Une mélodie de feu et de glace.

La nuit avait été longue. L'interrogatoire n'avait laissé personne indemne et puis chacun était finalement reparti de son côté. L'arrivée du Vice-Roi Gallen Mortensen avait tout chamboulé mais Sirion avait finalement les informations qu'il voulait. Suite à cela, l'homme d'Aldarion s'était permis de dormir quelques heures mais son sommeil fut troublé. Troublé par son propre comportement. Il s'était revu frapper Shiva sans vergogne. C'était la première fois qu'il frappait une femme et pendant un instant, il se maudit. Cet acte le hantait, Vieille-Tombe l'avait-il changé à ce point ? Il était devenu le Fantôme, le fantôme de Sirion.

Ne te morfonds pas ainsi... Elle l'a mérité. Elle t'a fait souffrir et ses amis ont fait souffrir des milliers de gens. Ces ordures ne méritent aucune clémence. Ils méritent de souffrir et de mourir !

Sirion se réveilla en sursaut. Sale cauchemar. Sa courte nuit était achevée. Il s'assit sur le bord du lit, scrutant ses mains tremblotantes, il n'avait jamais eu de cauchemar pareil. Il y avait quelque chose à l'oeuvre en lui. Le Khandéen chassa ses pensées noires pour s'habiller, s'armer et sortir de ses appartements. Il passa devant la chambre de son roi ; il n'y avait aucun bruit, Son Altesse devait encore dormir, sa reine à ses côtés. Nul doute qu'il avait passé une agréable nuit. Plus que méritée après ces mois de ténèbres et de malheur. Sirion vérifia que les membres de la Rose Blanche soient à leur poste puis il disparut dans les profondeurs de Minas Tirith.

C'était la seconde fois qu'il visitait la capitale gondorienne. Il se remémora sa première visite : c'était avant Vieille-Tombe, avant l'assaut de Dol Guldur. Etelion les avait invité lui et Gallen à venir se réfugier au sein de la Loge pour panser leurs blessures. Ils sortaient juste de la mine abandonnée où Balthazar leur avait tendu un piège. Ils s'en étaient sortis de justesse et Sirion avait décapité le Démon, au prix d'une profonde blessure. La brûlure sur sa poitrine le lui rappelait chaque jour. La main de Balthazar le Noir l'accompagnerait jusqu'à sa mort.

Les ruelles de la cité blanche commençaient tout juste à s'éveiller, à l'instar du soleil qui se levait à l'Est. Puma Sibyllin avançait sans bruit, sa cape noire flottant derrière lui. Il quitta bientôt les rues des quartiers riches pour descendre dans les tréfonds de la Cité. Il arriva bientôt devant la même porte qu'il avait franchie la veille au soir. Maegon l'attendait, appuyé contre un mur, aiguisant sa dague pour passer le temps. De toute la Rose Noire, Maegon était certainement celui en qui Sirion avait la plus grande confiance. Il n'était pas d'une stature imposante mais son allure laissait deviner un talent certain pour le combat.

"Bien dormi ?"

Sirion ne prit pas la peine de répondre mais son compagnon ne s'en vexa pas. Le Maître de la Rose n'avait jamais été très loquace et encore moins de bon matin. Il appréciait cependant Ibn-Lahad. C'était un chef clair, direct et respecté.

"Réveille-la."

Maegon s'exécuta aussitôt. La porte s'ouvra en fracas, Shiva se redressa en sursaut. Son corps à peine recouvert laissait voir les stigmates de ses blessures. Il lui fixa des liens entre ses deux poignets et la recouvrit d'un manteau qu'il avait sur lui. Sirion ne dit rien, il savait que Maegon n'était pas adepte de la violence envers les femmes et les enfants. Tous trois prirent le chemin de la Grande Porte de la Cité Blanche, ils devaient partir avant le cortège royal d'Arnor. Sirion ne voulait pas que l'Arbre Blanc les empêche d'emmener la prisonnière au Nord. Il était persuadé qu'elle pourrait leur donner un tas d'informations supplémentaires, notamment sur ces melkorites de Rhûn.

Shiva fut assise sur une jument tandis que Maegon et Sirion prirent leurs propres montures. Il fallait se hâter. Mais devant la grande porte de mithril, quelqu'un les attendait. Sirion eut un rictus. Neige était là face à eux, le regard décidé et la main au fourreau. Les soldats gondoriens assistant à la scène scrutaient désormais les cavaliers, Maegon jura entre ses dents tandis que Shiva observait la scène avec étonnement.

"Ainsi le Gondor invite à la fête mais se refuse à nous laisser nous retirer ? Où est Narwêl Rusk-Iar ? Un brave agent, plus intelligent que vous, semble-t-il..."

Neige ne dit mot alors que Sirion claqua sur ses rennes, s'avançant un peu plus de l'agent gondorienne. Maegon suivit, tirant la monture de Shiva derrière lui.

"Cette femme ira à l'Arnor."

Tue cette femme, elle te gêne ! Débarrasse t'en ! Elle ne sait rien de la souffrance ! Débarrasse t'en ... ou je la tue.

Sirion eut un léger spasme, penchant sa tête sur le côté un bref instant.

"Que comptes-tu faire, agent Neige ? M'arrêter ?"

Les soldats du Gondor se rapprochaient toujours davantage autour des trois cavaliers. Maegon avait un mauvais pressentiment, la situation était problématique et le Fantôme n'arrangeait pas vraiment les choses. D'où sortait-il cette attitude lorsqu'un conflit survenait ?

Neige était telle la glace, immobile et froide face à Ibn-Lahad. Ce dernier était quant à lui prêt à s'enflammer. L'on assistait à une mélodie de feu et de glace. Si une épée sortait de son fourreau, la paix dans la Cité Blanche pourrait être compromise...

L'interrogatoire s'acheva dans une ambiance froide de méfiance mutuelle. L'Arnor et le Gondor...les frères s'uniraient toujours contre un ennemi commun, mais cela ne voulait pas dire qu'ils ne rivalisaient jamais entre eux. Les jours où le Royaume Réunifié était une unité soudée faisaient à présent partie d'un passé lointain. Le Haut Roy Méphisto s'était distancé de la politique après sa défaite à Assabia et l'assassinat du Prince Aleth...quant à Aldarion, ce dernier semblait avoir survécu à l'épreuve du massacre de ses héritiers. Son mariage à Minas Tirith le mettait clairement en avant en tant qu'un souverain indépendant et puissant, héritier du trône du Royaume Réunifié, à présent lié à Dale...ce petit royaume dont les coffres sans fond ne feraient qu'augmenter la puissance d'Annuminas. Neige n'était pas une diplomate ni une politicienne, mais les années des conversations avec la Tête l'avaient aidé à développer un certain flair pour ces choses là...et s'il devait y avoir une course, sa mission était de s'assurer que le Gondor ne la perdrait pas.

***

Laisser Shiva dans sa cellule était risqué. La déplacer l'aurait été encore plus. Un agent de l'Arbre Blanc garda la prisonnière pendant quelques courtes heures, avant d'être remplacé par Maegon. Ceci dit les ordres de Neige avaient été clairs. Un de ses hommes fut posté dans une maison avec vue sur la seule sortie des catacombes. Un autre reçut la mission de suivre Azämi, la plus imprévisible et instable des agents de la Rose Noire. Bien sûr, il y avait des grandes chances que la femme s'aperçoive qu'elle était suivie, il s'agissait après tout d'une espionne d'élite. Mais cela n'avait aucune importance.

Neige s'était endormie dans un fauteuil dans ses quartiers. Comme toujours lorsqu'elle se reposait pendant une mission, elle était restée habillée, armée, et sans aucune couverture. Elle n'avait jamais froid après tout. Elle ouvrit les yeux avant que l'homme ne pénètre dans sa chambre.

L'agent en face d'elle se mit au garde à vous, puis lui fit son rapport:

-Sirion Ibn-Lahad vient de sortir des catacombes, capitaine. Il est accompagné par son second ainsi que la prisonnière. Quant à l'agente, aux dernières nouvelles elle était dans le campement sur les Champs du Pelennor, en train d'acheter des chevaux...il est possible qu'ils comptent quitter le royaume le plus rapidement possible, et prévoient des montures supplémentaires pour les changer en cours de route.

Neige acquiesça d'un bref mouvement de la tête, revêtit sa cape et se dirigea vers la sortie. Il n'y avait pas de temps à perdre. Les soldats qui gardaient la Grande Porte se mirent à sa disposition dès qu'ils virent l'objet qu'elle leur montra. Un petit morceau de bois sculpté en forme d'arbre...mais pas n'importe quel bois. Il s'agissait d'un morceau du troisième Arbre Blanc du Gondor, celui qui avait orné le Haut de la Cité avant le retour du roi Elessar. Seuls les serviteurs les plus fidèles du royaume recevaient des fragments de cette relique sacrée, qui leur mettaient à leur disposition toutes les ressources militaires ou financières dont ils avaient besoin.

Neige ressentit un certain soulagement en voyant Sirion apparaître dans la rue menant vers la Porte. Elle avait réagi suffisamment vite, et l'Arnorien n'avait pas tenté de quitter la ville par d'autres moyens. Elle avait le dessus.

Elle se contenta de lancer un regard froid au Fantôme, sans réagir à son insulte, bien qu'elle était irritée de l'entendre dévoiler le nom d'un agent de l'Arbre Blanc. Surtout qu'elle n'avait pas de réponse à sa question...Narwêl Rusk-Iar demeurait introuvable.

Aucun détail n'échappa à Neige. Le léger spasme de Sirion, ni le fait qu'il se mit à la tutoyer, un manque de respect évident. Elle répondit calmement:

-Je ne vais pas vous arrêter, Ibn-Lahad, tant que vous n'avez pas commis de crime. Venez, nous allons discuter dans un endroit plus calme. A moins que vous teniez particulièrement à dévoiler les secrets de l'Arnor à chaque passant qui traversera le seuil de la Grande Porte ce matin. Votre homme restera ici, pour tenir compagnie aux soldats du Gondor.

Les Arnoriens n'avaient clairement pas le choix. Lorsque Maegon descendit de sa monture, Neige prit sa place dans la selle. Elle atrappa les rennes du cheval de Shiva; elle ne faisait pas suffisamment confiance aux gardes de la Porte pour laisser cette prisonnière avec eux. Elle les accompagnerait...de toute façon, Shiva avait appris beaucoup trop sur leurs identités et leurs plans la veille pour pouvoir être réutilisée comme agent double. Elle serait tuée ou emprisonnée à vie, mais avant cela ils pouvaient sans doute lui soutirer d'autres informations précieuses...dans un cadre moins complexe que celui de l'interrogatoire nocturne.

Ils s'éloignèrent rapidement des murailles de la Cité et du campement qui s'étendait sur les Champs du Pelennor, et dirigèrent leurs montures vers les pentes boisées de mont Mindolluin.

-Vous m'avez montré ce matin que je ne peux pas vous faire confiance, Ibn-Lahad. Je n'ai aucune raison de vous laisser la prisonnière...que pensiez vous faire d'elle? Le Gondor partagera les informations qu'elle révélera avec la Rose Noire, mais elle ne quittera pas les frontières du pays. N'essayez pas de causer un incident diplomatique, Fantôme...votre royaume en a pas besoin.

Son attention était tournée vers Sirion, sa réponse et ses réactions. Cet homme...il était complètement imprévisible. Elle n'était pas certaine s'il n'allait pas essayer de l'attaquer pour obtenir ce qu'il désirait. Sa concentration fut une erreur, car elle cessa de faire attention à leur entourage...elle ne remarqua donc rien d'anormal...jusqu'à ce que tous les muscles de son corps se serrent brusquement et qu'elle se penche instinctivement lorsqu'elle entendit le sifflement caractéristique d'un carreau. Elle se retourna et lâcha un juron brutal, perdant son sang pour la première fois depuis qu'elle avait rencontré Sirion Ibn-Lahad...

#Sirion #Shiva

La cité commençait à accueillir en son seing de plus en plus de commerçants et de voyageurs, le soleil levant réveillait rapidement la capitale de Gondor. Il y avait pourtant un attroupement bien surprenant sur la place de la Grande Porte. Les hommes postés sur les remparts scrutaient la scène, attendant un ordre éventuel de leur supérieure. Mais contre toute attente, Neige invita le Khandéen à venir parlementer ensemble. A l'extérieur de la cité.

Maegon haussa un sourcil lorsqu'il entendit la gondorienne parler. Il observa alors son capitaine. Il demeura silencieux un temps, la tête plongée vers la crinière de sa monture ébène. Maegon entrevit les mains gantées d'Ibn-Lahad se resserrer très fort autour des rênes. Puis le Fantôme se redressa, le regard en direction de neige et un sourire mauvais en coin. L'acolyte de Sirion eut peur de comprendre ce qu'il lisait sur ce visage. En dehors des murs, l'usage des armes n'était plus prohibé.

"Soit, je vous suis..."

Maegon déglutît avec peine et il lui sembla que ses tempes allaient exploser. Mais il ne dit mot. Sirion l'aurait sévèrement éconduit.


Ibn-Lahad laissa le contrôle du hongre portant Shiva à sa consœur gondorienne. Si cela pouvait lui faire plaisir. Après tout, il aurait ainsi les mains libres lorsqu'il frapperait. Neige lui répéta que la prisonnière resterait leur mais que bien sûr, les informations dévoilées seraient échangées avec l'Arnor.

Il repoussa sa cape en arrière, dévoilant son épée noire et sa fameuse arbalète.

"Le Gondor partagera ses informations... tss vous n'avez été capables que d'attaquer Assabia au lieu de Vieille-Tombe pour retrouver l'héritier. Vos messagers devant nous amener vos précieuses informations se perdraient avant d'arriver en Arnor !"

Sirion stoppa sa chevauchée, Neige en faisant de même. Le Fantôme ne tenait pas en place sur sa selle.

"Je crois que l'Arnor a davantage souffert que son royaume frère, nous devons pourchasser tous les survivants de cet Ordre et certaines clefs sont dans le crâne de cette femme !"

Puis d'un coup, le regard de Neige sembla changer, ses pupilles se dilater et son visage se tendre. Il connaissait cette expression. Sa main lâcha la crosse de son arbalète.

Deux carreaux plongèrent sur les trois cavaliers. Neige chuta au sol tandis la monture de Shiva s'écroula dans un hennissement déchirant. Sirion tomba lui aussi au sol, esquivant un projectile de justesse, transperçant sa cape. Son regard devînt plus perçant et se tourna vers l'orée des bois d'où provenaient les tirs. Ses yeux allèrent vers Shiva, à moitié coincée sous son cheval. Elle avait sûrement une jambe cassée. Un bruissement de feuille, une branche qui craque et un mécanisme enclenché.

"Nouvelle saaaalve !" cria-t-il.

Sirion ignora totalement Neige. C'était une habituée, elle se débrouillerait très bien sans lui et quand bien même le contraire... Mais Shiva, elle, elle ne devait pas mourir. Il enclencha aussi vite que possible sa double arbalète, tirant à l'aveugle tout en courant vers son ancienne tortionnaire. Ibn-Lahad posa une main sur le corps de l'animal au sol, scrutant les bois à l'affût. Mais plus rien. Neige se releva, plus loin.

"C'est la merde... pesta le Passeur entre ses dents. Aidez-moi à soulever cette..."

Le guerrier tourna pour la première fois ses yeux vers Shiva. La seconde salve de carreaux avait bien atteint une cible. La rhûnienne avait reçu une pointe en pleine poitrine, la tuant sur le coup. La gondorienne constata elle aussi rapidement les dégâts. Leur petit manège venait de coûter la vie à leur précieuse prisonnière.

Un bruit de galop s'échappa furtivement des bois du Mindolluin, attirant de quelques pas le Khandéen dans leur direction. Mais c'était peine perdue, ils étaient trop loin et il le savait. Leur besogne était accomplie... Shiva, la traîtresse ne parlerait plus. Ni au Gondor, ni à l'Arnor.

Un fourmillement vînt brûler la nuque de Sirion, lui provoquant un nouveau spasme.

"C'est ta faute, sale idiote ! Sirion avait le visage rouge de colère, son arbalète déchargée toujours en main. Il fallait que tu nous éloignes de la cité ! Il fallait que tu emmènes la prisonnière ! Il fallait que ..."

Ibn-Lahad prit une longue inspiration.

"Il fallait que tu me mettes des bâtons dans les roues !"

Le poing arriva si fort que la bouche de Neige n'eut pas le temps de sortir un seul son. Le guerrier rattrapa l'Agent aux cheveux d'argent par le col avant qu'elle ne chute et un second poing la percuta au visage puis un genou en plein buste avant qu'il la laisse finalement choir à ses pieds.

Allez tue-la ! Je t'avais dit qu'elle te gênerait ! Tu n'as qu'un geste à faire...

Sa main droite glissa dans son dos où sa dague reposait. Il l'enserra vigoureusement. Mais il ne parvînt pas à la sortir de son fourreau, il était comme paralysé observant cette femme, au service de l'Arbre Blanc qu'il venait de frapper. Mais qui était-il ?

C'était un travail de professionnel...Shiva avait clairement été la cible principale de cette attaque, heureusement pour les Passeurs d'ailleurs, car malgré leurs réflexes ils auraient très bien pu y passer eux aussi. Neige ne dégaina même pas son arbalète légère, consciente du fait que les tireurs dissimulés étaient hors de portée. Lorsqu'elle vit une silhouette disparaître parmi les arbres, elle comprit qu'ils avaient probablement réussi leur mission.

Avec un mauvais pressentiment elle s'approcha de Sirion, et s'aperçut immédiatement de la tâche rouge sur la poitrine de Shiva. Elle vérifia le pouls de la Canthui plus par habitude que par espoir réel qu'elle soit encore en vie. Les plus grands agents du Gondor et de l'Arnor venaient de se faire piéger comme des enfants! Ils en étaient tous les deux responsables, elle en était consciente...la mort de Shiva n'était pas une perte aussi dramatique que si elle avait été assassinée avant l'interrogatoire de la veille, mais perdre une prisonnière de la sorte était humiliant et d'autant plus frustrant qu'elle avait passé des jours et des jours en selle à l'escorter de la frontière du Gondor jusqu'à la Cité Blanche.

Elle fut prise complètement au dépourvu par la réaction brusque de Sirion. Elle se retourna en entendant sa voix élevée, prête à le réprimander et lui dire de se concentrer sur ce qu'ils pouvaient faire à présent...la femme fut accueillie par son poing et sentit sa tête partir en arrière comme une poupée en chiffon, le goût salé de sang dans la bouche. Elle n'eut pas le temps de réagir, et sentit le deuxième coup qui la sonna à moitié, puis un troisième qui coupa son souffle brutalement. Dans d'autres circonstances la capitaine de l'Arbre Blanc ne se serait pas laissée faire de la sorte, mais malgré sa désapprobation pour le caractère explosif et désagréable du Khandéen rien ne l'avait préparé à une pareille attaque fratricide. Agent contre agent du Royaume Réunifié, Passeur contre Passeur...

Elle gémit faiblement, sa vision floue, vaguement consciente du coup de grâce imminent...qui ne vint jamais. Les réflexes de Neige prirent le dessus. Son pied heurta violemment l'entrejambe de l'homme qui se dressait devant elle telle une statue, et le vit se plier en deux à son tour. Elle se releva à moitié, ses doigts trouvant à l'aveuglette le mécanisme dissimulé sur le côté de sa bague, qui s'ouvrit en dévoilant un petit compartiment rempli d'une poudre rouge qu'elle projeta au visage de l'Agent de la Rose Noire. Elle roula sur le côté, s'éloignant de lui, toujours sonnée.

La capitaine vit l'homme s'attraper par la gorge et tousser violemment. Il venait d'inhaler une puissante dose d'Envie du Désert, poison en provenance de ses terres natales. La poudre causait une déshydratation brutale dans l'immédiat, puis des vertiges se terminant par une perte de conscience. Rien de fatal, mais cela suffisait pour mettre un adversaire hors d'état de nuire.

Elle se releva en haletant et recracha du sang. Lorsque l'homme en face d'elle tenta de faire pareil, il perdit l'équilibre et se retrouva à nouveau sur le sol. Neige le regarda avec un mépris terrible, sentant tous ses membres trembler sous l'effet de la douleur et de l'adrénaline. Elle aurait pu l'abattre comme un chien enragé, ayant profité de son moment de faiblesse pour prendre le dessus. Mais ce n'est pas comme ça qu'elle avait atteint son grade de capitaine...c'était son sang froid qui la distinguait des autres agents, mission après mission. Elle savait que la mort d'un des hommes les plus fidèles du roi Aldarion pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les relations déjà fragiles entre les deux royaumes.

La femme dit d'une voix presque contrôlée, bien que déformée par ses lèvres gonflées:

-Tu ne vaux pas plus qu'un serviteur de la Couronne de Fer, Ibn-Lahad. Un simple sbire incapable de se contrôler...

Ses doigts se refermèrent sur sa broche sculptée dans le bois sacré du Troisième Arbre Blanc du Gondor.

-En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par le Haut Roy du Royaumé Réunifié, je te déclare ennemi du Gondor, et te bannis à vie de ce royaume. Puisse tu plus jamais poser tes pieds sur la terre Gondorienne, du péninsule de Ras Morthil jusqu'au delta de l'Anduin. La vision des murailles scintillantes de la Cité Blanche restera à jamais interdite à tes yeux. Tu as trahi l'héritage du Numenor et la confiance des Peuples Libres.



Ce furent les dernières paroles que Sirion Ibn-Lahad entendit avant de succomber aux effets de la drogue puissante et sombrer dans l'inconscience...