Le Rat du port.

La pluie chassait enfin les immondices. Et si la cité noire en serait purgé, ce n'est pas aujourd'hui que la véritable plaie de Rhûn serait guérite. Il tremblait, trempé. Un courant d'air vicieux lui passait la corde au cou. Encapuchonné dans plusieurs manteaux, le visage voilé par deux bandes noires de tissu qui ne laissaient apparaître qu'une touffe de cheveux aussi sales que grisâtres.

L'alcool lui manquait depuis bien. Depuis que c'est cinglés de religieux l'avait viré du port, depuis que les pontes avaient enfin aperçut à quel point le culte Melkorite pouvait être dangereux, du moins dans ses plus extrêmes penchants. Hélas, c'étaient ces derniers qui serrait la gorge de Rhûn et de son peuples désormais. Des illuminés, fanatiques inhumains. Il s'était enfuit avant que le Sang de la Nuit ne l'emporte Melkor sais où.

"Le Sang de la Nuit..." murmura t-il entre ses dents.

Cette milice lui avait pris sa vie, son travail, ses valeurs, ses hommes. Cette bande de sauvage avait même été jusqu'à incendier son bordel favori. Elle y était, comme tout les soir. Personne n'aurait pu les prévenir. C'était il y a une semaine.

L'ancien Gardien du Port gardait ses escapades comme le plus grand de ses secrets. Non pas que son rang eu gêné quoi que se soit. Leur soi-disant reine était bien pire que les femmes de la rue. Il le cachait car elles étaient ce qu'il y avait de plus humains en lui. L'amour, rien qu'une illusion. Mais une illusion délicieusement normale, commune, puissante, et humaine.

Mais depuis quelque temps, ces manques de quinquagénaire usé, s'étaient effacé. Il payait toujours. Il se faisait plus bavard, et étrangement candide. Elle l'écoutait avec attention, jeune, ravissante, envoûtante et désespérée.

Il était devenu un moins que rien, un rat, Ralya était mort. Son épée croupissait au fond du fleuve, plus rien ne le rattachais à son ancienne vie. Uniquement la rage, la haine, la vengeance. Melkor lui avait pris le peu d'humanité qu'il s'était jamais accordé, il allait le regretter.

Première cible.

Ce riche homme de foi régnait sur ce qui avait été le fief de Ralya durant bien des années. Depuis la prise de pouvoir de ces illuminés, le port était vide et silencieux. Le faible commerce se faisait dans une morosité et une crainte constante. Les crieurs marmonaient leurs psaumes et les royales déclaration de cette garce de Reine.

Il avait brûlé la caserne du Port, il ne restait rien du ponton que des aiguilles de bois calciné perçant l'eau avec toute la violence d'Albyor. Les meurtriers s'étaient calmé, les vols se faisaient de plus en plus rares. Mais le mal changeait juste de masque. Le pouvoir pillait la ville quartier par quartier, au nom de Morgoth. Des massacres avaient lieu. Et le ciel obscur de la cité était toujours teinté de flammes.

Il entra doucement par une fenêtre. Ce porc dormait. Trois gardes gisaient déjà dans le caniveau. Le vent immonde masquait la puanteur du Rat du Port. Le plancher grinça doucement quand il s'avança. L'Homme dormait toujours. Son matelas remplit des anciennes richesse d'Albyor, aujourd'hui secrètement sienne.

Une courte lame brilla dans le noir. D'une poigne couverte de crasse, Ralya s'empara de la langue du dormeur. Elle fut tranchée net. Un flot de sang éclaboussa le visage du vengeur. Un oreiller vint recouvrir la face du futur cadavre, il n'avait pas eu le temps de crier, déjà il se noyait dans son propre sang.

Il n'y avait rien de drôle. Pourtant, un léger sourire se dessina sur le visage sâle de l'ancien Gardien du Port. Admirant le lit rougit par le fluide puant du porc, le Rat tailla une seule et unique encoche dans le mur de briques. Son sourire resta figé sur son visage, mais quand il disparut dans la ruelle, il ne put retenir un discret éclat de rire. Ce n'était que le début.

Pour Eodroc, la routine perdurait depuis des années et ne semblait pas devoir s'arrêter. Depuis cinq ans, rien n'avait bien changé: toujours le même capitaine, toujours le même poste, toujours les mêmes humiliations. Pourtant, une lueur d'espoir apparaissait à l'horizon... dans six mois, il serait trop vieux pour exercer à la Garde et prendrait sa retraite. C'est pourquoi, lorsqu'on lui signala un meurtre du côté du port, il n'y alla pas seul, mais accompagné par son "stagiaire", celui qui prendrait sa relève, un jeune homme aussi pitoyable que lui, et bien plus simple d'esprit. C'était comme ça qu'on les aimait dans cette corporation: dépendants, soumis et prévisibles. On ne voulait pas renouveler les dérapages du passé...

Le port n'était plus le quartier qu'il fut autrefois. Ici, tout avait été dévasté, saccagé, pillé, remodelé à la guise des nouveaux propriétaires: sûrement des fidèles de Melkor pour lesquels Eodroc n'avait que haine et dégoût, mais qu'il n'osait défier pour rien au monde, pas même pour son ancienne et étrange amitié avec Ralya, depuis l'arrivée au pouvoir de la reine. D'ailleurs, il n'avait plus eu aucune nouvelle de l'ancien gardien du port depuis l'invasion des melkorites.

"Allez, bouge-toi un peu, clampin!"

Le jeune apprenti effectua un série de petits pas de course assez comiques pour rejoindre les talons d'Eodroc. Ils étaient presque arrivés au bord de l'eau et n'avaient plus qu'à remonter un peu par le chemin pavé pour arriver à un petit tas de maisons, dont l'une était construite un peu à l'écart, la plus cossue. Une fenêtre était entrouverte...

"C'est bien celle-là, d'après les signalements."

Pourtant, les alentours étaient vides d'hommes. Le quartier était si mort qu'aucun badaud n'avait eu l'envie de s'approcher ou le courage de se mêler à une affaire concernant les fanatiques. Le duo entra, tel le meurtrier, par la fenêtre, n'ayant d'autre choix. Un homme à la panse rebondie et au cou inexistant gisait sur un matelas imbibé de son sang, le surplus étant tombé sur le plancher en formant une flaque visqueuse. Triste spectacle pour le novice, scène croustillante pour Eodroc... un de moins, voilà qui n'était pas démérité. Mais le maigre homme de la garde fit bien attention de ne pas dévoiler son sentiment. Il souleva d'un geste neutre et nonchalant le coussin devenu vermeille, dévoilant les yeux révulsés du religieux et sa bouche ouverte emplie à remplie de plasma jusqu'au lèvres.

"Ah! Mais c'est horrible, monsieur. C'est absolument atroce!" s'écria l'apprenti.

Eodroc hocha la tête de gauche à droite, lavant les yeux au plafond avec exaspération.

"Tais-toi gamin! J'en ai vu d'autres, et tu en verras d'autres! Maintenant arrête de faire cette tête et écris: Aucune effraction. Le tueur s'est introduit par une fenêtre sans doute mal fermée. Le tueur a fait usage d'une lame courte et de l'oreiller de sa victime. Le tueur a laissé une marque sur le mur avec son arme après le meurtre. Le tueur n'a laissé aucun message, ni aucun objet personnel. La victime a été surprise dans son sommeil. La victime ne s'est pas débattue. La victime est morte par étouffement. Terminé."

Du travail bâclé. Saleté de métier. Plus qu'à se taper le voyage de retour, et prévenir le service de nettoyage et le croque-mort. Tout en ressortant par la fenêtre, Eodroc murmura avec un pâle sourire:

"La victime ressemble plus à un cochon qu'à un humain..."