Constitué prisonnier

Yoran ne savait pas quoi faire de ce type. Il puait la chèvre et la charogne, tenait des propos étranges et incohérents, et n'avait rien d'engageant...Non, en réalité, cet ours à peine humain le terrifiait. Il discutait d'une voie froide et atone, mais parfois, lors d'un instant aussi fugace qu'un battement de cil, l'homme semblait ouvrir son regard à d'indicibles vérités. Ses traits se déformaient alors, transformant pour une seconde le semi-mort en un guerrier aussi alerte que dangereux.

"Et tu dis t’appeler comment, déjà ?" redemanda une énième fois Yoran, essayant par tous les moyens de briser l'angoissant mutisme de son prisonnier.
- Balak. Fils de Wagoc."

La réponse était laconique. Pas d'émotions. Si Yoran était superstitieux, ils auraient pu croire que l'homme n'était déjà plus de ce monde. Cette pensée le frappa soudainement, et demeura en lui , dévorant ses certitudes comme un chancre poisseux. Les morts ne marchent pas. Il était inutile de s'inquiéter.

-Contenez votre peur. C'est indécent." grommela l'homme en haillon. Yoran en fit un sursaut prodigieux, manquant de désentraver le soudard.

Les chevaliers et soldats du Rohan que le duo croisèrent firent grand cas de ne jamais leur adresser un regard, pressèrent le pas ou pestèrent contre l'odeur désagréable du nouveau venu. Les plus aguerris mirent leur main au fourreau, devinant sous les oripeaux de la bête affligée, la férocité d'un prédateur. Yoran amena le moribond vers le quartier des gardes. Cette affaire semblait relativement importante, pas au point d'en informer le Roi ou son entourage, mais à signaler au capitaine. Du moins, c'était les dires des membres de son unité , à qui le dénommé Balak se présenta pour se déclarer prisonnier. D'ailleurs pourquoi était-ce à lui, Yoran, meilleur cuisinier de toute la troupe, de présenter cet huluberlu au chef ? Et qu'est-ce qu'il va en penser, hein ? Un type, retrouvé au milieu du champs de bataille, qui raconte avoir été drogué, mutilé et je-sais-plus-quoi-encore. La seule chose tangible, c'est qu'il était près de la poterne, recouvert de sang, la tête de Glenforg dans les mains. Un vrai salopard celui-là, bien content de le savoir débité en petite tranche.J'espère que le capitaine râlera pas trop sur les risques qu'on a pris avec le siège.

OH MERDE !

C'est pour ça ! Les cons, c'est pour ça qu'ils m'ont envoyé lui dire ! Pour que je sois le seul à me faire savonner par le chef pour avoir mis en péril le siège pour sauver un...pécore !Mais foi de Yoran, ça se passera pas comme ça. Oh non. Je vais leur dire que c'est un vagabond.ouais un type qui était déjà entré et qui avait la tête de ... Non ça colle pas, Glenforg sévissait pendant le siège. Merde, merde, merde, réfléchit...

Hey.

La voix n'avait rien d'alarmante. juste ferme apaisante.

Tout va bien. Tu me livres, et tu te barres. Je lui expliquerais le reste. Pas besoin d'en salir ton jupon.

Étrangement, le calme caustique de cet individu rassura Yoran. Il avait raison, le gugusse. Comme un paquet ! Hop ! et on parle plus. N'empêche. Il avait entendu parler d'une rumeur. Balak, c'est un nom qui revient souvent quand on évoque les hommes de guerre du Gondor. Et malgré l'état déplorable du bonhomme, ses gestes et son attitude trahissait un passé guerrier. Ce type doit avoir des trucs à raconter, pour sûr. En espérant que le capitaine soit réceptif à son histoire...