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 [SOLO] Avec l'hiver reviennent les spectres.

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Njall
Garde Personnel de Poppea d'Arnor
Njall

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[SOLO] Avec l'hiver reviennent les spectres. EmptyVen 16 Aoû 2024 - 23:53
Les plaies du corps, lorsqu’elles ne sont pas mortelles, finissent toujours par se refermer. Certaines laissent des marques et changent durablement le corps. L’affaiblissent, parfois à vie. Mais elles cessent de saigner, et la peau finit par se refermer, si les soins nécessaires sont prodigués. Les blessures qui durent finalement le plus longtemps sont indéniablement celles de l’esprit. Parfois, les blessures du corps induisent celles de l’âme et de la conscience. La maladie, aussi. Les épreuves. Le temps qui passe et le poids de celui-ci.

Njall fixait le feu de camp, mangeant méticuleusement les derniers morceaux de viande accrochés à un os de gibier. La chasse avait été juste assez bonne pour le nourrir à sa faim. Un lapin assez dodu, et quelques oignons sauvages. Il en avait mangé cru, pour profiter de leurs qualités anti-infectieuses. Ce n’était pas le moment de chopper des vers. La route pour l’Ouest de la baie Forochel était encore longue. Mais le Marcheur n’avait jamais été effrayé par les longs voyages.

Une fois repu, il éteignait son feu et ramassait ses affaires. Prudent, ou plutôt extrêmement méfiant, il ne dormait jamais près de son feu. Il avait pu être vu au loin, avoir été observé pendant son repas. Il s’éloignait donc un peu et privilégiait les endroits dissimulés ou en hauteur. C’est dans le contre-fort rocheux d’une falaise pleine de mousse qu’il partit se loger, se fabriquant une couche de fortune à l’aide de la végétation.

Que la nature était bruyante. Le bois qui l’environnait grouillait de vie, la nuit. Surtout depuis que lui s’était retiré dans sa cachette. Son absence favorisait le fourmillement du gibier et petites créatures. Le bruissement des feuilles, les brindilles qui craquent… Tous ces petits bruits de la nuit étaient comme le chant des anciens esprits. Ils apaisaient son âme. Pourtant, au moindre bruit qui ne lui semblerait pas venir de la vie sylvestre, il se tenait prêt à bondir et à saisir son arme.

Il ne pouvait le nier, son pèlerinage l’avait changé. Car ce n’était pas un ours ou des loups qu’il craignait, mais des rencontres fondamentalement malsaines. Des brigands. Des gobelins. Des bipèdes mal intentionnés. Le monde qu’il avait découvert en Arnor, et qui l’avait mené jusque dans la majestueuse cité de Minas Tirith, ce monde-là n’avait rien à voir avec le monde de la baie de Forochel. Il avait pratiqué l’art de la guerre parmi les siens, et les conflits entre clans étaient une réalité parmi les lossoth. Il y avait des enjeux de pouvoir, de la violence. Dans le cadre de leurs coutumes. Mais jamais avec l’ampleur qu’il avait découvert au Sud. Les complots politiques, le mal rampant s’insinuant partout, bien plus concret et palpable que les monstres terrifiants des contes lossoth. Qu’est-ce que cela avait changé en lui ? Corrompu ? Brisé ? Amélioré ?

Il savait mieux tuer les hommes qu’auparavant. Et les protéger. Il en avait fait son moyen de subsistance, en protégeant Poppea d’Arnor pendant quelques temps. C’était les jours paisibles de son voyage. Après avoir aidé ses compagnons de route, Adaes et les autres, il avait séjourné à Fornost, auprès de l’héritière. Jusqu’à ce qu’on l’envoie servir sous les ordres de Forlong. Il avait suivi les ordres, s’était adapté à la hiérarchie militaire. Ratibor lui laissait un souvenir amer. Inconsciemment, il caressait du bout du doigt, au travers de ses vêtements, une vilaine cicatrice sur son flanc. Blessé, il avait été écarté des combats et les rudes habitants de cette contrée avaient pansé ses plaies. Sa convalescence avait été longue, et fiévreuse. Ces terres viciées l’avaient rendus malade, il en était persuadé. Dès qu’il fut remis sur pieds, comprenant la disparition de l’homme qu’il avait suivi en mission ici, il prit la décision de mettre les voiles et regagner les siens. Il avait rempli son devoir. Il ne devait de comptes à personne désormais. Sa parenthèse arnorienne s’était refermée avec la disparition de Forlong, et le lossoth prit tout simplement la route du Nord. Il évitait soigneusement la compagnie et la civilisation, pressé de retrouver les siens.

Tout ce périple avait presque effacé de sa mémoire le but de celui-ci. Son clan, sa place. Sa promise, son héritage. Il était en colère contre lui-même. Il s’était laissé happé par ce monde inconnu et sa soif de découverte. Non pas qu’il le regrettait. Mais son voyage initiatique avait été transformé en aventure égoïste. Il avait assez vu, assez appris. Il était temps de prendre la tête du clan Nanuq, regagner les siens, et célébrer son retour, après tant de temps. Il se savait capable désormais de lui donner une place digne parmi les lossoth, et d’assurer sa pérennité.

Mais tout ne se passait pas toujours comme prévu, et les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Les mortels n’ont pas l’éternité pour attendre un homme, et nul lossoth n’est prodige ou prophète pour les siens.

Il arrivait aux approches des terres glacées à l’hiver. Il avait vécu sur les terres tout son périple, renouant avec son mode de vie originel. Chasse, pêche, cueillette. Il lui fallut bientôt abandonner son armure et son casque, trop lourds, encombrant et ne lui permettant pas d’avoir chaud. Il les troquait bientôt contre des fourrures et de peaux qu’il prit le temps de confectionner. Seul le pendentif du roi Gudmund à son cou, et sa gourde de Miruvor à sa ceinture rappelaient ses aventures passées. Vu la rudesse de l’hiver, il savait qu’il ne trouverait pas les siens sur leur territoire traditionnel. Ils avaient du gagner l’Ouest et le pieds des montagnes bleues, comme tous les clans, dans le grand camp d’hiver. Cela rallongeait encore son voyage et le rendait d’autant plus éprouvant.

Par chance, il finit par croiser la route d’un groupe d’Anarquit, eux-mêmes à la traîne pour rejoindre le camp hivernal. Ils menaient un large cheptel de rennes. À son approche, les arcs se tendirent et il fut inspecté sous tous les angles. Il n’y avait parmi eux aucun nom qu’il connaissait, mais ils acceptèrent de laisser ce Nanuq faire chemin avec eux. Il partageait sa chasse avec eux et les aidait avec les bêtes. La femme qui les menait lui posait beaucoup de questions. Énormément. Elle semblait surprise, et elle comprit vite qui était Njall. Le fils du défunt chef des Nanuq, partis en pèlerinage, oui, cela avait fait un peu de bruit chez certains clans. Les Nanuq était un petit clan du Nord, qui avait frôlé la disparition à plusieurs reprises avant de se renforcer à l’époque de son père. De bonnes alliances et de bons liens commerciaux lui avaient permis de subsister. Le voyage de Njall avait été vu comme une erreur par beaucoup, bien que placé sous la bénédiction de shamans. Le départ du fils héritier d’un clan patriarcal aurait pu l’affaiblir. Mais il revenait en vie. Elle semblait pourtant devenir bien plus imprécise et floues dans ses réponses quand c’est lui qui l’interrogeait quant à son clan. Elle ne savait plus rien d’eux, alors. Étrange. Il lui faudrait attendre le grand camp pour avoir des réponses.

Soucieux, il se murait de nouveau dans le silence, et n’en sortit qu’une fois le camps en vue. Remerciant chaleureusement les Anarquit pour leur hospitalité, il offrit une dague en os confectionnée par ses soins à celle qui guidait ce groupe en guise de remerciements. Puis, il devançait leur caravane pour gagner le camp au plus vite.

Dès qu’il eut passé les premiers igloos et les premières tentes, il sentit l’émotion l’envahir. La langue, les chants gutturaux. L’odeur de la pêche fraîche, le bruit des jeunes lossoth s’exclamant en jouant aux osselets.

« Njall ? »

Il fit volte-face, troublé d’être déjà reconnu. Il se sentait presque fiévreux, tant cela lui avait paru lointain. Son peuple, sa culture. Il avait des vertiges. Il mit quelques secondes à reconnaître Sipi, le père de sa promise.

« Sipi… Je… »

Le vieil homme avançait vers lui, visiblement à la fois ému et déboussolé. Ils se saluèrent respectueusement.

« Je te pensais mort. »

Comme beaucoup, certainement. Sipi le prit par le bras, soudainement pressé, et l’invitait dans son igloo. Cela ne pouvait pas attendre selon lui. Il devait lui parler avant que Njall ne retrouve les siens. Et avant qu’il ne soit vu.

« Njall. Tu dois savoir certaines choses avant de rejoindre ton clan. Tu es partis bien des saisons, et le monde ne cesse jamais de bouger, même en l’absence des hommes, tu le sais. »

Le pèlerin hochait doucement la tête, observant le visage de Sipi en silence. Ce dernier avait les yeux qui brillaient et s’agitait en parlant. Une de ses mains restait crispée sur sa hanche, tenant fermement le pli de son pantalon. Il inquiétait le Nanuq. Alors qu’il mettait du temps à délivrer ces fameuses nouvelles dont Njall devait absolument connaître la teneur, la femme de Sipi vint à leur hauteur leur servir une infusion chaude. Ils la remerciaient silencieusement, puis Njall brisait le silence.

« Parle, Sipi, mon ami. Voilà des lunes et des saisons que je n’ai pas foulé nos terres glacées, je suis épuisé. Je n’ai pas le cœur à attendre. Si tes nouvelles sont terribles, parle sans peur, je suis en âge de supporter la déception et la souffrance. J’ai déjà porté le deuil à de nombreuses reprises, même enfant. »

L’homme hochait doucement la tête.

« Ma fille est morte, il y a bien longtemps maintenant. Peu de temps après ton départ, fils. Elle n’a jamais guérie. »

Njall déglutit doucement. Il avait du mal à savoir ce qu’il ressentait précisément. La nouvelle était à la fois déchirante et attendue. Il se sentit horriblement cynique. Sa promise était morte en son absence, et il aucun muscle de son visage ne put se mouvoir en réaction. Aucune larme ne sortait. Il restait assis là, livide et silencieux. Il ne parvenait pas bien à réaliser l’ampleur de cette information. Leur union devait unir leurs deux clans. Il avait pensé la retrouver soignée à son retour, que les shamans allaient trouver une solution à son mal, qui l’avait touchée avec le Rude Hiver. Alors quoi, maintenant ? Elle était morte. Depuis longtemps. Il ne la reverrait plus. L’aimait-il encore seulement ? Ou s’était-il accroché à son souvenir ? Tout se mélangeait dans son cœur, s’entrechoquait. Les deux hommes restaient silencieux, mais au fond de Njall, ses sentiments s’agitaient comme un océan un soir de tempête. Sipi posait sa main sur l’épaule du pèlerin, faisant sursauter Njall.

« Ce n’est pas ta faute. Ta présence n’aurait rien changé, fils. Les Esprits l’avaient condamnée bien avant ton départ. »

Njall ne répondit pas, baissant la tête. Une première larme se mit à couler le long de sa joue, et tous deux observaient un profond silence. Il leur semblait difficile de parler. Comme s’ils ne se connaissaient plus. Et Njall ne savait plus s’il se connaissait lui-même. Il avait du mal à mettre des mots sur le chaos et la tourmente qui envahissaient son esprit. Les vertiges reprenaient, alors il buvait une grande gorgée d’infusion. Il finit par parler.

« Je suis désolé, Sipi. » Il déglutit. C’est tout ce qu’il avait trouvé à dire, et sa gorge s’était nouée en le prononçant. Il ouvrait la bouche mais aucun son ne sortait. Non pas qu’il était devenu muet, mais les mots lui manquaient. « Je suis désolé. Je ne sais pas quoi dire, Sipi. » Il se sentait veuf sans avoir été uni. Après avoir été orphelin. Sipi le laissait seul quelques secondes, quittant la tente avec sa femme. Njall ne dit rien. Il ne pensait même pas vraiment.

Sipi revint seul, quelques minutes plus tard.

« Cela fait beaucoup de choses à digérer en peu de temps, mais ce n’est pas tout, fils. Ton clan, je ne pense pas qu’ils seront heureux de te voir parmi nous. »

Il marquait un temps de pause.

« Enfin, certains, si. Mais Shikuan et Uapikun... »

Il s’agissait des deux camarades de Njall qui avait pris la responsabilité de guider le clan en son absence.

« Tu es partis longtemps, Njall. Tu es mort ou loin à leurs yeux, disparu dans une contrée lointaine, loin du quotidien et des problèmes des tiens. Ils ont pris goût au rôle de guide, et surtout… Ils ont fait beaucoup de sacrifices pour guider les tiens. Ils l’ont fait correctement, comme tu l’aurais fait. Mais leur dire de se retirer, maintenant… cela va être difficile. Tu comprends ? »

Sipi prenait des pincettes, mais il était clair que la situation était délicate. Le retour de Njall n’allait pas être au goût de tout le monde. Il était une menace pour l’autorité de Shikuan et Uapikun. Et quelle légitimité avait-il, après son absence, à revenir réclamer sa place de chef ? D’un autre côté, c’était ce qui avait été acté, devant les shamans du clan. Un pèlerinage, sur la demande de Njall, et ce qu’on aurait appelé une régence, au Sud, pour le clan. Tout cela était fouillis dans son esprit. Il fut pris de vertiges, bien plus forts cette fois. Il manquait même de tomber en arrière. Sipi se ruait à ses côtés, le soutenant pour ne pas qu’il bascule.

« Repose-toi, fils. Tu peux rester dans ma tente. Nous irons voir les tiens demain. »

Le marcheur ne rétorquait pas. Fiévreux, il se laissait aller en arrière. Tout semblait tourner dans la tente, sans qu’il ne puisse saisir le sens de ce qui se passait. Un peu comme la vie dans la baie de Forochel. Il n’avait plus d’emprise. Étranger en dehors de chez lui, allait-il le devenir parmi les siens ? Sans qu’il ne trouve de réponses à ses questions, le mal qui gagnait son esprit l’emportait dans un sommeil profond.
#Njall

#Sipi #Shikuan #Uapikun
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[SOLO] Avec l'hiver reviennent les spectres. EmptySam 17 Aoû 2024 - 2:46
[SOLO] Avec l'hiver reviennent les spectres. Shikua10[SOLO] Avec l'hiver reviennent les spectres. Uapiku10
"Bear Dance"

La paix. Enfin. La paix. La terre lui semblait bien plus légère. Recouvert de fourrures, Njall dormait profondément. Pour la première fois depuis des mois, il dormait du plus profond de son âme. Son corps se reposait finalement. Comme s’il lui avait fallu les couches rudimentaires de son peuple et l’abri d’un igloo pour renouer avec le repos de l’âme. Ou bien il tombait finalement d’épuisement après toutes ces épreuves, les nouvelles de la veille ayant finis de l’achever. Il était tombé à bout de forces et de courage. Quel chef ferait-il, celui qui vacille et dont le cœur manque de s’arrêter quand les émotions le dépassent ?

En attendant, il dormait à poings fermés, ronflant légèrement. Sipi et sa compagne avaient désertés l’igloo, après avoir recouvert leur invité de peaux et de fourrures pour qu’il n’ait pas froid dans son sommeil. Le voyageur dormait entièrement habillé, sur le dos, comme il était tombé. Sipi lui avait retiré ses armes et sa besace, les posant contre la paroi de l’igloo pour qu’il les retrouve à son éveil.

Les heures passaient. La journée de son arrivée s’était écoulée, ainsi que la nuit qui avait suivie, sans que rien ne perturbe le sommeil de Njall. Il semblait rattraper un siècle de sommeil. Le lendemain, à l’aube, l’igloo fut plus agité. Malgré Sipi, la nouvelle s’était répandue dans le campement. Les Anarquit qui avait atteint le camp au soir avaient parlé de cet homme avec qui ils avaient fait une partie du trajet, le pèlerin Nanuq. Le bruit s’était répandu parmi tous les clans. Tous parlaient, se posaient des questions. Il ne fallut pas plus d’une nuit pour que la rumeur du retour de Njall parvienne aux oreilles de Shikuan et Uapikun. Alors quand on apprit que Sipi ne couchait pas dans son igloo mais dans la tente de son frère cadet, accompagné de sa femme, les Nanuq ne mirent pas longtemps à trouver la piste de leur pèlerin. Les deux chefs n’eurent pas une nuit aussi douce que l’héritier. Le fait que Njall arrive sans s’annoncer les rendaient d’autant plus inquiets. Quelles étaient ses intentions ? Qui était-il devenu, après ce voyage initiatique ? Et quelles nouvelles allait-il porter avec lui ? Ce retour était gage de changements et de bouleversements. Et les Nanuq n’aimaient pas ça. Du moins Uapikun… La stabilité du lossoth, épaulé par Shikuan et sa roublardise, avait permis aux Nanuq de perdurer, surmonter des temps difficiles et même se renforcer. Ils étaient plus nombreux et plus forts que par le passé. Il ne laisserait pas ses efforts être saccagés par un supposé droit du sang. Les Esprits étaient avec lui, il en était persuadé. Pas avec le pèlerin, peu importe les auspices sous lesquels il était partis. Alors, dès que le soleil fit voir ses premiers rayons, Uapikun décidait de quitter son igloo. Il se dirigeait d’un pas décidé vers l’igloo de Sipi, pour en avoir le cœur net. Les lossoth commençaient déjà à s’affairer partout dans le camp. Certains le suivaient du regard, curieux. Le chef Nanuq marquait un temps d’arrêt devant la demeure hivernale de Sipi. Quelques courtes secondes, au terme desquelles son visage fermé et dur se transformait pour proposer un léger sourire, confiant et se voulant amical. Uapikun était un homme qui se voulait juste et loyal, fidèle aux traditions. Mais c’était aussi un jeune chef ambitieux et qui savait manœuvrer. Il avait su se faire aimer des siens, là où Shikuan était plus abrupte et rustre, peu verbeux. Finalement, il entrait.

Il se mit à croupi pour mieux observer dans la pénombre. Comme l’homme étalé au sol était sur le dos et ne semblait pas se réveiller, il s’avançait jusqu’au dessus de lui pour voir de plus près. Ainsi perché au-dessus de Njall, il l’observait minutieusement.

« Ils disaient donc vrai... » dit-il à voix basse, dans un souffle. Juste ce qu’il fallait pour que Njall entrouvre les yeux, découvrant celui qui était son ami au-dessus de lui. Uapikun lui offrit son sourire hypocrite avant de s’extraire de la vue du pèlerin. Ce dernier se redressait lentement, reprenant ses esprits avec difficulté. « Les Esprits t’ont finalement ramené parmi nous. Tu as su trouver la route et rejoindre la terre de tes ancêtres. »

Uapikun se redressait et secouait doucement la tête. « Bon retour parmi ton peuple, mon frère. C’est un grand jour pour le clan ! Je vais les prévenir. » Sans attendre de réaction de l’intéressé, le chef quittait l’igloo pour disparaître. Dehors, il prit le chemin inverse, se dirigeant vers le camp des Nanuq. Son pas se pressait au fur et à mesure qu’il avançait. Shikuan l’attendait près des tentes et des igloos, l’interrogeant du regard.

« Il est là. » dit simplement Uapikun, s’arrêtant près de son acolyte. Les deux lossoth firent silence quelques instants. Chacun semblait envisager toutes les possibilités envisageables, et essayer de prévoir ce qui allait se passer dans les prochaines heures. Mais tout allait trop vite pour eux. Cela n’aurait pas dû se passer comme cela. Ils auraient du avoir du temps. Pouvoir anticiper ce retour, l’accepter, ou non… Mais y réfléchir. Soudain, Iskko jaillit. Le shaman du clan. Il s’approchait des deux chefs, un sourire malicieux aux lèvres.

« L’on dit que le jeune Njall est de retour parmi les siens, eh… Lui qui était partis l’âme protégée par les bons présages, vous semblez l’accueillir comme un oiseau de mauvaise augure. »

Le vieillard se mit à rire. « Les Esprits sont joueurs, parfois. Nul ne sert d’essayer de déchiffrer leur volonté et leurs jeux. Le monde a avalé Njall, et nous l’a rendu indemne ! Soyez heureux, célébrons. »

Sans leur laisser la possibilité de répondre, le shaman se mit à répandre la nouvelle dans tout le campement. Bientôt, tout le clan était au courant. Et dès qu’il le fut, il se divisa. Sans même que Njall n’eut parut devant eux, il y avait déjà ceux qui le soutenaient, les fidèles de son père, et ceux qui étaient loyaux à leurs deux chefs. Les débats allaient bon train. La matinée avançait, et l’invité tant attendu ne paraissait pas. Assis sur une souche d’arbre gelée, les deux leaders patientaient en silence. Les chasseurs n’étaient pas partis chasser. Les pêcheurs n’avaient pas gagné la côte. Même les enfants paraissaient être dans l’attente, sans vraiment comprendre de quoi. Et Iskko se pavanait, rieur. Il avait abandonné sa sagacité habituelle, quasiment austère. Très proche du père de Njall, il ne pouvait s’empêcher de s’amuser de cette situation. Ce n’était un secret pour personne qu’il détestait Shikuan au plus haut point. Il respectait les qualités de chef de Uapikun, mais l’avait toujours pris pour ce qu’il était sensé être : un remplaçant temporaire. Un bon second. Épaulé par une brute. Mais quand Njall parut, même Iskko se tut. Tous les regards se tournèrent vers lui. Il avançait vers les Nanuq, accompagné de Sipi. Les deux hommes venaient en armes, et Shikuan se redressait en soupirant longuement. Njall avait mis les habits traditionnels de chef. Ceux de son père. Sipi ou Iskko devait être derrière cette manœuvre. Uapikun était offensé. Il n’avait pas eu l’audace de les porter pendant toutes ces années, par respect. Et Njall venait paré des attributs du chef des Nanuq, affirmant ainsi son autorité sans discussions ni négociations. C’était un manque de respect qu’il ne pouvait tolérer. Son sourire s’effaçait à la vue de ce manège, et lui aussi se levait de la souche de bois.

« Njall, du clan Nanuq ! Marcheur du Nord, pèlerin égaré ! Bienvenue chez toi, fils ! » s’écriait Iskko, s’approchant de lui pour le saluer. Il était maintenant face à tous les siens. Certaines figures ne lui étaient pas connues. D’autres lui rappelaient des souvenirs d’enfance et de sa vie de jeune adulte. Des compagnons de chasse et de jeu. Des frères et des soeurs. Tous attendaient qu’il parle. Il prit une grande inspiration, encouragé par un signe de tête de Sipi.

« Mes frères, mes sœurs, vous n’imaginez pas la joie qui habite mon cœur. Retrouver les miens après ce si long voyage… Et vous voir si nombreux et forts. En bonne santé. »

Il laissait courir son regard sur les visages des hommes et des femmes de son clan. Il souriait légèrement, et ses yeux s’embuèrent malgré lui.

« Certains visages manquent à l’appel, et j’ai le cœur qui se serre à l’idée qu’ils nous aient quitté en mon absence. Mais je vois des enfants et des jeunes qui ont augmenté votre nombre et votre force. Je vois des armes, des vivres. Des chiens, et l’on m’a parlé d’un cheptel de rennes conséquent. Tout cela, c’est grâce à vous deux, mes frères. » Il se tournait vers Uapikun et Shikuan. Le premier hochait la tête d’approbation, écoutant avec attention. Le second fixait le sol, silencieux. Il semblait attendre un faux pas. « Vous vous êtes montrés dignes de votre tâche. Les Esprits vous ont guidés, et vous avez su guider les nôtres. La mission qui vous a été donnée à mon départ est un franc succès. Et pour cela, merci. » L’attente semblait devenir intenable pour Shikuan, et la tension se faisait ressentir. Malgré lui, le lossoth commençait à avoir une jambe tremblante. Shikuan était massif. Petit et trapu, il avait le dos large et un cou énorme. Un véritable buffle, craint pour sa force et ses coups de sang. Le versant violent de Uapikun, et dont le caractère tranchait drastiquement avec les us et coutumes du clan, qui ne faisait pas partie des plus belliqueux. « Jamais je n’aurai eu la sagesse et la force nécessaire à faire ce que vous avez fait tant de temps. » Shikuan sourit. Njall allait abandonner, pas vrai ? « Mais grâce à ce long périple… Je viens aujourd’hui reprendre ma place, sûr d’être à la hauteur de la tâche qui m’incombe. Il est temps pour moi de prendre la place de mon père. »

« NON ! » Dans un hurlement de rage, Shikuan bondit en avant, s’emparant d’une lance en os. « De quel droit, eh ? Où était Njall quand la maladie emportait nos femmes, et nos bébés avec ? Où était le pèlerin quand nous lions de nouveaux liens commerciaux avec les autres clans ? Où était-il quand nous défendions les nôtres face aux clans belliqueux, avides de prendre nos ressources par la force ? Où était-il ? Au Sud, marchant on ne sait où ? »

Uapikun s’avançait, posant sa main sur le bras du guerrier pour le contenir.

« Mon frère. Nous savons quelle est notre place. Et quelle est la tienne. Nous respectons les traditions et les paroles données. »

Shikuan regardait son camarade, interloqué par cette prise de position.

« Et notre parole fut de protéger le clan et de le faire prospérer. Nous l’avons fait. Maintenant, nous craignons que tu n’ai pas ce qu’il faut pour assumer cette tâche. Tu es partis des saisons entières parmi les étrangers, faire on ne sait quoi, et tu reviens pour nous mener… n’est pas chien de troupeau qui veut, même si tu es de la portée qui nous a guidé si longtemps... »

« Et en plus, tu viens avec le vieux Sipi ! Les affaires du clan ne le regardent pas. Il n’est pas des nôtres ! Qu’il s’occupe des siens. Sa fille est morte, il n’a plus rien à voir avec les Nanuq ! » se mit à crier Shikuan, reprenant la parole.

Njall sentit le vieux chef se raidir, mais ce dernier décidait de ne pas réagir à chaud. Il fit un pas en avant, pour mieux reculer ensuite :

« Shikuan, tu es un rustre, mais tu as raison. Je venais en gage de paix. Sachez que s’il advient malheur au jeune Njall, mon clan se porte garant de sa sécurité. Agis plus finement que tu ne parles, chien de traîneau. »

Et il prit congé, après un dernier regard vers son poulain. Shikuan bouillonnait de cette insulte, mais ne moufta pas. Uapikun lui en aurait voulu de se laisser aller à l’impulsivité.

Iskko parut de nouveau, un crane de phoque sur le visage. Tout le monde se tut.

« Il n’y a plus de lignée ! Njall, tu es orphelin, de ta famille et de ton peuple ! Les Esprits ne reconnaissent plus de chef chez les Nanuq ! Uapikun, Shikuan ! Vous outrepassez leurs souhaits ! Quant au pèlerin, est-il encore vraiment des nôtres ? »

Un frisson parcourut l’échine du Marcheur. Il devinait ce qui se tramait dans l’esprit d’Iskko.

« Les Esprits vont vous départager et nous éclairer ! Prenez congé ! Je vais les consulter et vous serez mis à l’épreuve. Soyez braves et justes, hommes du clan ! »

Shikuan lançait un regard noir à Njall avant de claquer les talons, tandis que ce dernier se faisait entourer par ceux des siens qui se réjouissaient de le revoir en vie. Iskko disparaissait quant à lui derrière les igloos, allant chercher conseil auprès des autres shamans des clans, pour mieux s’adresser aux Esprits du monde. Mais Njall le savait, il allait devoir se battre. Peu importe comment, le combat qui l’attendait allait déterminer de sa place parmi les siens. Uapikun l’observait de loin, entouré de ses guerriers. Ils étaient nombreux. Avait-il encore des gens à guider, s’il venait à gagner ? Rares étaient ceux qui venaient lui témoigner leur soutien. Beaucoup étaient simplement venus se réjouir de son retour parmi les siens, mais pas forcément lui apporter un soutien plus… politique. Il doutait de nouveau, mais les vertiges ne revinrent pas pour autant. Il fallait qu’il garde l’esprit clair, mais aussi qu’il s’occupe. Iskko allait certainement mettre du temps à revenir vers eux. Mais Njall ne se sentait pas à l’aise dans le camp de son clan. L’atmosphère hostile et divisée lui donnait des nausées. Mais fuir et se rendre auprès de Sipi n’allait que renforcer la position et la légitimité de ses deux rivaux. Il n’avait d’autres choix que de prendre sur lui. C’était la seule façon de prendre la relève de son défunt père. Et de retrouver son identité perdue. C’était une question de survie et d’orgueil à la fois. Il devait chasser la peur et se faire plus grand qu’elle. Comme à la chasse. Comme face à la mort, qu’il avait affronté tant de fois maintenant. En attendant, les jeunes venaient quémander des histoires du Sud, et Njall pouvait se changer les esprits en racontant ses péripéties et en fabriquant des contes à partir de son voyage fabuleux, où se mêlaient évocations du folklore lossoth, bagarres inattendues avec des trolls et descriptions de cités de pierre merveilleuses.
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[SOLO] Avec l'hiver reviennent les spectres. EmptySam 17 Aoû 2024 - 15:24
"Nitsâtuk"

De nombreux feux avaient été allumés pour l’occasion. L’on voyait l’endroit à des lieux à la ronde. Un cercle de feu, au milieu d’un étendue vierge et blanche, aux herbes gelées. À quelques temps de marche du grand camp hivernal, l’arène des esprits avait pris place. Les Nanuq étaient rassemblés autour. Les tambours battaient en rythme, les mains s’écrasant sur les peaux tendues de manière synchrones. Les chants gutturaux s’élevaient dans les airs. Les shamans faisaient brûler des graisses de baleines et de phoques, les visages peinturlurés ou dissimulés derrière des ossements d’animaux. Des témoins d’autres clans avaient fait le déplacement, en gage de respect des consignes des shamans, mais aussi par curiosité.

Accompagné par le cortège de ses soutiens, Njall avançait calmement vers l’arène. Il semblait en paix avec lui-même. L’attente avait été longue, très longue. Elle avait maintenue le clan en suspend. Mais elle avait aussi été bénéfique pour le marcheur. Il avait pu dompter ses doutes et ses peurs. L’issue de ce combat importait peu, désormais. Il convenait simplement de s’en remettre aux esprits et aux dieux gouvernant ce monde. Le visage recouvert de peintures de guerre, il arborait de nombreux signes honorifiques. Les shamans lui avaient percé la peau du visage et avait orné celui-ci d’os et de bois. Ses mains étaient bandées. Au milieu du cercle, Uapikun et Shikuan attendaient, eux-aussi couverts de signes tribaux. Les tambours battaient fort, faisant presque oublier aux guerrier leur cœur battant dans leurs tempes. Ils ne s’entendaient plus penser. Njall pénétrait le cercle de torches et de flammes, tandis que ses guerriers se dispersaient dans la foule des spectateurs. Les shamans dansaient et chantaient. Iskko était parmi eux, dirigeant la cérémonie. Les trois hommes se toisaient en silence, jaugeant leurs adversaires.

Alors que les tambours ralentissaient et que les shamans s’agitaient autour d’eux, Shikuan se retirait, gagnant l’assistance. Ainsi seul Uapikun allait maintenir sa prétention à la place de chef. Shikuan devait se contenter de celle de second, sachant pertinemment que son ami ne gouvernerait pas sans lui. Pour être honnête, cela soulageait également Njall qui se voyait difficilement triompher de Shikuan à armes égales.

Soudain, les shamans se figèrent, au beau milieu de leurs courses, tous dans des postures plus étranges les unes que les autres. Les tambours firent silence. Machinalement, les deux guerriers firent tomber au sol leurs manteaux de fourrure. Désormais torses nus, ils se mirent en garde. Ils n’avaient que leurs poings. Les shamans quittaient le cercle, ne laissant que les esprits et les rivaux au milieu de celui-ci. Un des sorciers se mit à pousser un long râle, et quand il se tut, les deux guerriers se précipitèrent l’un sur l’autre.

Leur course se stoppait net alors qu’ils arrivaient presque au contact. Haletant, ils se jaugeaient, les mains en avant. Ils cherchaient à se saisir plus qu’à se frapper. Quelques coups de poings furent échangés ou bloqués, mais l’on sentait que chacun des deux cherchait à attraper l’autre. Au terme d’une vingtaine de secondes paraissant interminable, Njall se jetait finalement sur Uapikun, passant son bras gauche sur l’aisselle droite de son rival et son autre bras entre ses jambes. Tentant de le retourner brutalement, il se vit opposer une résistance farouche. Solides sur ses appuis, Uapikun se débattait pour ne pas être renversé, s’agrippant à Njall tout en lui assénant des coups de coude. L’un d’eux vint trancher brutalement la joue du pèlerin, lui arrachant un cri de douleur. Contraint de mettre un terme à sa prise, le lossoth balayait Uapikun au sol avant de reculer. Passant sa main sur sa joue, il ne put que constater l’importante quantité de sang qui s’en écoulait. Mais son rival était déjà de nouveau debout et repartait à l’attaque. Reprenant ses esprits à temps, Njall passait sous le coup de poing de son adversaire pour l’esquiver, et enchaînant avec un contre puissant dans la tempe de Uapikun. Ce dernier reculait mais ne tombait pas, parvenant à esquiver un nouvel assaut de Njall avant de se jeter dans ses jambes, l’emmenant au sol. Dans sa chute, Njall en profitait pour rendre la monnaie de sa pièce au chef Nanuq, lui assénant plusieurs coups de coudes pour le couper.

Une fois au sol, les deux guerriers se lancèrent dans un duel bien plus brouillon et sauvage, roulant sur le sol et essayant de dominer l’autre aussi bien par la lutte que par les coups. Bientôt, les deux guerriers furent recouverts de sang, sans que l’on puisse déterminer lequel des deux saignait le plus. Après une lutte acharnée, Njall parvint à prendre le dessus sur Uapikun, se plaçant au-dessus de lui. Ce dernier se protégeait comme il pouvait tandis que le Marcheur le frappait au visage et au corps. Il lui fallait désormais le soumettre. Brisant la garde du chef à la force de ses coudes et de ses poings, Njall, épuisé, entreprit de lui serrer la gorge. Uapikun se débattait avec hargne, mais la fatigue se faisait ressentir chez les deux guerriers. Alors que son rival se débattait de moins en moins, Njall tournait la tête vers les shamans, relâchant son emprise.

Il ne trouvait pas Iskko du regard. Qu’attendaient les anciens pour le déclarer vainqueur ? Les gestes de Uapikun devenaient faibles et imprécis, ses coups ne blessaient plus. Alors, un ancien qu’il ne connaissait pas se redressa subitement, pointant Njall du doigt. Sa voix rocailleuse s’élevait dans les airs, et le vieux se mit à crier :

« Ceci est un combat à mort ! »

Les tambours reprenaient de plus belle, et les shamans se mirent à psalmodier et entamer de nouveaux chants de gorge. Njall était interloqué. Il n’y avait pas que lui qui avait changé visiblement. Ce n’était pas dans les habitudes de son clan de recourir à de telles épreuves. Ce n’était pas Iskko seul qui avait consulté les esprits, mais bel et bien un collège de sages issus de différents clans. Quel gâchis. Le jeu en valait-il vraiment la peine ? Ce songe furtif occupait l’esprit de Njall une poignée de secondes. Juste assez pour que Uapikun, pouvant de nouveau respirer avec le relâchement de son adversaire, ne puisse s’emparer d’une pierre recouverte de givre. Le coup fut sec et puissant, assez pour que le pèlerin ne se laisse tomber sur le côté, sonné. Il sentait le sang couler le long de sa tempe et une violente douleur commençait à serrer son crâne dans son étau. Uapikun, bien qu’affaiblis, parvenait à repousser Njall et à se redresser, non sans difficultés. Sonné, Njall se relevait également. Sa vision se troublait légèrement. Le choc ne l’avait pas laissé indemne. Il parvenait tout de même à discerner la pierre ensanglantée dans la main de son adversaire. Si ce dernier parvenait à le frapper de nouveau au visage, il était quasiment sûr qu’il perdrait connaissance. Et alors tout serait finis. Il fallait en finir rapidement, il avait envie de vomir. Et Uapikun semblait reprendre contenance. Alors il fallait être sournois, comme les charognards. Njall fit mine de tituber, remettant lentement sa garde devant son visage. Uapikun sourit et prit son élan, se précipitant sur lui dans un dernier assaut. Rassemblant ses forces, Njall parvint à se baisser juste assez pour éviter de prendre la pierre de pleins fouet, tout en envoyant un violent coup de poing au foie de son adversaire. Craignant un second coup, Njall se jetait ensuite en avant, passant derrière Uapikun tout en se protégeant le crâne. Mais le coup ne vint pas. Le chef était tombé au sol, paralysé par la douleur au foie. Njall vint vers lui, lui assénant une violente claque, le sonnant juste assez pour qu’il ne lâche sa pierre. Il s’en emparait à son tour, faisant tomber Uapikun au sol d’un coup de pieds, avant de se mettre à cheval sur lui.

Les deux guerriers étaient à bout de souffle. Leurs visages étaient tuméfiés. Uapikun scrutait le ciel, et un léger sourire vint déformer son visage dans la douleur. Il lui semblait que les étoiles lui souriaient. Tout tournait. Il n’en pouvait plus. Njall levait la pierre à deux mains, au-dessus du visage de son adversaire.

« Ainsi soit-il. » soupira Uapikun, non sans difficulté. Ses dents étaient rougies par le sang. Njall tournait la tête, observant la foule muette autour d’eux. Depuis quand les Nanuq s’entre-tuaient pour le pouvoir ? Son retour avait rendu tout le monde fou. Il croisait enfin le regard d’Iskko. Le vieux shaman semblait jubiler. Il l’invitait d’un signe de tête à en finir. Njall baissait les bras, laissant tomber la pierre au sol. Haletant, Njall se redressait, sans un mot. Il ramassait son manteau de fourrure, tandis que Uapikun restait étalé au sol, incapable de bouger. « Ainsi soit-il, Uapikun. Tu as raison dans le fond, je crois que je suis devenu un étranger. »

Il se dirigeait vers la sortie du cercle quand Shikuan jaillit, le visage fermé. Il lui barrait la route, armé d’une lance.

« Finis ce que tu as commencé. Ou es-tu incapable d’honorer la moindre chose ? »
« Shikuan. Je ne tire aucun honneur à tuer un des miens. Si tu désires la mort de Uapikun, fais donc besogne. Je ne crois pas que les assassins soient de grands chefs. »

Sans attendre de réponse, Njall le dépassait en évitant soigneusement tout contact avec lui. Il avait envie de vomir. Il lui fallait quitter ces lieux. Tant pis pour Iskko. La neige se mit à tomber, tandis qu’il s’éloignait en titubant, emmitouflé dans son manteau blanc tâché de sang. Les tambours continuaient de battre au loin. Mais dans la baie de Forochel, le cœur de Njall semblait s’être arrêté de donner la mesure. Tout ceci n’avait aucun sens. Le monde était sur le point de l’engloutir à nouveau.
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Njall
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[SOLO] Avec l'hiver reviennent les spectres. EmptySam 17 Aoû 2024 - 21:37
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Iskko

La lueur des flammes éclairait faiblement le visage de Njall. Adossé au tronc d’un conifère, il appliquait régulièrement de la neige sur son visage tuméfié. Il était difficile reconnaissable tant il était gonflé. Il se demandait même comment il avait eu le courage de se traîner jusqu’ici. Il s’était éloigné de la côte pour gagner les prémices des montagnes, plus boisés. À l’abri du regard des siens. De sa cachette, il voyait au loin les lueurs du camp hivernal. Et dans le ciel, au-dessus de l’eau dormante, encore plus loin, les lueurs astrales.

Le pèlerin avait du mal à penser. Son esprit était embrumé. Le choc de la pierre contre son crâne résonnait encore au fond de lui. Il lui faudrait un peu de temps pour se remettre de la commotion engendrée par ce coup. Il n’avait pas vomi, mais en avait eu envie tout au long du trajet. Se terrer seul n’était pas une bonne idée. Si sa condition se dégradait, il allait mourir. Mais cette pensée ne semblait pas l’atteindre.

La neige tombait à nouveau. Njall se concentrait sur sa respiration, lente et profonde. Dès que la neige avait fondue sur son visage, il en prenait une nouvelle poignée et l’appliquait sur ses blessures. Il en mettait également dans sa bouche. Il avait perdu une dent dans le combat. Il avait faim. Il était faible. Le monde allait l’engloutir pour de bon. Bientôt, le sommeil l’emportait.

Ses rêves étaient troubles et mystérieux. Des cris menaçants y résonnaient. Il marchait seul dans une forêt sombre. Les esprits tournoyaient autour de lui. Monstres et créatures fantastiques. Il était épié. Il avait beau tourner sur lui-même, il ne pouvait que les apercevoir. Insaisissables. Alors il se mit à courir. Il avait le souffle court, très court. Le bruit de sa respiration saccadée, intense, envahissait toute la forêt. Résonnait dans sa tête. Il ne savait plus si c’était sa respiration ou celle de celui qui le poursuivait. La forêt laissait soudainement place à une immense banquise. Il suivait des traces de sang. La piste le menait près de l’eau glaciale. Un ours blanc, mort, éventré. Il se penchait sur sa carcasse, et ouvrait sa plaie, plongeant sa tête dans les entrailles de la bête. Là, il se vit, dormant, lové dans les tripes de l’ours. Il ne se ressemblait pas, mais il savait que c’était lui. Plus jeune, plus fort. Prêt à naître de nouveau, depuis les entrailles de cette charogne. Son alter-ego ouvrit subitement les yeux, des yeux d’un blanc profond. Dans un sursaut soudain, Njall se réveillait.

Son corps se raidit subitement. Face à lui, un homme portant les masques traditionnels. Il se réchauffait les mains près du feu, sans un bruit. Njall, à bout de forces, ne parvint ni à bouger, ni à parler. Un léger grognement sortit de sa gorge, sans qu’il ne puisse le transformer en phrase. Sa bouche était sèche, il était en sueur. Impossible d’articuler. Le masque se relevait vers lui.

« Njall Nanuq. Encore en vie. Pour combien de temps ? Hu-hu-hu... »

Ce rire. Njall se détendit légèrement.

« Iskko... » parvint-il à souffler doucement, visiblement rassuré. Le vieil homme retirait son masque, lui adressant un sourire moqueur. Le shaman ouvrait sa besace, en tirant de la viande séchée. « Ne parle pas trop, Njall. Tu as besoin de repos. Je viens sauver ta pauvre existence. »

Le shaman se rapprochait, entreprenant de faire manger le blessé.

« Uapikun va sûrement mourir. Il est plus blessé qu’il n’y paraît. Et Shikuan fera en sorte qu’il ne soit pas correctement soigné. »

Njall ne répondit pas, occupé à essayer de mâcher la viande séchée que lui déposait dans la bouche le sorcier. Sa mâchoire le faisait souffrir.

« En faisant le choix de ne pas choisir, tu as précipité le clan dans les bras d’un drôle de personnage, Njall. »

Iskko gardait un visage impassible et rieur, mais Njall le sentait contrarié et en colère. Finissant sa bouchée, le blessé bafouillait quelques mots.

« Les esprits… l’ont voulu ainsi. »

Le shaman se mit à rire à gorge déployée. Il hochait négativement la tête, avant de faire boire le pèlerin.

« Les Esprits ont bien des pouvoirs et jouent avec nos vies, je te l’accorde, jeune pèlerin. Mais cette fois, ils n’ont rien décidé si ce n’est la manière dont vous alliez vous battre. Tu as décidé de te soustraire à leur épreuve. »

Njall allait parler mais Iskko fit claquer sa langue, lui intimant le silence. Voilà qu’il était grondé comme quand il était un jeune enfant.

« Shikuan n’aura bientôt plus de rival. Si Uapikun meurt, tu ne pourras jamais revenir parmi les Nanuq. Il te tuerait. »

Une fois le blessé nourri et désaltéré, le shaman retournait près du feu, s’aidant de sa lueur pour préparer des onguents et autres mixtures médicales dont il avait le secret.

« Je ne sais pas quoi te dire de plus, Njall. Je crains qu’une fois de plus, ton sort soit de nouveau lié à celui d’Uapikun. Mais désires-tu seulement retourner parmi les tiens ? »

Iskko lui jetait un regard malicieux. Njall, pensif, baissait le sien. Il avait honte de ne pas pouvoir répondre à cette question. Il avait fantasmé son retour tant de fois, peu de temps à peine après son départ. Il lui semblait qu’il n’avait pas tant voyagé, pas tant vécu, et surtout, que ses dernières aventures avaient brisé quelque chose en lui. La naïveté du pèlerin s’était perdue entre le Rhudaur et l’Arthedain. Et son retour avait vite été un ultime désenchantement. Finalement, n’était-il pas condamné à un pèlerinage éternel ? Ou plutôt, un exil ? Cette pensée le rendait d’autant plus mélancolique. Mais d’un autre côté, il se sentait mal parmi les siens. Une fois loin, le mal du pays le reprendrait… Quand il mettait son épée au service des causes des étrangers, au moins avait-il l’esprit occupé. Peut-être était-il revenu trop tôt. Ou trop tard ?

Iskko appliquait désormais sur son visage ses onguents, et Njall fermait les yeux, le laissant travailler.

« Reste ici. Reprends des forces. Je viendrai te voir, m’assurer que tu survives. Et je t’apporterai des nouvelles de Uapikun. Peut-être, après tout, que tu te préservais pour un autre combat... » Iskko ricanait doucement. Il désirait ardemment la mort de Shikuan, et avait bien du mal à garder sa neutralité dans toutes ces affaires de chef. Quand il eut finit de s’occuper des blessures de Njall, il disparut dans l’obscurité, son masque sur le visage. Njall l’entendit chanter un moment, puis sa voix se fit de plus en plus lointaine, jusqu’à disparaître, avalée par le vent.

Deux jours passèrent avant le retour de Iskko. Le masque parut de nouveau dans la nuit, n’apparaissant qu’au dernier moment. Mais à son arrivée, le feu était éteint. Près de l’arbre, il n’y avait plus que la trace d’un corps dans la neige, tassée. Il y avait encore des braises dans le feu, les cendres étaient chaudes. Mais surtout, près de celui-ci reposait la masse de Njall. L’arme qu’il avait hérité de son père, et qu’il avait emporté en pèlerinage avec lui. Il l’avait laissé derrière-lui. Iskko était perplexe quant au sens de cet abandon. Hors de question que Shikuan ne mette la main sur cette arme. Iskko la garderait à l’abri des regards, en secret. Peut-être était-ce le souhait du pèlerin. Le shaman soupirait, avant de faire face à la baie de Forochel, qui s’étendait au loin, en contrebas. La lune éclairait assez cette nuit pour qu’il en devine les premiers pourtours. Les étoiles brillaient fortement. Une biche sortit du bois, à une centaine de mètres d’Iskko. Il se tournait vers elle, silencieux.

« Espérons que cet exil ne dure pas... » soufflait-il doucement. Bon sang, qu’il détestait Shikuan. Il rêvait déjà du retour de Njall. Allié avec Sipi, ils pourraient tuer ce buffle... Que l'exilé se presse, Iskko ne voulait pas mourir avec cette brute pour chef.

Non loin de là, Njall avait repris sa route. Délesté de sa lourde masse, il boitait mais avançait surement vers le Sud. Cette fois, il ne savait pas ce qu'il cherchait. Des réponses, mais à quelles questions ? La paix intérieure ? Du courage ? S'il revenait un jour, il serait accueilli en lâche. Il devrait faire la guerre. Et il n'aimait la guerre que quand elle ne concernait pas les siens. Dans le doute, il reprit alors l'activité qu'il maîtrisait le mieux: marcher. Et il se surprit à chanter doucement sur son chemin. Il avait encore beaucoup à découvrir. Le monde pouvait bien l'avaler.
#Njall #Iskko
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