinait parfois au mépris, elle avait réussi à trouver les bons mots pour appâter sa cible. Si elle disait vrai au sujet de ses talents de guérison, alors Learamn n’avait pas fait tout ce chemin pour rien. De plus elle était “une femme de la reine” et qui donc oserait s’en prendre à eux si une protégée de la souveraine les accompagnait. Khalmeh de son côté était beaucoup plus méfiant à l’égard de cette nouvelle venue dans l’équation, Learamn le sentait bien. L’esprit affûté de son ami se plaisait à anticiper les situations et à garder le contrôle sur ses projets mais entre cette nouvelle mission imprévue et l’arrivée d’Ava, cela faisait beaucoup d’inconnues à intégrer dans ses calculs en quelques heures. Le cavalier, à la pensée bien moins méthodique, avait depuis longtemps cessé d’essayer de prévoir ce de quoi son lendemain serait fait. L’esclavagiste n’était pas imprudent au point d’exprimer clairement son scepticisme mais certains signes discrets ne trompaient pas sur son agacement. Le Rohir avait appris à bien connaître son compagnon durant leur voyage.
La question de Khalmeh sur le rôle de la jeune femme dans cette mission était pourtant légitime. Que faisait donc une guérisseuse au milieu d’une opération secrète et à priori périlleuse et dont le danger pouvait même venir de leur propre groupe suite à la fabuleuse idée de Lyra de tester sa nouvelle et monstrueuse acquisition? La réponse qu’Ava lui donna était cependant attendue, elle n’avait pas à se justifier devant eux et le savait bien.
La jeune femme leur demanda alors si trois jours de repos leur étaient suffisants avant de partir pour Albyor. En les interrogeant de cette manière, elle les mettait dans une position bien inconfortable et asseyait un peu plus sa supériorité. Learamn était épuisé par son voyage sans parler de son état physique et d’entraînement peu digne d’un soldat d’élite. Il lui fallait au moins une semaine pour reprendre des forces, sûrement plus pour recouvrer une partie des capacités qui l’avaient menées aussi loin. Mais s’il lui demandait plus de temps, il se couchait complètement devant elle et confirmait sa domination. Trop fier pour se résoudre à courber l’échine, Khalmeh déclara qu’il était prêt à partir dans la minute et Learamn se mit simplement à espérer qu’elle ne l’écoute pas tout en réfléchissant à une manière plus subtile de ménager la chèvre et le chou. “Depuis quand demande-t-on à un soldat de choisir la date de son combat? Je partirai quand j’en recevrai l’ordre; et il revient à celui qui le donne de s’assurer de l’état de ses hommes. Dans le cas contraire, toute déconvenue serait alors son affaire.”
Ainsi Learamn comptait réaffirmer son engagement total pour la cause qu’il venait d’embrasser tout en faisant comprendre à Ava que si elle leur demandait de partir sans s’assurer de leur bonne santé, alors la responsabilité d’un échec potentiel lui revenait.
La tension entre le cavalier et sa guérisseuse commençait à se faire sentir. Mais quelle était la nature de cette tension entre alliés de circonstance? Lui, officier prestigieux du Rohan quelques mois plus tôt, avait du mal à accepter le fait de se faire mener par le bout du nez sur des questions militaires par la première venue. Mais l'autorité était bien du côté de la jeune femme.
The Young Cop
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Ava se leva en décroisant ses jambes longilignes à la manière d'un félin, et s'approcha de Learamn qui transpirait abondamment sous le soleil qui l'écrasait, alors que la mi-journée approchait. L'effort qui lui était demandé était intense, et il y avait bien longtemps que son corps n'avait été soumis à pareille épreuve physique. Même s'il avait l'habitude de porter l'épée et la lance, de se battre et de marcher comme tout guerrier digne de ce nom, sa nouvelle guérisseuse lui imposait de travailler des muscles dont il n'avait même jamais soupçonné l'existence, et cela constituait une difficulté supplémentaire à laquelle il n'était pas préparé.
Avait-il un jour pensé mettre les pieds au Rhûn pour y danser ?
A la manière d'un poisson devant apprendre à grimper aux arbres, il se retrouvait à tout redécouvrir comme un novice. Le monde martial dans lequel il pouvait être facilement qualifié de combattant expérimenté ne l'avait pas préparé à affronter le monde des arts, où il se retrouvait aussi démuni qu'un enfant armé d'une brindille face à une horde de chevaliers. L'expérience n'avait rien de plaisant pour quiconque, mais elle était nécessaire. C'était tout du moins l'avis de la jeune femme, qui se montrait aussi inflexible qu'elle était bienveillante, aussi intraitable qu'elle pouvait être douce.
Avec une familiarité qui trahissait leur rapprochement des jours derniers, elle lui prit délicatement l'avant-bras, et lui fit faire quelques mouvements pour l'aider à se relaxer, enfonçant doucement son pouce entre deux muscles pour les masser et le forcer à se détendre. Elle agissait avec une précision stupéfiante, sans même regarder ce qu'elle faisait, simplement au toucher. Des années d'expérience avaient aiguisé ses sens, au point qu'elle n'avait plus besoin de la vue pour procéder. Ses yeux, cependant, ne restaient pas inactifs, et ils se perdaient sur le corps de l'ancien officier à la recherche de ce qu'elle appelait maladroitement des « blocages » à défaut de pouvoir trouver un terme plus adéquat en langue commune. Elle avait bien essayé de lui expliquer de quoi elle parlait, mais le terme qu'elle tirait de sa langue natale était un concept difficile à expliquer. Il renvoyait à l'idée de blocage au sens premier du terme, comme un canal obstrué, mais désignait aussi bien l'idée d'infirmité, comme un corps boiteux ou encore un mécanisme attaqué par la rouille. L'idée générale était celle d'un dysfonctionnement, mais Ava ne souhaitait pas effrayer son jeune protégé en lui laissant croire qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas chez lui.
Elle savait les hommes de l'Ouest influençables et facilement effrayés, et elle ne tenait pas à lui faire perdre sa concentration au risque de ruiner son travail.
Alors, après chaque session, elle lui appliquait consciencieusement une série de pressions très appuyées, sortes de massages à la mode orientale censés apaiser les muscles aussi bien que l'esprit… et surtout le préparer à reprendre l'exercice le plus vite possible. Ava n'était pas comme les savants de l'Ouest que Learamn avait pu rencontrer, et elle se plaisait à entretenir cette différence. Elle connaissait les plantes et les simples de son pays, naturellement, mais elle était détentrice d'un savoir orienté différemment… tourné autour du mouvement, du corps et de sa rémission par l'action. Elle n'entendait pas lui prescrire du repos, mais bien une activité réparatrice et exigeante. C'était sans doute épuisant, difficile et guère à la portée du premier venu, mais elle avait le sentiment que cela convenait mieux à l'esprit d'un guerrier que l'alitement.
- Bien, bien, continuez maintenant. Reprenez depuis le début.
Elle retourna s'asseoir à l'ombre, ajustant sa robe élégante, puis se remit à chanter. A défaut d'avoir un orchestre pour accompagner les pas de Learamn, Ava utilisait sa voix comme un instrument. Elle avait le timbre doux et grave, et puisque les mots qu'elle prononçait dans sa langue natale n'avaient aucun sens à l'oreille de l'Occidental, ses paroles ressemblaient véritablement à une mélodie sur laquelle il était facile de se mouvoir. Elle avait choisi un air noble et triste, suffisamment lent pour permettre à son patient de répéter les pas de base d'une chorégraphie que la plupart des aristocrates de la cour royale connaissaient. Jusqu'à présent, elle n'avait pas jugé utile de lui en donner le sens, mais à chaque fois que Learamn s'était autorisé à observer Ava du coin de l'œil, il n'avait pu manquer de remarquer la peine et le chagrin qui semblaient l'habiter, et qui rendaient son chant si poignant.
Fort heureusement pour la jeune femme orientale, l'ancien officier n'avait que peu de moments de répit, et elle ne le ménageait pas, le forçant à répéter encore et encore les mêmes pas, jusqu'à s'assurer qu'il fût capable de les maîtriser et de les reproduire. Elle lui montrait fréquemment comment tenir la bonne posture, menton levé, pieds bien écartés, les mains ouvertes et les épaules en arrière. Elle essayait de lui faire ressentir la nature profonde de la danse, du déplacement, du mouvement permanent et de sa signification.
L'exercice pouvait paraître ridicule, pour ne pas dire déconnecté des réalités de la vie de soldat, mais Ava escomptait que l'Occidental comprendrait bien rapidement les parallèles qui existaient entre la danse et la guerre. La position des pieds, l'équilibre, la fluidité et la précision des mouvements… c'étaient autant de pré-requis qui servaient aussi bien dans une discipline que dans l'autre. Elle avait appris au guerrier à troquer la rigidité de sa posture traditionnelle contre la souplesse du danseur, afin de lui permettre de ré-apprendre à s'appuyer sur son pied blessé. La légèreté de ses mouvements lui permettait de prendre des appuis moins traumatisants, tandis que les complexes entrelacs qu'elle lui imposait de réaliser avec ses bras l'empêchaient de se concentrer sur la douleur physique, pour se focaliser sur l'exercice mental. Elle détournait son corps et son esprit de ce pied qui l'obnubilait, afin qu'il pût non pas surmonter la douleur, mais bien l'accepter, l'embrasser, et apprendre à vivre avec. Les simples feraient leur travail pour l'apaiser, mais le plus important pour lui était de comprendre qu'il ne retrouverait jamais le corps parfait de ses vingt printemps. Ces blessures faisaient désormais partie de lui, et par la danse il comprendrait peut-être qu'elles ne l'empêchaient en aucun cas de se mouvoir, et de s'émouvoir.
Et depuis quelques jours, elle voyait de réels progrès, à tel point qu'elle ne regrettait pas d'avoir repoussé leur départ.
Elle se souvenait encore très bien de leur conversation dans l'auberge, et de la réponse pour le moins incisive de Learamn. Alors qu'elle le mettait au défi de partir sous trois jours, cherchant à tester sa réaction et celle de Khalmeh, il avait choisi de lui renvoyer la responsabilité et de la laisser prendre la décision. Connaissait-il assez Lyra pour savoir comment elle fonctionnait ? Savait-il qu'elle reprocherait à Ava d'avoir pris une décision irréfléchie par simple orgueil ? Dans tous les cas, il avait visé juste, et la « femme de la reine » avait incliné la tête avec un sourire, avant de consentir à leur donner une semaine entière de repos, pour les laisser récupérer de leur long périple.
« Une semaine », avait-elle dit sur un ton sarcastique. « Puisque vous attendez mes ordres pour partir, alors ainsi soit-il ! ».
Elle avait voulu retourner la situation habilement pour faire comprendre aux deux hommes qu'elle prenait les commandes de l'opération, mais en réalité, elle savait avoir été mouchée par Learamn. Elle n'avait pas l'habitude d'être ainsi prise à son propre piège, encore moins par ce qu'elle n'estimait alors n'être qu'un vulgaire mercenaire cherchant à se placer au service de sa suzeraine. Alors, lors de leurs premières séances, elle avait voulu lui faire payer sa répartie en le faisant travailler dur. Une basse vengeance, qui ne lui avait procuré qu'un réconfort bien passager, et qui n'avait pas comblé la plaie béante de son cœur. Elle avait rapidement pu constater que l'Occidental ne feignait pas ses blessures, et que malgré ses douleurs persistantes, il se battait comme un lion pour accomplir les mouvements qu'elle lui commandait. Le courage le disputait chez lui à une détermination féroce, et elle avait reconnu en lui des valeurs morales qui lui semblaient respectables, même si l'ancien officier n'obtiendrait probablement jamais la même reconnaissance qu'un soldat de métier, à ses yeux. Elle ignorait tout ou presque de ses compagnons, et surtout elle ne connaissait pas le passé tumultueux de Learamn, sinon qu'il venait seulement d'arriver dans le grand royaume oriental et entendait offrir ses services à Lyra.
Pourtant, malgré son mépris initial, en le voyant ainsi batailler contre un passé de souffrances et de mort, qui se rappelait à lui quotidiennement à chaque fois qu'il posait le pied par terre, il était difficile de ne pas éprouver une forme de compassion. Ava respectait les combattants, les braves, ceux qui refusaient de courber l'échine face aux difficultés et qui étaient capables d'endurer les tourments du monde. Plus elle voyait son patient se dresser face aux épreuves, plus elle avait envie de le voir réussir, de le voir triompher, et surmonter ses propres démons. Les jours passant, elle s'était prise à voir Learamn non plus comme sa mission, mais bien comme un véritable compagnon. Un homme qu'elle considérait comme digne de marcher à ses côtés et, peut-être, digne de servir Lyra.
Aujourd'hui, elle éprouvait une même certaine fierté à le voir bouger avec moins de difficulté, et surtout avec moins de retenue.
Il n'était pas encore danseur, mais au moins il dansait, et elle le sentait se calquer sur le rythme de la mélodie qu'elle fredonnait. Quand elle accélérait, emportée par l'émotion, elle le sentait qui suivait le mouvement. A l'inverse, quand la gravité du chant la rattrapait et qu'elle ralentissait involontairement, elle le sentait s'ajuster, épouser la forme de la partition, comme l'eau épousait la forme du vase. Il commençait à comprendre.
Elle s'interrompit de nouveau, et but une longue gorgée d'eau fraîche dans l'outre posée à ses côtés, avant de la tendre à Learamn.
- Vous avez encore du mal à mettre votre poids sur votre jambe faible, mais vous maîtrisez de mieux en mieux votre déhanché. Relâchez encore le mouvement, soyez plus léger sur vos pieds, plus aérien, comme si votre corps ne pesait rien.
Elle avait accompagné ses paroles de gestes amples et gracieux. A n'en pas douter, elle était elle-même une excellente danseuse, même si elle n'avait jamais pris la peine de faire une véritable démonstration à Learamn. Elle s'efforçait de lui expliquer les choses par le verbe, car elle ne souhaitait pas le voir imiter simplement des gestes qui n'auraient pas eu de sens pour lui, ce qui aurait été à l'encontre de ses objectifs. Les conseils d'Ava pouvaient paraître obscurs, mais elle ne connaissait pas de manière plus claire pour exprimer les choses, ni en Westron ni dans les langues du Rhûn. La danse n'était pas de ces choses que l'on pouvait décrire précisément avec des mots : il fallait le ressentir.
- Asseyez-vous près de moi, fit-elle en tendant les jambes devant elle à la manière d'une enfant. Nous devons parler.
Ses petits souliers rouges s'agitaient nerveusement, alors que sa voix restait parfaitement composée. C'était un des rares signes de son malaise ou de sa gêne, qu'il était difficile de repérer au premier abord, mais qu'il était impossible de ne plus voir une fois qu'on l'avait décelé. Ava s'humecta les lèvres, et reprit :
- Cela fait désormais six jours que nous nous entraînons à un rythme soutenu pour quelqu'un dans votre condition. Vous avez fait des progrès intéressants, et je crois que s'il m'était permis, je pourrais faire quelque chose de vous. Notre départ est prévu pour demain, cependant, et je crains que le voyage jusqu'à Albyor ne soit éprouvant pour vous. La reine se montre impatiente, elle espérait nous voir prendre la route rapidement, et j'imagine que les soirées que vous et Khalmeh passez à découvrir Blankânimad ne l'aident pas à croire que vous faites votre possible pour repartir…
Elle lui jeta un regard entendu, accompagné d'un petit sourire narquois :
- Ne croyez pas que je ne suis pas au courant.
Elle avait effectivement eu vent des sorties nocturnes des deux hommes, qui se plaisaient à déambuler dans la cité entre chien et loup. Elle n'y voyait aucun inconvénient à titre personnel, car elle savait que deux hommes revenant d'un long voyage ne demandaient sans doute qu'à profiter des merveilles de la capitale de l'Est. Elle s'inquiétait simplement de voir Learamn se blesser d'une manière ou d'une autre au cours d'une de leurs aventures dont ils ne disaient jamais rien, ce qui aurait retardé encore leur départ. Ce petit reproche qui n'en était pas un ne constituait cependant pas le cœur du souci. Les pieds d'Ava s'agitaient toujours :
- Pour vous parler franchement, Learamn, le problème ne tient pas seulement à votre blessure… J'ai eu l'occasion de vous observer depuis que nous avons commencé nos séances. Vous dégagez une telle énergie, une telle volonté. Mais aussi, parfois, une certaine rage. Et je dois admettre que cela me préoccupe. Là où nous allons, vous risquez de devoir vous maîtriser, et contenir vos émotions les plus noires, au risque de réveiller les pires démons qui sommeillent dans cette ville de cauchemar. Albyor est un mauvais endroit, j'en ai peur. Il y a une raison pour laquelle la Reine nous envoie…
Elle sortit précautionneusement une lettre d'une poche à l'intérieur de sa tunique, et la montra à Learamn sans la déplier :
- J'ai rédigé ceci, à l'intention de Sa Majesté Lyra. C'est une lettre qui émet de sérieuses réserves sur votre capacité à remplir cette mission. Je n'ai pas le moindre doute quant au fait que si la reine en prend connaissance, vous serez écarté de l'entreprise, et vous perdrez vos maigres privilèges actuels. Or ici, un homme sans protecteur n'a guère d'avenir sinon la mort…
Ava était une femme parfaitement charmante, éduquée et raffinée, mais elle pouvait aussi se montrer glaçante et tranchante en quelques phrases. Ces quelques lignes, écrites dans une langue que Learamn ne comprenait pas, pouvaient sceller son arrêt de mort et anéantir ses espoirs de voir Lyra lui accorder son patronage. La « femme de la reine » le tenait, et elle pouvait presque exiger ce qu'elle voulait de lui dans ces circonstances. Cependant, son ton n'était ni agressif ni menaçant.
- Je vous dis tout cela, Learamn, car j'espère que vous pourrez me convaincre de ne pas délivrer cette lettre. Vous n'avez voulu parler ni de votre blessure, ni des motifs de votre présence ici. C'est votre droit, tout comme c'est le mien de choisir avec qui je voyage. J'ai assez d'une bête sauvage à m'occuper, et je refuse que notre mission soit compromise à cause d'un varka. Alors donnez-moi une bonne raison de vous confier ma vie et tous mes espoirs.
Ava se mordit subitement la lèvre, comme si elle en avait trop dit tout à coup. Son regard se ficha dans celui de Learamn, comme pour vérifier qu'il n'avait rien relevé. Cette curiosité était à double sens, et l'ancien officier n'avait pas besoin d'être particulièrement observateur pour repérer une émotion qu'il n'avait encore jamais vue chez la guérisseuse.
La peur.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
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Et un, et deux, et trois et hop! Et un, et deux et trois et hop! Et un et patatras! Pris dans son élan, Learamn perdit l’équilibre et tomba sur les genoux. De frustration, il frappa du poing sur le sol dur et réprima un juron dans sa langue natale. Si un jour quelqu’un lui avait dit qu’il se retrouverait au Rhûn au service de Lyra pour y apprendre à danser, sans doute lui aurait-il ri au nez. Et pourtant la tâche était bien plus ardue qu’il ne s’y était attendue; il fallait dire qu’il avait en Ava, une professeure très exigeante. Lors des première sessions, il n’avait pas vraiment compris quel était l’objectif de tout cela et trouvait même cela ridicule. Le jeune homme était un guerrier rompu aux arts de la guerre qui demandait à retrouver ses pleines capacités pour le combat et il ne voyait pas comment faire du ballet pouvait être utile. Au soir de leur première session d’entraînement, il avait fait part de ses doutes à Khalmeh avec qui il était sorti dîner en ville. Depuis son arrivée, l’esclavagiste était devenu un peu son confident et ainsi que le seul véritable ami en qui il faisait un tant soit peu confiance. Confiance toutefois plutôt relative au vu des occupations professionnels de l’érudit, le rohir gardait beaucoup de ses pensées pour lui. Mais ils avaient passé assez de temps ensemble et traversé assez d’épreuve pour qu’une certaine complicité se mette en place entre eux. Le Rhûnien lui avait alors expliqué les principes de la médecine rhûnienne ainsi que leur approche des arts martiaux: une science basée sur le mouvement qui pouvait aider l’ancien capitaine à retrouver sa mobilité et sa vivacité d’antan tout en développant son style de combat vers un autre chemin. Suite à ces explications, Learamn s’était rendu aux séances suivantes avec un état d’esprit plus ouvert et il comprit rapidement les bienfaits de la méthode d’Ava. Au Rohan, les blessures étaient le plus souvent traités au lit et avec une longue période de repos mais trop peu d’attention était accordé à la période de convalescence qui suivait la remise sur pied; il ne s’était jamais vraiment remis de sa blessure au pied, et même si il arrivait à nouveau à marcher, jamais il n’avait suivi une rééducation sur sa mobilité. Quant au combat, là encore tout était différent. Le jeune homme s’était distingué au fil des batailles par son style tout en puissance. Il avait appris à harceler ses adversaires par des enchaînements rapides de coups puissants ne laissant pas respirer son opposant, jusqu’à forcer l’ouverture d’une brèche. Un style tout à fait semblable à celui pratiqué par le Maréchal Mortensen et qui l’avait érigé comme l’un des meilleurs combattants de l’Ouest. Une approche dévastatrice mais parfois trop lourde et lente face à des adversaires sachant la contrer correctement, l’elfe qui l’avait grièvement blessé à Pelargir lui avait montré ses limites. Cependant la première fois qu’il avait vu Iran manier son sabre, il avait pu entrevoir la possibilité d’une forme de combat bien différente et non moins redoutable, celle-ci était basée sur le mouvement, le combattant changeant constamment d’axe et d’appuis. Quand Iran guerroyait, émanait d’elle une esthétique gracieuse; tel un ange de la mort envoyé par les Valars pour punir les esprits malveillants. Ce qu’elle perdait en puissance, elle le gagnait en précision et vitesse d’exécution dans ce qui s'apparentait à une danse de la Mort. Une danse dont il s’évertuait dorénavant à apprendre les bases, guidée par les conseils experts d’Ava.
Learamn et sa guérisseuse s’étaient peu à peu rapproché au fil des jours et des entraînements. Ils n’étaient pas forcément parti du bon pied, la Rhûnienne ayant d’emblée posé son autorité avant que Rohir ne la défie aussitôt. Une certaine forme de méfiance était d’ailleurs toujours bien présente entre eux mais les heures passées ensemble avaient atténué l’antipathie initiale. Les progrès réalisés par le cavalier et le fait que ce dernier commençait à apprécier les bienfaits de la méthode de la jeune homme aidèrent également à amener leur relation dans le bon sens. Au delà de ça, le magnétisme qu'exerçait les femmes du Rhûn sur l’esprit de Learamn avait aussi son importance; encore sous l’influence du souvenir de la bravoure d’Iran; il s’était depuis confronté à la froide et splendide force de la Reine Lyra et heurté au voile de mystère qui entourait Ava.
Plein de détermination, le jeune homme se releva et reprit depuis le début; suivant le rythme du chant entonnée par la voix cristalline de la Rhûnienne. Il ne comprenait pas un mot des paroles chantées mais n’en était pas moins transporté par la beauté et la pureté de la mélodie. La langue locale n’avait dans ce contexte rien à voir avec le parler rauque et guttural qu’il avait entendu pratiqué par ses ennemis de l’Ordre de la Couronne de Fer, au contraire même les mots s'enchaînaient avec élégance et harmonie. Au bout de quelques minutes, Learamn arrêta ses efforts et se contenta de regarder Ava, qui s’était inconsciemment mise à chanter les yeux clos, comme emportée par sa musique. Elle les rouvrit quelques secondes plus tard et adressa un regard accusateur à son élève distrait. Celui-ci lui répondit par un sourire: “De là où je viens nous ne croyons pas vraiment aux êtres surnaturels. Mais dès que je vous entends chanter, je me demande si ce n’est pas un ange qui me fait face.”
Sans répondre, elle lui tendit une outre d’eau et l’invita à s’asseoir à ses côtés. Epuisé, Learamn accepta sa demande avec joie et s’installa sur les marches de la cour du palais, reprenant lentement son souffle à mesure que son rythme cardiaque retrouvait une allure normale. La pratique de la dans était au moins aussi physique que la pratique de la guerre. Ava lui exposa alors la situation ainsi que le “problème” auquel elle faisait face le concernant: elle ne le croyait pas prêt et n’était pas prête à risquer le succès de la mission sur l’état de forme hasardeux de l’étranger, ou d’un “varka” comme elle l’appela sans qu’il ne sache ce que cela voulait bien dire. Ses avertissements finirent même par prendre la forme de menaces très claires à son encontre par le biais de cette lettre scellée qu’elle agitait devant lui. Une lettre qui pouvait signer l’arrêt de mort de Learamn.
L’ancien capitaine fronça les sourcils et resta silencieux un moment. Avait-il peur? Pas vraiment non, il y avait bien eu un léger tressaillement lorsqu”elle lui avait expliqué les conséquences que pouvait avoir sa note, mais il s’était maintes fois retrouvé dans des situations bien plus délicates pour craindre aussitôt pour sa vie. Il y avait aussi un peu de déception à l’égard de sa guérisseuse; elle qui était censée être son alliée et son soutien pour cette entreprise était visiblement prête à se débarrasser de lui s’il représentait un poids mort. Il prenait peu à peu conscience, qu’ici, comme étranger, il ne pouvait compter sur la loyauté de personne. Elle avait ses intérêts personnels et ne laisserait pas le Rohir se mettre sur le chemin qui la séparait de son objectif, c’était somme toute logique. Mais la manière de faire était plutôt intrigante: si elle avait de réels doute sur son état de forme, pourquoi lui laissait-elle une dernière chance de se racheter? Si elle était tellement certaine de sa supériorité sur lui, pourquoi adopter ce ton menaçant trahissant un manque certain de contrôle? Il y avait dans sa voix un tremblement qu’il n’avait jamais détecté auparavant: celui de la peur. Seules les bêtes acculées se retrouvaient à montrer les crocs de manière aussi ostentatoire.
Learamn rendit l’outre d’eau et dévisagea son interlocutrice avant d’enfin lui répondre d’une voix calme et posée.
“Vous ne devriez pas sous-estimer mes capacités Ava. Je ressemble peut-être à un animal blessé mais je suis bien plus. J’ai combattu et occis de nombreux ennemis alors que j’étais incapable de marcher, j’ai mené ma patrie à de nombreuses victoires en étant perclus de blessures. J’ai combattu des choses que je croyais réservé au domaine des légendes. Vous me parlez d’Albyor et du Mal qui y règne… L’Enfer j’y ai déjà été, plusieurs fois, j’y ai même commandé des hommes. A chaque fois j’en suis sorti, non sans séquelles mais vivant et prêt à y retourner.”
Il marqua une pause, lui laissant le temps d’assembler les pièces afin de comprendre qu’il n’était pas un simple mercenaire. “Vous doutez de moi. Soit. Donner cette lettre et je perdrai mes privilèges. Comme s’ils m’étaient d’une quelconque importance. Ne voyez vous pas? L’homme en face de vous a déjà perdu tout ce qui lui était cher, il n’est plus que l’ombre de ce qu’il était. J’ai traversé le continent entier pour sauver l’âme du amie venue mourir loin de chez elle dans un combat qui n’était pas le sien. Si je suis ici c’est pour honorer sa mémoire, pour payer ma dette envers elle. Et si la mort est au bout du chemin, alors la boucle sera bouclée.”
Le cavalier s’approcha encore un peu plus près de Ava, la fixant sans discontinuer. “J’irai là bas et je ferai mon devoir. Ainsi aurais-je responsabilité de votre vie et de vos espoirs… Que cela veut-il dire? Seule les personnes se sentant menacés menacent de la sorte.” ajouta-t-il en pointant la lettre qu’elle tenait toujours dans sa mie.
“Ce que je vois dans vos yeux c’est de la crainte, mais elle n'est provoquée ni par la bête , ni par Albyor. Alors dîtes moi Ava, de quoi avez-vous peur?”
The Young Cop
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Ava n'était pas le genre de femmes à se laisser impressionner par un simple compliment. Son statut très particulier à Blankânimad la rendait désirable aux yeux des hommes de la cité, et elle avait reçu son lot de demandes en mariage prestigieuses. Des nobles de bonne réputation, seconds ou troisièmes de la famille, qui cherchaient à conclure une union fructueuse avec une femme proche du pouvoir, raffinée et éduquée. Une épouse parfaite pour sortir en société. Ces hommes faisaient preuve de la plus extrême courtoisie à son égard, lui écrivaient des poèmes, des lettres, des chansons… Ils la complimentaient sur sa beauté, la finesse de sa silhouette, la profondeur de son regard, la douceur de ses cheveux, sur son parfum. Cependant, personne ne l'avait encore complimentée sur sa voix.
Il fallait dire qu'elle ne chantait pas souvent.
Il lui arrivait bien de fredonner quelques airs quand elle travaillait, mais elle ne faisait pas partie de ces concubines à la voix enchanteresse, capables de charmer tout un auditoire dès qu'elles ouvraient la bouche. Ava considérait avoir une voix dans la norme, et ses tutrices n'avaient jamais jugé utile de pousser ce talent chez elle, se contentant de lui donner les bases de cet art que toutes les femmes de l'entourage royal devaient maîtriser.
Elle était trop bien éduquée pour rougir aussi facilement, mais elle ne pouvait pas nier qu'elle appréciait l'attention de l'ancien soldat. Elle l'appréciait peut-être encore davantage précisément parce qu'il était un ancien soldat. Les gens de sa trempe n'étaient pas souvent poètes, et encore moins capables de tourner un compliment de telle sorte qu'il ne parût pas inapproprié. Il n'avait pas parlé de sa beauté physique, comme tant d'autres auraient pu le faire, et s'était contenté de souligner ce qu'il estimait être une qualité chez elle. C'était… touchant.
Ava ne lui donna pas de réponse : que dire, de toute façon ? Elle se contenta d'un petit sourire indéchiffrable comme elle en avait le secret.
L'atmosphère détendue et pacifique entre eux changea bien rapidement, quand elle se décida enfin à lui présenter la lettre qu'elle avait pris soin de rédiger. Le document, qui faisait office de condamnation à l'isolement – et indirectement, à mort –, semblait tout à fait inoffensif entre ces doigts fins. Learamn aurait pu s'en emparer sans la moindre difficulté, s'il l'avait voulu. Il demeura cependant immobile, à l'exception d'un léger tressaillement – de surprise ? – et de ses sourcils qui se froncèrent perceptiblement. Ava était convaincue qu'il essaierait quelque chose, et elle s'était mentalement préparée à le voir se transformer en une bête sauvage prête à tout pour défendre son territoire. Intérieurement, elle s'était figurée la scène maintes et maintes fois.
Elle le voyait se dresser furieusement, et abattre un poing massif sur sa tempe pour l'empêcher de rien faire. Dans le meilleur des cas, elle sombrait immédiatement dans l'inconscience, et il n'aurait qu'à s'emparer de la lettre sans lui faire davantage de mal. Certains des scenarii qu'elle avait imaginés finissaient moins bien, et l'animal qui sommeillait dans l'Occidental prenait le pas sur l'homme, mettant un terme à la vie de la femme censée l'aider à guérir… Malgré toutes ces appréhensions, elle avait affronté son destin avec une grande sérénité, sans rien laisser transparaître. Avait-elle confiance en Learamn à ce point, ou bien était-elle simplement détachée de l'idée de sa propre mort au point de ne pas y accorder d'importance ?
Difficile à dire.
En attendant, elle fixait son compagnon de voyage, qui semblait assimiler cette nouvelle information, et chercher la meilleure réponse à apporter. Et quelle réponse.
Ava l'écouta très attentivement, percevant clairement la menace à peine voilée qu'il lui faisait. Elle avait rencontré son lot de guerriers, et savait faire la différence entre ceux qui relataient leurs exploits pour amuser leurs convives, impressionner leur prochain, et ceux qui se contentaient d'exposer froidement les faits. Elle lisait dans ce regard brisé que chaque mot était vrai, et portait son lot de souffrances, de sang et de mort. Learamn avait de toute évidence traversé assez de champs de bataille pour une vie entière, et ses yeux qui ne cillaient pas faisaient comprendre à la concubine qu'il n'avait pas peur de la lettre qu'elle brandissait. Elle pouvait lui promettre les pires tourments, ce n'était rien à côté de ce qu'il avait déjà affronté.
D'une voix douce, elle lui glissa :
- Je sais…
Son ton était si maternel et si apaisant qu'il était difficile de ne pas se laisser attendrir par sa bienveillance. Elle qui s'était montrée menaçante une seconde avant offrait tout à coup un spectaculaire changement d'attitude, démontrant de l'empathie et de la compassion. Deux mots qui résonnaient des accents de la vérité. Elle n'avait pas mis longtemps à déceler qu'il avait traversé des choses affreuses. Certains détails ne trompaient pas, et elle était consciente qu'il vivrait avec ces démons jusqu'à la fin de ses jours.
Il avait tout perdu, il n'avait plus foi en rien, sinon en l'épée qu'il serrait fermement dans son poignant tremblant de rage. Debout au milieu du charnier qu'était son existence, il n'avait aucune raison de continuer à avancer, et pourtant il n'arrivait pas à se résoudre à s'allonger paisiblement au milieu de tous les autres cadavres. Amis et ennemis l'appelaient indistinctement à les rejoindre dans la tombe, et s'il trouvait une cause juste pour laquelle donner ce qui restait de sa vie, il le ferait joyeusement. Ava sentit un frisson lui remonter le long de l'échine alors qu'il s'approchait d'elle, incisif, tranchant comme une lame, la harcelant comme s'il voulait arracher la vérité qu'elle essayait péniblement de tenir cachée en elle-même.
Cette fois, le masque se fissura visiblement, et le visage parfaitement composé de la jeune femme se fendit d'une marque de pure souffrance.
- Arrière, varka ! Répondit-elle sèchement en se levant brusquement.
Elle tourna le dos à Learamn, et passa précipitamment la main sur son visage pour en chasser les larmes qui s'étaient mises à couler soudainement. La plaie dans son regard saignait abondamment de ce liquide clair et salé qui dévalait en ruisselant sur ses joues. Elle ne sanglotait pas, mais était incapable d'endiguer cette souffrance qui perlait sur son menton avant de se perdre en petites tâches foncées sur le carmin de sa tunique. Ce déferlement brutal d'émotions la surprenait elle-même, et elle s'en voulait de laisser un étranger en être témoin. Il y avait tant de temps qu'elle gardait les choses enfouies en elle, qu'elle ne comprenait pas pourquoi son passé surgissait ainsi au pire moment. L'Occidental vint se placer face à elle, l'empêchant d'échapper à l'intensité de son regard, attendant de toute évidence une réponse.
Il n'avait pas le pouvoir d'écrire une lettre à la reine, mais en l'observant elle comprit qu'elle non plus ne lui donnait pas de solides garanties pour ce voyage. Lui aussi s'efforçait de lui faire confiance alors qu'il était en territoire étranger, seul, sans alliés, et sans la moindre idée de ce à quoi ressemblerait son futur. Pouvait-elle exiger de lui une totale fiabilité, alors qu'elle-même semblait au bord de la rupture ? Elle lui devait bien une explication, même si l'idée de se confier entièrement et sans réserve était encore trop difficile.
- Cette amie dont vous parliez… la cousine de la reine… Vous l'aimiez n'est-ce pas.
Ce n'était pas une question. Plutôt une affirmation, une observation qu'Ava fondait sur le peu qu'elle en avait appris, et sur la façon dont Learamn en parlait. Elle n'avait pas évoqué la question de l'amour romantique, celui dont les poètes se délectaient particulièrement. Non. Elle parlait de l'amour véritable, le plus pur et le plus profond. Celui de deux âmes jumelées, d'un parent pour son enfant, d'un frère pour sa sœur. Cet amour indestructible qui traversait même les frontières de la mort. Il était évident que pour Learamn, Iran était une de ces personnes. Une personne qu'il n'oublierait jamais, et dont l'absence lui pesait chaque jour.
- Imaginez un instant si vous pouviez la retrouver… si vous pouviez la voir apparaître devant vous… la prendre dans vos bras, et lui dire tout ce que vous n'avez pas eu l'occasion de lui dire.
Elle marqua une pause, laissant l'image se former dans l'esprit de l'Occidental. Elle voulait le laisser s'imprégner de ce sentiment, de cet espoir déraisonnable, complètement fou, et pourtant si tentant. Qu'il était doux de croire que la mort pouvait être vaincue, que la force des sentiments pouvait venir à bout de l'implacable réalité.
- Songez maintenant qu'on vous retire cet espoir… Songez à ce que vous ressentiriez si vous deviez la perdre une deuxième fois… N'auriez-vous pas peur, vous aussi ? Ne feriez-vous pas tout pour empêcher que cela arrive ?
Son regard était brillant d'émotion, et si elle avait eu quelques minutes de plus à sa disposition, elle aurait probablement pu donner sens à ses paroles bien mystérieuses. Cependant, ils furent interrompus dans leur conversation par l'arrivée impromptue de Thrakan et Khalmeh. Learamn et Ava perçurent leurs voix bien avant de les voir, et le temps que l'Occidental détourne les yeux pour chercher leurs deux autres compagnons, la « femme de la reine » avait déjà retrouvé une contenance. Elle sécha précipitamment ses larmes, et fit un signe discret à son compagnon danseur pour lui intimer de ne rien en dire.
- Khalmeh, comment allez-vous aujourd'hui ? Fit-elle sur un ton parfaitement naturel.
L'intéressé était toujours aussi jovial. Il avait repris des forces grâce au repos et aux bons repas qu'il avait pu manger depuis son arrivée dans la capitale. Il était en bien meilleur état que Learamn, et trépignait d'impatience de reprendre la route.
- Je vais bien, répondit-il en Westron pour s'assurer que Learamn comprît la teneur de l'échange. Nous venons seulement constater les progrès de notre danseur en herbe. Je crois que Thrakan et moi-même partageons le désir de nous mettre en route rapidement.
Ava se trouvait légèrement devant Learamn, et elle ne se retourna pas une seconde vers lui quand elle répondit sur un ton tout à fait posé :
- Il a fait beaucoup de progrès, je pense que nous pourrons nous mettre en route dès demain. Nous continuerons nos exercices en route, et d'après mes estimations, il arrivera en pleine forme à Albyor.
La jeune femme avait croisé les mains dans son dos, et s'était appliquée à chiffonner soigneusement la lettre qu'elle avait rédigée, l'ancien capitaine étant le seul témoin de son forfait. Ava reprit :
- Je dois seulement m'assurer que notre cinquième compagnon soit prêt pour notre voyage. Je vais y aller de ce pas, d'ailleurs. Merci encore Learamn, et désolée que nous n'ayons pas pu aborder ce nouveau mouvement dont je vous parlais. Nous aurons peut-être l'occasion de nous pencher dessus un jour prochain.
Elle inclina respectueusement la tête, et s'éclipsa sans vraiment attendre de réponse, suivie de Thrakan qui faisait figure de véritable garde du corps. Khalmeh les regarda s'éloigner un moment, avant de se tourner vers l'Occidental :
- Eh bien mon ami, elle avait l'air pressée de nous quitter… Je l'insupporte à ce point ?
Il partit d'un rire léger. La question était rhétorique, car il était évident qu'il ne la portait pas dans son cœur, et que Ava le lui rendait bien. Ils se méprisaient à demi-mot, et s'amusaient à se lancer des attaques voilées qui pouvaient parfois faire sourire, mais qui laissaient présager de futures difficultés lors de leur mission. Ils devraient apprendre à ranger leurs différences de côté s'ils voulaient pouvoir affronter les dangers d'Albyor. Khalmeh avait cependant cette faculté de se montrer rassurant, et il changea de sujet avec la facilité d'un enfant :
- Dites-moi Learamn, puisque c'est notre dernière soirée dans la capitale, que diriez-vous de vous amuser un peu ? Il y a un jeu qui est assez populaire chez le petit peuple de Blankânimad, un sport de balle qui demande de l'adresse et de la souplesse. Il faut se passer la balle entre joueurs d'une même équipe, et la mettre dans le cercle de l'adversaire. Bon, peut-être que votre guérisseuse se montrera moins enthousiaste que moi, mais si elle ne le sait pas, y a pas de risque, n'est-ce pas ?
Ce clin d'œil malicieux avait déjà conduit Learamn à faire quelques bêtises les soirs derniers. Allait-il céder une fois de plus ?
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
[HRP] 600e Message !!!!!! Le Millésime approche [HRP]
Perdu dans ses pensées, Learamn suivait silencieusement Khalmeh à travers les ruelles de la capitale orientale. Il était un peu en retrait derrière son ami et n’écoutait qu’à moitié ce que celui-ci lui racontait. Une fois de plus, il s’était laissé séduire par sa proposition de sortie; en partie conscient qu’ils n’auraient pas le loisir de se détendre ainsi avant bien des semaines. Dès le lendemain ils mettraient le cap sur Albyor et d’après ce qu’il en avait entendu ce ne serait pas là bas qu’ils risquaient de passer de longues soirées arrosées entre bonnes tables et maisons de jeux. Il n’avait donc pas longuement hésité avant de donner son accord; Ava serait sans doute furieuse de l’apprendre et leur dernière conversation indiquait qu’il y avait de bonnes chances que cette dernière escapade remonte jusqu’à ses oreilles. Mais là était bien l’essentiel: il s’agissait de leur dernière nuit de liberté avant un long moment. Le lendemain à l’aube, ils seraient prêts à partir; que diable pouvait-il donc bien leur arriver jusque là? Cependant, le jeune homme n’avait pas vraiment le cœur au jeu. Il ne cessait de se ressasser la conversation qu’il avait eu un peu plus tôt avec la guérisseuse. Celle-ci s’était étonnamment livrée à lui en dévoilant une facette plus fragile de sa personnalité qu’elle avait talentueusement cachée depuis leur rencontre. Le Rohir l’avait certes poussé dans ses retranchements, quelque peu irrité par la menace qu’elle faisait peser sur lui par le biais de cette lettre, mais jamais il ne s’était attendue à une telle réaction de la part de la jeune femme et il se sentait un peu coupable de l’avoir ainsi mise à nue. Mais même au milieu de son chagrin, dont la nature lui demeurait bien mystérieuse en partie à cause de l’arrivée impromptue de son compagnon de voyage, Ava avait préservé sa capacité à viser juste, en particulier dans le cœur des hommes. Learamn n’avait fait que mentionner Iran dans son discours, sans plus élaborer à son sujet; mais elle n’avait pas eu besoin de plus pour comprendre parfaitement le lien qui les liait.
Aimait-il Iran? Il ne s’était jamais vraiment posé la question mais l’évidence était bien là. En l’espace de quelques semaines, ils étaient passé outre leurs différences et visions opposées du monde pour former une relation de confiance absolue et aveugle renforcée par la dette de vie qu’ils se devaient l’un l’autre. Elle s’était sacrifié pour lui et il cherchait depuis désespérément le moyen de lui rendre la pareille pour un tel acte. Une quête vaine et vouée à l’échec puisque rien ni personne ne pourrait réparer sa mort, mais néanmoins une mission dans laquelle le cavalier s’était enfermé et qui le poussait à avancer. C’était aussi pour cette raison que les confidences de Ava l’avaient particulièrement touché. Si lui avait eu la moindre chance de ramener son amie à la vie, il aurait remué ciel et terre pour le faire. Et si cet espoir venait à être brisé, alors nul doute que la douleur n’en serait qu’encore plus douloureuse. Qui était-donc cet homme qui la tourmentait ainsi? Pourquoi cet espoir d’être réuni avec lui était il à présent ébranlé? Était-il en danger? Cela avait-il un quelconque lien avec leur mission? Beaucoup d’interrogations dont il aurait bien voulu connaître les réponses mais il jugea que pour le moment, il ne valait mieux pas brusquer son alliée.
Car au-delà de leur petite joute verbale, Ava avait envoyé des signes clairs à son élève: elle lui faisait confiance pour la tâche qui les attendaient. Elle s’était, sous ses yeux, débarrassée de la lettre qu’elle avait utilisée pour l’intimider, une lettre qui aurait pu avoir de fâcheuses conséquences pour l’étranger mais dont l’existence serait gardé secrète. La guérisseuse avait également menti sur l’état physique de son patient afin de … le protéger? Ou alors afin de simplement éviter tout retard sur les exigences de la Reine? Il ne savait le dire mais ce dont il était à peu près certain, c’était que jamais il n’arriverait en pleine possession de ses moyens. Il avait certes repris des forces et fait des progrès notables dans ses déplacements qui lui permettraient d’aborder le combat d’une nouvelle manière. Mais ce n’était pas après une semaine d’entraînement, aussi intensif qu’il pouvait l’être, qu’il retrouverait sa forme d’antan. Les mois de voyages, de privation et d’inactivité avaient considérablement marqué son corps et il lui faudrait encore du temps avant qu’il ne recouvre toutes ses forces. Toutefois il se sentait prêt à affronter le danger vers lequel ils étaient envoyés et il avait maintes fois prouvé qu’il n’était jamais aussi dangereux que quand il se retrouvait dos au mur. La dame de la cour avait visiblement était convaincue par ses arguments et était prête à arranger pour la vérité pour qu’il puisse les accompagner. Un premier signe de confiance qui le touchait, cela faisait bien longtemps que quelqu’un avait cru en ses capacités armes en mains. Iran avait été la dernière à le faire.
Il fut tiré hors de sa réflexion par la voix joviale de Khalmeh qui l’informa qu’ils étaient arrivé à destination. Ils se trouvaient dans un petit square, juste devant l’entrée d’une grande brasserie qui semblait particulièrement fréquentée. Devant eux se trouvait un petit groupe d’une vingtaine de personnes, de tout âge, éparpillés aux quatre coins de la place. On avait creusé des sillons pour indiquer les limites du terrain de jeu et les participants se passaient un ballon en cuir tout en se déplaçant de façon plus ou moins stratégique pour s’approcher du camp adverse. A la vue de ce curieux spectacle, Learamn haussa un sourcil. Tout cela était bien différent de tous les loisirs et pratiques sportives que l’on trouvait au Rohan. Dans sa terre d’origine on se rendait aux joutes de cavaliers, pratiquaient l’équitation, concouraient au tir à l’arc ou jouaient aux jeux de dés; certains , plus marginaux, s'adonnaient à la lutte et au pugilat; mais rien qui approchait de près ou de loin un sport d’équipe se jouant avec une balle. Khalmeh lui expliqua brièvement les règles qui se révélèrent, à la bonne surprise de l’ancien capitaine, plutôt simples à assimiler. Du moins sur le papier. En effet, dès qu’ils commencèrent à jouer Learamn put constater la différence de niveau entre un novice comme lui et des adversaires expérimentés. Une technique gestuelle qu’il ne possédait pas couplée à une ignorance tactique totale faisait de lui le maillon faible de son équipe qui arrêta bien vite de lui transmettre le cuir. Quelque peu frustré il héla son “guide”, qui semblait lui à demi-amusé de la situation: “Mon ami, il va falloir que vous me donniez quelques astuces et conseils pour améliorer mon jeu. Sinon je risque bien d’écourter notre soirée et de retourner dans nos quartiers.”
Beau joueur, l’esclavagiste lui partagea quelques astuces mais le Rohir soupçonnait qu’il gardait les plus utiles pour lui.
Au terme d’une première manche outrageusement dominée par leurs adversaires du jour, les participants se mirent d’accord pour prendre quelques minutes de pause pour s’hydrater. Un peu essoufflé, Learamn s’assit sur un banc de bois qui se trouvait non loin. Il vida son outre avant de se masser la cheville qui le lançait légèrement, si la douleur venait à persister alors il continuerait le match depuis le banc. “Je ne vous remercierai jamais assez pour l’aide, l’amitié et la patience dont vous avez fait preuve depuis notre arrivée aussi. Je dois admettre avoir pris grand plaisir à découvrir cette ville si riche et agréable à votre côté. Souvenez-vous que ça n’était pas gagné lors de notre première rencontre, plutôt placée sous le sceau de la méfiance. Mais vous m’avez sauvée la vie et guidée jusqu’ici malgré mon statut d’étranger qui aurait pu vous valoir des problèmes. Sachez que je ne l’oublierai pas, en particulier lorsque le danger nous guettera au sein de la Cité Noire.”
Il marqua une pause avant de poursuivre avec sa requête. Learamn avait dit cela le plus sincèrement du monde mais pour le bien de leur mission, il était aussi primordial qu’il lui fasse passer un message qui risquait de moins lui plaire. Il avait été un officier et il savait très bien que la réussite dépendait de la cohésion d’un groupe et de la confiance qui résidait en son sein. “Cependant je pense que vous devriez mettre de côté vos différends avec Ava. J’ignore pourquoi elle se méfie de vous et je suis le premier à trouver cela injuste de sa part mais il faudra faire avec mon ami. Sur ordre de la Reine, elle commande cette opération et notre réussite - voire notre survie- dépendra de notre capacité à l’accepter et à travailler ensemble. Vous avez bien réussi avec moi - un rustre homme du Rohan- , vous ne devriez donc avoir aucun mal pour une femme raffinée de votre peuple … et charmante qui plus est.” fit-il avec un clin Draveil en connaissant le goût prononcé de son compagnon pour les belles dames. “D’ailleurs je me demandais… depuis que je suis arrivé ici, on ne cesse de me désigner comme un “varkat”. Qu’est ce que cela veut bien signifier?”
The Young Cop
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En voyant Learamn se masser le pied, Khalmeh ne put s'empêcher de sourire.
Le jeune vagabond ne s'en était probablement pas rendu compte, mais tous ses adversaires du jour s'étaient fait un devoir de ne pas lui laisser la moindre chance. Fierté orientale, sans doute. Ils en plaisantaient dans son dos, jugeant de ses compétences médiocres en la matière, même si quelques uns appréciaient d'avoir pu montrer leur culture à cet étranger que Khalmeh leur avait présenté comme étant « acceptable ».
Les gens d'ici étaient orgueilleux, rudes et parfois brutaux, mais ils prenaient un plaisir certain à montrer les meilleurs aspects de leur monde à Learamn. Comme si, isolés et déconsidérés par les « Peuples Libres », ils voulaient absolument lui démontrer la supériorité de l'Est sur l'Ouest. Alors, leur arrogance prenait des airs de vulnérabilité touchante, et leur rudesse se transformait en un maladroit besoin de reconnaissance. Ces hommes avaient longtemps vécu dans l'ombre de voisins plus puissants, et luttaient ardemment pour être reconnus comme un peuple à part entière, digne de prendre sa place en Terre du Milieu.
Khalmeh lui-même s'était pris au jeu, et se faisait un devoir de montrer à Learamn la culture orientale telle qu'il l'expérimentait lui-même. Loin des champs de bataille, loin de la guerre, des épées et du fracas des lances. Les gens du Rhûn se levaient, travaillaient, mangeaient, riaient, dansaient et buvaient comme tout autre peuple. Ils avaient leur humour – particulier –, leurs coutumes – déroutantes –, et leurs propres merveilles dont ils se délectaient. Certains des paysages de la Mer de Rhûn étaient à couper le souffle, de même que la vue de Blankânimad quand on approchait de l'Ouest et que l'on découvrait cette cité fourmillante de vie.
La fierté des Orientaux n'était pas toujours mal placée.
- Tout le plaisir est pour moi, mon ami, répondit Khalmeh sur un ton assez solennel qui ne lui ressemblait guère.
Il s'assit aux côtés du Rohirrim, et lui posa une main amicale sur l'épaule :
- Grâce à vous, je pourrai peut-être payer ma dette, et retrouver la vie qui m'a été arrachée. C'est plutôt moi qui devrais vous remercier. Pour un homme de l'Ouest, vous faites preuve d'une grande ouverture d'esprit, et vous ne semblez pas nous haïr autant que vos compagnons.
Le sourire de l'esclavagiste revint, ouvrant son visage comme une fenêtre donnant sur un monde enjoué. Même quand il parlait des sujets les plus graves, Khalmeh savait toujours le faire avec légèreté : peut-être parce qu'il avait vu tant d'horreurs dans sa vie qu'il avait appris à savourer les petits riens, les conversations anodines dans la quiétude de cette capitale si fermement tenue par la main de fer de Lyra que rien ne semblait les menacer.
Il aimait Blankânimad, et il ne rêvait que d'y revenir habillé de beaux habits, retrouver son secrétaire, son fauteuil confortable, ses livres et la douceur d'un quotidien routinier mais sûr.
Le monde lui avait toujours paru plus agréable ainsi.
Learamn, cependant, le ramena à la réalité et à la dernière épreuve qu'ils devaient affronter avant leur départ. Albyor, la Cité Noire. Et Ava, cette femme si mystérieuse que Khalmeh ne supportait guère. Il sourit une nouvelle fois en entendant le conseil de son ami du Rohan, et éclata franchement de rire quand ce dernier ponctua sa phrase d'un regard malicieux. Décidément, ce gamin était amusant :
- J'ai peut-être un différend avec elle, mais je ferai en sorte de l'oublier le temps de notre mission. Elle devra simplement apprendre à composer avec mon insupportable caractère, et la rudesse des gens des routes que nous sommes. Vous pensez bien, une femme comme elle n'a rien à faire avec des hommes de notre espèce. Car vous avez raison, Ava est une très belle femme, même selon les standards locaux.
Il pouffa pour lui-même, laissant le temps à Learamn de comprendre la critique implicite des femmes occidentales que contenait son allusion. Il reprit :
- Cependant, je ne me fais aucune illusion à son sujet. Et vous ne devriez pas vous en faire non plus. Elle est mariée à Lyra, et je ne crois pas que cette dernière laissera l'un de nous l'épouser si facilement.
Il n'ajouta rien d'autre à ces paroles bien étonnantes, écoutant plutôt la question qui semblait brûler les lèvres de Learamn. En entendant le mot qu'il venait de prononcer, Khalmeh sembla s'assombrir un peu, comme si le terme en lui-même n'était pas positif. Il répondit froidement :
- C'est Ava qui vous a appelé comme ça ?
Qui d'autre ? Learamn se promenait librement à Blankânimad, mais il interagissait assez peu avec la population locale sans être accompagné. Or Khalmeh n'avait jamais entendu personne l'appeler ainsi, et il imaginait assez mal Thrakan lui faire la conversation au point de lui affubler ce sobriquet. Le terme en lui-même avait plusieurs sens, et désignait une réalité qui n'était guère reluisante quand on en comprenait toute la dimension. L'esclavagiste, qui se trouvait aussi être un érudit, était peut-être la personne la mieux placée pour le lui expliquer :
- Un varka… comment vous le dire simplement ? Dans les textes les plus anciens, le terme désigne des « loups », des changeurs de forme, des hommes-bêtes capables de se mouvoir sous la forme d'un animal à la nuit tombée. Aujourd'hui, on dit que ces changeurs de forme ont disparu, qu'ils sont morts ou qu'ils se sont cachés. Leurs descendants, cependant, continuent à arpenter le monde. D'ordinaire, ce sont des hommes tout à fait normaux, polis, calmes, bien éduqués. Mais quand vient l'heure du combat, ils cèdent à la bête qui sommeille en eux, et s'abandonnent à la férocité.
Il marqua une pause, et ajouta :
- Ce sont des hommes qui combattent au mépris de leur propre vie. Fous, à nos yeux. Ils se complaisent dans le sang, la guerre, la violence, et parfois… ils ne savent plus redevenir des hommes. Alors, ils restent prisonniers de l'animal, et quand la mort ne met pas fin à leur supplice, ils s'enfuient par delà le monde connu, et ne reviennent jamais…
Khalmeh plongea ses yeux sombres dans ceux de Learamn, et poursuivit avec une gravité pesante :
- Ne croyez pas qu'il s'agisse d'une légende, Learamn. Les rois du Rhûn les affectionnent particulièrement, et ils savent s'attacher leurs services. On dit que Lyra est capable de les reconnaître, qu'elle ressent l'animal qui sommeille en eux, et qu'elle sait les rallier à sa cause… Personne ne crie trop fort qu'il est un varka, vous savez… Ceux qui vivent ainsi meurent jeunes, ou vivent une vie entière à combattre la bête en eux. Ce n'est pas une chose plaisante que vous a dit Ava, et elle n'aurait jamais dû vous comparer à une de ces choses. Elle ignore d'ailleurs probablement de quoi elle parle…
Il se leva sur ces paroles qui se voulaient rassurantes, prêt pour une autre partie de ce jeu de balle que ses compatriotes affectionnaient tant :
- Allez mon ami, faisons au moins bonne figure devant cette équipe de vantards. Peut-être qu'une de ces demoiselles se laissera impressionner par votre prestation, et vous offrira une dernière nuit agréable avant que nous quittions Blankânimad ! C'est tout le mal que je vous souhaite, mais ne touchez pas à celle au manteau rouge, elle est pour moi.
Goguenard, il s'élança au milieu du terrain, levant la main pour qu'on lui envoyât la balle de cuir. Learamn, pendant ce temps, resta seul avec ses pensées à masser sa cheville. Il croisa finalement le regard d'une des spectatrices, une jolie fille qui devait avoir environ son âge, et qui semblait très curieuse à son endroit sans oser le dire.
Aux premières lueurs du jour, la petite compagnie était rassemblée sous la Porte de Toutes les Tribus. Thrakan ouvrait la marche, son immense carcasse installée sur le dos d'un cheval de petite taille mais de toute évidence assez robuste pour soutenir le poids d'un cavalier lourdement armé. La vision était presque cocasse pour un Rohirrim, davantage habitué à voir des destriers de grande taille. Il y avait de quoi rire de voir ce géant sur le dos d'un grand poney. Ava le suivait de près, juchée quant à elle sur un cheval élégant à la robe alezane. Elle avait passé une tenue élégante qui n'avait rien de discret, puisqu'elle était pourpre et dorée. Cependant, elle portait des sortes de chausses comme s'en vêtaient parfois les femmes d'ici, ce qui lui permettait de monter comme un homme. Elle avait saisi dans ses mains délicatement gantées une petite carte sur laquelle elle avait soigneusement calculé leur itinéraire.
Un rythme modéré pour ménager leurs montures, et profiter des villages qu'ils croiseraient sur la route aux abords de Blankânimad. Cela leur permettrait d'affronter plus facilement la partie difficile du voyage, une longue traversée d'étendues peu peuplées qui les mènerait finalement à Albyor. Ils voulaient arriver dans la Cité Noire en forme.
Ensuite venait Khalmeh, qui guidait leur attelage et leur cargaison spéciale. L'Uruk avait été traité avec les plus grands soins par Ava, qui avait soigné ses blessures et s'était arrangée pour le rendre présentable. Tant d'attentions à l'égard d'une créature que les hommes de l'Ouest considéraient volontiers comme l'incarnation du mal pouvait être étonnante, mais Khalmeh s'en était expliqué à Learamn :
- Bien que nous n'aimions pas les Uruk davantage que vous, nous avons appris à négocier avec eux. Ils parlent notre langue, et certains parmi les nôtres parlent la leur. Nous échangeons des objets de peu de valeur, de la nourriture, des minerais. En contrepartie, nous respectons leurs frontières et ils respectent celles du royaume. Je parie que ce n'est pas le premier Uruk que notre chère Ava a l'occasion de voir.
L'Uruk était un esclave, mais il n'était pas traité plus mal que les esclaves humains, ce qui était suffisamment singulier pour être souligné.
Enfin, fermant la marche, venait Learamn. Il assurait l'arrière-garde, et devait surveiller tout le reste de la compagnie, tout en profitant de l'abri relatif que lui offrait le chariot face aux vents parfois agressifs qui soufflaient sur les plaines du Rhûn. Le rythme qu'imposait Ava était suffisamment tranquille pour lui permettre de ne pas tirer sur ses blessures, tout en avançant à un bon rythme.
Les premiers jours de leur voyage furent assez agréables. Chaque soir, ils s'arrêtaient pour dormir à la belle étoile – il faisait frais, mais les journées étaient chaudes et ils ne pouvaient qu'apprécier ce bref répit –, et montaient un petit campement où avaient toujours lieu les mêmes rituels. Ava continuait à enseigner la danse à Learamn, tout en surveillant avec beaucoup d'attention son sommeil et son alimentation. Elle avait la patience d'une mère, et travaillait sans relâche pour lui permettre de retrouver la souplesse et la mobilité dans son membre blessé.
De l'autre côté, Khalmeh s'entraînait à dresser son esclave, en lui faisant accomplir toutes sortes de tâches. Au départ, l'Uruk avait les mains liées, et devait seulement collecter du bois sous le regard sévère de l'esclavagiste qui voulait s'assurer que rien de négatif ne se passerait. Il ne quittait jamais le bâton de commandement, et gardait l'épée à portée de main au cas où l'Uruk se serait rebellé. Mais au bout de quelques temps, il prit l'habitude de libérer l'Uruk le soir venu, et de l'intégrer peu à peu à la vie de leur compagnie.
Il collectait le bois, allumait le feu, cherchait de l'eau… des tâches simples et qui n'exigeaient aucune délicatesse particulière, mais qui confortaient Khalmeh dans l'idée qu'il pouvait faire quelque chose de cette créature.
- C'est un drôle de spécimen, mon ami, lâcha un jour l'esclavagiste à Learamn. Je le sens terriblement intelligent, mais pour une raison que j'ignore il demeure tout à fait passif. Il obéit sans rien dire, et ne montre aucun signe de déplaisir quand il doit accomplir une corvée, ou de contentement quand il est récompensé. Il a juste l'air… neutre.
L'Uruk s'asseyait désormais au milieu d'eux pour manger, sans jamais émettre le moindre son. Il les regardait parfois de ses yeux étrécis, et derrière la laideur de son visage il était presque possible de déceler toutes les souffrances de sa vie… Qu'avait-il vu du monde, qu'ils ne pouvaient même pas concevoir ? Quelles horreurs avait-il affrontées, que les mots ne pouvaient pas décrire ? Khalmeh éprouvait de la pitié envers sa créature, mais il n'était pas encore prêt à baisser sa garde.
La plus à l'aise avec l'Uruk demeurait encore Ava, qui lui prodiguait des soins réguliers. Cette femme était infatigable, et après avoir aidé à monter le camp, assisté Learamn dans ses exercices, donné un coup de main pour préparer le repas, elle trouvait encore le temps de s'occuper des blessures de tout un chacun : Hommes, Orcs ou chevaux. Elle appliquait des onguents sur la peau sombre de la créature qui demeurait parfaitement immobile, de toute évidence insensible au contact physique. Ava n'éprouvait pas le moindre dégoût, et elle examinait cette chose horrible sans hésiter, comme si dans son existence elle avait déjà vu des choses plus effrayantes.
Thrakan, cependant, ne la quittait jamais des yeux.
Ce dernier était finalement le plus taciturne de tous. Presque aussi silencieux que l'Uruk, presque aussi commode d'ailleurs, il se contentait de mener la compagnie, et de veiller sur Ava. Il aurait volontiers laissé Learamn et Khalmeh mourir si cela lui avait permis de protéger la jeune femme, et les deux hommes avaient bien conscience qu'il n'était là que pour elle, sans que l'origine de ce lien indéfectible fût très claire.
Un soir pourtant, Learamn eut l'opportunité d'en apprendre plus sur sa compagne de voyage.
Alors que c'était à son tour de monter la garde – rôle qu'elle prenait très au sérieux, et qu'elle n'avait voulu céder pour rien au monde –, le cavalier s'était réveillé bien malgré lui. Il aurait pu se rendormir, s'il n'avait pas entendu des sanglots étouffés provenant d'une silhouette assise dos à lui, emmitouflée dans une épaisse couverture. Ava pleurait seule sous un ciel si plein d'étoiles qu'on y voyait comme en plein jour. La lueur blafarde de la lune donnait l'impression que le monde entier était recouvert de poussière d'argent, alors que le spectacle magnifique de la voûte céleste se reflétait dans le miroir liquide du petit ruisseau au bord duquel ils s'étaient arrêtés.
Tous les autres membres de la compagnie dormaient profondément, éreintés après une longue semaine de chevauchée qui leur avait permis d'accomplir environ la moitié de leur périple, et Ava s'était pensée à l'abri de leur regard. En entendant que quelqu'un bougeait dans son dos, elle essuya rapidement les larmes qui coulaient sur ses joues, et affecta de n'avoir rien à cacher. Cependant, ses épaules tremblaient encore légèrement, et ce n'était pas de froid.
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"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
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Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Au cours de sa jeune carrière, Learamn avait eu plusieurs fois l’occasion de travailler au sein de groupes à la composition pour le moins surprenante. Il avait fait partie du groupe d’aventuriers des Peuples Libres lors du “Voyage des Douze” visant à porter un coup fatal à l’Ordre de la Couronne de fer; il avait également commandé une troupe hétéroclite lors d’une mission d'infiltration à Pelargir et n’avait pu compter que sur une Orientale, un soldat ivrogne et la femme enceinte du Vice-Roi comme alliés de confiance durant les derniers mois à Edoras. Mais la compagnie dont il faisait partie à présent avait placé la barre un petit peu plus haut réunissant une dame de la cour de la reine Lyra, un colosse taciturne, un esclavagiste et un Uruk. L’ancien officier savait comment la cohésion de la troupe était un facteur essentiel du succès et au moment présent il doutait grandement de leurs capacités à être sur la même ligne dans le feu de l’action.
Jusque-là le voyage avait été plutôt agréable. Ils avaient quitté la glorieuse capitale quelques jours plus tôt après une dernière soirée de loisirs, délaissant sa chaleur et son agitation pour des régions plus agricoles parsemés de petits villages où ils pouvaient se reposer et prendre des forces après de longues heures de chevauchée. Le temps était plus frais que dans la ville, et de temps à autre une brise légère et bienvenue venait rafraîchir leurs visages. Il se surprit même à avoir un peu froid au milieu de la nuit, rien d’insupportable pour le moment mais il sentait qu’à mesure qu’ils avançaient la présence humaine se faisait de plus en plus rare et les paysages de plus en plus désolés. La traversée des grandes étendues désertiques qui les séparait d’Albyor approchait à grands pas. Le Rohir fermait toujours la marche, juste derrière Khalmeh et sa bête. Le vent qui soufflait face à lui portait avec lui l’odeur désagréable du monstre, bien que celle-ci soit étrangement moins répugnante qu’avant leur arrivée dans la capitale. L’avait-on...lavé? Cette pensée arracha un sourire amusé au cavalier. Un orc dans une baignoire; l’image avait tout d’une mauvaise plaisanterie. Mais en y réfléchissant plus longuement, comme il n’avait apparemment pas grand-chose de mieux à faire, il se dit que cette idée n’était pas aussi farfelue qu’elle en avait l’air. Il n’y avait qu’à regarder le soin avec lequel Ava s’occupait de la créature pour se dire qu’elle avait très bien pu le savonner avant de partir en mission. Une possibilité qui n'inspirait que du dégoût au jeune homme mais dont il profitait pleinement, n’ayant plus à supporter les effluves pestilentiels qui s’en émanaient.
Learamn avait du mal à comprendre le traitement que l’on réservait à cet orc de la part de gens qui n’hésitaient pourtant pas à réduire des congénères humains en esclavage. Il se sentait mal à l’aise lorsque la bête s’asseyait avec eux autour du feu pour y attendre son repas. Il avait toujours vécu avec cette haine viscérale de toute créature se rapprochant des orcs ou des gobelins et qui avaient tant de fois ravagé son royaume avec une cruauté sans nom. Pour lui, cet Uruk était une représentation du Mal le plus absolu; une âme damnée dont le seul but sur cette terre était de répandre le chaos. Même les sbires de l’Ordre de la Couronne de Fer ne lui inspiraient pas la même répulsion; des hommes corrompus et avides de pouvoir qui devaient être stoppés mais dont Learamn comprenait les motivations et faiblesses et pour qui la rédemption était possible. Mais les Orcs… Pour le jeune homme les Terres du Milieu ne s’en porteraient que mieux si leur espèce disparaissait tout entière. A priori les gens d’ici n’étaient pas du même avis et de telles bêtes ne disposaient pas d’un statut inférieur aux autres esclaves. Khalmeh lui confia même qu’il leur arrivait de faire du commerce basique avec leur peuple tout en respectant leurs frontières respectives.
“Le seul genre de commerce que nous ferions avec eux, c’est celui de l’acier contre le sang.” rétorqua Learamn sur un ton étonnamment cynique.
D’un autre côté c’était la première fois que l’ancien capitaine croisait la route d’un Orc, peu importe son espèce, et il devait bien reconnaître que leur rencontre était bien différente de ce qu’il avait pu imaginer pendant longtemps. Il s’était souvent rêvé commander une glorieuse charge de cavalerie où il pourfendait des dizaines de ces monstres sans aucun remords, comme les héros des récits qui avaient bercé son enfance. Cependant, ce n’était jamais arrivé. Des charges il en avait pourtant mené; mais à chaque fois en face se trouvaient des autres humains, voire même des frères rohirrim. L’ennemi n’était peut-être pas celui que l’on aimerait qu’il soit. Le soin tout particulier que lui portait Ava avait même quelque chose d’un peu touchant, ils devaient faire route avec la bête et elle était décidée à ce que celle-ci puisse faire le voyage dans les meilleures conditions possibles avant de partir au front.
En plus de son dégoût plus ou moins bien réprimé à l’égard de l’Uruk, Learamn eut également le temps de réfléchir un peu plus sur ce que lui avait appris Khalmeh à propos des “Varka”. Les premières fois qu’il avait entendu Ava l’appeler de cette manière, il s’était simplement dit que cela voulait dire quelque chose comme “étranger” ou “pâle” dans la langue locale. Mais la réalité était bien moins banale. Ce récit sur ces hommes “changeurs de formes” capables de se muer en animal sanguinaire à la nuit tombée avait tout d’une histoire d’horreur que l’on racontait aux enfants pour les faire frémir ou les dissuader de s’aventurer trop loin après le crépuscule. Des mythes de loups-garous et autres phénomènes surnaturels colportés par des conteurs alcoolisés, Learamn n’y avait jamais vraiment prêté attention. Il se rappelait pourtant maintenant, que durant sa convalescence à Meduseld, il avait feuilleté un vieux bouquin d’histoire mentionnant des légendes relatant l’existence, jadis, d’hommes capables de se transformer en ours et dont les descendants arpentaient toujours les Terres Sauvages. Et à priori ces histoires n’étaient pas des légendes par ici; la Reine Lyra faisant même usage de ces “varka” au sein de ses rangs. Elle n’avait pas elle-même mentionné ce terme lors de leur entrevue mais au biais de quelles informations Ava avait-elle bien pu décider de le qualifier de la sorte. Etait-ce ainsi qu’elle le percevait? Une bête de combat incontrôlé et incontrôlable? Une machine de guerre à l’instar de cet Orc? Lyra avait-elle fait d’une pierre deux coups en recrutant la créature et le Rohir? Depuis un moment déjà, Learamn se savait être un guerrier et pas grand-chose d’autres. Un homme qui s’était construit à travers l’affrontement et qui désormais ne se sentait vivre que lorsqu’il maniait l’épée. Depuis longtemps le jeune garçon paysan avait cédé sa place à un soldat à la fois horrifié et dépendant du champ de bataille. Son temps éloigné de l’action dans sa chambre du Château d’Or avait été un long chemin de croix et jamais il n’aurait cru qu’il serait un jour aussi satisfait de faire route vers le danger à nouveau. Son esprit savait que cela le détruisait à petit feu mais cet appétit de la guerre qui se faisait ressentir plus bas, dans ses entrailles, prenait lentement le dessus au fil des ans. Et à vrai dire il ne considérait même pas l’appellation “varka” comme une offense. Ce genre de choses ne devrait pas lui faire plaisir et il en avait conscience mais c’était ainsi, il en était presque tristement flatté.
Peu avant le coucher du soleil; ils établirent le campement dans une zone herbacée près d’un petit ruisseau. Learamn descendit de selle et aida Khalmeh à monter les tentes et allumer le feu. Il prit ensuite quelques minutes pour étirer ses membres engourdis et entrepris une toilette rapide de Heolstor, le puissant destrier que Aleyn lui avait offert avant son périple. Le cheval du Rohan contrastait avec les autres montures orientales, plus petites et fines; et Learamn avait choisi de partir avec lui plutôt qu’avec Keyvan comme pour garder un dernier lien avec sa terre natale et aussi fier d’afficher une partie de sa propre culture. Il avait laissé le cheval d’Iran dans les écuries du palais de Lyra, cette dernière déciderait sûrement de ce qu’il adviendrait de lui et si le jeune homme pouvait en garder la charge. Pourtant il n’avait pas oublié son alliée disparue et portait dans la poche de sa veste, le poème tatoué sur la peau de la jeune femme; retranscrit dans sa version originale avec sa traduction par les soins de Khalmeh. Cette mission, s’il la faisait, c’était avant tout pour elle.
Ils partagèrent un repas plutôt consistent et même savoureux concocté par l’intellectuel. Décidément, cet homme avait plusieurs cordes à son arc. Puis, épuisé, Learamn se dirigea vers la tente pour trouver du repos mérité alors que l’impassible Thrakan prenait le premier tour de garde.
Un coup de vent glacial réveilla Learamn en sursaut. En ouvrant les yeux il se rendit compte qu’il avait face à lui une immense voûte étoilée qui éclairait la sombre nuit; il n’était plus sous la tente. En alerte, il se redressa rapidement et remarqua également qu’il n’était pas allongé sur son matelas de fortune mais à même le sol, à l’extérieur. Comment avait-il pu se trouver à l’extérieur? Jamais auparavant il n’avait été atteint de somnambulisme. Il se retourna prestement, cherchant du regard Khalmeh et le reste de la troupe mais ils avaient disparu. Il n’y avait ni tente, ni chevaux à proximité. Il sentit son souffle et le rythme de son coeur s'accélérer rapidement. Le lieu était pourtant le même mais tout ce qui l’entourait s’était tout simplement volatilisé.
“Par quel sortilège?” murmura-t-il pour lui-même.
Il n’était pourtant pas complètement seul. Une belle voix cristalline se fit alors entendre près du ruisseau, se mêlant en harmonie aux clapotis de l’eau. Intrigué, le jeune homme se releva et se dirigea d’un pas prudent vers la femme qui chantait, dos à lui. Les paroles qu’elle déclamait lui semblaient étrangement familières bien qu’il n’en comprenne pas le moindre mot. En s’approchant, la lueur de la Lune révéla le dos nu de l’inconnue; il était marqué par de nombreux tatouages qui s’alignaient, s’entrechoquaient et se fondaient l’un dans l’autre pour créer un ensemble envoûtant.
“Iran…”
C’était bien elle. A l’écoute de son nom, la belle Orientale interrompit sa mélopée et fit volte-face. Elle ne dit pas un mot et son visage resta inexpressif. La fraîcheur nocturne ne semblait pas la troubler outre mesure alors qu’elle était totalement nue. Le Rohir lui se fendit d’un large sourire et accéléra le pas en sa direction.
“Ô Iran! Que fais-tu ici? Ô Iran! Moi qui te croyais perdu…”
Mais alors qu’arrivé à sa hauteur, il voulut la prendre dans ses bras; la Rhûnienne le rejeta brutalement.
“Arrière varka!” vociféra-t-elle.
Lui resta interdit pendant quelques secondes alors que celle qu’il aimait reculait de plusieurs pas, répugnée par ce qu’elle avait en face de lui. Il ne comprenait pas. Honteux, il baissa les yeux et il comprit. Ses mains étaient couvertes de longs poils gris et ses ongles avaient poussé pour devenir de longues griffes acérées. Horrifié, Learamn se pencha au-dessus du ruisseau pour y contempler son reflet. Le pelage recouvrait l’entièreté de son corps nu, son nez s’était considérablement allongé et surplombait une mâchoire monstrueuse et ses yeux avaient viré au jaune.
“Je..je ne comprends pas.”
L’Orientale était toujours là le fixant avec dégoût et crainte. Il tenta à nouveau de s’approcher d’elle mais elle gardait ses distances. L’ancien capitaine, impuissant, tomba à genoux.
“Iran! Je t’en prie ! C’est moi , Learamn! Je t’en supplie; je t’aime Iran.”
Elle le dévisagea avec mépris.
“Un varka ne peut aimer.” répliqua-t-elle froidement.
Elle s’avança alors et passa devant le Rohir sans lui adresser le moindre regard. Derrière lui, la silhouette massive de l’Uruk était apparue. Celle qui fut son alliée rejoignit la créature et lui prit la main. Sous les yeux effarés du cavalier, la Belle et la Bête s’éloignèrent dans la nuit.
Learamn s’éveilla en sursaut. Encore sous le choc, il mit quelques instants à reprendre ses esprits et à constater que cette fois-ci tout était normal. Il se trouvait bien à l’intérieur de la tente, Khalmeh dormait profondément non loin. Incapable de se rendormir dans l’immédiat, il décida de sortir de la tente pour profiter de la fraîcheur nocturne. A nouveau, il put remarquer une silhouette féminine à proximité du ruisseau. Mais celle-ci ne chantait pas. Non elle pleurait. Un sanglot se fit discrètement entendre. Learamn fit lentement quelques pas vers elle, tout en faisant volontairement du bruit pour lui laisser le temps de se reprendre. Derrière sa façade intraitable, Ava était une femme fragile. Par deux fois il avait pu voir son armure émotionnelle se craqueler et il ne désirait pas l’accabler. Il ne pouvait que comprendre ce besoin de dignité et de dissimuler ce qui hantait le coeur. Ce qu’il s’était entraîné à faire pendant des années. Quand il s’assit à côté d’elle, Ava avait séché ses larmes mais de légers tremblements la trahissaient. Le Rohir vit cela mais ne releva pas. Il se contentait de fixer le ciel étoilé.
“Quand j’étais enfant j’avais l’habitude de m'allonger , au milieu des champs d’épeautres pour y admirer les constellations d’étoiles. Une nuit j’ai même essayé de les compter, toutes. Je me suis endormi après cinq cent vingt-six si je me souviens bien. Mon père m’a trouvé assoupi au milieu des champs et m’a ramené à la maison où ma mère se faisait un sang d’encre. J’ai appris plus tard qu’il y en avait un nombre infini, moi qui croyais être capable de toutes les compter en une nuit…”
Il eut un petit sourire discret à l’évocation de ses lointains souvenirs d’enfance.
“Peut-être que j’aurais dû y rester dans ces champs au final….”
Une vie paysanne modeste mais heureuse auprès de sa famille. Celle qu’il avait abandonné en quête de gloire et de reconnaissance et de gloire au sein de l’armée.
Learamn quitta alors la voûte céleste des yeux et reporta son attention sur sa guérisseuse; désireux de percer ce voile de mystère qui entourait cette âme à la fois si forte et si sensible.
“Ava…Cet homme que vous aimez; celui que vous croyiez perdu… Est-il en danger?”
Il savait sa question très personnelle; et ne s’attendait pas vraiment à obtenir une réponse. Dévoiler ce genre de choses n’était pas chose aisée, particulièrement pour elle et elle déciderait probablement de l'ignorer. Mais Learamn devait en savoir plus sur celle qui avait son destin en main.
Son attitude avait changé du tout au tout quand elle avait entendu des bruits de pas derrière son dos, et elle s'était presque fait le reproche d'avoir cédé à la tristesse alors que ses compagnons de route étaient si proches. Quelle idiote !
Elle resserra la couverture qui l'enveloppait autour de ses épaules, et se laissa approcher comme un petit animal méfiant par celui qui ne pouvait être que Learamn. Thrakan aurait fait un bruit digne d'un auroch, tandis que l'Uruk et Khalmeh n'auraient même pas pris la peine de se lever pour s'enquérir de son état. Alors il ne restait que lui, l'étranger, le varka… Venait-il se délecter de la souffrance qu'elle éprouvait au fond de son cœur ?
Était-ce comme ça que lui et les siens fonctionnaient ?
Il s'assit à côté d'elle sans rien dire d'abord, et elle s'efforça de contenir ses deux instincts contradictoires. Le premier l'inclinait à se lever et à s'éloigner de cet homme, pour qu'il ne vît pas la faille béante dans son âme, qu'il ne devinât pas la souffrance indicible qui la transperçait chaque fois qu'elle laissait ses pensées vagabonder. Le second, plus pur encore, l'incitait à se rapprocher de cette chaleur humaine qu'il dégageait, à rechercher contre son épaule la perspective d'un bref réconfort. La sensation rassurante d'être protégée.
Tiraillée entre deux forces égales, elle demeura parfaitement immobile, calant sa respiration sur la mesure d'une chanson calme qu'elle connaissait bien.
Un bref frisson la parcourut quand elle sentit que l'homme allait prendre la parole. Elle l'imaginait cavalier, direct, aussi délicat qu'un bélier. Elle le voyait déjà lui demander de tout raconter, de confier sa vie et ses secrets à celui qui demeurait, pour elle, un inconnu. Elle leva involontairement sa garde, parée, prête à se défendre, et fut surprise quand elle constata que Learamn ne semblait pas être ici pour l'interroger.
Au contraire, il semblait seulement vouloir… partager ?
Il lui parla de son enfance, de ses rêves étoilés, d'une ambition juvénile et innocente qui lui paraissait aujourd'hui bien loin. Ava n'eut aucun mal à imaginer Learamn plus jeune, intrépide et courageux comme tous les gens de son espèce, mais aussi rêveur et indiscipliné comme seuls l'étaient les âmes les plus créatives. Elle le voyait enfant, les mains croisées derrière la tête, allongé dans un champ, à essayer de repérer chaque étoile et de l'ajouter à sa liste mentale. Elle le voyait, les paupières de plus en plus lourdes, se recroqueviller sur lui-même pour préserver la chaleur… ses yeux fermés, sa respiration profonde, ses petits poings serrés pour retenir le plus longtemps possible le rêve dans lequel il était plongé.
Il lui parla de son père, de sa mère, et elle devina leur visage. Un homme simple, droit, un travailleur honnête espérant faire de son fils une personne respectable. Une femme douce, tendre, soucieuse, s'efforçant de donner tout l'amour possible à un fils qu'elle ne voulait pourtant pas trop couver. Elle se représentait leur regard rassuré et amusé quand le père était entré dans la maison, portant le jeune Learamn dans ses bras. Elle voyait presque leur humble chaumière, réchauffée par un feu accueillant. Elle apercevait le lit dans lequel il fut déposé, et la douce chaleur du foyer familial.
Une larme solitaire quitta son regard.
- Votre vie vous manque.
Ce n'était pas une question.
Plutôt un constat. Une évidence, en réalité. Il y avait tant de souffrance et de nostalgie dans les paroles du guerrier qu'elle devinait le chemin parcouru pour en arriver là, sur les lointaines terres du Rhûn où il n'aurait probablement jamais rêvé de se trouver. Elle avait dit « votre vie », et non pas « votre pays », car elle percevait également qu'il avait souffert, là-bas. Il n'avait pas évoqué sa vie d'adulte, son engagement, les femmes qu'il avait pu côtoyer, les rêves qu'il avait pu entretenir une fois que la vie d'adulte s'était imposée à lui.
Non.
Il avait évoqué une vie simple, une vie modeste.
Une vie sans épée au côté, sans ennemi à l'horizon. C'était cette vie qui semblait le rendre nostalgique… Cette vie paisible… La quiétude d'un maison transmise de générations en générations, le côté rassurant d'une famille aimante et toujours présente. Depuis combien de temps Learamn n'avait-il pas vu son village ? Depuis combien de temps n'avait-il pas vu sa famille ? Reverrait-il un jour les siens, ou mourrait-il comme un inconnu indésirable dans les sinistres rues d'Albyor, la Cité Noire ?
Elle se sentit tout à coup désolée.
Désolée de devoir utiliser cet homme pour atteindre son objectif. Il aurait été tellement plus facile pour elle de ne rien savoir, de seulement l'imaginer être un barbare occidental, un rustre sans éducation, sacrifiable, dispensable, un parmi tant d'autres. Hélas, plus elle apprenait à le connaître, plus elle décernait une personnalité qui méritait d'être rencontrée, apprivoisée, connue.
Le rapport de force entre ses deux instincts évolua légèrement, et elle se rapprocha de Learamn, collant son épaule contre la sienne. Un bref contact qui l'apaisa étrangement.
- Vous avez quitté votre vie pour une bonne raison, Learamn du Rohan. Et je suis certaine que vous avez fait des choses bien, même si vous semblez hanté par les horreurs que vous avez pu voir.
Les mots coulaient de ses lèvres comme un torrent de vérité, et cela ne pouvait pas être un hasard. Elle ne parlait pas en l'air, elle exprimait une idée tout à fait précise qui faisait écho à quelque chose qu'elle avait pu voir elle-même. Les yeux d'un soldat plongeaient trop souvent dans le regard d'un ennemi, et voyaient la haine, la colère, un désir de survivre si fort que seule une lame en acier pouvait y mettre fin…
Mais les yeux d'une guérisseuse n'avaient-ils pas également vu leur lot de malheurs ?
- Un jour, vous trouverez la paix, Learamn. Vous le méritez. Alors, vous trouverez le chemin vers un foyer… Vous cultiverez votre terre, vous aimerez votre femme, vous élèverez vos enfants… Vous vous détournerez de tout ça…
D'un geste de la main elle embrassa le paysage qui s'étendait devant eux.
- Le monde est plus vaste que vous le pensez. Votre cœur aussi. Vous trouverez.
Elle s'interrompit sur ces paroles bien énigmatiques. Qu'avait-elle vu ? Que ne pouvait-elle pas dire ? Learamn ne put retenir sa curiosité, et avec douceur il l'incita à parler… non pas pour la juger, pour la blâmer ou pour lui faire comprendre qu'elle porterait à tout jamais la faute commise. Non. Simplement pour l'aider. Elle le devina dans son attitude, dans son ton… et pour une raison qu'elle ignorait encore, elle se laissa aller à lui en révéler un peu plus sur elle.
- Je le crois, oui, répondit-elle dans un souffle à la dernière question de son compagnon de voyage. Je ne sais pas… Je ne sais plus… Je me raccroche à un espoir qui n'en est peut-être pas un, une folie, car si je ne continue pas à avancer envers et contre tout, alors… à quoi bon ?
Elle marqua une pause, et lâcha un profond soupir. Son corps se refusait à pleurer de nouveau devant Learamn, et elle digéra sa souffrance :
- Je suis la seule personne à pouvoir le sauver. Avec Thrakan, évidemment. Peu importe les sacrifices, je dois y parvenir. Je ne peux pas imaginer vivre sans lui.
Sa poitrine se serra, et elle eut l'impression qu'une lance venait de la transpercer. Elle serra les dents, ferma les yeux et parvint péniblement à faire refluer ses émotions déchaînées. Elle posa la tête sur l'épaule de Learamn, et demeura ainsi sans rien dire. Les yeux rivés sur l'horizon, elle n'avait qu'une envie : arriver à Albyor le plus rapidement possible.
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Ava avait répondu à sa question de manière plutôt évasive, l’identité de cet homme et la nature du danger qui le menaçait demeuraient un mystère pour le moment. Mais l’essentiel n’était pas là; pour la seconde fois Learamn avait pu entrevoir une autre facette de la jeune femme. Une facette beaucoup plus fragile que celle qu’elle donnait à voir d’ordinaire et qui contrastait avec l’autorité glacée de Lyra ou l’assurance d’Iran; une franchise désarmante aussi qui le surprit ainsi qu’une détermination admirable. Elle était prête à tout sacrifier pour lui venir en aide, consciente du fait que seule elle pouvait accomplir cette tâche. Accepter de porter seule un tel fardeau n’était pas chose aisée. Thrakan fut également mentionné et le cavalier se demanda quel lien unissait ces deux personnes que tout semblaient opposer. Elle la femme de la Reine, raffinée et hautement éduquée; lui, garde du corps patibulaire au naturel taiseux qui semblait plus être un homme d’action que d’intellect. L’image qu’il avait d’eux était sûrement caricaturale et ne pouvait expliquer ce qui ressemblait à une loyauté indéfectible; le guerrier veillant constamment sur sa supérieure, elle le considérant comme son allié le plus fidèle.
Learamn ne réagit pas immédiatement quand la Rhûnienne s’approcha de lui. En quête de réconfort, elle posa délicatement sa tête sur son épaule. Et ils restèrent ainsi assis silencieusement pendant de longues secondes à contempler la voûte étoilée. Deux êtres au passé douloureux partageant un moment de tendresse humaine. Les Hommes étaient loin d’être parfait et leur penchant pour le violence ou la quête de pouvoir les avaient souvent menés à l’autodestruction; mais l’humanité était aussi spéciale parmi les peuples pour ces moments volés où le temps semblait se suspendre. Cette chose inexplicable qui permettait à deux personnes totalement différentes de partager leur peines, de se comprendre l’un l’autre avant peut-être de s’affronter plus tard. Dans un élan d’affection envers cette femme dont il se méfiait pourtant, il passa un bras derrière son dos qu’il caressa doucement pour la réconforter. Malgré l’éducation avancée qu’il avait reçue pour un fils de paysans, Learamn ne maniait pas particulièrement le verbe avec talent et il ne savait quels mots ils pouvaient user pour la rassurer. Ce geste fut la seule réponse, instinctive, qui lui vint à l’esprit.
Le rohir brisa finalement ce long silence sacré durant lequel lui et elle ne faisait qu’écouter leur lentes respirations. “Vous rappelez-vous il y a quelques jours quand je vous ai mis en colère après la leçon? Vous m’aviez appelé “varka”. Khalmeh m’a expliqué ce que cela voulait dire. Je sais bien que vous aviez parlé sous le coup de la colère et du chagrin, je ne vous en veux pas…”
Sa gorge se nouait à mesure qu’il parlait. “ A vrai dire, je me demande même si vous n’aviez pas raison. En entendant ses explications, je me suis même senti fier. Je sais que je n’aurais pas dû, que cela aurait dû m’offenser ou m’attrister, mais non, j’en étais inconsciemment satisfait.”
Learamn ramena alors son bras vers lui et eut un mouvement de recul, comme s’il réalisait qu’un monstre comme lui ne pouvait réconforter Ava.
“Je vous ai dit que j’étais retourné des Enfers en vie...Je vous ai menti. Je n’en suis jamais sorti. Une fois que l’on y pénètre, il n’y pas d’issue possible; votre esprit y reste prisonnier à jamais, y devient dépendant. Cette vie que vous évoquiez, une famille, une demeure, une existence apaisée; cette vie m’est impossible. Cette qui me manque auprès de mes proches n’est plus mienne. Pas qu’elle me soit interdite mais je sais que l’appel du sang se fera toujours plus fort. Qui mériterait un tel mari, un tel père prêt à mettre en danger les siens pour assouvir ses pulsions violentes?”
Une larme coula le long de la joue désormais barbue du jeune homme. Parfois son âme de jeune cavalier idéaliste aux nobles intentions refaisaient épisodiquement surface et avec elle transparaissait toute sa sensibilité et fragilité. Mais cela devenait de plus en plus limité aux moments les plus intimes, quand il était seul au milieu de la nuit. Le reste du temps, le guerrier reprenait le dessus. “Mais vous..vous avez encore cette flamme qui vous anime. Cet espoir qu’il y a peut-être une issue pour vous, cette foi qu’un futur meilleur possible. J’ai perdu cela depuis un moment mais je connais sa valeur et je ferais tout mon possible pour que vous la préservez.”
Il détourna alors son regard embué des yeux envoûtant de la jeune femme et contempla à nouveau les constellations. L’ancien capitaine désigna alors du doigt un assemblage d’étoiles située vers l’Ouest. Il commenta d’un ton qui se voulait plus léger “Voyez vous ce groupe d’étoiles là-bas? Mon père m’a appris qu’il s’agissait de la constellation du Méaras, brillant sur le Riddermark et veillant à la sécurité et la prospérité de notre peuple une fois la nuit tombée.”
Il fronça alors les sourcils en constatant que la constellation lui apparaissait quelque peu difforme par rapport à ses souvenirs. Il ajouta avec un sourire: “Et c’est étrange, mais vu d’ici on dirait plutôt un mulet…”
The Young Cop
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Ils l'étaient tous les deux, à leur manière. Courageux, fous peut-être, ils continuaient à avancer dans la direction que leur indiquait le bras tendu de la souveraine du Rhûn. Là-bas, à l'Ouest, se dessinait un espoir fugace. Fragile. Bousculé par la brise estivale qui galopait en silence sur les grandes plaines de ces terres orientales. L'espoir d'enfin pouvoir construire une vie meilleure. Pour elle, retrouver l'être aimé. Pour lui, donner un sens nouveau à son existence. Et pour tous les deux, oublier le passé qui s'accrochait à leur esprit comme les épines d'un roncier s'accrocheraient à leur cape.
Alors ils luttaient, insensibles aux coupures, à la morsure irritante de leurs souvenirs. Tête basse, ils espéraient voir l'épais taillis s'éclaircir une fois qu'ils auraient traversé Albyor, et qu'ils auraient enfin contenté la suzeraine de ces terres.
Albyor.
L'espoir.
Deux idées qui n'allaient pas aisément de pair…
Pourtant, en dépit de leur destination, Ava s'efforçait de garder espoir en l'avenir, et de regarder vers l'horizon en songeant à des jours meilleurs. Quand la nuit venait la saisir au fin fond de sa solitude, et lui rappeler cruellement son impuissance, elle se laissait aller aux larmes et à un bref désespoir, mais elle s'efforçait de chasser les ténèbres de son cœur en convoquant l'espoir. Une arme à double-tranchant, qu'elle aurait probablement dû manier avec davantage de précautions. Il lui était donc difficile, voire insupportable, de voir son compagnon de route dans un tel état. Lui qui se trouvait loin de chez lui, seul, ne pouvait pas céder au désespoir. Il ne le devait pas.
S'il choisissait cette voie, alors Albyor lui offrirait ce qu'il réclamait sans oser le formuler : la mort indigne qu'il estimait mériter pour ses échecs, pour ses crimes, pour ses manquements et pour toutes les fois où il ne s'était pas montré à la hauteur de l'homme qu'il imaginait être.
- Vous n'êtes pas perdu, Learamn…
Les mots étaient maladroits, incertains. Ava s'en voulait terriblement d'avoir plongé le guerrier dans davantage de tourments en l'appelant varka. Elle aurait dû se douter qu'il céderait à sa curiosité dévorante, et qu'il irait se renseigner par lui-même. Nul doute que son acolyte esclavagiste lui avait décrit la nature de ces créatures sous le jour le plus défavorable qui fût. Elle aurait voulu s'expliquer, se justifier… peut-être même s'excuser. Elle n'en trouva pas la force, et préféra à nouveau regarder vers l'avenir :
- Vous êtes un guerrier, cela se voit. Peu importe à quel point j'essaie de vous faire ressembler à un danseur…
Un sourire triste illumina son visage un bref instant, alors que la lune les recouvrait de sa pâle lueur.
- Si vous pensez que vous ne méritez pas la présence d'une femme à vos côtés, si vous pensez ne jamais être digne d'être un bon père, alors vous pouvez sans peine mettre votre lame au service du Rhûn. Ce royaume vaut aussi bien qu'un autre, après tout. Serrez-moi contre vous.
Elle l'avait senti reculer légèrement, comme s'il craignait de la blesser ou de soudainement ressentir de violentes pulsions. Ava percevait cependant sa respiration, et elle le devinait parfaitement calme. Son agitation était due à sa tristesse, mais il n'y avait aucune colère en lui. Il finit par s'exécuter, et elle demeura silencieuse pendant quelques instants. Il y avait fort longtemps qu'elle n'avait pas été prise dans des bras amicaux ainsi, avec la certitude de pouvoir parler sans être jugée. Elle devinait, à la maladresse du cavalier, qu'il y avait bien longtemps qu'une femme ne s'était pas lovée ainsi contre lui. Ni l'un ni l'autre n'osait le dire, mais ils redécouvraient tous les deux le partage, la tendresse et la simplicité d'une étreinte pure et désintéressée. Il avait voyagé trop longtemps avec un cadavre en sursis. Elle-même avait voyagé trop loin avec des souvenirs en décomposition… Ils avaient tous les deux besoin de ressentir la vie, le battement d'un cœur près du leur. Ava inspira, avant de reprendre :
- Votre flamme ne s'est pas non plus éteinte, Learamn. Je la sens encore, juste ici.
Elle mit un index sur son cœur.
- Protégez-la, le temps qu'elle grandisse de nouveau. Vous êtes un guerrier, après tout, alors battez-vous pour défendre ce qu'il reste de votre âme.
Ils se murèrent dans un silence contemplatif, que le guerrier finit par rompre pour lui montrer les constellations. Ava leva le nez. Elle avait toujours apprécié les étoiles, qui lui donnaient l'impression d'être des gardiennes bienveillantes. Les gens de son peuple leur demandaient conseil, et attendaient d'elles des signes favorables pour entreprendre certaines actions. Elle ne croyait que modérément dans les conseils célestes, mais elle appréciait leur présence rassurante. Chaque fois qu'elle les observait, elles lui rappelaient son foyer, loin à l'Est de Blankânimad.
Learamn lui apprit involontairement quelque chose qu'elle ignorait, en dessinant du bout de son doigt le tracé de la constellation du Méaras. Elle aurait juré que les étoiles n'étaient pas les mêmes à l'Est et à l'Ouest, et elle fut très surprise de constater que le jeune guerrier semblait tout aussi à l'aise à déchiffrer l'architecture céleste que s'il avait été dans son jardin. Cette pensée était très réconfortante… cela signifiait que malgré toutes les différences qu'ils pouvaient entretenir, tous les peuples du monde déambulaient sous le même ciel.
Ava aurait voulu l'interroger sur son pays natal, pour savoir encore ce qui les rapprochait et ce qui les distinguait. Elle voulait comprendre pourquoi tout à coup son âme semblait vibrer au même rythme que celle de cet étranger, alors que tout aurait dû les opposer. La souffrance était-elle la même à l'Est et à l'Ouest ? Les Hommes d'ici et d'ailleurs pleuraient-ils de la même manière ? Partageaient-ils les mêmes chagrins, les mêmes peines… mais aussi les mêmes espoirs ?
Elle ne trouva pas comment lui demander tout ça. Il y avait tant de choses qu'elle aurait voulu qu'il lui dît, tant de choses qu'elle aurait voulu entendre. Cependant, elle savait que les mots risquaient d'ouvrir de nouveau la plaie qu'il essayait péniblement de refermer. Alors elle puisa dans son silence les réponses à questions. Elle se nourrit à la source de sa respiration profonde, et lut dans le regard qu'il jetait vers l'Ouest, les yeux dans le vague. Elle décela dans tout ce qu'il ne disait pas l'amour sincère qu'il éprouvait dans son pays, et elle comprit.
Le Rohan était sans nul doute une terre magnifique.
Elle se pencha pour embrasser le guerrier sur la joue, et déplia ses jambes fuselées :
- Bonne nuit, Learamn.
Son tour de garde s'achevait, et elle devait se reposer en préparation de la longue journée du lendemain. Ce baiser timide avait le parfum des fruits des bois, et la douceur de la soie. Ava n'ajouta pas un mot, et se laissa happer par le sommeil. Celui-ci fut le plus plus profond et le plus réparateur depuis bien longtemps.
Membre des Orange Brothers aka The Bad Cop
"Il n'y a pas pire tyrannie que celle qui se cache sous l'étendard de la Justice"
Spoiler:
Bourse : 3.500£ - Salaire : 3.000£
Learamn Agent de Rhûn - Banni du Rohan
Nombre de messages : 1077 Age : 25 Localisation : Temple Sharaman, Albyor Rôle : Esclave au Temple Sharaman, Agent de la Reine Lyra, Ex-Capitaine du Rohan
Combien de temps cela faisait-il que Learamn n’avait pas connu un moment de tendresse humaine comme celui-ci? Bien longtemps, bien trop longtemps. Un instant d’une douceur si pure qu’elle semblait irréelle. Il avait passé tant de temps à errer sur les routes les plus hostiles du continent, animé par la seule force du désespoir; mais sa solitude profonde le hantait depuis bien avant. A Edoras déjà durant sa longue et douloureuse convalescence. Le lien qui l’avait brièvement uni Iran avait été intense mais ils étaient tout deux des guerriers accomplis, et la fierté qui les caractérisait les avaient empêché de s’ouvrir complètement à l’autre, de dévoiler complètement sa facilité. N’en était resté que des bribes, des gestes discrets ou des allusions maladroites où leur âme transparaissait succinctement à travers l’armure qu’ils s’étaient forgés. Mais au final cela avait été sur le champ de bataille qu’ils avaient pu réellement montrer qui ils étaient et ce qu’ils ressentaient l’un pour l’autre, tuant pour sauver, se sacrifiant pour préserver l’autre. Au fond, les gens comme eux ne savait pas s’exprimer différemment.
Ava était différente. Différente d’Iran dont elle ne partageait pas la fougue guerrière et le refoulement des sentiments. Différente des femmes du Rohan qu’il avait connu de par sa position, son pouvoir et son éducation. Mais elle était aussi une âme errante, se raccrochant aux souvenirs du passé pour trouver une fragile raison de se tourner vers l’avenir. La cousine de Lyra avait toujours eu une mission claire qui expliquait sa présence au Rohan et s’en était jamais caché, celle d’Ava était beaucoup plus trouble.
L’ancien officier eut un sourire amer quand la Rhûnienne posa un doigt délicat sur son torse, à l’emplacement de son coeur, affirmant qu’une flamme de l’espoir y brûlait toujours. Il en doutait fortement mais, à vrai dire, ne s’en souciait guère plus; l’espérance était la source d’illusions qui ne tarderaient pas à se muer en profondes déceptions. Learamn en avait trop souffert par le passé.
Ils restèrent encore ainsi pendant de longues minutes à contempler silencieusement la voûte nocturne. Un vent frais soufflait sur leurs visages pour une fois apaisés. Elle, blottie dans ses bras; lui, le regard vers l’horizon lointain. Le parfum suave de la jeune femme apaisant son esprit tourmenté.
Elle finit par prendre congé au prix d’un baiser affectueux sur la joue du cavalier et d’un timide “bonne nuit”. Il ne répondit pas, le regard toujours perdu au loin…
Désormais seul dans la nuit, il tira instinctivement de sa poche le parchemin sur lequel Khalmeh avait inscrit la traduction du poème énigmatique tatoué sur le corps d’Iran. Il parcourut longuement ces mots étrangers mais pourtant si familiers qui revenaient souvent hanter son esprit. Des vers courts mais lourds de sens qui défendaient les valeurs que la guerrière avait tâché de défendre durant sa courte vie. L’honneur, la miséricorde, la justice, le respect des traditions ancestrales, l’humilité et le sens du devoir. Ces mêmes valeurs que tous les hommes et les femmes d’honneur désiraient défendre, à l’Est comme à l’Ouest, au Nord comme au Sud. Le texte se finissait abruptement, sur une strophe non achevée qui suivait l’annonce d’un crépuscule énigmatique. Le Rohir avait longuement réfléchi à finir l’oeuvre, il s’était même plusieurs fois assis plume à la main pour y écrire les derniers vers. Mais il avait toujours échoué; il avait certes appris à lire et à écrire mais il ne maniait ni le verbe ni la rime. De frustration il avait brisé son encrier au seul; incapable de rendre hommage à une femme qui en méritait milles. Se trouvait-elle là-haut? Parmi ces étoiles, veillant sur son destin à l'instar des anciens du Rohan?
Une seconde larme s’échappa alors que le refrain résonnait inlassablement dans son esprit. “Va, enfant des plaines, jeune fille au visage doux…”