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L’air avait fraichi en même temps que la Soleil se couchait. Lors, tout le vallon était nimbé de vermillon et les torrents éclataient en camaïeux de rouge et de bronze. L’oreille attentive guettaient le départ des oiseaux diurnes qui cédaient, dans les ramages, leur place aux chants autrement mélodieux des animaux crépusculaires.
 
« Le Seigneur Rustor m’a envoyé, il désirait vous recevoir en personne. Il m’a invité à vous dire, qu’en réalité, ce ne sera pas la première fois que vous vous rencontrez. » Aussitôt, le regard de Gliriaur s’enquit du sentiment d’Aurhen. Celui-ci, par l’évocation de ce nom, venait de perdre nombre de millénaires. Il était de nouveau sous les hautes voutes de Nargothrond, parmi les gens de l’armée. Les Capitaines ordonnaient la troupe, Rustor était non loin. Une autre fois, sous les arbres du Beleriand, remontant la mélodieuse Narog, ils chevauchaient de concert, tous les deux portant fièrement les couleurs de Finrod, son étendard flottait au vent, quelques pas au-devant. Que s’étaient-ils dit alors ? Le temps était si ancien, il fut suivi de temps de conflits. Pour être honnête, ils ne souvenaient plus. Voyait-il encore son visage ou s’imaginait-il seulement son souvenir ? En réponse aux interrogations muettes de son ami, le Ñoldo dévoila un peu du mystère :
 
« Il est vrai, nous nous sommes rencontrés, jadis, en les terres qui ont aujourd’hui sombré. J’ignorais qu’il était d’influence aujourd’hui en ces lieux mais je me réjouis de retrouver, en même temps que mon nom, un visage qui fut autrefois familier. Je sais qu’il habita un temps, parmi nous, à Nargothrond, côtoyant la cour de Finrod jusqu’à disparaître aux côtés de Turgon en la secrète Gondolin. Je ne savais pas, jusqu’aujourd’hui, ce qu’il était advenu de lui. Grand parmi les Seigneurs… J’en suis heureux et j’ose le risque de croire que ce retour si soudain d’un passé si lointain est pour moi un signe bienveillant des Valar. » Il n’en dit pas davantage et préféra profiter du chemin qui lui restait à parcourir pour tenter d’étoffer la toile décousue de ses remembrances. Il avait trop vécu pour être certain de quoi que ce fût.
 
Bientôt, leurs pas quittèrent l’herbe cramoisie pour trouver l’assise de la pierre taillée et ils s’élevèrent dans la dernière Maison Simple de l’Ouest. Ils allèrent entre les arches de bois comme il avait été sous celles de pierre, jusqu’à la porte d’entrée d’une des nombreuses salles de lecture du lieu, il était rare, chez les Eldar, qu’on accueillît officiellement un hôte autrement qu’en groupe, même restreint, et les conseils, fussent-ils les plus sérieux du monde, se tenaient rarement sans la sagesse de plusieurs, si bien qu’Aurhen ne fut pas étonné du lieu, et s’attendait à ce que le Seigneur Rustor ne fût pas le seul présent.
 
« Aurhen, souhaitez-vous que je vous laisse seul ? proposa Glauriaur avant que leur guide n’ouvrît la porte. – Nullement. Vous avez entendu tout le récit que je pouvais faire de moi-même, il n’y a rien que vous ne puissiez entendre dont je ne devrais plus avoir honte. En outre, étant au fait du passé, vous pourriez trouver quelque intérêt à savoir ce qu’il en sera du présent ? Après tout, il sera peut-être l’histoire de demain ? » Ils s’échangèrent un sourire amical et la porte s’ouvrit sur son intérieur. Son cœur, pourtant rarement autrement que paisible, s’emballa. Il avait la conviction intime, lorsqu’il fit le premier pas, d’aller enfin au-devant du destin qui était le sien. Plus jamais il ne ferait honte aux noms de ses aïeux.