Le départ précipité de la capitale n’avait pas plu à Fendor.
Ne devrais-je pas m’adresser à mon peuple? Et quitter Edoras à leur tête et non pas comme un voleur dans la nuit? - interrogea-t-il ses conseillers. Non. La réponse de Balor avait été formelle. Le maréchal Bered et ses officiers vétérans tels que le capitaine Fridwald pouvaient organiser la défense d’Edoras, et puis le Haut Conseiller Polias y était resté. L’homme qui avait servi comme précepteur à plusieurs rois était trop vieux pour galoper toute une journée; il les rejoindrait quelques jours plus tard une fois la situation à la capitale stabilisée. La sécurité du roi était primordiale, surtout qu’il n’avait aucun héritier et que le vice-roi venait de tomber. Le Rohan pouvait tenir face à une invasion mais pas à un autre interrègne sanglant. Il fallait activer la procédure Fort-le-Cor.
Ils avaient voyagé léger - malgré son jeune âge le roi était un excellent cavalier - et ils arrivèrent au Gouffre de Helm avant la tombée de la nuit au bout d’une longue journée de cavalcade. Le coeur de Fendor se mit à battre plus vite à la vue des murailles imposantes et de la forteresse jamais prise par l’ennemi.
Garlin, le Maréchal de la Marche Ouest, les accueillit aux portes de la forteresse. Il s’inclina devant son roi.
-Sire! Bienvenue à Fort-le-Cor. J’ai reçu il y a une poignée d’heures à peine les terribles nouvelles de la défaite de l’armée aux mains des nurniens et de la mort du Champion Gallen Mortensen. C’est bien la raison de votre présence ici?
-
Oui - répondit Fendor -
je suis ici pour préparer la défense du Rohan. Mais avant cela, je souhaiterais rencontrer en personne les réfugiés, entendre leurs histoires et les assurer que le royaume ne les a pas oubliés. Emmenez-y moi.
Le maréchal semblait confus, et balbutia au bout d’un moment:
-Les…réfugiés…sire? Vous voulez dire les malheureux qui sont obligés de quitter leurs terres à cause de l’invasion? C’est-à-dire que pour l’instant la plupart sont partis vers Aldburg, et une partie vers Erian. On a pas vraiment eu d’influx de civils au Gouffre pour le moment…
Le jeune roi sentit ses joues brûler, mais se ressaisit avant de répondre, d’une voix calme:
-Nous en discuterons dans la salle de conseil. Emmenez-moi juste une bassine d’eau d’abord, pour que je puisse me rafraîchir du voyage.
Lorsqu’il arriva dans la salle un quart d’heure plus tard, ils étaient déjà tous réunis. Balor, son fidèle conseiller. Le Chambellan Isorden. Le Maréchal Garlin. Félarel, Capitaine de la Maison du Roi, responsable de sa sécurité. Hámundr, compagnon d'entraînement de Fendor et descendant de Hàma, capitaine de la Garde Royale à l’époque de Théoden. Et Malaz, officier des Lames, réseau d’espionnage créé sous les ordres du jeune roi à l’instar de l’Arbre Blanc et de la Rose Noire.
Le jeune roi parla d’une voix forte, pour couper court à leurs conversations. Il surpassa la vague de malaise face à des hommes bien plus âgés et expérimentés que lui - il devait s’imposer, sinon ils le prendraient jamais au sérieux.
-Montrez nous la carte de campagne et faites nous un rapport. - Fendor constata avec satisfaction que les hommes se turent tous et remplirent ses ordres.
Le maréchal Garlin prit la parole en premier:
-On ne connaît toujours pas les effectifs des nurniens. D’après nos éclaireurs il s’agirait de plusieurs dizaines de milliers, même s’il ne s’agit pas d’une armée à proprement parler. C’est tout un peuple qui se déplace, y compris les femmes, les enfants et les troupeaux. Ca les rend pas moins dangereux, comme l’a prouvé la défaite des mille lances menées par le Vice-Roi…
Le capitaine Félarel prit la relève:
-Aux dernières nouvelles le maréchal Olaf de la Marche Est rassemble des troupes à Erian pour monter une défense.
Fendor l’interrompit:
-Alors nous devrions nous y rendre! Galvaniser nos troupes et porter un coup décisif à l’envahisseur.
Garlin se mordit la lèvre avant de répondre:
-Les nurniens ont prouvé qu’ils sont capables de gagner sur le champ de bataille, mais aussi d’assiéger une forteresse…ils ont après tout réussi à prendre temporairement contrôle du bastion gondorien de Cair Andros. Erian est un bon lieu de rassemblement mais c’est pas une place forte. Olaf ne pourra pas y tenir.
Félarel rajouta froidement:
-Le Maréchal Olaf est un homme compétent mais nous ne devrions pas compter sur lui pour organiser la défense du royaume entier. Il a permis aux envahisseurs de pénétrer sur les terres de la Marche de l’Est. S’il avait été présent pour rejoindre le Vice-Roi Mortensen avec des renforts, l’issue de la bataille aurait peut-être été différente.
-Aldburg alors?!
Cette fois-ci, le Chambellan Isorden prit la parole d’une voix douce:
-Aldburg est une ville qui porte encore les cicatrices de la Guerre des Trois Rois, sans parler de l’impact de la mort récente de Gallen Mortensen. Ce n'est pas le meilleur choix pour un lieu unificateur et symbolique…contrairement au Gouffre de Helm. C’est ici que nous devons mener la résistance. Et y faire venir le maréchal Olaf et ses troupes pour un rassemblement de l’Eohere.
Le jeune Hámundr acquiesça avec enthousiasme:
-Fort-le-Cor mon Roi! C’est ici que votre illustre ancêtre a combattu contre les hordes d’Isengard et que le mien est tombé. Aucun ennemi n’a jamais pris contrôle de ce lieu. D’ici, nous organiserons la défense du royaume!
Fendor regarda autour de lui avant de hocher de la tête:
-Qu’il en soit ainsi. Nous rassemblerons les éoreds ici avant de passer à la contre-offensive, une fois que le maréchal Olaf nous aura rejoint avec ses troupes!
Il tira son épée du fourreau. L’acier de Gúthwinë brilla - c’était la lame du roi Eomer, avec laquelle il avait combattu aux côtés d’Elessar lors d’innombrables batailles. Hámundr, Félarel et Garlin tirèrent à leur tour leurs épées, et les croisèrent avec la sienne. Le garçon sentit l’espoir monter en lui. Ensemble, ils défendraient le Rohan contre tout envahisseur.
Quelques instants plus tard, lorsque le moment solennel était passé, Fendor se ressaisit:
Qu’en est-il de nos alliés? Il faut envoyer des missives. Le Gondor nous viendra très certainement en aide.
Félarel grogna malgré lui et répondit:
-Pardonnez-moi Sire, mais le Gondor n’aurait jamais dû laisser passer les envahisseurs jusqu’à nos terres. Après tout, ils sont passés par Cair Andros avant d’arriver jusqu’à là. Je ne sais pas ce qui se passe à la cour du roi Méphisto mais je ne suis pas certain qu’on puisse compter sur eux.
-
Dans ce cas, j'écrirai personnellement une lettre à la royauté du Gondor. - décida Fendor -
Et l’Arnor? Ils n’ont pas de frontière directe avec nos terres, mais je pense qu’on devrait les avertir de la situation.
Malaz, l’officier des Lames qui était resté silencieux jusqu’à là, dit d’une voix douce:
-Mon Roi, nos espions parlent d’un groupe de mercenaires influent sur la Grande Route du Sud, il se pourrait qu’ils soient sous les ordres indirects de l’Arnor. Ils s’appellent la Meute. Avoir des forces armées sous les ordres du roi Aldarion à proximité pourrait être une bonne chose si la situation devient vraiment dramatique, mais d’un autre côté il ne faut pas que la souveraineté du Rohan soit remise en question…
Le conseiller royal rajouta:
-Je pense que vous avez raison Sire. Il faut prévenir nos alliés et pousser le Gondor à envoyer des renforts, mais nous ne voulons pas non plus faire preuve de faiblesse. Quant à l’Arnor…le royaume du Nord est un allié de poids, mais nous savons qu’ils n’ont pas tendance à accorder leur aide sans demander quelque chose en échange. Il serait peut-être judicieux de nous en passer pour l’instant. Je propose d’informer la cour du roi Aldarion et celle du roi Thorik de l’invasion, sans pour autant leur demander de l’aide immédiate. Préparons le terrain au fur et à mesure.
Le chambellan Isorden fronça les sourcils:
-Notre ambassadeur chez les nains c’est…
-
Oui- acquiesça Balor. Les deux hommes échangèrent un long regard. -
Je pense qu’il sera préférable de faire passer le message par Olfr, le diplomate de Khazad-Dûm qui avait assisté au Bal d’Edoras.
Le conseil de guerre se finissait doucement. La nuit était tombée depuis un long moment. La salle se vida, et le jeune Fendor se retrouva seul, en regardant la carte étendue sur la table. La fatigue s'abattit sur lui avec tout le poids d’une avalanche. Il n’avait pas dormi la veille entre le Bal et les nouvelles sur la mort de Gallen Mortensen, et ils avaient chevauché pendant toute la journée. Le Rohan était en guerre et son champion était tombé. La responsabilité de protéger le royaume reposait à présent sur ses épaules - serait-il à la hauteur? Ferait-il honneur à ses illustres ancêtres? Fendor essuya avec frustration ses yeux humides de fatigue et d’angoisse. Il entendit la voix de Balor derrière lui. Le ton de son conseiller était plus chaleureux et moins formel que pendant l’assemblée.
-Vous avez mené le conseil dignement, sire. A présent, vous avez besoin de nourriture et de repos. Demain est un autre jour, et il vous faudra des forces pour relever le défi qui nous attend. Les cuisiniers ont préparé un repas dans la petite salle. J’ai senti de la tarte à la rhubarbe, c’est déjà la saison.
Fendor Firionson, roi du Rohan, héritier légitime de Thénéor, de la lignée d’Éomer Éadig soupira lourdement et se redressa. Il aimait beaucoup la tarte à la rhubarbe.
#Felarel