Il observait le soleil décliner sans relâche depuis une bonne heure. Le spectacle qui se déroulait sous son regard tuméfié ne cesserait sans doute jamais de le fasciner.
Haleth était assis sur un rocher plat, au sommet d'une colline. Derrière lui, dans la petite vallée, le camp des Chevaliers du Cor Brisé s'animait à la mesure des braseros et des gonfalons flottant au vent d'ouest. Mais le jeune homme n'avait d'yeux que pour cet astre de feu qui descendait peu à peu derrière la ligne des Montagnes Blanches. Irrémédiablement. Inexorablement. Éternellement. Le soleil accomplissait sa tâche pour disparaître l'espace de la nuit. Avant de faire son retour.
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- Vous m'avez appelé, sire ?
- Oui, approche Haleth.L'écuyer s'était approché d'Eradan, la tête basse et les bras le long du corps. On aurait cru voir un chien penaud après avoir fait une bêtise.
- T'a-t-on déjà dit que tu étais têtu ?
- Depuis toujours, sire.
- Cela me rassure. Le tournoi de Dale, les provocations auprès des autres chevaliers... Tu vas finir par t'attirer de sacrés ennuis. Je ne serai pas toujours là pour couvrir tes arrières.Haleth s'agenouilla. Conscient de ses débordements. Sa lèvre enflée et son arcade ensanglantée en étaient les parfaits témoignages. Il imaginait fort bien les raisons de cette convocation informelle. Ses affaires étaient prêtes. Il allait sûrement devoir partir.
- Cependant..La voix d'Eradan était douce et grave à la fois. Sereine et autoritaire. Le meneur du Cor Brisé était un homme dont l'aura était indéniable.
- ... tu es sans doute l'un des membres de la troupe les plus fidèles. Quand je te regarde, je sais que ta flamme ne saurait s'éteindre dans l'obscurité. Qu'importe les dégâts et les conséquences.Haleth releva la tête, abasourdi. Et alors qu'il allait se relever, se sentant idiot, Eradan leva la main. Le jeune homme s'immobilisa.
- Sois sans peur face à tes ennemis. Sois juste et droit. Dis toujours la vérité, même si cela doit te coûter la vie. Protège les innocents, et garde toi du mal. Tel est ton serment.Le regard fixé sur le sol à ses pieds, Haleth écoutait ces mots qu'il avait si souvent entendu de la bouche d'Eradan. L'adoubement de leurs frères chevaliers du Cor Brisé était toujours un moment solennel. Un moment qu'Haleth se rêvait vivre depuis toujours. Et il y était. Sa mâchoire se mit à trembler. Ses yeux à le piquer.
- Debout chevalier.Haleth refoula un sanglot. L'émotion faillit le submerger. Mais de nouveau sur pied, le regard profond et fier de son seigneur lui donna la force de tenir.
- Tu es l'un des nôtres, désormais. Le Cor Brisé est une famille. Montre t'en digne. Je dois partir pour Minas Tirith avec Felian. À mon retour, nous pourrons parler plus longuement.Eradan l'avait laissé en haut de cette colline, près d'un rocher plat.
- Et pas d'embrouille durant mon absence, avait-il conclu un sourire au coin des lèvres.
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- Toujours sur cette pierre ?La voix d'Eärnen était douce et grave à la fois. Calme et apaisante. Haleth soupira. Son oeil au beurre noir lui envoyait par instant des décharges peu agréables. Il laissa son ami s'installer près de lui. Eärnen le scruta tandis qu'Haleth gardait le regard fixé vers l'horizon.
- Je suis désolé, souffla Eärnen.
- Pourquoi ?
- Eh bien...Il montra le visage meurtri d'Haleth.
- Tu n'as fait que te défendre. Un entraînement sans danger ne sert à rien. Ne t'inquiète pas, j'ai l'habitude de prendre des coups.
- C'est vrai que d'habitude, tu cherches les ennuis...Haleth se tourna vers son compagnon. Les deux hommes se sourirent.
- Des nouvelles d'Eradan et Felian ?
- Toujours pas. Les hommes commencent à s'inquiéter. Fikas est à deux doigts de galoper jusqu'à Minas Tirith.
- Je t'avoue que moi aussi, Eär'. Cela ne lui ressemble pas. Face à eux, le soleil était bientôt dévoré par les cols enneigés. Le regard d'Haleth fut happé par le bosquet en contrebas. À sa lisière, une silhouette se dessina.
Un cerf. Aux bois magnifiques.
Haleth l'observa de longues secondes. L'animal était le roi de la forêt, sans nul autre pareil.
En voir un à cette heure ne pouvait être qu'un bon présage.
Le jeune chevalier releva les yeux. Le soleil avait disparu.
Oui, c'était forcément un bon présage.