Si les affres de la guerre n’avaient pas atteint le village de notre héros, les échos de complaintes des mères endeuillées lui glacèrent le sang.
Le massacre de Pelargir, voilà comment fut nommé cet événement, et aux générations qui vinrent fut conté le récit de cette sinistre journée. Pour que jamais ne soient oubliés les infortunés du Gondor.
C’est le cœur gros de rancune et de désir amer que Meneldil prit la route. Il embrassa tendrement sa mère, celle qui l’avait tant aimé avant de s’engouffrer dans cette démence infinie. Ses quelques minutes de lucidité quotidiennes lui permettaient de retrouver, pour un instant seulement, le calme et la passion qu’une mère offre à son enfant. Hormis l’accolade et des caresses, voilà les seuls mots qu’elle put adresser à son fils :
“ C’est dans les plis sinueux des sentiers de traverse que s’égarent les honnêtes voyageurs. ”
Comme un avertissement, une mise en garde avant l’avènement de la vie du jeune homme. Il y a dans le cœur de chaque parent qui voit sa progéniture le quitter, la même peine, celle qui vous touchera sans doute le moment venu. Ainsi à l’annonce de son départ, sa mère s’était empressée de lui raccommoder les quelques habits qu’il possédait. D’abord sa cape, héritée de son père, qu’une fibule peinait à faire tenir sur son corps décharné. Puis ses vêtements loqueteux, qu’elle rapiéça et qui finirent par lui donner l’allure d’un gamin des rues.
En fermant la porte ce jour-là, il condamnait l’enfant qu’il fût autrefois, devenant définitivement un homme. Meneldil salua sur son passage les visages familiers qui s’étaient réunis au centre du village dans un dernier élan d’adieu. Les conversations allaient de bon train, chacun y allait de son bon mot, et tous avaient une histoire à raconter à propos de l’enfant du bourg. Ivre de joie et auréolé des espoirs de chacun, le jeune homme prit enfin la route de Minas Tirith. C’est une vieille piste, usé par le passage des caravanes, qui s’ouvrit sous ses yeux.
Sa mère lui contait chaque soir les merveilles de la Tour Blanche et il grandit avec le rêve d’un jour pouvoir l’admirer de ses yeux.
Les paysages du Lossarnach défilaient, son voyage prit deux jours pleins. Depuis la terrible nouvelle venue du sud, les garnisons s’étaient partout renforcées. Meneldil profita d’une des nuits à la taverne pour apprécier la compagnie de ses futurs frères d’armes. Ah, il espérait ne pas être condamné à l’espérance dans l’une de ces affectations qui ôtent aux hommes leurs rêves de gloire. Le champ de bataille, voilà ce à quoi le jeune homme aspirait, qu’on le mit face à sa destinée.
Enfin, au détour d’une de ses rêveries mystiques, il l’aperçut au loin.
Minas Tirith, la cité des rois de jadis, qui s'élevait face à lui telle une vague pétrifiée par les flancs des montagnes. Un hymne à la survie dans notre monde vacillant. Notre héros resta quelques instants béa d’admiration sous les charmes d’une beauté que les extravagances de son esprit n’avaient pu soupçonner. Désireux de fouler sans plus tarder les pavés de la tour d’Echtelion, Meneldil forcit l’allure et atteignit sans grand mal la porte sud de Rammas Echor.
S’y entassaient des voyageurs de tout genre. Des marchands venus des terres du sud, une famille noble de l’ouest, des aventuriers soucieux de trouver enfin le repos bien mérité... et tous patientaient, inlassablement, que vint leur tour d’énoncer aux gardes les raisons de leurs modestes visites. Progressivement, devant la mollesse de ce péage improvisé, l’agitation enflamma les esprits. Meneldil, lui-même, jeune homme à la fougue encore indomptée devint las, et mécontent de l’attente qu’on osait faire subir à l’un des futurs soldats du Gondor. Il se détourna des rangées de patients, s’approcha plus en avant, au niveau des gardes et leur tint ce discours :
“ Messieurs, je n’oserai remettre en cause l’importance de votre mission, cependant j’ai à faire au cœur même de la cité. Je vous prierai de me permettre de passer. J’ai ici une lettre de recommandation de Mardil, ancien capitaine du Gondor, mon mentor et ami, à destination de l’officier chargé des nouveaux aspirants.”
En disant cela, il sortit de sa besace une missive, encore cachetée, qu’il tendit aux gardes.
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