Un arc pour les Nandor

Les genoux d'Óin lui étaient douloureux, de même que ses pieds qui malgré l'épaisseur des semelles de ses bottes de voyage butaient de manière fort peu agréable sur les pavés disjoints de la Vieille Route de Vertbois. Il n'était plus tout jeune en effet, et si on l'avait envoyé en mission dans cet endroit lointain c'est parce que personne d'autre ne pouvait jouer ce rôle. Hadhod était perdu dans les brumes nébuleuses du septentrion, Bahin et Ólfr accomplissaient leur part dans la stratégie qui avait été concoctée lors du dernier conseil de Cavenain. Quant à Gamil, c'était un humain, et quoique beaucoup au Khazad-dûm le tinssent en grande estime, sa race ne faisait pas de lui un candidat désigné pour cette tâche. On lui avait accordé le droit d'être accompagné de deux Gardes du Khazad pour pourvoir à sa sécurité, car malgré la bonne forme relative qu'il affichait pour son âge, il état loin de manier la hache de guerre assez vivement pour se défendre en cas d'attaque de brigands, ou de créatures pires encore.

Tandis qu'il progressait sous les branches des grands chênes qui formaient une voûte sylvestre loin au-dessus de sa tête, il repensait à tout ce qui s'était passé depuis quelques mois... Aux rumeurs qui étaient parvenues aux oreilles des gens du Khazad-dûm concernant des artefacts du temps jadis qui auraient été retrouvés – ou qui seraient recherchés – par le Gondor ; aux délibérations durant lesquelles les Nains avaient pensé qu'il pouvait s'agir des derniers des Sept Anneaux, ceux qui n'avaient pas été détruits par le feu des dragons ; à l'ambassadeur Ólfr qui, pris d'une idée soudaine, avait fait l'aller-retour jusqu'à la province de Lossarnach au pays de Gondor, chez un collectionneur bourgeois particulièrement réputé ; à ses tirades persuasives qui avaient convaincu l'Intendant Bahin d'accepter et de mettre en place son grand projet, celui de rendre les objets précieux elfiques à leurs légitimes propriétaires afin de pousser les Elfes à coopérer avec les Nains, dans une vigilance commune visant à préserver les artefacts des deux peuples face à l'opportunisme outrecuidant des Hommes...

Tout à coup, trois elfes vêtus d'habits aux couleurs des feuilles des arbres, du vert tendre de celles du hêtre au vert sombre de celles du houx, firent irruption et entourèrent bientôt le trio des khazad, les tenant en joue avec leur arcs bandés et leurs flèches encochées. Óin l'ignorait, mais il s'agissait là des trois sentinelles qui avaient intercepté les dénommés Sigvald et Delaynna une semaine plus tôt et qui étaient repartis à la surveillance de la route sans leur confrère Achas, resté au Palais des Elfes.

- Que font trois naugrim sur la vieille route du royaume d'Angrod ? demanda l'un d'eux.

Óin sourit. Il ne s'était pas imaginé pouvoir atteindre les portes du palais et toquer sans encombre. Non, la surveillance des sentinelles de Vertbois était légendaire, même dans les on-dits qui couraient dans les cités naines, et le vieux conseiller s'attendait à quelque apparition de ce genre.

- Mon nom est Óin, compagnon de la Croix-de-Fer et conseiller du seigneur Hadhod du Khazad-dûm.

Il s'inclina bien bas, bientôt imité par ses deux gardes du corps.

- Vous n'avez pas répondu à la question, fit remarquer l'elfe avec une pointe d'agacement.

- En effet. Si vous vouliez pointer vos arcs ailleurs mes braves, je n'y verrais aucun inconvénient. Je porte moi aussi un arc, vous savez...

Lentement pour ne pas provoquer de réaction désastreuse, il dégagea l'arc qu'il portait en bandoulière et le saisit de ses deux mains, le présentant à plat devant leurs yeux ébahis.


- Oui, vous l'avez reconnu ! L'Arc de Vertefeuille, porté jadis par Legolas fils de Thranduil jusqu'à ce qu'il le laisse pendant son séjour en Lórien. Il a été retrouvé par le sieur Sombre-Chêne, alors ambassadeur, chez un collectionneur gondorien qui avait mis la main dessus, et il en fit don à Hadhod Croix-de-Fer en gage d'amitié entre les Elfes et les Nains, lorsque l'armée unifiée, de retour du Nord, traversa nos mines il y a sept ans.* Le Khazad-dûm juge maintenant bon de restituer cet artefact à son royaume d'origine, afin de renouveler le geste de bonne volonté de Sombre-Chêne. Je suis certain que votre seigneur, Angrod, appréciera.

- Je dois vous prévenir qu'Angrod a d'autres préoccupations, des préoccupations graves en ce moment, et il est probable qu'il soit indisponible si d'aventure nous vous escortions jusqu'à son palais.

- J'ai moi aussi des choses graves au sujet desquelles l'entretenir, affirma Óin. J'attendrai le temps qu'il faudra, mais je lui parlerai.

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* Voir le sujet >Étrangers en territoire nain<, page 2, post 6.