Qu’il est étrange de voir comme les choses pouvaient changer si rapidement. La vie était pleine de surprises, bonnes comme mauvaises, et certaines vous tombaient dessus sans que vous ne puissiez rien y faire. Il y a quelques mois encore, les Griffes d’Ammoth bénéficiaient de la protection du Gondor. Les autorités locales avaient longtemps accepté d’accueillir la guilde et de fermer les yeux sur certaines de leurs activités en échange de nombreux services rendus sur les champs de bataille. Une longue période durant laquelle les mercenaires de la capitale s'étaient complu, s’occupant de leurs affaires extérieures. Les affaires allaient bon train, les caisses s’étaient considérablement remplies et les séditions au sein de l’organisation avaient été matées; leurs responsables étaient soit revenus dans le rang soit éliminés. Et tout ceci s’était déroulé sans que les dignitaires du royaume ne lèvent le petit doigt contre leurs agissements, bien au contraire. Après tout, ils étaient liés par un contrat. Et quel homme d’honneur serait prêt à briser un contrat?
CartoganCe nom revenait sans cesse dans les discussions et toute Griffe accompagnait toujours le nom du général de divers noms d’oiseaux. Depuis qu’il avait pris le pouvoir dans la Cité Blanche, tout avait changé pour eux. Le dispositif de sécurité renforcée ainsi que l’interdiction du port d’armes s’étaient prolongés bien après la fin du mariage royal et le départ des délégations, raison pourtant invoquée lors de la promulgation de ces dispositions exceptionnelles qui avaient grandement compliqué la tâche aux mercenaires. Au fur et à mesure, les Griffes avaient senti que le soutien du Gondor se faisait de plus en plus mince. Alors que la guilde s’affaiblissait à cause des tensions internes, les Gondoriens n’avaient rien fait pour les aider et il n’était plus rare de voir tel ou tel membre du groupe faire un séjour en prison pour “troubles à l’ordre public”. Ces derniers étaient le plus souvent relâchés au bout de quelques jours mais tous ces éléments avaient été autant d’indices du revirement des autorités. Pourtant ils n’avaient pas vu. Ils n’avaient pas voulu voir. Ils avaient cru le contrat qui les liait au Gondor sacré et inviolable; que nul n’oserait le rompre. Il ne s’était pourtant pas rendu compte que depuis sa prise de fonction, Cartogan s’évertuait, petit à petit, à démolir chaque termes de l’accord. Les Griffes avaient alors décidé de se faire plus discrètes, se cachant dans leur repaire sous la Bâtisse Close, agissant de l’ombre. Mais là encore, elles avaient sous-estimé la détermination du maître de la Cité Blanche.
Trop sûres d’elles et aveuglées par leurs ambitions, les Griffes d’Ammoth représentaient la cible idéale.
Les soldats en armure rutilantes leur étaient tombés dessus au crépuscule. De manière inexplicable, ils avaient trouvé leur quartier général et avaient réussi à organiser une embuscade sans que les mercenaires ne se doutent de rien.
Et alors tout s’était déroulé si rapidement. Une poignée de minutes. Un véritable carnage.
Si Cartogan avait demandé à faire des prisonniers, alors les ordres n’avaient pas été vraiment respectés. Les Gondoriens avaient déboulé lame au clair, terrassant tous ceux qui se dressaient sur leur passage. Prises par surprise, en infériorité numérique et affaiblies par les nombreuses querelles internes; les Griffes d’Ammoth s’étaient toutefois bravement battues mais chacuns d’entre eux avaient immédiatement compris que l’issue de cette journée ne serait pas victorieuse. On avait tué, on avait saccagé et on avait brûlé.
Rage, jeune recrue, évoluait au milieu des décombres encore fumantes de ce qui avait été autrefois son foyer. Ses premiers souvenirs appartenaient déjà aux Griffes d’Ammoth, on lui avait dit qu’elle venait du lointain Harad et que ses parents avaient été les victimes malheureuses d’un affrontement au milieu de la Mer des Sables. Elle avait alors été recueillie par l’organisation. C’était sa famille, sa maison, tout ce qu’elle n’avait jamais connu. Tout cela avait été réduit en cendres en moins d’une heure. Sa vie avait basculée en moins d’une journée. Retenant courageusement ses larmes comme le lui avait enseigné son maître, elle continuait à avancer à travers les ruines et les cadavres; criant le nom de ceux dont elle n’avait pas encore vu le corps.
“Ronfleur!”
Aucune réponse.
“Sentier!” Là encore aucune réponse. Avaient-ils eu le temps de s’enfuir? Avaient-il été emmenés par les gardes du général? Ou alors ne pouvaient-ils pas répondre à son appel car ils n’appartenaient simplement plus à ce monde? Un râle de douleur se fit alors entendre derrière elle.
Douleur était là, étendue au sol.
Leur capitaine, leur guide. Celle qui avait recueilli Rage depuis l’enfance et l’avait élevée et formée. Elle aussi avait été vaincue. La jeune fille avait cru cela impossible, pour elle sa maîtresse était invincible. Guerrière de talent, leader charismatique et intelligence hors du commun; nul ne semblait pouvoir l’atteindre. Pourtant elle était allongée, baignant dans son sang, la pointe d’une lance traversant son abdomen de part en part, jusqu’à se ficher dans le sol.
Cette-fois, devant ce triste spectacle, Rage ne put retenir ses larmes. En sanglots, elle s’agenouilla au côté de celle qui lui avait tout donné. La capitaine des Griffes lui sourit et lui caressa tendrement les cheveux, surmontant la douleur et se montrant rassurante devant son élève. Fière et protectrice, jusque dans ses derniers instants.
“Rage…” fit-elle d’une voix douce.
“-Maître...votre blessure! Il faut vous amener voir un guérisseur!”Un nouveau sourire et un doigt posé sur les lèvres de l’enfant.
“Non...Rage… Il est trop tard. Tu dois partir. Les hommes de Cartogan vont revenir achever leur oeuvre et surprendre les dernières Griffes croyant revenir à leur foyer. Tu dois partir les alerter et poursuivre notre quête.
-Non maître non, je ne peux pas, je ne peux pas.
-Mon enfant... Tu as été formée pour cela, voici ma dernière mission que je te donne. Tâche de te montrer à la hauteur.”
Ravalant ses larmes mais incapable de prononcer le moindre mot, Rage acquiesca d’un mouvement de tête. Douleur, dont les dernières forces, s'épuisent désormais.
“Silence…Tu dois retrouver Silence. Lui seul pourra te guider.” La capitaine déposa alors dans les petites mains tremblotantes son pendentif orné d’une gigantesque griffe.
“Va mon enfant! Va!” Sur ces mots, Douleur, capitaine des Griffes d’Ammoth rendit son dernier soupir, laissant derrière elle une enfant livrée à elle-même mais aussi le courroux du général.
#Douleur #Rage